Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/02/02

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 18-23).


II

CARACTÈRE


Le mot caractère est un terme générique qui comprend les diverses espèces de lettres ou de signes en usage dans l’imprimerie.

On dit, en classant les caractères par identité de corps et d’œil : gros caractère, petit caractère, caractère compact, caractère poétique, caractère de fantaisie, etc.

Deux caractères différents de même corps ont rarement une épaisseur uniforme : cette dernière proportionnée à l’œil — gros, moyen, petit, allongé ou maigre — fait gagner ou perdre dans la composition.

Un caractère gagne ou perd sur un autre lorsque dans un nombre déterminé de lignes de même justification il entre plus ou moins de texte, et dès lors de lettres. Plus un type est petit et mince, plus il gagne sur un plus gros ; et, inversement, plus ce type est gros, plus il perd sur un plus petit.

Si, pour éviter de perdre ou pour gagner, le typographe doit composer avec des espaces moyennes, on lui recommande d’aller serré, ou d’aller au regagnage ; quand, au contraire, le compositeur est obligé d’espacer très largement, d’employer de grands blancs, on dit qu’il chasse.

La connaissance de quelques notions relatives aux différents genres de caractères est indispensable aux correcteurs, car il ne suffit pas d’apprendre les noms et les désignations des types usités couramment, non plus que de savoir que tel ou tel caractère est égyptien, et tel autre romain : il faut encore connaître, au moins succinctement, les relations qui existent entre leurs genres, afin d’éviter aussi bien dans la composition des textes courants que dans celle des travaux de ville ces heurts de goût qui produisent à l’œil des effets désastreux.

Entre les antiques et les romains, comme entre chacun des autres genres, il est nécessaire d’établir une gradation raisonnée ; une transition habilement ménagée plaira au lecteur et lui fera oublier les inégalités choquantes qui auraient pu lui déplaire en d’autres circonstances.

L’éducation de l’œil est dès lors un devoir que le correcteur ne saurait négliger, en raison de l’obligation qui lui incombe de signaler les erreurs de goût qu’un typographe négligent ou malhabile est exposé à commettre.


CARACTÈRES DE TEXTE


Il existe, pour la composition au texte courant des labeurs, un grand nombre de caractères de genres différents. On peut les ramener à quelques familles :

a) Le caractère romain proprement dit, dont, vers la fin du xve siècle, le fameux graveur champenois Nicolas Jenson fut le créateur et, au xviiie siècle, Didot le rénovateur. Transformé par les fondeurs du siècle suivant, il s’est subdivisé en caractère genre français, avec des déliés et des pleins admirablement proportionnés ; caractère genre anglais, plus maigre et avec des pleins moins gras ; enfin, caractère genre anglo-français, qui tient des deux précédents.

À ces caractères se rattachent une infinité de variantes dont, à l’œil, la lettre apparaît plus grasse, plus maigre, plus allongée ou plus étroite[1].

b) Le caractère elzévir[2] : ce type est tiré directement des caractères des inscriptions de l’ancienne Rome : son créateur fut le Français Nicolas Jenson qui l’employa pour la première fois à Venise vers 1468. La gravure de ce type, qui devait supplanter le gothique venu d’Allemagne, et même être le seul en usage dans les pays de langue romaine, du xvie au xviiie siècle, fut perfectionné peu à peu jusqu’au moment où la famille Elzevir, célèbres imprimeurs hollandais du xviie siècle, en fit un emploi exclusif pour l’impression de ses ouvrages. M. Beaudoire fut, en France, le rénovateur de ce caractère, et lui donna le nom sous lequel il est désormais connu. Ce type est encore d’un emploi fréquent et presque général dans les pays de langue anglaise et allemande ; en France, on le réserve plus spécialement pour la composition des éditions, brochures ou plaquettes de luxe :

c) À chacune de ces deux premières familles correspond, comme œil et comme alignement, un caractère italique[3], incliné comme l’écriture manuelle et reproduisant vaguement tantôt les formes de celle-ci, tantôt, au contraire, celles du romain ou de l’elzévir :

d) Les caractères gras, qui se subdivisent :

1o En égyptiennes, appelées, suivant les circonstances, larges, serrées, compactes ou allongées :

2o En normandes ou romains gras :

3o En doriques, avec la plupart du temps pour chacun d’eux leurs italiques correspondants.

e) Enfin, le caractère gothique, le premier qui ait servi à l’impression, encore en usage pour les impressions de texte courant dans les pays de langue allemande et Scandinave, d’où il tend toutefois à disparaître pour faire place aux caractères elzévir et genre anglais.

