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Le Correcteur typographe (Brossard)/volume 2/34

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Imprimerie de Chatelaudren (2p. 989-1014).


CHAPITRE XXXIV

PONCTUATION



On attribue l’invention de la ponctuation à Aristophane de Byzance, grammairien qui vivait à peu près deux cents ans avant Jésus-Christ.
xxxx Le système d’Aristophane fut enseigné par les rhéteurs dans les écoles de l’antiquité, mais son usage ne se répandit point, ou tout au moins fort peu, dans la pratique. Aussi bon nombre de manuscrits anciens ne portent aucune trace de ponctuation ; le sens seul divisait le discours.
xxxx D’ailleurs les grammairiens grecs mettaient un point en haut là à peu près où nous mettons le point et virgule et le deux-points ; ils réservaient le point et virgule pour marquer l’interrogation.
xxxx Les Romains, eux, empruntèrent aux Grecs leurs signes de ponctuation, mais ils y apportèrent quelques modifications. C’est ainsi qu’ils employèrent le point et virgule avec le sens dans lequel nous l’utilisons de nos jours ; et, mettant une virgule au-dessus d’un point (!), ils créèrent un nouveau signe pour marquer l’interrogation.
xxxx D’après Larousse[1], « c’est seulement à partir du viie siècle de notre ère que la séparation des mots est assez fréquente, et à partir du ixe que la ponctuation est employée » dans les manuscrits, mais cependant encore d’une manière fort irrégulière. « À cette même date, d’ailleurs, la virgule est figurée par une barre, et le deux-points prend sa forme actuelle. Le signe CI marque le commencement d’un paragraphe. »
xxxx « Dans sa grammaire, qui fut suivie en Europe jusqu’à l’invention de l’imprimerie, Donat avait adopté comme virgule un point bas ; un point au milieu faisait office de deux-points ; et un point haut terminait la phrase. »
xxxx « Au xiiie siècle, on rencontre toutefois encore nombre de manuscrits sans ponctuation. Vers la fin du xve siècle, après une période d’incohérence qui concorde avec l’invention de l’imprimerie, Alde réussit enfin à faire adopter une méthode à peu près régulière. »
xxxx Au xvie siècle, la ponctuation est pleinement entrée en usage ; mais, jusqu’au xixe siècle, les règles en demeurent fort instables.


généralités


1. La ponctuation est l’art de marquer les divisions du discours.
xxxx Au moyen des signes conventionnels de la ponctuation on doit :
xxxx 1° Faire comprendre et le sens partiel de chacune des phrases logiques qui concourent à former une composition quelconque, et le rapport de chacune de ces phrases avec le sens général du morceau ;
xxxx 2° Contribuer à la clarté de la phrase entière en indiquant certains arrêts dans renonciation de la pensée ;
xxxx 3° Enfin, faire saisir des nuances importantes dans la pensée elle-même.

On voit donc combien est nécessaire une étude raisonnée de l’emploi de la ponctuation : sans ponctuation, le texte est dépourvu de sens, incompréhensible ; avec une ponctuation vicieuse, on peut obtenir un sens clair, mais à coup sûr souvent le contraire de celui que l’auteur a voulu exprimer.
xxxx « Dans l’étude de l’art de la lecture, il est un point, dit M. Legouvé, qui résume en partie tous les autres : c’est la ponctuation.
xxxx « Le lecteur qui ponctue bien, repère bien, prononce bien et articule plus facilement. Bien ponctuer, c’est mesurer, modérer son débit, c’est distinguer les diverses parties d’une phrase, c’est éviter la confusion qui naît de l’enchevêtrement des mots, c’est interrompre à tout moment la psalmodie et, par conséquent, avoir la chance d’y couper court ; enfin c’est comprendre et faire comprendre. »
xxxx Comprendre et faire comprendre, voilà les deux parties de la tâche qui incombe plus particulièrement au correcteur. Saisir la pensée de l’auteur, se la bien assimiler, la faire sienne en un mot, doit être sa préoccupation première ; et c’est seulement après avoir distingué les diverses parties de la phrase, qu’il aura chance, par une ponctuation saine et vigoureuse, d’éviter la confusion qui naît, pour le lecteur, de l’enchevêtrement des mots et, conséquemment, de faire comprendre.
xxxx Bien que la parfaite clarté du sens soit ainsi ce à quoi l’on doit avoir égard avant tout, il faut cependant être sobre de ponctuation : l’emploi par trop réitéré des signes de ponctuation, notamment de la virgule, hache en quelque sorte le discours et devient parfois plus nuisible qu’utile.
xxxx « La ponctuation, dit Mme G. Sand, dans Impressions et Souvenirs, a sa philosophie comme le style ; je ne dis pas comme la langue ; le style est la langue bien comprise, la ponctuation est le style bien compris. » Elle ajoute : « Il y a des règles absolues pour la langue et des règles absolues pour la ponctuation. Le style doit se plier aux exigences de la langue, mais la ponctuation doit se plier aux exigences du style. Je nie qu’elle relève immédiatement des règles grammaticales, je prétends qu’elle doit être plus élastique et n’avoir point de règle absolue. » Cette théorie est ingénieuse, mais nous ne saurions l’admettre. Dire que le style doit se conformer aux exigences de la grammaire, mais que la ponctuation peut s’en affranchir, c’est émettre une grosse hérésie. En effet, tout en se conformant aux règles du langage, l’écrivain a une grande liberté d’allures, et le style est une chose tellement personnelle que l’on ne trouverait pas deux auteurs dont la manière d’écrire fût identique. La ponctuation, au contraire, procède de la grammaire et de la grammaire générale. Basée sur l’analyse du langage, la ponctuation doit être la même pour toutes les langues. Que les écrivains, tout en se conformant tous aux règles de la syntaxe et de l’orthographe, ponctuent chacun d’une manière différente, cela se comprend : ils se sont peu occupés de cet art difficile et fastidieux, pour lequel ils se reposent généralement sur les hommes de métier, les correcteurs. Quelquefois, ces pauvres diables de correcteurs, les parias de l’imprimerie, les boucs émissaires des auteurs, rencontrent des entêtés qui rétablissent impitoyablement sur l’épreuve ce qu’ils appellent leur ponctuation. Il faut bien s’y soumettre ; aussi quelle anarchie !
xxxx Voici un passage où Mme Sand expose tout son système :
xxxx « S’il y a tant soit peu de recherche ou d’obscurité dans une explication, vous l’éclaircirez par une ponctuation très grammaticale. Si, au contraire, vous parlez de choses que tout le monde entend à demi-mot, ne leur donnez pas l’importance qu’elles ne doivent point avoir ; allez vite au fait, comme vous y allez par la parole écrite ou parlée.
xxxx « Ces nuances ne sont pas du ressort des protes. Un bon prote est un parfait grammairien et il sait souvent mieux son affaire que nous ne savons la nôtre ; mais aussi, quand nous la savons et que nous faisons intervenir le raisonnement, le prote nous gêne ou nous trahit. Il ne doit pas se laisser gouverner par le sentiment ; il aurait trop à faire pour entrer dans le sentiment de chacun de nous : mais, quand il a à corriger nos épreuves après nous, il doit laisser à chacun de nous la responsabilité de sa ponctuation, comme il lui laisse celle de son style. Il se tromperait même, si voulant trop se conformer à notre intention, il se reportait à ce qui semble établi par nous, dans certaine page, pour en ponctuer certaine autre. Le même écrivain peut avoir différents procédés instinctifs ou raisonnés pour détailler différemment des formes analogues dont le fond diffère. Là où vous auriez été très grammatical dans une chose posée, vous ne vous sentez plus forcé de l’être dans une chose émue. Si votre forme est claire, elle peut se passer de cette seconde explication de la ponctuation rigoureuse. »
xxxx On verrait de belles choses si on laissait aux auteurs la responsabilité de leur ponctuation ! Outre que certains de ces derniers n’ont aucune ponctuation, ils se verraient généralement avec grand déplaisir imprimés de la sorte. Il est vrai, nous le répétons, que la plupart ont la sagesse de s’en rapporter sur ce point aux correcteurs.

