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Le Corset (1908)/13

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A. Maloine (p. 238-253).


CHAPITRE XIII


Quel est le type de la beauté du corps féminin « poème que Dieu inspiré écrivit un jour dans le grand album de la nature ?… » (Heine).

Certes, je n’ai en vue ici que le type de la beauté féminine en tant que plastique et encore je ne veux parler que de la race blanche qu’on nomme aussi race caucasique, race aryenne, race indo-européenne, dont le berceau a été, dit-on, le plateau central de l’Asie.

Je n’entends même pas parler de la race noire ou chamitique « qui peuple l’Afrique, et qui présente quelques rameaux réalisant admirablement le type de la beauté sculpturale, abstraction faite de leur prognatisme et de l’expression peu intelligente de leur faciès » encore moins puis-je m’arrêter à la conception du beau dans les différents pays. « Entre le namaquois et l’élève de l’École des Beaux-Arts de Paris, il y a une multitude d’autres appréciateurs de la beauté humaine, parmi lesquels nous constatons une grande diversité de goûts ; les Orientaux recherchent la femme grasse, l’habitant du Céleste Empire trouve très agréable sa chinoise aux yeux bridés ; le Japonais admire sa petite et sémillante mousmé et l’Annamite se complaît dans les charmes de sa konghaï aux formes grêles, plates et indécises. Ainsi le Samoyède est séduit par les appas de la vierge hyperboréenne, au nez plat, au teint huileux, aux formes écrasées. Et nous-mêmes, Européens que nous sommes, nous qui nous proclamons la race supérieure sommes-nous des juges toujours impeccables et toujours conséquents ? Le sensuel préfère les formes opulentes, l’idéaliste en tient pour les contours vaporeux ». Ne cherchons donc pas à fixer un type de beau féminin universel, bornons-nous à chercher quel est, d’une façon générale, chez la femme, pour notre race le type de la beauté plastique.

Le type du beau féminin est celui qui se rapproche le plus par l’harmonie de ses proportions et les modulations de ses lignes, d’un type idéal dans lequel sont supprimées les imperfections inhérentes à chaque individu : un corps humain de proportions normales est nécessairement ce que nous connaissons de plus beau (F. Glénard).

Comment est-on arrivé à déterminer ces proportions normales qui nous permettent de juger de la perfection du corps ? C’est au Dr Stratz que je vais demander de répondre, aussi bien, vais-je, pour la rédaction d’une partie de ce chapitre, lui emprunter sous forme d’analyse ou de citation quelques-unes des pages qu’il a écrites sur La beauté de la femme, et c’est de ce livre qu’avec l’aimable autorisation de l’auteur j’ai extrait les fig. 118 à 120, 122 à 129 et 131 à 133.

L’Européen moderne ne connaît pour ainsi dire rien du corps féminin vivant. Il n’en voit que le visage et les mains ; dans les occasions solennelles, les bras et les épaules. Il ne voit dans sa vie qu’un seul ou tout au plus que quelques corps de femmes nues, et c’est presque toujours dans des circonstances telles que sa faculté de juger froidement et en toute indépendance ou bien lui fait complètement défaut ou du moins est fort troublée, car l’amour rend aveugle. Il peut à la vérité se former une opinion personnelle sur le visage et les mains ; les seules notions qu’il possède sur le reste du corps, il les doit au souvenir des reproductions artistiques qu’il en a vues ; les observations qu’il a pu faire sur le vivant ne comptent guère. Ainsi donc, l’idéal de beauté de l’Européen moderne repose en grande partie que sur des impressions qu’il n’a pas reçues directement de la réalité, mais seulement par l’intermédiaire de l’art. L’artiste et le médecin font exception à cet égard.

Nous autres Européens, nous condamnons sans même le connaître le nu dans la nature tandis que dans l’art nous en tenons la représentation pour licite et nous l’avons constamment sous les yeux. C’est pourquoi ignorant la nature, nous nous servons pour juger la beauté du corps féminin de critères empruntés à l’art. Et nous ne nous rendons pas compte que la conception de la femme est, elle aussi, soumise dans l’art à une certaine convention, à une tradition, et qu’on ne peut la transporter tout d’un bloc dans la réalité. Nous trouvons fa Vénus de Milo belle comme elle est, mais, habillée à la mode actuelle, elle nous semblerait affreuse, car les vêtements qu’on porte aujourd’hui lui épaissiraient encore la taille. Vous admirez la Vénus de Milo et vous admirez une taille fine, mais une fois la femme mince déshabillée, vous serez obligés de conclure qu’elle doit être laide puisqu’elle ne ressemblera pas à la Vénus.

