Le Corset (1905)/Préface

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A. Maloine (p. iii-viii).

Docteur O’FOLLOWELL + + ✠ ✠ ✠

Ancien interne en médecine et en chirurgie
Lauréat de l’Assistance publique
Mention honorable de là Faculté de Médecine de Paris
Secrétaire de la Société française d’Hygiène Membre de la Société de l’Hygiène de l’Enfance


LE CORSET

Histoire — Médecine — Hygiène

Ouvrage illustré de 199 Figures et de 7 Planches hors-texte


ÉTUDE HISTORIQUE

Avec une Préface de M. Paul GINISTY, O. ✿
Directeur du Théâtre National de l’Odéon.


PARIS

A. MALOINE, ÉDITEUR
25-27, Rue de l’École-de-Médecine, 25-27
1905

DU MÊME AUTEUR


Hygiène et Physiologie du cycliste, in journal « La Bicyclette », 1894, 1805, 1896, 1897.

L’Anesthésie locale par le Gaïacol, le Carbonate de Gaïacol et par le Gaïacyl, mention honorable de la Faculté de Médecine de Paris. In-8o Ollier-Henry, Paris 1897.

Le Gaïacol. Communication au troisième Congrès dentaire national. In-8o. Majesté, Châteauroux.

Les Aliments d’Épargne : Alcool, kola, maté, etc. In-12. Jouve, Paris.

L’Antisepsie, les plaies, les pansements antiseptiques. In-12. Jouve, Paris.

Le Transport rapide des Blessés avec 11, figures. In-12. Jouve, Paris.

Sur le Traitement de deux eus de Névralgie faciale, tic douloureux de la face, in thèse Gaumerais. In-8o. Jouve, Paris.

Secours médicaux aux Marins pêcheurs (En collaboration avec H. Goudal). Diplôme d’honneur au Congrès de sauvetage, 1889. In-8o Ollier-Henry, Paris.

Hygiène des Magasins et Ateliers (Modes, couture, nouveautés), en collaboration avec H. Coudai. In-8o. Daix, Clermont.

Cours de Massage. In-12. F. Laur, Paris.

Du Pansement immédiat. Communication à la Société Française d’Hygiène, 8 juin 1900.

Bicyclette et, Organes génitaux, avec 3 figures. Préface de M. le Dr J. Lucas-Championndère, chirurgien de l’Hôtel-Dieu, membre de l’Académie de Médecine, In-12, Baillière, Paris.

La Loge médicale, in « Paris Théâtre Médical ». Décembre 1900.

Alcoolisme et grands Magasins, Communication à la Société Française d’Hygiène. 14 décembre 1900.

Alimentation et Sport. Br. in-12. P. Dupont, Paris 1900.

Hygiène des Employés de Commerce et d’Administration. En collaboration avec H. Coudai. In-12 1901. A. Munier, Paris.

De l’Emploi de la farine de céréales dans l’Alimentation des enfants, des nourrices, des débilités, et des affaiblis en général. Mémoire présenté à l’Académie de Médecine.

L’Administration des Postes et des Télégraphes au point de vue de l’hygiène, in journal d’hygiène, 25 juin, 25 juillet, 25 août, 25 septembre, 25 octobre 1901.

La Selle de bicyclette au point de vue anatomique et physiologique. Communication à la Société médicale des Praticiens 19 juillet 1901.

Du Traitement chez l’homme de l’uréthrite suppurée par les lavages intravésicaux d’eau oxygénée. Communication à la Société médicale des Praticiens, 18 octobre 1901.

La pierre de verre, in Journal d’hygiène, 25 février et 25 mars 1902.

Dyspepsie et constipation chez la femme, in Le Correspondant médical 28 février 1902.

Influence du corset sur le thorax et la fonction respiratoire. Communications à la Société médicale des Praticiens et à la Société Française d’Hygiène, 1903.

Le Placenta chez les animaux in Gazette agricole et vétérinaire, décembre 1902.

Sur les Rapports de la tuberculose bovine avec la tuberculose humaine, in loc. cit.

Alimentation et alcool, in loc. cit.

La Psittacose, id. août 1003.

Les Huîtres et la fièvre typhoïde, id. février 1904.