2. En littérature on distingue deux sortes de ponctuation :

a) La ponctuation graduelle marque l’importance relative des différentes parties logiques qui composent un discours, le degré de subordination que les phrases logiques, que les périodes ont entre elles.

b) La ponctuation non graduelle, ponctuation accidentelle ou de sentiment, indique le sentiment que peint la phrase, une nuance dans l’idée, une particularité dans la manière dont la phrase, ou le membre de phrase, est formulée ou est placée dans l’ensemble du discours.

c) Le typographe, non plus que le correcteur n’ont point à se préoccuper de cette classification, quelque justifiée qu’elle soit, et c’est plutôt par question de principe que par nécessité de métier qu’elle a été mentionnée ici. Dans les lignes qui vont suivre on se conformera donc simplement à l’ordre général accepté par presque tous les grammairiens :

L’alinéa ;
La virgule ;
Le point ;
Le point et virgule (;) ;
Le deux-points (:) ;
Le point d’interrogation (?) ;
Le point d’exclamation ou d’admiration (!) ;
Les points suspensifs ou de réticence (…) (au nombre de trois) ;
Les points elliptiques (.....) (au nombre de cinq, ou plus) ;
Le tiret, ou trait de séparation, ou moins (—, =, ‖) ;
Les guillemets (« ») ;
La parenthèse (()).


préliminaires


3. Si les phrases qui se suivent sont absolument indépendantes l’une de l’autre quant à la grammaire et n’ont de liaison autre qu’une convenance générale du sens, le style est dit style coupé ; — si, au contraire, les phrases sont liées entre elles par des conjonctions, des adverbes, des pronoms, etc., pour former des périodes, le style est appelé style périodique.

4. Quand on veut ponctuer un discours quelconque, il faut d’abord : 1° en saisir les points de vue divers et y placer les alinéas ; — 2° se rendre compte, pour chaque alinéa, des endroits où l’enchaînement grammatical des mots cesse, et y placer les points.
xxxx La place des points étant déterminée, il faut examiner avec soin ce qui est placé entre l’alinéa et le point, ou entre un point et un autre point, — bien comprendre le sens général du morceau, le sens particulier et la valeur relative de chacun des membres de phrase qui le composent, afin de savoir : 1° s’il est nécessaire d’établir une seule division ou plusieurs ; 2° où l’on doit placer les signes de ponctuation ; 3° au cas où l’utilité de plusieurs signes de ponctuation a été reconnue, quelle importance donner à chacune de ces ponctuations (les différentes parties expriment-elles des idées d’un même degré, ou bien quelques-unes expriment-elles des idées principales à l’égard des autres qui seront alors secondaires et subordonnées).

5. On ne doit placer aucun signe de ponctuation entre les parties essentielles d’une phrase logique, c’est-à-dire ne comportant aucune incidente.

Jamais de ponctuation[2] :
xxxx a) Entre le verbe et son sujet :

Nous avons enlevé…
xxxx Aucune restriction ne sera apportée…

b) Entre le verbe et son régime direct ou indirect :

Nous avons enlevé de haute lutte des positions…
xxxx Aucune restriction ne sera apportée au port de ces décorations…

c) Entre l’adjectif et l’adverbe qui le modifie :

Nous avons enlevé de haute lutte des positions extrêmement fortes…
xxxx Cette ligne avait l’inconvénient fort grave d’être prise d’enfilade.

d) Entre le verbe et le déterminatif adverbial ou conjonctif, si le retranchement de ce déterminatif peut altérer le sens de la phrase :

Il n’y a absolument aucune comparaison à faire…
xxxx Cette mesure n’est évidemment pas un acte de guerre…

e) Entre le substantif et son adjectif :

Sept corps allemands ont mis sept jours…
xxxx Le ministère Costa vient d’ordonner la réquisition de tous les navires allemands réfugiés dans les eaux portugaises.

f) Entre un substantif et un autre substantif qui en est une apposition essentielle, qui le détermine (si le retranchement de ce substantif altère ou détruit le sens de la proposition) :

Capitaine renard est le plus fieffé des coquins.
Martin bâton a toujours été redouté des enfants.


alinéa


6. L’alinéa, au sens littéraire strict du mot, est une réunion, un ensemble de phrases ou de périodes au cours desquelles l’écrivain développe une pensée, un point de vue de son esprit.

7. Les cas dans lesquels l’alinéa littéraire a lieu sont, de manière générale :

a) Au début d’une composition littéraire, quelle qu’elle soit ;

b) Toutes les fois qu’on passe d’un point de vue à un autre point de vue tout à fait différent. Ces cas sont, au reste, impossibles à préciser d’autre façon, car l’emploi de l’alinéa dépend surtout du style et des idées de l’écrivain.

