Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/02/04
IV
BLANCS
La séparation des lettres et des signes isolés, des mots, des lignes, des pages, est obtenue au moyen de blancs nommés espaces, cadrats et cadratins, interlignes, lingots et garnitures.
Les espaces, cadrats et cadratins sont constitués par un alliage plomb-antimoine, variable suivant les fondeurs :
Ils sont fondus mécaniquement, comme on l’a vu, et ont le même aspect extérieur que les lettres ; mais, nécessairement, leur « hauteur en papier » est beaucoup moindre (8 lignes ou 51 points seulement).
Pour les travaux dont les compositions doivent ultérieurement être prises en empreintes, soit au papier, soit à la cire ou à la gutta, soit encore au plomb, et dès lors être tirées sur clichés plomb ou galvanos, nombre d’imprimeurs utilisent des espaces, des cadrats et des cadratins ayant une hauteur en papier de 56 ou de 60 points, suivant demande. Ces blancs, appelés blancs hauts, sont rarement utilisés pour les tirages directs sur la composition, car ils risquent de marquer.
ESPACES ET CADRATS
a) Les espaces[1] se divisent en :
Espaces fines, ayant 1 point d’épaisseur ;
Espaces moyennes, de 1 point 1/2, 2 points, 2 points 1/2 ;
Espaces fortes, de 3 points, 3 points 1/2, 4 points et 6 points pour les gros corps.
Cette gradation des espaces permet d’obtenir un blanc aussi régulier que possible entre chaque mot d’une même ligne : théoriquement, la séparation la plus convenable à établir entre les mots doit être au moins égale au 1/3 de la force de corps du caractère employé :
b) Les cadratins sont des blancs ayant sur chacune de leurs quatre faces l’épaisseur exacte, du corps auquel ils appartiennent : ce sont des carrés parfaits. Ainsi, on aura sur tous les côtés :
Le cadratin se place, avant le texte, au début de chaque alinéa, dont il est le signe distinctif.
1° Ce blanc a un sous-multiple, appelé demi-cadratin, dont l’épaisseur est la moitié de celle du cadratin, ou de la force de corps du caractère auquel il appartient.
Le demi-cadratin de 7 a donc :
le demi-cadratin de 8 :
le demi-cadratin de 10 :
le demi-cadratin de 12 :
Le demi-cadratin est la plus forte des espaces dont on puisse se servir dans la composition et le plus petit des cadrats.
Ce blanc est employé dans : les alignements de chiffres (ceux-ci étant généralement fondus sur demi-cadratin) ; les tables des matières, pour séparer les points de conduite (petits points) ; après le guillemet, au début des lignes, dans un texte guillemeté ; après le tiret appelé aussi moins, indiquant dans une conversation le changement d’interlocuteur, etc.2° Le cadratin a des multiples, d’épaisseurs variables de demi-cadratin en demi-cadratin, auxquels on donne le nom de cadrats ; on a des cadrats de 1 cadratin 1/2, 2 cadratins, 2 cadratins 1/2, 3 cadratins, 3 cadratins 1/2, 4 cadratins, et rarement au dessus.
Les cadrats terminent les lignes dont le texte ne remplit pas entièrement la justification ; ils isolent au milieu de la ligne, en vedette, les titres, les opérations, etc.
Suivant leur épaisseur, c’est-à-dire leur force de corps, les cadrats sont fondus pleins ou creux.
3° Tous les blancs, espaces, cadrats ou cadratins, comportent, dans leur tiers inférieur, comme chaque lettre de fonderie, un cran venu de fonte. Pour faciliter la distribution et la remise en casse des blancs, la Fonderie Peignot a imaginé de donner deux crans aux blancs de corps pairs, et un cran à ceux de corps impairs, du 5 au 12.
4° Les blancs nécessaires pour la composition sont, sauf stipulation expresse de la part de l’imprimeur, fournis dans la proportion du quart du poids du caractère livré : les espaces, les cadratins et les demi-cadratins forment la moitié du poids ; les cadrats, l’autre moitié.