Et pourtant l’expérience vous donnera, tort. Vous serez donc obligé de conclure autrement, et dans ce sens qu’on a beau connaître par cœur la Vénus de Milo, cela ne donne aucunement le droit de porter un jugement sur le corps d’une femme habillée.

Mais il y a plus : sans nous en douter nous soumettons aux modes de l’Antique Grèce les jugements que nous portons sur les œuvres d’art moderne ou même sur le nu vivant.

Ne citons de ceci que deux exemples. Il n’y a à notre connaissance dans tout l’art classique que deux statues représentant un homme nu avec des moustaches : ce sont le Gaulois mourant et le Gaulois du groupe d’Arria et Pœtus. Partout ailleurs, ou bien les figures ont toute la barbe ou bien elles sont imberbes. Ce n’était ni chez les Grecs, ni chez les Romains, la mode de porter la moustache ; dans les statues en question, elle sert justement à caractériser le Barbare. Bien que parmi nous le port de la moustache soit fort ordinaire, on n’en trouve, pour ainsi dire, point d’exemples dans l’art, exception faite des portraits, naturellement.

Elle nous choque dans le nu ; elle fait que nous ne voyons plus simplement l’homme nu, mais l’homme déshabillé, pourquoi ? Parce que nous subissons la mode des anciens Grecs.

Prenons comme second exemple la représentation du nu féminin. On y supprime régulièrement tous les poils. Pourquoi ? Parce que la chose est laide en elle-même ? Non, sans doute, mais parce que chez les Grecs et chez les Romains, comme aujourd’hui encore chez les Orientaux, l’usage contraignait les femmes de s’épiler. Nous en avons un témoignage dans les célèbres passages de Martial et d’Ovide.

On en trouve une preuve de plus dans la cent troisième chanson de Bilitis, où l’on signale comme une particularité des prêtresses d’Astarté le fait suivant : « Elles ne s’épilent jamais afin que le sombre triangle de la déesse marque leur ventre comme un temple ».

Quoique la dépilation soit une mode disparue de notre civilisation depuis de longs siècles, l’art l’a conservée et l’a ainsi imposée à l’idéal de beauté de l’homme moderne. Si l’on compare la Vénus du Vatican et la danseuse de Falguière, on verra jusqu’à quel point, non seulement l’individu isolé, mais « l’opinion publique » tout entière se laisse influencer par les apparences.

La statue de Vénus remplit les conditions que nous exigeons d’une figure féminine normale. Chez là danseuse voici ce que nous constatons : l’usage du corset a déterminé un rétrécissement artificiel de la taille, les seins sont mal placés, la position des ; genoux est : défectueuse ; enfin l’articulation du pied est trop forte.

La conception de la beauté chez les modernes est donc basée sur une connaissance de la tête, des mains et des bras, acquise par l’expérience quotidienne, et en ce qui concerne les autres parties du corps sur l’impression d’ensemble qu’a laissée la vue de reproductions artistiques.

Le public en général, n’est donc pas compétent pour juger la beauté féminine ; d’une part il est trompé par des reproductions infidèles, et d’autre part le corset, la chaussure, tous les vêtements en somme contribuent à lui créer des illusions ; l’idéal qu’il conçoit n’est donc nullement en rapport avec la réalité.

L’art grec puisait directement ses thèmes dans la vie. Ni rigueur du climat, ni défauts physiques, n’obligeaient les habitants de la Grèce antique à cacher sous des vêtements leurs formes admirables ; et ceci réalisait la première des conditions essentielles qui sont imposées à l’artiste créateur, à savoir qu’il étudie chaque jour le nu sous les aspects les plus divers.

L’artiste grec était ainsi capable de se former de la beauté une image idéale, et il disposait pour la réaliser d’un choix considérable des plus beaux modèles.

Mais le public lui aussi, c’est-à-dire toute l’humanité d’alors, voyait chaque jour le nu et le connaissait ; il se montrait donc bien plus exigeant à l’égard des œuvres d’art et il savait aussi mieux les apprécier que ne le fait notre public actuel auquel manque totalement la connaissance du corps humain.