PRÉFACE


Mon cher Docteur,


Vous savez ma sympathie pour vous, depuis ce soir de première représentation où je vous ad vu opérer le miracle de quelque chose comme une résurrection. Quels souvenirs ! Pendant qu’on jouait le quatrième acte de la pièce nouvelle, un drame réel se passait dans la coulisse. Dans le cabinet du régisseur, où on avait transporté, frappé du mal subit qui l’avait terrassé, un de ceux qui étaient le plus intéressés au succès de l’ouvrage, des comédiennes, en pimpant costume Louis XV, s’empressaient inutilement, tandis que retentissait la sonnette de l’ « avertisseur » qui les appelait en scène.

Inanimé, notre ami gisait sur le tapis, le visage devenu noir, et nous avions vainement puisé, pour le soulager, dans la « boîte de secours ». Un premier diagnostic nous avait navrés, et, en effet, ce n’étaient déjà plus les symptômes de la fin, mais, à ce qu’il nous semblait, la fin elle-même. Dans la salle, qui ne se doutait de rien et qui souriait à un aimable tableau du petit lever d’une belle marquise, le secrétaire du théâtre cherchant les parents de celui qui paraissait succomber, pour leur annoncer, avec quelques ménagements, la terrible nouvelle. Quelle scène poignante de tragique vérité, parmi toutes les illusions que nous faisons vivre !

Vous étiez là, non pas même comme médecin du théâtre, mais en visite dans la loge d’une des plus séduisantes actrices. Vous accourez, vous écartez les « gentilshommes » et les « grandes dames », qui, trahissant leur inquiétude sous leur maquillage, encombrent le couloir. Vous ne voulez pas désespérer, comme tout le monde : un canif, traînant sur un bureau, vous devient une lancette, un morceau de bois vous aide à pratiquer la traction rythmée de la langue ; vous ne vous découragez point, et, en habit noir et en cravate blanche, vous vous retrouvez le vaillant praticien que vous êtes, d’active et ingénieuse décision. Un quart d’heure, une demi-heure se passent ; vous luttez toujours, avec une sorte de belle humeur, même au milieu de ces circonstances graves, inspirant confiance autour de vous, bien qu’on ne puisse espérer encore. Vous vous acharnez à faire triompher la vie : enfin, des signes, d’abord presque imperceptibles, reparaissent d’une existence reconquise ; ce corps, tout à l’heure inerte, s’agite faiblement. Quelques instants plus tard, celui qui revient, grâce à vous, de si loin que j’ai toujours cru qu’il avait même été un peu jusqu’à l’ « au-delà », peut échanger avec nous, qui l’avions cru condamné, quelques paroles… Vous avez sauvé, depuis, d'autres vies humaines, votre science et votre dévouement ont fait d'autres prodiges. Mais, moi, je n'ai pas oublié cette soirée, faite de saisissants contrastes, où, tandis que le théâtre déployait, avec sa frivolité, toutes ses ressources de séduction, vous travailliez bellement contre la mort.

Et voilà comment un souvenir assez dramatique (encore un contraste, voyez-vous!) me fait aujourd'hui répondre au désir que vous avez bien voulu m'exprimer de vous donner mon avis sur une question qui ne semble point trop grave, au moins à première vue.

Je dis « à première vue », car, après avoir lu les épreuves de votre travail, si documenté et si aimablement savant (ce sont deux mots qui se peuvent très bien rencontrer), où vous faites preuve, avec une grâce légère, d'une solide érudition, embrassant, au fond, toute l'histoire du costume féminin, je me rends compte que le sujet que vous traitez, en historien, en lettré et en médecin, est loin d'être futile.

Il me paraît, bien que nous n'ayons pas vos conclusions définitives, en ce premier volume, que vous appartenez à ces esprits heureusement modérés et bien équilibrés qui ne demandent pas l'impossible, qui n'imposent point d'intransigeantes opinions et qui, au contraire, sachant que l'indulgence est la vraie sagesse, cherchent à concilier avec l'hygiène les exigences de la vie moderne.

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Périodiquement, il se trouve un réformateur pour reprendre la vieille thèse des modifications nécessaires à apporter à l'essence du costume féminin, déclaré contraire à la nature, et funeste. Il y a là un thème dont les développements sont prévus. A l'un des derniers Congrès de gynécologie, ce rôle, masculinisé, d'inutile Cas-sandre échut à un docteur russe, M. Solovieff, qui ne laissa pas de dire les choses — théoriquement — les plus justes du monde. « Soyez moins esclaves de la mode, mesdames, s'écria-t-il, commandez-lui, et vous ne vous en porterez que mieux ! » Mais la mode est, par définition, un capricieux tyran qui, se plaisant généralement en l'absurdité, ne veut, précisément, qu'être obéie.