Au surplus, une police de 10 kilogrammes de blancs peut être établie de la manière suivante :
BLANCS | CORPS | ||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|
5 | 7 | 7 à 9 | 10 à 12 | 14 à 20 | 24 à 32 | 36 à 40 | |
Espaces : | kg. | kg. | kg. | kg. | kg. | kg. | kg. |
1 point |
0.700 | 0.700 | 0.500 | 0.300 | 0.300 | 0.200 | 0.200 |
1 point 1/2 |
1.250 | 1.250 | 0.800 | 0.500 | 0.500 | 0.300 | 0.300 |
2 points |
2.550 | 2.550 | 1.300 | 0.800 | — | — | — |
2 points 1/2 |
— | — | — | — | — | — | — |
3 points |
— | — | 1.900 | 1.200 | 1.400 | 0.800 | 0.500 |
4, 6, 8, 10 points |
— | — | — | 1.700 | 2.300 | 2.400 | 3.500 |
Cadrats : | |||||||
1/2 cadratin | 0.200 | 0.200 | 0.200 | 0.200 | 0.200 | 0.200 | 0.200 |
1 | cadratin0.300 | 0.300 | 0.300 | 0.300 | 0.300 | 0.300 | 0.300 |
1 | cadratin 1/20.500 | 0.500 | 0.500 | 0.500 | 0.800 | 1.900 | 1.200 |
2 | cadratins0.800 | 0.800 | 0.800 | 0.800 | 1.600 | 3.100 | 3.100 |
2 | cadratins 1/21 | »1 | »1 | »1 | »— | — | — |
3 | cadratins1.200 | 1.200 | 1.200 | 1.200 | 2.600 | — | — |
4 | cadratins1.800 | 1.800 | 1.800 | 1.800 | — | — | — |
Dans la composition d’une police de blancs, pour une casse de 0m,65, les fondeurs donnent la proportion moyenne suivante de chaque catégorie, pour les corps 7, 8, 9, 10 et 11 :
INTERLIGNES
Lorsque, dans une composition, l’extrémité des lettres à queue inférieure d’une ligne (g, j, p, q) et l’extrémité des lettres à queue supérieure (b, d, h, k) de la ligne suivante se touchent l’une l’autre sans aucun intervalle, le texte est dit compact ou non interligné.
Si la composition doit comporter un intervalle de blanc entre chacune des lignes de son texte, on place, entre celles-ci, une interligne, lame de plomb de la longueur exacte de la justification et de l’épaisseur voulue pour obtenir l’écartement demandé.
L’interligne varie de 1 point (et même de 1/2 point, lorsqu’elle est en cuivre) à 6 points d’épaisseur :
2 points 1/2, 3 points, 4 points, 6 points.
Pour éviter toute espèce de confusion entre les interlignes de 1 point ou de 2 points et les interlignes de 1 point 1/2 ou celles de 2 points 1/2 les fondeurs crantent différemment ces deux catégories, tantôt sur un de leurs côtés, tantôt sur une de leurs tranches horizontales.
L’interligne de 6 points reçoit parfois le nom de lingot ; elle est la plus épaisse des interlignes et le plus petit des lingots ; elle peut servir à jeter des blancs.
La longueur des interlignes varie suivant les besoins du matériel et les nécessités des travaux de chaque maison : elle est généralement graduée de cicéro en cicéro[2], quelquefois par intervalles de 6 points, et très rarement de 3 points.
Quand on ne possède pas d’interligne ayant la longueur de justification exigée, on met au bout l’une de l’autre deux interlignes de la force de corps voulue, mais de longueur différente ; on alterne la position des deux longueurs à chaque ligne.
Les interlignes se fondent dans des moules à main et par longueurs de 1 mètre environ. Au sortir du moule, elles subissent, à l’aide de rabots convenablement disposés, l’opération de l’apprêt qui leur donne une épaisseur absolument régulière comme force de corps et approximativement la même hauteur que les espaces. Toutefois la Fonderie Peignot a réussi à résoudre le problème de la production entièrement mécanique de l’interligne, à l’aide d’une machine à ruban.
Les interlignes sont généralement livrées par les Fonderies en lames d’une longueur de 1 mètre. Parfois cependant certaines Maisons fournissent les lames de 1 point et 1 point 1/2 sur 0m,50 de longueur.