Sur les ruines de l’Art classique s’éleva l’édifice de la Renaissance ; les vestiges de la grandeur passée furent une révélation pour cette nouvelle époque de floraison artistique. Mais pas une seule de ses œuvres n’a, nous ne dirons pas dépassé, mais même atteint la beauté classique, car la source à laquelle les Anciens puisaient, était tarie pour leurs successeurs : la vue journalière sous des formes multiples et l’éducation artistique de l’œil qui en était la conséquence.

Ce sont justement les plus grands maîtres des époques suivantes qui eurent le plus nettement conscience de ce désavantage ; ils cherchèrent à le compenser en suppléant à l’imitation naïve des belles formes par l’étude de l’anatomie.

D’ailleurs si ces connaissances nouvelles ont eu l’avantage de permettre aux grands artistes d’éviter dans leurs œuvres certains défauts de leurs modèles, elles présentaient aussi le danger d’inciter ceux qui les possédaient à corriger trop souvent la nature sans qu’elle eût rien à y gagner. De grands maîtres eux-mêmes n’ont pas su éviter cet écueil.

S’ils cherchaient un refuge contre ce danger dans l’imitation servile de la nature, ils risquaient d’entacher leurs œuvres de grandes imperfections, car ils n’avaient pas tous la chance de trouver des modèles d’une incomparable beauté.

Mais le public, aussi bien que les artistes, avaient perdu l’habitude de contempler chaque jour le nu. Ainsi s’explique comment, de part et d’autre, on était devenu moins difficile, moins exigeant à l’égard de la beauté.

L’individualité tend dès lors à s’affirmer toujours davantage et le cas se présente que des mérites éclatants au point de vue de la conception, de l’exécution, empêchent des générations entières d’apercevoir certaines fautes commises volontairement ou involontairement par l’artiste.

Un exemple suffira pour montrer comment des connaisseurs eux-mêmes peuvent se laisser entraîner par le courant de l’opinion à des conceptions erronées.

Je choisis à cet effet la Vénus florentine d’Alexandre Botticelli, à laquelle les préraphaélistes ont donne l’éclatant témoignage d’une admiration sans bornes.

Voici cependant, continue le docteur Stratz, ce que je vendrais répondre à leurs tirades : « la figure de la Vénus de Botticelli est pleine d’un charme délicat et mélancolique qui produit une profonde impression ; mais si l’on examine la figure de plus près, on découvre dans le cou long et mince, dans les épaules tombantes, dans le thorax étroit et affaissé, dans les seins qui se trouvent par suite trop bas et trop rapprochés, le type bien caractérisé de la phtisique dont la beauté si triste inspire ici comme dans la réalité un vif sentiment de pitié. Et si nous réfléchissons que Simonetta Catanea est née en 1453 et qu’après s’être mariée en 1468 avec Marco Vespucci elle est morte de la phtisie dès 1476 à peine âgée de vingt-trois ans, il nous paraît bien vraisemblable qu’elle a servi de modèle pour la Vénus de Botticelli et que l’artiste, pour des raisons faciles à imaginer, n’a légèrement changé que les traits du visage : Botticelli a donc, sans le savoir, fait d’un type de belle phtisique son idéal. Ses héritiers et ses imitateurs ne s’en sont pas rendu compte et, séduits par son idéal, ils ont imprimé à des modèles parfaitement sains une partie des symptômes de la phtisie, créant ainsi des êtres hybrides, impossibles dans la réalité.

Burne Jones, l’un des plus grands préraphaélistes nous en offre un exemple frappant. Dans ses études on voit des individus bien portants ; dans ses tableaux ils sont tous devenus plus ou moins phtisiques ».

Cet unique exemple pourrait servir à montrer combien inextricablement la nature et l’art se mêlent dans les œuvres modernes. Pour rendre justice à un artiste, il faut étudier de très près, non seulement ses œuvres, mais aussi son époque et sa vie et il est fort rare que l’on puisse accepter sans restriction son idéal de la beauté.

Fig. 121. — La Vénus de Botticelli

La mode en effet règne sur les beaux-arts comme elle règne sur la poésie et sur la littérature, c’est pourquoi l’on peut retrouver l’idéal de la beauté particulier à chaque époque dans ses productions littéraires et dans ses œuvres plastiques.

Parmi toutes les descriptions de la beauté féminine que nous offre la littérature, j’en recommanderai une surtout à l’attention de mes lecteurs. Si je choisis précisément celle-là, c’est d’abord parce qu’il existe à côté d’elle un portrait de l’original, et puis parce qu’on y trouve appliqué pour juger la beauté féminine un critère dont je vais avoir à entretenir le lecteur.