En ces occasions, on refait le procès du corset (oh ! le temps, vous rappelez-vous, des discussions sur l'a suprême correction de la couleur qu'il devait avoir, à la suite de la publication d'un roman de M. Paul Bourget!). On l'accuse de tous les maux, et c'est lui, déclare-t-on, l'artisan de toutes les souffrances féminines. C'est qu'il ne se contente pas de soutenir : il comprime, et, par là, il est manifestement coupable. Alors, on le condamne solennellement, on exprime le vœu de le voir être un moins cruel auxiliaire de la toilette. Souvent, un orateur, s'exaltant, réclame qu'on en revienne au « drapé », à la façon antique. Les Grecs, qui avaient au plus haut point le sentiment artiste, n'avaient-ils pas les plus gracieux spectacles du monde, quand ils contemplaient des théories de femmes, enveloppées dans leurs vêtements flottants, se rendant aux offices de quelque bonne déesse ? Et, sans remonter si loin et pour avoir de probants exemples sous les yeux, voyez seulement, au théâtre, les tragédiennes, quand elles représentent les filles de l'antique Hellas, dont la démarche, sous leurs longs voiles, prend la plus pure harmonie. N'y a-t-il pas là de quoi faire pester contre les robes ajustées ?

Ainsi, les arguments se déroulent, semblant exprimer un avis raisonnable. Mais ces réformateurs me font tout de même un peu sourire, je l'avoue, avec leurs conceptions absolues. Ils parlent comme s'il n'existait, dans le monde, que de très jolies femmes, à qui tout 'sied également. Hélas ! la perfection des formes est bien peu de ce temps-ci, et où sont-elles, les divines Grecques qui passaient sur l'Agora, dans l'orgueil et la splendeur de leurs corps charmants ? Les créatures d'élection peuvent tout hasarder, et, sous le Directoire, Theresa Cabarus, ex-noble, femme de révolutionnaire et future princesse, fut exquise en ressuscitant les draperies antiques, que, avec la sûre connaissance de ses charme? plastiques, elle transformait, d'ailleurs, en déshabillé galant. Mais nous, spectateurs de la vie contemporaine, nous sommes bien obligés d'être les défenseurs du corset et du costume actuel. C'est encore celui-là qui peut nous donner le plus d'illusions, en se prêtant le mieux aux ingénieuses dissimulations indispensables. Quel que soit le paradoxe apparent, la meilleure façon d'aimer la femme, c'est encore de lui demander de souffrir un peu, pour que nos yeux continuent à être charmés et pour qu'elle garde tout son prestige. Je parle, naturellement, de la façon la plus générale, en passant de la rue. Et faut-il dire alors : « Gloire au corset, fût-il un engin martyrisant, qui nous épargne de pénibles contemplations, et la vue des ventres ballonnés, des poitrines trop opulentes ou illusoires, et qui nous dupe, bien que nous n'ignorions pas que nous soyons dupés ! Gloire à ces vêtements, tout en fioritures et merveilleusement truqués, qui remédient aux ravages physiques, qui vont fatalement avec l'excès de la civilisation. » La vraie manière du costume d'être esthétique, c'est, il faut bien l'avouer, d'être le plus fécond en artifices.

La femme, au reste, ne se laisse pas prendre aux leçons des hygiénistes, qui ne sont que des hygiénistes, si pressantes que soient leurs recommandations et si bien intentionnées soient-elles. Elle sait que sa force est dans ces sacrifices qu'elle s'impose, avec quelque héroïsme parfois. Il y a eu, de temps en temps, des ligues féministes pour la réforme du costume, plus libre, plus logique. Mais qui en étaient les fondatrices? Ou de très belles personnes, pouvant se donner le luxe de toutes les fantaisies, ou de vieilles Anglaises, n'ayant absolument plus aucune prétention et bravant le ridicule avec sérénité. Dans l'un et l'autre cas, elles étaient forcément peu suivies.

C'est avec la moyenne qu'il faut compter. Lai majeure partie des femmes a besoin, aujourd'hui, quoi qu'en disent les Académies et les Congrès, — dont beaucoup de membres ne parlent plus de la femme que spéculativement — de robes conçues avec quelque complication. Ce sont ces complications qui nous font trouver la Parisienne délicieuse dans son frou-frou.

