Le Corset (1908)/14
CHAPITRE XIV
Chercher comment la femme s’y prend pour plaire à l’homme, c’est répondre à cette question : quelles femmes plaisent aux hommes.
C’est une question que s’est posée aussi M. Rafford Pyke, philosophe, sociologue et moraliste américain et à laquelle il a complaisamment répondu dans la Revue The Cosmopolitan. C’est avec grand intérêt que, en compagnie de M. Émile Faguet, je le suivrai dans le détail de sa réponse, je laisserai toutefois de côté l’étude de ce qui peut plaire aux hommes des qualités morales de la femme, cela sortirait tout à fait du plan de ce travail où je ne veux aborder que des questions d’hygiène, de médecine et de physiologie.
Auparavant, dit M. Faguet, se pose une question préjudicielle.
Peut-on se demander, d’une façon générale, quelles sont les femmes qui plaisent aux hommes et n’y a-t-il pas seulement des cas et point de loi, point de règle ? Ne faut-il pas dire que telle femme est destinée à plaire à tel homme et point du tout aux autres ? Ne faut-il pas dire que telle femme est destinée à déplaire à tel homme, sans pour autant devoir déplaire à tel autre ?
Notez que c’est la théorie de Schopenhauer au moins, laquelle a fait assez de bruit dans le monde, laquelle a conquis une certaine autorité et de laquelle je m’étonne que le très judicieux, très fin et quelquefois profond moraliste américain ne tienne pas compte et n’ait pas même l’air de se douter. Si, comme le croit Schopenhauer, chaque être humain, tant homme que femme, quand il ressent « les passions de l’amour », comme on disait au XVIIIe siècle, n’est qu’un être qui cherche à se compléter et à se compenser, la nature voulant la perpétuité et la non-dégradation de l’espèce et incitant cet être, sans qu’il s’en doute, à quérir dans un autre être les qualités qui lui manquent, les défauts mêmes qui lui manquent et en somme tout ce qu’il sent qui lui fait défaut ; s’il en est ainsi, il n’y a pas, il ne peut y avoir de « femmes plaisant aux hommes » mais telles femmes plaisant à tels hommes en raison des différences entre elles et eux, la femme de haute stature plaisant au nabot, la naine au géant, la spirituelle à l’imbécile, l’autoritaire au timide, la timide à l’impérieux, etc. et la question de M. Rafford Pyke ne peut même pas être posée.
Mais, me dira-t-on, encore qu’on accepte la théorie de Schopenhauer, qui est conforme au sens commun, aux observations les plus courantes et aux statistiques les plus sûres, encore qu’on accepte cette théorie, on peut, sans doute, précisément en observant les imperfections les plus communes chez les hommes, en déduire les séductions qui doivent être les plus communes chez les femmes, et tirer de là justement, le type général de la « femme qui plaît aux hommes » ; et donc ce type peut se trouver, et donc la recherche de M. Rafford Pyke n’est pas vaine. Et si ce n’est pas la méthode qu’a suivie M. Rafford Pyke, cela ne fait rien. Nous examinerons, nous, les théories de M. Rafford Pyke, et nous les apprécierons d’abord en elles-mêmes et nous les contrôlerons ensuite, si cela nous fait plaisir, par la doctrine de Schopenhauer.
Cette marche me paraît assez rationnelle et me plaît assez. Prenons donc cette façon d’aller.
Or, M. Rafford Pyke, quelle que soit sa méthode, et peut-être n’en a-t-il pas d’autre que l’observation et cette statistique personnelle que chacun de nous dresse il son usage, arrive à ces décisions générales.