C’est la description que donne Nifo de la personne de Jeanne d’Aragon, dont on peut voir au Louvre le portrait peint par Raphaël ou plus vraisemblablement encore par Jules Romain. Houdon donne à côté du texte latin de Nifo l’excellente traduction française que voici :

« L’illustre Jeanne est pour nous la preuve que le beau n’existe que dans la nature, car cette princesse réunit en elle la beauté parfaite de l’âme et du corps. En effet pour ce qui est des qualités de l’esprit, elle possède la convenance des mœurs et la douceur (cette beauté de l’âme) qui sont les attributs des natures héroïques et elle les possède à un tel degré, qu’elle semble issue d’une souche divine plutôt que d’une souche humaine. Pour ce qui est du corps., la beauté de ses formes est si parfaite que Zeuxis qui dut, pour faire le portrait d’Hélène, emprunter leurs charmes divers aux plus belles filles de Crotone, eût pu se contenter de prendre Jeanne pour modèle, s’il lui eût été donné de la voir et d’en reconnaître l’excellence. Sa stature, de hauteur moyenne, est droite et élégante et possède cette grâce que, donne seul l’assemblage de membres individuellement irréprochables. De complexion, elle n’est ni grasse, ni maigre, mais pleine de sève « succulenta » ; son teint n’est point pâle, mais blanc nuancé de rosé ; ses longs cheveux ont les reflets de l’or ; ses oreilles sont.petites et en proportion avec la grandeur de la bouche. Les sourcils bruns formés de soies courtes pas trop touffus dessinent un arc de cercle parfait. Les yeux bleus « cœsïïs » plus brillants que les plus brillantes étoiles, rayonnent de grâce et de gaieté sous leurs cils bruns convenablement espacés. Entre les deux sourcils descend perpendiculairement un nez de dimension moyenne et symétrique ; la petite vallée qui sépare le nez de la lèvre supérieure est d’une courbe divine ; la bouche plutôt petite entr’ouvre par un doux sourire deux lèvres un peu épanouies formées de miel et de corail et qui appellent les baisers plus que l’aimant n’attire et ne retient le fer. Les dents petites, polies comme l’ivoire, sont rangées avec symétrie, et son haleine a la saveur des plus doux parfums. Sa voix résonne comme celle non d’une mortelle mais d’une déesse. Le menton est divisé par une fossette, la rosé et la neige colorent ses joues et son visage dont l’ovale se rapproche comme chez l’homme de la forme ronde.

Le col droit, allongé, blanc et plein s’élève avec grâce entre les épaules ; sur la poitrine large et dont les plans unis ne laissent apparaître aucun os, s’arrondissent deux seins égaux, d’une dimension convenable, qui exhalent le parfum des fruits de la Perse auxquels ils ressemblent.

Les mains potelées ont extérieurement la blancheur de la neige et à l’intérieur la teinte de l’ivoire, elles ont pour juste dimension la hauteur de la face ; les doigts pleins et ronds sont allongés et se terminent par un ongle lin convexe et d’une couleur suave. L’ensemble de la poitrine a la forme d’une poire renversée, mais un peu comprimée, dont le cône est étroit et rond à sa section inférieure et, dont la base se rattache au col par des courbes et des méplats d’une ravissante proportion. Le ventre, les flancs et les charmes secrets sont dignes de la poitrine ; les hanches sont larges et arrondies ; la cuisse, la jambe et le bras sont pour la grosseur dans la juste proportion sesqui-altère.

Fig. 122. — Proportions de la femme de huit têtes
Canon de la Renaissance.

La largeur des épaules est également dans le rapport le plus parfait avec la dimension des autres parties du corps, les pieds de longueur moyenne se terminent par des doigts admirablement rangés ; enfin la beauté et l’harmonie de son corps sont telles qu’on peut sans faire injure à celles-ci, mettre, Jeanne au rang des Immortelles… Si donc la convenance de ses mœurs, si sa grâce, si sa beauté sont si grandes, il en faut conclure, non seulement que le beau absolu existe dans la nature, mais de plus qu’il n’y a rien de beau que le corps humain ».

Le portrait de Jeanne d’Aragon au Louvre nous convainc mieux et plus vite de sa beauté que la description tant soit peu indiscrète de Nifo qui aurait eu fréquemment, en sa qualité de médecin, l’occasion de voir le corps de la princesse.