8. L’alinéa peut se rencontrer :

a) Après un texte se terminant par le point d’interrogation, le point d’exclamation, le point, les points suspensifs et les points elliptiques ;

b) Après une phrase ou une fraction de phrase suivie d’un deux-points annonçant un dialogue, une citation ou une énumération comprenant un nombre plus ou moins élevé d’articles ou de paragraphes ;

c) Après un point et virgule et même après une virgule, lorsque l’écrivain veut appeler l’attention sur chacune des parties d’une énumération importante.

9. La représentation graphique de l’alinéa est indiqué par le signe [.

10. Dans la prose, l’alinéa est indiqué par le renfoncement vers la droite du mot commençant la première ligne.

11. Dans la poésie, et seulement lorsque le rythme a la même mesure dans tout le morceau, l’alinéa s’indique par le renfoncement du premier vers de l’alinéa, ou par un blanc entre le dernier vers de l’alinéa précédent et le premier vers de l’alinéa qui commence.

À ton émotion fais quelque violence,
Tu pourras me répondre après tout à loisir :
Sur ce point seulement contente mon désir.

cinna


Je vous obéirai, seigneur.

auguste


Je vous obéirai, seigneurQu’il te souvienne
De garder ta parole, et je tiendrai la mienne.
Tu vois le jour, Cinna ; mais ceux dont tu le tiens
Furent les ennemis de mon père et les miens !
Au milieu de leur camp tu reçus la naissance…

12. Dans les vers de mesure inégale, on ne saurait, par crainte de la confusion qui en résulterait, suivre cette règle : le renfoncement indiquerait en effet un nombre de syllabes différent du chiffre réel.

13. Lorsque la poésie est divisée en strophes, en couplets, etc., chaque strophe, chaque couplet s’indique par une ligne de blanc, même si la strophe ne finit pas par un point :

Bouton de rose,
Tu seras plus heureux que moi !
Car je te destine à ma Rose,
Et ma Rose est, ainsi que toi,
Bouton de rose.

Au sein de Rose
Tu pourras trouver un rival ;
Ne joute pas, bouton de rose,
Car, en beauté, rien n’est égal
Au sein de Rose.

Au sein de Rose,
Heureux bouton, tu vas mourir ;
Moi, si j’étais bouton de rose,
Je ne mourrais que de plaisir
Au sein de Rose.

14. Si l’alinéa littéraire finit au milieu de la strophe, il n’est pas indiqué par le renfoncement ; le premier vers de chaque strophe prend seul en effet le renfoncement, quand bien même l’alinéa littéraire ne serait pas terminé :

France, ceux de tes fils qu’une étrangère
A reçus, loin du sol où flottait ton drapeau,
N’ont trouvé dans la mort l’oubli, ni le repos :
Leur âme de soldat est toujours prisonnière.

De n’avoir pas connu, quand leurs yeux se sont clos,
L’ivresse de tomber, vainqueurs, à ta frontière,
Plus lourdement, sur eux, pèse la froide pierre :
Les morts, mal immolés, souffrent dans leurs tombeaux.

De leurs frères, demain, honorant la mémoire,
Tu livreras les noms à la postérité,
Mais eux, les pauvres morts, ignorés et sans gloire,
 
Ils n’auront dans la nuit de leur éternité
Qu’un adieu de captifs, et la simple prière
Qu’on accorde en passant aux jours d’anniversaire.

15. Dans les labeurs où la prose est mêlée à la poésie (le vers étant composé au milieu de la justification et en caractère de corps inférieur à celui de la prose), le renfoncement de la prose ne se fait qu’avec l’alinéa littéraire, c’est-à-dire lorsque l’idée qui va être exprimée est entièrement différente de la précédente :

Mais est-ce à dire qu’elle devra s’en tenir là et qu’elle ne pourra pas dépasser la science du pot-au-feu et du tricot ?
Sera-ce

assez pour elle, à vous en bien parler,
De savoir prier Dieu, m’aimer, coudre et filer,


comme Molière le fait dire à Arnulphe ? Faudra-t-il, à la suite de Chrysale, penser et avancer que

Nos pères, sur ce point, étaient gens fort sensés.
Qui disaient qu’une femme en sait toujours assez,
Quand la capacité de son esprit se hausse
À connaître un pourpoint d’avec un haut de chausse ?


Franchement ce serait lui faire injure, et aller contre les intentions du Créateur. Car Dieu…


du point


16. Le point est, après l’alinéa, le signe le plus important de la ponctuation ; il est destiné à marquer la fin de toute liaison grammaticale.

17. On doit employer le point après toute phrase qui, grammaticalement parlant, a un sens complètement indépendant de ce qui la suit.
xxxx On ne mettra donc jamais de point :

a) Entre le substantif et les adjectifs, attributs, appositions, participes, expressions et phrases incidentes déterminatives ou qualificatives qui le modifient ;

b) Entre le verbe ou l’adjectif et l’invariable (adverbe, préposition, conjonction) qui le modifie ;

c) Entre un invariable (préposition, conjonction) et les mots qui en terminent le sens ;

d) Entre un verbe et son sujet ;
xxxx Entre un verbe et son régime direct ;
xxxx Entre un verbe et son régime indirect ;
xxxx Entre un verbe et le déterminatif adverbial ou le déterminatif conjonctif qui exprime une particularité, une circonstance de l’action ;

e) Entre deux phrases liées par une conjonction ;

Il faut reconnaître cependant que cette règle subit de nombreuses exceptions. En effet, l’emploi du point avant les mots et, voilà, aussi, et nombre d’autres considérés comme liens grammaticaux, est très fréquent entre deux phrases, sans que le sens ou la clarté du texte en soit en quoi que ce soit affecté.

f) Entre deux phrases liées par un pronom relatif ;

g) Entre deux phrases rattachées l’une à l’autre par un pronom quel qu’il soit, lorsque ces phrases où figure le pronom n’ont pas un sens absolument complet et indépendant ;

h) Pas de point généralement entre deux phrases dont l’une contient un adjectif possessif déterminatif, son, sa…, et l’autre le nom du possesseur de l’objet auquel se rapportent ou se rattachent ces adjectifs possessifs ;

i) Enfin, on doit éviter de placer un point entre deux phrases rattachées en quelque sorte l’une à l’autre au moyen de mots comme ce, cet, ces[3]

18. On ne doit pas faire un usage par trop fréquent du point ; mais le besoin de couper le discours, ainsi que le désir de ne pas avoir d’interminables phrases peuvent conduire à l’emploi du point même entre des périodes qui paraissent liées entre elles[4].