Un paquet d’interlignes sur longueur de 0m,50 pèse environ 7kg,500 et contient :
Pour une longueur de 1 mètre le paquet a un poids de 15 kilogrammes et contient un nombre de lames analogue à celui indiqué ci-dessus.
Envisageant la quantité de 100 lames d’interlignes sur 0m,50 de longueur, on remarque que les poids sont les suivants :
Pour 100 lames de 1 mètre de longueur, les poids ci-dessus sont doublés.
Enfin, avec 1.000 interlignes coupées sur des justifications données, on obtient les poids suivants :
LONGUEURS | 1 point | 1 point ½ | 2 point | 3 point |
---|---|---|---|---|
kg. | kg. | kg. | kg. | |
10 douzes | 3,350 | 5 » | 6,650 | 10 | »
11 | —3,650 | 5,500 | 7,300 | 11 | »
12 | —4 » | 6 » | 8 » | 12 | »
13 | —4,350 | 6,500 | 8,650 | 13 | »
14 | —4,650 | 7 » | 9,300 | 14 | »
15 | —5 » | 7,500 | 10 | »15 | »
16 | —5,350 | 8 » | 10,650 | 16 | »
17 | —5.650 | 8,500 | 11,300 | 17 | »
18 | —6 » | 9 » | 12 | »18 | »
19 | —6,350 | 9,500 | 12,650 | 19 | »
20 | —6,650 | 10 | »13,300 | 20 | »
21 | —7 » | 10,500 | 14 | »21 | »
22 | —7,350 | 11 | »14,650 | 22 | »
23 | —7,650 | 11,500 | 15,300 | 23 | »
24 | —8 » | 12 | »16 | »24 | »
25 | —8,350 | 12,500 | 16,650 | 25 | »
26 | —8,650 | 13 | »17,300 | 26 | »
27 | —9 » | 13,500 | 18 | »27 | »
28 | —9,350 | 14 | »18,650 | 28 | »
29 | —9,650 | 14,500 | 19,300 | 29 | »
30 | —10 | »15 | »20 | »30 | »
31 | —10,350 | 15,500 | 20,650 | 31 | »
32 | —10,650 | 16 | »21,300 | 32 | »
33 | —11 | »16,500 | 22 | »33 | »
34 | —11,350 | 17 | »22,650 | 34 | »
35 | —11,650 | 17,500 | 23,300 | 35 | »
LINGOTS ET GARNITURES
b) Les garnitures sont des pièces de plomb, évidées dans leur partie médiane, pour en diminuer le poids.
Les garnitures sont utilisées pour remplir : le bas des pages dont le texte n’occupe qu’une partie ; les têtes de pages au début des parties, des chapitres, etc. ; les blancs de chaque côté des gravures isolées au milieu du texte, etc. Leur emploi le plus général est réservé aux impositions : elles sont placées dans les intervalles qui séparent chaque page de texte : elles représentent et donnent les marges du volume.
Dans bon nombre d’imprimeries, il est d’usage de placer, en pied de la page terminée, un lingot ou garniture de 12 points, appelé ligne de pied ; la page ainsi renforcée ne peut tourner, lors de la ligature ou du serrage en forme.
Certaines Maisons utilisent également des lingots et même des garnitures en bois, bouillis dans l’huile, de 12, 18, 24 et 36 points de force de corps sur des longueurs variables. L’humidité et l’usage obligent à un renouvellement assez fréquent de ce matériel, dont le prix de revient est, toutefois, modique.
L’usage du lingot et de la garniture en bois était autrefois général et exclusif en France. Le premier, Fournier se servit, d’abord pour l’imposition, de lingots de fonds en matière ; puis, vers le milieu du xixe siècle, P. Leclerc, ingénieur mécanicien, Renault et Robin imaginèrent la garniture en matière, qui ne tarda pas à remplacer le bois. En Angleterre, et surtout en Amérique, l’emploi de la garniture et du lingot de bois est encore presque général.
Il y a une quinzaine d’années, quelques industriels tentèrent la fabrication de la garniture en acier, puis en fer, et aussi en un alliage de métaux particulièrement légers. Ces garnitures ont l’avantage d’une plus grande résistance aux chocs et au serrage ; elles sont, en outre, d’un poids moindre que les garnitures en matière. Toutefois, peut-être en raison de leur prix et aussi de ce que leur précision laisse parfois à désirer, leur emploi ne paraît pas s’être très répandu.