Fig. 123.
1 fig. normale féminine, d’après Richer. — 2. Javanaise de dix-huit ans environ

Ce qui est le plus intéressant, c’est que désirant nous convaincre de la beauté de Jeanne, il ne s’en est pas tenu à la description périphrasique des différentes parties de son corps, mais il a fait usage d’une mesure précise et sûre en indiquant les proportions des différentes parties.

Depuis les temps les plus reculés jusqu’à nos jours, un grand nombre d’hommes éminents se sont, comme Nifo, efforcés de découvrir la loi des proportions du corps humain. Les savantes recherches de Ch. Blanc ont démontré que les Égyptiens avaient choisi comme unité de mesure la longueur du doigt médius qui d’après eux était compris 19 fois dans la hauteur totale du corps.

Une figure construite exactement d’après ces règles s’appelle canon, l’unité de mesure qui la détermine s’appelle module.

Il paraît vraisemblable que le canon Égyptien a été en partie adopté par les Grecs, à côté de lui et depuis on compte nombre d’autres canons, où la longueur de la main, du pied, de la tête, servait de modules. Citons le canon de Polyclète, celui de Lysippe, celui de Vitruve ; les canons de Michel-Ange, d’Albert Durer, de Jean Cousin, etc.

Fig. 121. — Canon de M. Paul Richer

Le premier travail scientifique sur les proportions a été fait par Que tel et qui a établi une moyenne des proportions d’après les mesures relevées sur trente jeunes gens.

Il inaugurait ainsi le procédé moderne que les anthropologistes ont perfectionné et qui consiste à fixer, en comparant un grand nombre de mensurations, une mesure normale moyenne de l’homme variant selon la race, l’âge et le sexe.

Sargent, en Amérique, a mesuré plus de deux mille jeunes gens et jeunes filles âgés de vingt ans et modelé d’après la moyenne de ces mesures, deux figures d’argile qui ont été exposées à Chicago. Richer a construit de la même manière que Sargent un canon des proportions du corps humain, pour lequel il a pris comme type la longueur de la tête et d’après lequel il a modelé une statue.

Fig. 125. — La tangente de Pasteur.

Ce qui rend difficile la comparaison des résultats obtenus par les différents chercheurs, c’est que l’on ne s’est pas jusqu’ici servi d’une méthode unique, universellement reconnue. Toutefois, si l’on ne peut indiquer définitivement les proportions normales du corps humain, on a cependant la grande satisfaction de pouvoir considérer comme acquis que, malgré la différence des méthodes, les résultats des différentes observations sont dans l’essentiel identiques, et en outre que la forme idéale conçue par l’artiste, correspond exactement à la forme normale établie par le savant, c’est ainsi que la figure féminine normale, d’après Merkel, diffère à peine de quelques millimètres du canon de Schmidt et Pritsh dont le module est la longueur de la colonne vertébrale depuis la base du nez jusqu’au bord supérieur de la symphise pubienne, lorsque le corps est parfaitement droit.

Richer qui prend pour unité de mesure la longueur de la tête est arrivé, malgré la différence des procédés, à peu près à la même figure normale que Fritsch, Merkel et Froriep.

Ces différents canons reportés sur des figures de sujets vivants, permettent de se rendre compte si leurs corps ont oui ou non des proportions normales.

Ainsi nous possédons une méthode scientifique qui nous permet de fixer avec assez de précision les proportions normales du corps en général.

Fig. 126.
Jeune fille âgée de vingt-deux ans, originaire de Scheveningen

Pour être complets, signalons encore un procédé applicable à la détermination des proportions du corps vu de profil. C’est la tangente de Pasteur. D’après cette méthode préconisée par S. D. Pasteur, de Batavia, on mène une verticale tangente au contour postérieur en un point de la fesse. Quand les proportions sont absolument normales, ce point de contact partage la verticale ab en deux parties égales ac = cb d’où cette conclusion que le centre du corps est situé dans un plan horizontal qui, lorsque les proportions sont normales, coupe la fesse au point culminant de sa courbe.

Mais si la règle des proportions permet de trouver toute une série de corps dont elle établit l’infériorité en beauté ou même la laideur absolue, on se représente facilement d’autre part qu’un corps tout à fait bien proportionné puisse être laid cependant.