19. Dans le style dit coupé, la virgule est employée au lieu du point (voir au paragraphe Virgule).


de la virgule


Le mot virgule vient du latin virgula (proprement petite verge), trait dont se servaient les Romains pour marquer les passages défectueux. Ce n’est que plus tard que ce signe a été employé pour marquer le repos dans les phrases.

20. La virgule est le plus faible des signes de division ; elle sert à : appeler l’attention sur certaines inversions, à indiquer les pléonasmes, à détacher les parties surabondantes des phrases, enfin à sérier les phrases qui participent à la formation d’un membre de période ou même d’une période.

21. On met une virgule après chacune des phrases logiques (égales en importance) qui concourent à la formation d’un membre de période ou d’une période terminée par le point et virgule, le deux-points ou le point :

Jamais il ne s’était senti aussi malheureux, jamais il n’avait autant douté de l’avenir.

Vous n’auriez jamais dû la lancer au théâtre, et votre conduite a tout simplement été abominable.

Dans l’un et l’autre exemple, chacune des deux phrases logiques bien distinctes et égales en importance constitue une période ; chaque période est terminée par un point, et les phrases logiques qui les composent sont séparées l’une de l’autre par une virgule.


Le premier qui vit un chameau
S’enfuit à cet objet nouveau,
Le second approcha, le troisième osa faire
Un licou pour le dromadaire.

Ces trois phrases logiques sont d’importance égale, bien distinctes ; séparées l’une de l’autre par une virgule, elles constituent une période terminée par un point.

22. Dans les énumérations de verbes, de noms, d’adjectifs, d’adverbes, on place une virgule après chacune des parties énumérées :

Je vous montrerai une armée brûlante de zèle, de courage, de civisme et surtout de patriotisme.

Dans ce cas la virgule peut être considérée comme l’indice d’une ellipse[5].

23. Dans les énumérations de courte étendue, on ne met pas de virgule avant les conjonctions et, ou, ni :

Un style toujours noble et rapide distingue les écrits de Bossuet.
xxxx Ni l’or ni la grandeur ne nous rendent heureux.

Dans ces énumérations de courte étendue où il y a une liaison de sens très intime entre les mots, la conjonction remplace la virgule.

24. Dans les autres cas, énumérations où la liaison est moins intime et où l’on sent le besoin d’un repos assez grand dans la prononciation, la virgule se met avant les conjonctions :

Que préférez-vous ? le bien, ou le mal ?

25. On ne met pas de virgule entre deux sujets et leur verbe, lorsque ces deux sujets sont joints par une conjonction :

Les médecins et les savants sont donc forcés d’avouer et de reconnaître qu’il y a quelque chose antérieur et supérieur à la médecine…
xxxx … En moins de trois minutes, cette jeune femme, si vive, si rieuse, si bien éveillée il y a un instant, était plongée dans un sommeil profond, dans une complète insensibilité.

26. On doit, au contraire, séparer par une virgule une énumération de sujets — non réunis par une conjonction ; — on emploie même la virgule entre le dernier de ces sujets, s’il est au singulier et le verbe au pluriel (la virgule peut, dans ce cas, être considérée comme signe d’une ellipse : elle sépare des mots qui n’ont entre eux aucune liaison grammaticale) :

Les dogmes religieux, la philosophie, l’histoire, la morale, sont intimement liés à l’étude du magnétisme.

27. On met une virgule entre plusieurs sujets, de la première et de la troisième personne ou de la première et de la deuxième personne (même unis par une conjonction), et le verbe qui suit, lorsque le dernier de ces sujets n’est pas du même nombre et de la même personne que le verbe :

Ni moi, ni M. Thilorie ne pûmes convaincre la commission nommée par l’Académie, le 10 juin 1844.

28. Dans le style coupé, la virgule se met, au lieu du point, après chacune des phrases logiques qui concourent au développement d’une même idée :

Un esclave chantait d’une voix forte, une femme pleurait en allaitant l’enfant qui bientôt n’aurait plus besoin du sein maternel, un disciple de Zenon se lamentait sur la perte de la vie…

29. On doit isoler par une virgule tout modificatif adverbial ou conjonctif, tout assemblage de mots, qui, par inversion, est placé avant le mot qu’il devrait suivre (selon l’ordre de la construction logique) :

Si nous sommes si entiers dans nos opinions, c’est le résultat de notre longue pratique et de notre position de simple magnétiseur.
xxxx N’étant ni médecin, ni docteur, nous avons toujours évité de nous mettre en défaut avec la loi.
xxxx Depuis la plus haute antiquité, le magnétisme était connu.

30. On sépare par une virgule (et, parfois, on met entre deux ponctuations) des mots qui n’ont aucune liaison avec ceux qui précèdent ou qui suivent, mais qui, placés l’un près de l’autre, pourraient à première lecture sembler unis par le sens[6] :

Le foyer, du talent est aussi le berceau.
Si quelque matière dure
Vous menace, d’aventure,
Entre deux je passerai.

31. La virgule s’emploie à la place d’un verbe retranché et comme signe de l’ellipse ; ainsi on la place à l’endroit où devrait être le verbe est dans :

La noblesse est la préférence de l’honneur à l’intérêt, la bassesse, la préférence de l’intérêt à l’honneur ;


le verbe a dans :

On a toujours raison, le Destin, toujours tort.

Cette règle s’applique sans inconvénient, surtout lorsque son usage contribue à rendre la phrase plus claire ; mais, dans une période un peu longue, la répétition fréquente de la virgule rendrait le sens presque inintelligible : on restreint alors l’emploi de la virgule, on remplace la première par un point et virgule, et on écrit :

La noblesse est la préférence de l’honneur à l’intérêt ; la bassesse, la préférence de l’intérêt à l’honneur !
xxxx On a toujours raison ; le Destin, toujours tort.

32. Aucun signe de ponctuation ne doit isoler du substantif auquel elle se rapporte l’expression déterminative ou qualificative (même si cette expression est placée avant le mot qu’elle détermine ou qu’elle modifie) :

De l’indigence et du naufrage
Camoëns connut les tourments.