De manière générale, les garnitures ou lingots de 1/2 et 1 douze d’épaisseur sont pleins ; les épaisseurs suivantes sont à gouttière ou à cavités, dans leur partie longitudinale médiane, jusqu’à 10 douzes de longueur ; à partir de cette dimension, les garnitures sont évidées avec colonnes, ou encore à gouttière et à trous.
Les garnitures sont établies, comme longueur et comme force de corps, d’après une mesure commune, le cicéro ou, plutôt, le douze ; elles sont graduées en augmentant dans les deux sens, longueur et force de corps, à partir de 1 douze, par multiples et sous-multiples de cette unité ; alors que les lingots ont une force de corps de 6, 12 et 24 points, comme on l’a vu, les garnitures proprement dites s’étendent en force de corps de 36 à 120 points ou de 3 douzes à 10 douzes. Pour chacune de ces forces de corps les longueurs sont de 4, 5, 6, 7, 8, 10, 12 et 15 douzes ; à partir de ce dernier chiffre celles-ci augmentent par échelons de 5 douzes jusqu’à 50 douzes.
Lorsqu’une longueur de garniture fait défaut, on obtient cette longueur en combinant, suivant les possibilités, l’une avec l’autre deux ou plusieurs garnitures.
L’épaisseur se modifie de même manière, ou encore par l’adjonction d’interlignes, de lingots.
Les garnitures et les lingots, sont, comme les interlignes, fondus dans des moules à main ; l’opération de l’apprêt leur est dès lors nécessaire avant qu’ils puissent être livrés à l’imprimeur.
Les fondeurs fournissent les lingots et les garnitures, à la demande des imprimeurs, en établissant leurs livraisons, suivant les cas, soit par polices, soit au poids.
Voici, à titre d’exemple, et simplement pour permettre une appréciation, la composition, par quantité de garnitures et lingots, d’une police d’un poids de 120 kilogrammes :
LONGUEURS EN CICÉROS |
ÉPAISSEUR EN CICÉROS | |||||||
---|---|---|---|---|---|---|---|---|
½ | 1 | 2 | 3 | 4 | 6 | 8 | 10 | |
4 |
30 | 22 | 18 | 16 | 12 | 10 | 8 | 8 |
5 |
30 | 22 | 18 | 16 | 12 | 10 | 8 | 8 |
6 |
30 | 22 | 18 | 16 | 12 | 10 | 8 | 8 |
7 |
30 | 22 | 18 | 16 | 12 | 10 | 8 | 8 |
8 |
30 | 22 | 18 | 16 | 12 | 10 | 8 | 8 |
10 |
28 | 22 | 16 | 12 | 10 | 10 | 6 | 6 |
12 |
28 | 20 | 16 | 12 | 10 | 8 | 6 | 6 |
15 |
20 | 20 | 14 | 12 | 10 | 8 | 6 | 5 |
20 |
20 | 20 | 14 | 10 | 8 | 8 | 5 | 5 |
25 |
18 | 18 | 12 | 10 | 8 | 6 | 5 | 4 |
30 |
14 | 14 | 12 | 10 | 6 | 6 | 4 | 4 |
35 |
14 | 14 | 12 | 8 | 6 | 5 | 4 | 3 |
40 |
10 | 10 | 10 | 8 | 6 | 5 | 3 | 3 |
45 |
10 | 10 | 8 | 6 | 5 | 4 | 3 | 2 |
50 |
10 | 10 | 8 | 6 | 5 | 4 | 3 | 2 |
c) À la catégorie des blancs on peut rattacher les blocs, ou supports systématiques, que nombre d’imprimeries utilisent pour l’imposition des labeurs ou des travaux tirés sur clichés plomb, galvano ou autres.
Ces blocs sont fondus à l’aide du moule à main, sur des forces de corps et des longueurs de cicéro ou même de 6 points ; ils sont soumis à l’action de lames raboteuses qui leur donnent une hauteur parfaitement régulière. Les combinaisons qu’ils permettent d’obtenir sont ainsi fort nombreuses, et leur emploi est réellement avantageux.