Fig. 127.
La même déshabillée n’ayant jamais porté de corset

Une figure, en effet, peut être quant à ses dimensions d’une structure irréprochable et présenter cependant une maigreur effrayante ou un embonpoint inesthétique.

Ces très intéressantes considérations du docteur Stratz sur la Beauté de la Femme m’ont donc amené de proche en proche à cette conclusion que le corps de la femme, fût-il en général normal, n’est pas pour cela forcément beau et j’ajoute que le corps de femme normal et beau fût-il fréquent, combien de causes s’unissent pour détruire cet aspect harmonieux.

Tantôt c’est l’alimentation défectueuse qui peut faire disparaître l’aspect esthétique d’un sujet soit en causant de l’amaigrissement, soit en provoquant de l’adipose[1].

Cette adipose peut être généralisée ou seulement atteindre quelques parties du corps ; c’est ainsi que Richer le premier a signalé chez les Européennes un défaut que j’ai observé bien souvent et qui consiste dans une accumulation anormale de graisse dans la région du bassin et du tiers supérieur de la cuisse ; en outre lorsque le corps maigrit, après être parvenu à un certain embonpoint, la peau ne peut recouvrer qu’en partie son élasticité première et aux endroits où celle-ci fait défaut, la peau est flasque et forme des rides, des plis.

Fig. 128. — Courbe de la beauté ————— Beauté du diable - - - - -

Tantôt, c’est le genre de vie, qui en dépit d’une bonne alimentation, exerce une influence défavorable sur le développement harmonieux du corps, exagérant la saillie de certains muscles, la grosseur de certaines articulations, entravant certaines parties du squelette dans leur accroissement normal.

« L’âge — et il peut paraître paradoxal d’insister sur ce fait — exerce une influence sur les formes du corps, car personne n’ignore qu’une petite fille et une vieille femme ne ressemblent pas à une femme dans l’épanouissement de sa beauté ; ce que je voudrais faire ressortir ici, c’est que cet épanouissement n’apparaît) point à un âge fixe, qu’il a lieu tantôt plus tôt, tantôt plus tard et que le facteur personnel joue ici un rôle considérable.

Il y a dans la vie de chaque femme un moment où sa beauté est à son apogée. Ce point précis pourrait marquer le sommet d’une courbe dont l’enfance formerait la partie ascendante et la vieillesse la partie descendante.

Il existe un cas où cette courbe de la beauté peut monter rapidement pour redescendre soudain avec la même rapidité. Nous sommes alors en présence de ce qu’on appelle en français (car les autres langues n’ont point cette expression) la « beauté du diable ».

Fig. 129. — Canon de Fristch.

La race joue aussi un rôle dans la beauté du corps, c’est ainsi que « fait bien connu, on trouve chez les Juifs, par suite de l’oppression qui a pesé sur eux pendant des siècles, et malgré leur force de résistance, beaucoup plus d’individus physiquement mal constitués que chez aucun autre peuple du monde ».

Quand j’aurai encore cité l’influence sur le corps féminin du genre de vie, de l’éducation, de l’hérédité, des maladies, des vêtements, du corset, j’aurai indiqué combien de facteurs peuvent intervenir pour déformer une femme.

Or, c’est là où je veux atteindre, j’estime qu’à l’époque actuelle, dans les conditions de vie où se trouvent les individus qui font partie des grands peuples placés à la tête de la civilisation, les femmes normalement construites constituent une petite minorité (les théories de M. Paul Difloth ne veulent-elles pas établir que la beauté s’en va et que l’humanité est en marche vers une laideur infâme) et les formes de ces femmes ont rapidement à souffrir d’une ou de plusieurs des influences que je citais tout à l’heure.

Quant aux femmes dont le corps n’a pas les lignes de la beauté celles-là sont légion. Eh bien ! toutes femmes ayant été belles et femmes ne l’ayant jamais été, toutes veulent le paraître aussi longtemps qu’un artifice de toilette pourra les y aider, voilà pourquoi la femme gardera son corset.

Être une beauté, ce n’est pas là le souci de la femme. Si peu y pourraient prétendre ! Ce que veut la femme c’est paraître belle ; c’est plaire. Reste à savoir comment la femme peut plaire, pourquoi la femme veut plaire.



  1. Le modèle de profession représenté figures 119, 126, 127 est un type dont les mesures s’écartent fort peu de la normale ainsi qu’on peut le constater sur la fig. 130 par comparaison avec le canon de Fritsch.