33. On met entre deux signes de ponctuation, généralement deux virgules, toute phrase, toute expression, tout mot dont le retranchement n’altère en rien le sens total de la phrase logique.
xxxx On aura donc entre deux ponctuations :

a) Toute phrase (dite incise), placée au milieu d’une phrase logique, à laquelle elle n’est liée grammaticalement par aucun mot :

À Nantes, devant une trentaine de médecins et plusieurs autres personnes, parmi lesquelles se trouvaient quelques dames, je magnétisai une jeune fille nommée Manette, que j’endormais à distance. Le Dr Grépin me conduisit dans une salle à côté et me pria d’endormir la somnambule ; je le fis à l’instant, et cela fut si prompt, que la jeune fille, qui marchait dans la salle en causant avec une dame, s’arrêta tout à coup…

b) Toute phrase conjonctive (dite incidente) explicative, ayant une certaine étendue, qui, placée au milieu de la phrase logique, peut être retranchée sans que le sens général en souffre :

— N’ordonnerez-vous pas, capitaine, demanda Nil Paulovitch, de régaler ces trombes de quelques coups de canon ?
xxxx — Avec vous, pensa Pravdine, s’envolent mes dernières joies, et, lorsque l’Angleterre…
xxxx — … Aussi, dans le cas où tu pars, et où, ce dont Dieu nous garde, il arrive quelque malheur, on t’accusera.
xxxx … Nous l’ignorons, mais il y a cela de vrai que le talent et la beauté auront toujours le pouvoir de captiver l’esprit, si ce n’est le cœur, et dès lors nous ne serions que faiblement surpris…
xxxx Dieu, qui est juste, rendra à chacun selon ses œuvres.

Si le mot qui précède immédiatement l’expression ou la phrase qu’on pourrait retrancher reçoit l’apostrophe, on se contente, d’après quelques grammairiens, de placer un signe de ponctuation à la fin de ce qu’on veut isoler, — l’apostrophe compterait dans ce cas comme le premier signe de ponctuation :

Sais-tu qu’alléché par l’odeur, le renard s’approcha.

c) L’expression adverbiale, le modificatif conjonctif et généralement tout assemblage de mots ayant une certaine étendue et dont le retranchement n’altère pas le sens de la phrase :

Quant à la somnambule, elle était restée calme, grâce à ce qu’aucune de ces dames n’avait été portée dans la même salle qu’elle.
xxxx Nous renonçons à peindre l’étonnement du sujet à son réveil, lorsqu’il vit sa dent arrachée ; nous ne dirons rien non plus de la surprise des spectateurs,
parmi lesquels se trouvaient des médecins, des avocats, des journalistes.

d) Tout substantif complément par apposition, dont le retranchement n’altère pas le sens de la phrase :

Pélops, Phrygien, fils de Tantale, règne dans le Péloponèse.

e) Tout vocatif logique :

— Les larmes sont la rosée, princesse ; le soleil va paraître en indiquant l’heure de la promenade, et elles sécheront.
xxxx — Avez-vous écrit une ordonnance, docteur ?
xxxx — Oh ! je ne suis jamais en retard, Excellence !
xxxx — Tenez, charmant docteur, il y a une chose dont vous parlez souvent, que vous guérissez rarement.
xxxx — La vérité est au fond du verre, Nil Paulovitch, dit le docteur.

Souvent le vocatif est suivi d’un point d’exclamation, au lieu d’une virgule :

Ô douleur ! ô supplice affreux à la pensée !
xxxx Ô honte, qui jamais ne peut être effacée !

f) Toute interjection (une virgule précède l’interjection, suivie généralement d’un point d’exclamation) :

— La terrasse, j’accepte, s’exclama le prince ; le cigare, non, oh ! non pas ; en causant avec vous, Mademoiselle, je ne pourrais pas.
xxxx Très beau spectacle, en effet ! L’œil dominait la ville étalée dans l’échancrure large des falaises.

g) Tout adverbe employé d’une manière absolue, c’est-à-dire sans la phrase dont il fait partie, et qui à lui seul tient lieu de toute cette phrase :

Enfin, l’on peut s’en servir pour hâter la cicatrisation après une opération.
xxxx Puis, je localisai mon action sur les yeux en présentant la pointe de mes doigts, index et majeurs de chaque main devant chaque œil…

h) Tout mot, toute expression, toute phrase formant un pléonasme, une redondance :

Du bord, on répondit :
xxxx — Saisissez-le, saisissez-le !
xxxx — C’est toi, c’est toi qui as fait pleurer sa conscience, qui as brisé cette coupe précieuse !
xxxx — Très bons, très bons ! assurait la vieille ; à l’orange, au citron, à l’amande, à la pistache !


du point et virgule


34. Lorsque dans une période on doit établir des divisions principales qui seront elles-mêmes subdivisées, on met le point et virgule à la fin de chaque division principale :

La plaie est lavée. On découvre en ce moment, chose qu’il est difficile de prévoir, deux nouvelles glandes : l’une supérieure, jetant des racines dans la profondeur des tissus ; l’autre, moins difficile à isoler, se perdant entre les muscles…

35. Le point et virgule marque toujours une coupe plus importante que celle indiquée par la virgule. Il suffit qu’un seul membre de phrase renferme des virgules pour qu’on termine par le point et virgule non seulement ce membre de période, mais tous les membres qui ont un même degré d’importance relative :

Pendant toute la durée de l’opération, la demoiselle Le Marchand n’a pas cessé d’être calme et impassible : nulle émotion ne l’a agitée ; aucune contraction musculaire n’a eu lieu, même pendant que le couteau pénétrait dans les chairs ; elle était comme une statue.
xxxx Le magnétisme a subi le sort de toutes les grandes et sublimes vérités : il a été l’objet de l’enthousiasme des uns et de la réprobation des autres ; plus ses effets étaient extraordinaires, évidents, irrécusables, plus ses partisans étaient en butte à l’injure et aux persécutions.

36. Toutes les fois que la clarté du sens peut y gagner ou le réclame, on remplacera par un point et virgule une virgule qui eût été employée dans d’autres circonstances :

Basile, honore ton père ; et, toi, père de Basile, observe-toi.

