Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/18

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 527-528).


CHAPITRE XVIII

ABRÉVIATIONS



Suivant Larousse, l’abréviation est le « retranchement de lettres ou de syllabes pour écrire certains mots plus rapidement ».

On donne le nom d’abréviation aux « lettres initiales qui servent à représenter un mot tout entier ; — aux signes ou caractères usités soit dans les manuscrits, soit dans les premiers livres imprimés, pour suppléer à certaines syllabes et même à certains mots » ; — enfin « à certains signes qui servent à représenter des mots ».

Les manuscrits anciens contiennent de nombreuses abréviations. « Pour aller plus vite, pour ménager le parchemin », les copistes inventèrent ou empruntèrent aux inscriptions les abréviations. « De là, les sigles, les ligatures, les monogrammes, les notes tyroniennes.

« Les abréviations proprement dites étaient fort en usage chez les Grecs et surtout chez les Romains. Tantôt on ne laissait subsister que la première lettre du mot, tantôt on n’en retranchait que les dernières, tantôt on supprimait celles du milieu. Ensuite, on imagina certains signes abréviatifs pour remplacer des syllabes, des consonnes doubles, des diphtongues. Les abréviations étaient employées dans les inscriptions, les manuscrits, les lettres et même dans les lois et décrets. »

Cette pratique, qui à l’origine n’avait été que facultative, devint rapidement une habitude, puis ne tarda pas à dégénérer en abus, rendant les textes presque incompréhensibles. « L’empereur Justinien se vit obligé de proscrire » les écarts auxquels se livraient sur ce point les copistes de son temps.

« En France, les abréviations, d’abord rares sous les rois de la première et de la seconde race, se multiplièrent tellement sous les Capétiens » que « les manuscrits du xiie et du xiiie siècle notamment sont quasi indéchiffrables ». Philippe le Bel, en 1304, essaya de porter remède au mal par une ordonnance qui bannissait toute abréviation des minutes des notaires et surtout des actes juridiques. L’abus n’en persista pas moins dans les siècles suivants, et l’on vit les abréviations passer des manuscrits dans les premiers livres imprimés.

« L’étude des abréviations employées dans les anciens manuscrits est une partie importante de la paléographie[1]. »

Parmi les exemples les plus connus que l’on puisse citer, figure l’abréviation de la conjonction enclitique que : on la représentait par la consonne q, suivie d’un point et virgule : q ; ou, plutôt, d’une sorte de chiffre 3 : q3.

Les consonnes m et n étaient fréquemment retranchées, soit à la fin, soit dans le corps même du mot : la voyelle qui précédait ces consonnes recevait alors en tête un signe spécial sollicitant l’attention du lecteur : , , pour em, am, um.

Mais il n’y avait aucune règle générale prescrivant l’emploi d’un système rigoureux et régulier d’abréviation ; tel mot, nom commun, abrégé par syncope ou par apocope, était immédiatement suivi d’un adjectif qualificatif exprimé en entier. Leclerc, dans son Nouveau Manuel complet de Typographie, donne en exemple une page des Heures à l’usaige de Rome (de Pigouchet), dont l’étude est intéressante à cet égard.

M. A. Claudin a reconstitué heureusement, la police du premier alphabet romain des typographes allemands installés, en 1470, à la Sorbonne, par les soins de Jean de la Pierre et de Guillaume Fichet. Cette police est particulièrement suggestive des abréviations que le lecteur était susceptible de rencontrer à cette époque dans un livre.

  1. Larousse.