Certaine de la gentillesse de son visage, qui est toujours piquant, comme elle se défend savamment pour la ligne du corps, souvent imparfaite, en défiant les investigations indiscrètes du regard ! Cette ligne sincère, où la retrouver, au milieu de tout cet appareil dont elle se cuirasse ? Comment ne pas lui savoir gré de cet art qu'elle déploie pour aider à la nature, qui a un peu perdu le secret de ses moules impeccables, et pour la rectifier au besoin ! Ces tailles délicieuses, que seraient-elles pourtant, quelquefois, avec le costume rigoureusement « hygiénique », avec le souci strict du libre jeu de la respiration l'emportant sur celui de plaire ? Je me méfie beaucoup, je le confesse, des opinions trop raisonnables, en fait de féminisme; elles ne tendraient à rien moins qu'à diminuer notre plaisir de dilettantisme dans la contemplation, toute platonique et toute désintéressée qu'elle soit, de ces petits êtres exquisement artificiels.


  • * *

Traversez un peu, « pour voir », une petite ville allemande ou suisse, où vous apercevrez de bonnes grosses dondons, qui ne se serrent point, elles, qui se montrent telles que le ciel les a fautes, abondamment pourvues en chairs, et qui, si elles n'ont pas supprimé le corset, l'ont réduit à l'état d'ornement inutile, tant elles s'inquiètent d'être gênées, — et dites si c'est une belle chose que l'aspect de l'hygiène poussée à ce point-là !

Je ne suis point si égoïste que je ne m'afflige à la pensée que le corset peut être quelque chose comme un instrument de supplice ; mais il faut avoir la bonne foi de dire que l'hygiène et l'art de la toilette sont deux choses radicalement différentes et qui s'excluent l'une l'autre. Constatation brutale. On ne peut espérer qu'atténuer la gêne.

Chose grave qu'une modification capitale au costume féminin! Nous avons assisté, en notre temps ,à une espèce de petite révolution, avec la tenue hardiment adoptée par quelques-unes pour la bicyclette, acceptant la veste et la culotte bouffante, à la zouave. Il est convenu de trouver cette tenue cavalière pleine de crânerie. Mais, sans vouloir manquer de galanterie, la vérité n'est-elle pas que c'est là, pour la femme, une épreuve assez redoutable? Les minces, les sveltes, les légères, les délicates n'ont pas beaucoup à y perdre. Mais, pour les autres, avec quelle cruauté ce travesti accuse l'embonpoint, même encore discret, et la tendance à l'opulence des formes ! Combien de cyclewomen qui étaient parfaitement séduisantes en robe, furent imprudentes de céder à la tentation ! quelle lourdeur se révéla soudain, dont elles ne s'apercevaient point, parce que ces disgrâces se manifestaient surtout à les regarder — de dos ! Malgré des exceptions aimables, il me semble que la femme ne peut que gagner à rester extrêmement femme.

Les hygiénistes intransigeants emploient-ils, pour arriver à la persuasion, de grands mots et ne parlent-ils de rien moins que de l'avenir de la race ? Entre-nous, n'exagèrent-ils pas un peu, car il y a pas mal de temps — votre Histoire du corset le prouve, mon cher docteur — que les femmes s'accommodent de ce tourment ? Et puis, l'avenir, c'est bien loin ! N'est-il pas permis, surtout, puisque nous avons les femmes elles-mêmes avec nous, de défendre la grâce et le charme du présent ?

Je m'aperçois que ce n'est pas du tout au médecin, même au médecin indulgent pour les coquetteries féminines, que je parle, et que vous allez peut-être — professionnellement au moins — être choqué de ma férocité d'homme, admettant presque des souffrances chez la femme (souffrances volontiers consenties, du moins) pourvu qu'elle soit plus séduisante. Je crois que j'ai à m'excuser un peu de ma franchise.

Mais votre livre est là, plein de judicieux avis et de ces sages demi-mesures qui conviennent à un esprit philosophique, pour indiquer le remède à des maux dont on ne peut trop radicalement proscrire la cause. C'est votre affaire, et non celle de ce trop long bavardage, qui vous prouve seulement l'intérêt que j'ai pris à la lecture de vos études, à la fois sérieuses et spirituelles — ce qui, entre nous, est bien la meilleure des formules.

Croyez, mon cher Docteur, à mes meilleurs sentiments.

PAUL GINISTY.