37. Dans une énumération, après chacune des parties énumérées (phrases entières ou parties de phrases), on emploie le point et virgule :

Les effets psychologiques qui se présentent dans le somnambulisme sont :
xxxx La transmission de pensée ;
xxxx La vue sans le secours des yeux à travers les corps opaques ;
xxxx L’extase sous l’influence de la musique ;
xxxx L’extase.


deux points


38. On peut mettre les deux-points :

a) Avant ou après une énumération :

Voici les cinq parties du monde : l’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie.

Les deux-points sont également employés lorsque l’énumération précède le texte, au lieu de le suivre :

L’Europe, l’Asie, l’Afrique, l’Amérique et l’Océanie : voilà les cinq parties du monde.

Dans ce cas, le premier mot qui, après ou dans l’énumération, suit les deux-points ne prend jamais la grande capitale, à moins qu’il ne s’agisse d’un nom propre.

b) Avant une phrase qui, n’étant pas liée grammaticalement à la précédente, en est le développement ou l’explication :

Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde :
xxxx On a souvent besoin d’un plus petit que soi.

c) Après un texte qui annonce ou précède un discours, une citation textuellement reproduits[7] :

L’article 2 du traité de Francfort est ainsi libellé : « Les sujets français, originaires des territoires cédés, domiciliés actuellement sur ces territoires… »
xxxx Liebknecht protestait en ces termes lorsqu’on osait contester le patriotisme de son parti : « Je déclare que, lorsqu’il s’agit de la défense de la patrie, tous les partis sont unis… »

La grande capitale est toujours de rigueur au premier mot de la citation.

39. Entre une citation en langue étrangère et sa traduction, on place les deux-points, si la phrase est complète et d’une certaine étendue :

Partout où il passe, il peut dire : Venite ad me omnes, et ego reficiam vos : « Venez à moi, et je vous soulagerai. » Car il a vraiment un remède pour tous les maux.

40. Si la citation ne comporte que quelques mots, les auteurs conseillent l’emploi de la virgule, au lieu des deux-points, entre elle et la traduction :

L’administration de Rome eut à sa tête : le préfet de la ville, prœfectus Urbis, commandant les cohortes de la garde urbaine ; le préfet de l’annone, prœfectus annonæ, à qui était confié le soin des approvisionnements.

Les deux-points terminent, dans certains cas, la partie la plus importante d’une période : ils indiquent la coupe principale ; ce qui suit constitue une sorte de développement ou partie secondaire et est divisé, même parfois subdivisé, par des points et virgules ou par des virgules :

Les hommes de ma génération furent dupés de toutes les manières : on leur avait promis qu’ils prendraient la revanche, et on la leur a refusée ; on leur avait prêché à l’école le devoir, le travail, le sacrifice, et ils ont assisté trop souvent au triomphe des aventuriers, des fainéants, des jouisseurs…

41. La grande capitale n’est jamais employée, après les deux-points, dans la phrase constituant le développement.


point d’interrogation


42. Il y a deux sortes d’interrogations : l’interrogation directe et l’interrogation indirecte.

43. On emploie le point d’interrogation dans toute phrase logique qui est interrogative pour le fond et par la forme : c’est l’interrogation directe :

N’est-ce point assez de tant de tristesse ?
Et ne vois-tu pas que changer sans cesse,
C’est à chaque pas trouver la douleur ?
Quel astre à nos yeux vient de luire ?
Quel sera, quelque jour, cet enfant merveilleux ?

44. Lorsque la phrase interrogative est liée grammaticalement au texte qui la précède, soit par une conjonction, soit de tout autre manière, elle ne prend pas le point d’interrogation : c’est l’interrogation indirecte :

Je te demande quelle est la première qualité qu’on doit rencontrer chez une femme.

C’est qu’alors l’interrogation existe seulement dans la forme, et pas dans le sens de la phrase elle-même ; la ponctuation est régie par les règles ordinaires et peut comporter tout autre signe commandé par le texte, à l’exclusion du point d’interrogation.
xxxx Il y a également interrogation indirecte dans les deux exemples qui suivent :

Ne faut-il que délibérer,
La cour en conseillers foisonne ;
Est-il besoin d’exécuter,
On ne rencontre plus personne.

45. Le point d’interrogation se place généralement immédiatement après le mot, le texte ou la phrase interrogatifs.

46. Les mots combien, quel, quelle, que, employés dans un sens interrogatif exigent que la phrase dont ils font partie soit suivie du point d’interrogation :

Combien vous a coûté ce livre ?
xxxx Que signifient ces cris parvenus jusqu’en l’asile inviolable du silence ?

47. Si un texte interrogatif est suivi d’une proposition indépendante où figurent les mots répondit-il, dit-il, répliqua-t-il, reprit-il, le point d’interrogation est toujours placé après le texte interrogatif et avant la proposition indépendante :

— Et votre liras ? et votre jambe ? lui répliqua le Dr Palmer.
xxxx — Eh bien ! commandant, vous voilà au repos ? Est-ce que vous ne voulez pas boire à ma santé ? lui dit Mme Fisson.

Dans ces cas, le premier mot de la proposition indépendante ne doit jamais prendre une grande capitale.

48. Lorsque le discours comporte, après la phrase interrogative, une réponse formant en quelque sorte une seconde phrase dont certains termes sont sous-entendus, le point d’interrogation se place immédiatement après la phrase interrogative et avant le texte de la réponse :

— … On n’est pas mal ici, allez ! Voulez-vous du vin bouché ? quarante sous ; du café ? quinze sous ; une bonne tranche de mouton ? vingt sous ; c’est pour rien, et bon ! ah ! dame, je m’en pique.