Les caractères courants de labeur se désignent ordinairement par le nom du fondeur et le numéro de son album, qui tous deux suivent l’indication du corps. On dit :

7 Turlot n° 9 ;
9 Didot n° 75 ;
10 Elzévir anglais Turlot n° 6.


CARACTÈRES DE TITRES


Dans le genre classique, les caractères de titres peuvent, eux aussi, malgré leur grande variété, se ramener à trois familles : romaine, égyptienne, antique :

a) Les romaines, et dans cette catégorie rentrent les types elzévirs, sont caractérisées par des gras plus ou moins pleins et des déliés maigres.

Les romaines se subdivisent en initiales classiques, bretonnes, serrées, ordinaires, larges, effilées, anglaises, modernes, etc.

Parfois, pour certains de ces caractères les fondeurs ne gravent point de lettres bas de casse ; les lettres ne comportent dès lors aucun talus ou latéral ou de pied et de tête, et elles sont utilisées surtout pour les titres et les annonces[4].

Pour permettre l’emploi simultané dans une ligne, et parfois dans un mot, d’initiales de même famille, mais de corps différents, les fondeurs donnent en pied à tous les corps une sorte d’alignement systématique.

b) Les égyptiennes se rapprochent beaucoup des romaines, mais leurs pleins sont généralement plus accentués pour un même corps, et leurs déliés beaucoup plus gros atteignent près des deux tiers de l’épaisseur des pleins.

Les subdivisions des égyptiennes sont encore plus nombreuses que celles des romaines ; elles comprennent dans leurs dérivés une grande partie des caractères de fantaisie.

c) Les antiques, ou lettres à bâtons, ont tous leurs traits presque de la même épaisseur ; elles ne portent à leurs extrémités aucune arête, c’est-à-dire ni obit ni empattement, comme les deux familles précédentes.


CARACTÈRES DE FANTAISIE


Aux différents genres qui viennent d’être énumérés rapidement il faut ajouter, bien qu’ils soient d’un emploi fort restreint dans les labeurs, les caractères de fantaisie et les caractères d’écriture :

a) Les caractères de fantaisie sont par trop nombreux, leurs différences sont par trop grandes, suivant les fondeurs, pour qu’il soit possible de les classer par catégories spéciales.

On se contente de les rattacher à l’un des types précédemment examinés et dont ils dérivent fréquemment : romaines, égyptiennes ou antiques.

b) Les caractères d’écriture sont :
xxxx1o La coulée et la bâtarde, qui se rapprochent des formes de l’italique et sont penchées ainsi que lui ;
xxxx2o La ronde, caractère vertical, rappelant l’écriture manuscrite de ce nom ;
xxxx3o L’anglaise, ou cursive, qui reproduit l’écriture courante, ses liaisons de lettres entre elles, ainsi que l’inclinaison.
xxxx4° Nombre d’auteurs rangent — avec raison, étant donnés les usages actuels — au nombre des caractères d’écriture la gothique, imitation de l’écriture du xve siècle, dont l’emploi a été rappelé plus haut parmi les caractères de texte.

Certaines lettres minuscules des caractères d’écriture reçoivent deux et même parfois trois formes différentes, que l’on utilise suivant que ces lettres doivent être placées au commencement, à l’intérieur ou à la fin du mot[5].

  1. Dans son Nouveau Manuel complet de Typographie (nouvelle édition, 1857), Frey (ou, plutôt, E. Bouchez) divisait ces caractères en « deux types bien marqués par la nature même de leurs services : 1o le type ordinaire d’impression, que son adaptation variée sur les corps divise en régulier et irrégulier ; 2o le type auxiliaire ou de fantaisie, que la forme particulière de ses caractères partage en trois espèces : œil modifié du romain ordinaire, œil à extrémités généralement circulaires, et œil à extrémités en général angulaires ».
  2. Quelques typographes réunissent le caractère elzévir et le caractère Didot sous la même désignation de caractère romain. Ce nom lui vient de ce que ces deux familles dérivent en effet directement des lettres romaines en usage dans les inscriptions que Jenson prit pour modèle.
  3. Voir au paragraphe Italique l’origine de ce caractère, dû à l’Italien Aide Manuce.
  4. Anciennement ces lettres étaient appelées lettres de deux points, parce que, placées au début d’un texte, elles embrassaient deux lignes de ce texte. De nos jours le terme initiales est plus usité et répond mieux à la réalité : les initiales sont en effet fréquemment habillées non plus exclusivement sur les deux premières lignes du texte, mais sur trois, quatre et même parfois cinq lignes suivant leur importance, le format et la justification du volume.
  5. Le cadre de cet ouvrage ne permet pas de s’étendre sur cette question des différentes familles de caractères comme il conviendrait et comme certains lecteurs le désireraient sans doute. Les studieux que cette question intéresse pourront se reporter aux volumes de M. F. Thibaudeau, la Lettre d’imprimerie (Paris, Aux Bureaux de l’édition, 4, avenue Reille ; année 1921).