Dans cet exemple, la grande capitale ne doit être employée ni pour le texte interrogatif, ni pour la réponse.
xxxx Toutefois, la grande capitale est de rigueur lorsque la phrase entière est exprimée et ne comporte aucun mot sous-entendu ni dans l’interrogation ni dans la réponse :

Qui donc voulut troubler le repos que je goûtais ? Qui m’appela ? Je crus entendre une voix bien connue murmurer mon nom…

La grande capitale est également employée si l’interrogation est faite par un premier interlocuteur, et la réponse par un deuxième. Le tiret, dans ce cas, sépare généralement la question et la réponse :

« Quel âge avez-vous ? — Trente ans. »

49. Le point d’exclamation doit être employé à la place du point d’interrogation, lorsqu’une phrase interrogative se termine par un texte exclamatif :

— Il est à vous, à vous pour l’éternité, femme divine ! s’écria-t-il. Où trouverais-je la force de supporter mon bonheur, mon Dieu !…

50. Le point d’interrogation se place seulement à la fin de la phrase lorsqu’une proposition interrogative est suivie d’une ou de plusieurs autres propositions, à sens interrogatif indirect, qui servent de développement à la première :

Mais, puisqu’il faut encore que j’arrive au tombeau,
Voudrais-je, de la terre inutile fardeau,
Trop avare d’un sang reçu d’une déesse,
Attendre chez mon père une longue vieillesse ;
Et, toujours de la gloire évitant le sentier,
Ne laisser aucun nom, et mourir tout entier ?


point d’exclamation


51. On emploie le point d’exclamation dans toute phrase qui manifeste avec une sorte d’énergie un sentiment subit ou très vif : l’admiration, la surprise, l’horreur, la terreur, la pitié, la tendresse vive et exaltée, etc. :

Que le Seigneur est bon ! Que son joug est aimable !
Heureux qui dès l’enfance en connaît la douceur !

52. On doit toujours placer le point d’exclamation immédiatement après l’interjection ou l’expression exclamative.

53. Si une partie de phrase exclamative est suivie de termes ou d’expressions qui en dépendent, mais qui sont en dehors de l’exclamation proprement dite, le point d’exclamation se met avant ces termes ou ces expressions :

Quels transports ! même avant le lever du rideau.

Dans ce cas, le point d’exclamation équivaut à une virgule.

54. Le point d’exclamation se place après toutes les interjections :

Oh ! holà ! hé ! ah ! eh ! aïe !

Toutefois, il est des interjections composées de deux termes différents qui sont généralement regardées comme une locution ; le point d’exclamation se place après le dernier terme :

Ah fi ! fi donc ! tout beau !

Si l’interjection eh ou est accompagnée d’un mot donnant avec elle une expression exclamative, le point d’exclamation est reporté après ce mot :

Eh non ! Eh bien !

Si la même interjection est employée plusieurs fois de suite, il est d’usage de les séparer par une virgule et de mettre le point d’exclamation seulement après la dernière :

Haïe, Haïe !

Fréquemment, toutefois, lorsque l’exclamation porte sur un nom ou un adjectif, le signe de ponctuation est répété après chaque interjection :

— Et cet idiot de Fauchart qui a signé ! Brute ! Brute ! Ah ! ce Lussine me le paiera !
xxxx — Madame ! Madame ! prions Dieu qu’elle vive ! C’est moi qui l’ai frappée, moi….

55. Les mots comment, combien, comme, quelle, quel, que, employés en un sens exclamatif, d’étonnement ou de surprise, exigent que la phrase dont ils font partie soit suivie du point d’exclamation :

Seigneur, combien je vous suis reconnaissant de vos bontés !

56. L’interjection ô ne prend jamais le point d’exclamation immédiatement après elle ; ce signe se place seulement après le ou les mots qui accompagnent cette interjection :

Ô mon Dieu ! Est-ce cela que vous exigez de moi ?

Mais le point d’exclamation est remplacé par une virgule lorsque cette interjection ne marque qu’un simple appel :

Souvenez-vous, ô mon fils, des destinées d’Israël et des promesses faites à Abraham.

57. Lorsqu’une pensée est exprimée au moyen de phrases ou encore de membres de phrases interrogatives ou exclamatives et aussi de phrases affirmatives, le signe de ponctuation (interrogatif ou exclamatif) se place à la fin de l’ensemble des phrases :

Que l’homme est aveugle, puisque l’expérience parvient si rarement à l’éclairer !
xxxx Qu’il est à plaindre, le malheureux qui a osé dire : « Il n’y a pas de Dieu » !

58. Lorsque toutes les phrases qui composent un ensemble sont interrogatives ou exclamatives, on place le signe de ponctuation (interrogatif ou exclamatif) à la fin de la dernière :

Peut-on soutenir que le vice soit toujours puni, et que la vertu soit toujours récompensée ?


ou encore à la fin de chaque phrase partielle :

Peut-on soutenir que le vice soit toujours puni ? et que la vertu soit toujours récompensée ?
xxxx Comme il ne respirait qu’une retraite prompte !
xxxx Et combien sa rougeur a redoublé ma honte !

59. Si les phrases ne sont pas liées par une conjonction, cette dernière manière est obligatoire (à la fin de chaque phrase) :

Qu’est-ce que la terre ? Qu’est-ce que la mer sur laquelle j’ai tant vogué ? D’où cela a-t-il été produit ? Que suis-je moi-même ?…

60. Le point d’interrogation et le point d’exclamation équivalent, suivant la place qu’ils occupent, à la virgule, au point et virgule, aux deux-points ou au point des phrases affirmatives :

Mon Sauveur est vivant. Fuyez, vaines alarmes ! ( ;)
De la mort à jamais il a brisé les armes ! ( ;)
Ô prières ! (,) ô vœux ! (,) ô sublimes cantiques ! (,)
Combien je m’attendris en vous prêtant ma voix ! (.)

61. La lettre qui suit le point exclamatif ou interrogatif doit être une grande capitale, si ce signe remplace un point ; dans tous les autres cas, on emploie le bas de casse.

62. Le point d’exclamation doit toujours être placé avant les mots répondit-il, dit-il, répliqua-t-il, reprit-il, formant proposition indépendante et figurant fréquemment après les phrases exclamatives :

Debout ! dit l’Avarice, il est temps de marcher.
xxxx Hé ! laissez-moi. — Debout ! — Un moment…

Dans ces cas, le premier mot qui figure après le point d’exclamation ne doit jamais prendre une grande capitale.


points de réticence ou suspensifs


63. On met trois points :

a) Lorsqu’on s’arrête au milieu d’une phrase logique pour en commencer une autre (qui n’est liée à la première que par le sens général) :

Quant à eux… Mais, avant le récit de leurs actes, il importe de placer le tableau de l’organisation de leur pouvoir.
xxxx Mais tout n’est pas détruit, et vous en laissez vivre
xxxx Un… Votre fils, seigneur, me défend de poursuivre.

b) Lorsqu’on veut indiquer que celui qui parle s’interrompt soit volontairement (pour fixer l’attention sur la partie qu’il isole ainsi), soit involontairement, et parce qu’un sentiment très vif ou un incident lui coupe en quelque sorte la parole à ce moment (ces trois points sont appelés points suspensifs) :

Je devrais sur l’autel où ta main sacrifie
xxxx Te… ; mais du prix qu’on m’offre il faut me contenter.

Suivant les circonstances et le sens, la grande capitale ou la lettre bas de casse doit être employée après les points suspensifs, comme on le voit aux paragraphes a et b.
xxxx Les points suspensifs équivalent, suivant la place qu’ils occupent, à la virgule, au point et virgule, aux deux-points et au point :

Mais il lui dit : « Ne pleure pas,
Adieu, mon fils… ; suis mon exemple »,


mais ils ne les suppriment pas.


des points elliptiques


64. À l’endroit de la phrase que l’on cite, où l’on retranche un mot, une expression ou un membre de phrase, on met cinq points (ces points sont appelés points elliptiques) :

Sans tant de contredits et d’interlocutoires,
Et de fatras et de grimoires,
Travaillons ....

Il n’est plus guère fait, de nos jours, de distinction entre les points suspensifs et les points elliptiques, les auteurs employant presque constamment les points de suspension dans l’un et l’autre des cas indiqués.

65. Une ligne entière de points indique, dans la prose, le retranchement d’une citation d’assez longue étendue ; dans la poésie, d’un vers entier où d’un groupe de vers.


trait de séparation ou tiret


66. Dans les dialogues on emploie le trait de séparation (ou tiret) devant la réplique de chaque interlocuteur :

— Je vous offre mon crédit, dit un représentant du peuple à La Tour d’Auvergne, premier grenadier de France. — Je l’accepte.
xxxx — Eh bien, voulez-vous un régiment ? — Non, donnez-moi une paire de souliers.

67. On emploie le tiret lorsqu’on veut indiquer au lecteur qu’il doit faire une pause assez longue (changement d’idée dans un même alinéa ; — changer l’inflexion, le ton ou le mouvement de sa voix ; — réveiller l’attention de l’auditeur ou ranimer la sienne :

J’eus dans ma blonde enfance, hélas ! trop éphémère,
xxxx Trois maîtres : — un jardin, un vieux prêtre et ma mère.

68. On se sert encore du tiret pour séparer les maximes, les pensées, les idées qui n’ont aucun lien entre elles, et que l’on énumère sans les mettre en alinéa[8].

69. On utilise le tiret, même dans les cas où aucun autre signe de ponctuation ne saurait être employé, lorsque par ce tiret on veut peindre une délicatesse de sentiment, une finesse de pensée, etc., etc. :

Le jardin était grand et profond…
Le prêtre, tout nourri de Tacite et d’Homère,
Était un doux vieillard. Ma mère — était ma mère.

70. Le tiret s’emploie également dans les traductions en prose de poésie étrangère ou de dialectes assonances, lorsqu’on veut indiquer la fin de chaque vers ou de chaque strophe :

Oui, ils chantaient tous sur les chemins, — dans les champs et dans les bois, — et pourtant ne croyez pas — qu’ils partaient sans aucun regret ;
xxxx Ne croyez pas que ce fût sans douleurs — et un crève-cœur sans égal — qu’ils quittaient tout ce qu’ils aimaient, — leur père, leur mère, tous leurs parents ;
xxxx Leurs compagnos et leur douce amie — (toute leur joie, l’objet de leur désir), — leur village et son clocher élevé, — et par-dessus tout leur patrie, la Basse-Bretagne[9].


parenthèses


71. On renferme entre parenthèses une partie du discours qui explique en quelque sorte ce qui précède, une réflexion personnelle d’auteur au milieu d’une narration, une exclamation ou une interrogation du narrateur, n’ayant aucun lien grammatical avec l’ensemble de la phrase qui précède (on doit toujours pouvoir retrancher, sans obscurcir le sens du texte, les mots qui se trouvent entre parenthèses) :

La peste (puisqu’il faut l’appeler par son nom),
Capable d’enrichir en un jour l’Achéron,
Faisait aux animaux la guerre.

72. Les signes de ponctuation qui dépendent du texte entre parenthèses doivent être renfermés entre parenthèses[10].

73. La parenthèse est ouverte avec le signe (, alors qu’elle est fermée par le signe ) :

M. Pottier (Rev. arch., 1904, I, p. 219-220) dit de l’art attique : « Entre deux tendances contraires,… [les Ioniens de l’Attique] ont pris position en une sorte de point central. »


  1. Voir l’article intéressant consacré par Larousse à l’historique de la ponctuation (Grand Dictionnaire universel Au XIXe siècle, t. XII, 1874, p. 1386 et suiv.).
  2. Dans les énumérations constituées ici par les paragraphes a, b, c, etc., et dans les suivantes, en raison des inconvénients que l’emploi du point et virgule aurait suscités pour la clarté du texte on a utilisé le point.
    xxxx Le même errement s’est d’ailleurs rencontré à maintes reprises au cours des pages qui précèdent.
  3. Toutefois, dans les cas g, h et i, on peut faire usage du point dans le cas de dialogue.
  4. Particulièrement entre un pronom (personnel surtout) et le substantif qu’il rappelle.
  5. L’ellipse est la suppression de quelques termes nécessaires à la construction de la phrase, mais inutiles au sens : « Le crime fait la honte, et non pas l’échafaud », c’est-à-dire « l’échafaud ne fait pas la honte ». L’ellipse donne toujours une grande rapidité au discours ; mais, pour que l’ellipse soit bonne, il faut que l’esprit puisse facilement suppléer les mots sous-entendus. (D’après Brachet et Dussouchet, Nouveau Cours de Grammaire française, p. 281.)
  6. Dans ce cas, la virgule s’emploie uniquement pour donner de la clarté à la phrase.
  7. Lorsque la citation est liée par une conjonction au reste de la phrase, on n’emploie pas devant elle les deux-points.
  8. Voir, à ce sujet, le chapitre xxvii, les Tirets, p. 762.
  9. Traduction d’une poésie bretonne Ar Zoulard Iaowank (Le Jeune Soldat), parue en 1870. Il est bien entendu qu’alors le moins ne saurait suppléer aucune ponctuation.
  10. Voir aussi le chapitre xxviii, Parenthèses (p. 778), et, dans le chapitre xxix, Crochets (p, 791), l’emploi du crochet comme équivalent de la parenthèse.