1° La femme qui plaît aux hommes, n’est pas la femme belle. La beauté n’a plus d’influence sur les hommes. La femme belle est admirée ; elle n’est pas aimée. Je serais assez de l’avis de M. Rafford Pyke sur ce point. Seulement je ferai remarquer que la statistique est excessivement difficile sur cette affaire, parce que le nombre des femmes belles est excessivement restreint. Les femmes jolies sont, Dieu merci, très nombreuses ; les femmes que l’on peut appeler belles sont des exceptions infiniment rares. Dès lors quelle statistique établir ? Voit-on beaucoup de femmes belles rester sans preneur ou sans adorateur ? On ne le peut pas, puisqu’il n’y a presque pas de femmes belles. Si l’on en rencontre une qui soit demeuré délaissée, ce peut être un pur hasard et l’on n’en peut rien conclure.
2° La femme qui plaît aux hommes, toujours d’après M. Rafford, Pyke, est la femme gracieuse plutôt que la femme jolie.
Là-dessus je crois que tout le monde sera d’accord. La grâce du visage, de la physionomie et des mouvements est certainement l’attrait le plus fort et aussi le plus durable que la femme exerce sur l’homme. Et ici, M. Hafford Pyke, sans citer Schopenhauer, abonde dans le sens de la doctrine schopenhauerienne. Il fait remarquer que l’homme, éternellement gauche et disgracieux, aux mouvements rudes et lourds, adore dans sa partenaire cette grâce du corps que Diderot définissait ainsi : « Cette rigoureuse et précise conformité du mouvement du corps à la nature de l’action ».
C’est pour cela que la danse a été chez tous les peuples connus, comme l’introduction à l’amour. La danse déploie la grâce et la montre dans toute la perfection où elle puisse atteindre. La grâce a créé la danse comme son expression, comme son instrument, comme son cadre et, pour tout dire d’un mot, comme son organe même.
Cependant, si le commun des hommes a besoin de la danse pour apprécier la grâce, les connaisseurs ou simplement les hommes de sensations fines, n’ont besoin que de la marche et préfèrent même la marche à la danse comme expression de la grâce et comme manifestation de l’eurythmie personnelle.
« La marche d’une déesse sur les nuées », dit Saint-Simon, en parlant de la duchesse de Bourgogne. Et vera incessu patuit dea, dit Virgile en parlant de Vénus, ce qui veut dire : « et, par sa façon de marcher, elle se révéla déesse ». La marche, c’est la grâce qui se meut. « Je hais le mouvement qui déplace les lignes ! » a dit un poète. Soit, mais le mouvement qui arrange les lignes à chaque moment qu’il semble les déranger, c’est la grâce exquise et c’est la grâce suprême. La grâce immobile, c’est la statue harmonieuse ; la grâce en marche, c’est la vie harmonieuse.
3° La femme qui plaît, c’est la femme élégante, c’est-à-dire : la femme qui plaît, c’est la femme qui sait s’encadrer. C’est la femme qui s’habille bien, premier cadre, et pour bien s’habiller je n’ai pas besoin de dire qu’il faut savoir choisir les couleurs et les dessins d’ajustement conformes à sa personnalité et s’y adaptant naturellement. C’est la femme dont la chambre ou le salon, second cadre, sont décorés avec un goût personnel encore et tel que chambre ou salon semble être un accessoire et une dépendance de la personne elle-même : « Vous ne trouvez pas Mme X… élégante ? demandait-on à un homme de goût. — Mais… non ! — Pourquoi ? — Je ne saurais trop vous dire… Chez elle, elle a l’air d’être en visite. » Une femme qui chez elle n’est pas chez soi, eût-elle l’instinct de l’élégance dans l’ajustement, est peut-être « une élégante » ; mais elle n’est pas élégante.
Je n’ai pas besoin de dire, ajoute M. Faguet, que je suis ici, aussi tout à fait de l’avis de M. Rafford Pyke, puisque je m’aperçois que je suis en train de le compléter et d’ajouter des raisons à celles qu’il donne.
Et ici, aussi, j’estime que la doctrine de Schopenhauer confirme parfaitement celle de M. Rafford Pyke, car s’il est un être inélégant en son premier cadre, à savoir son ajustement, et en son second cadre, à savoir son habitat, c’est certainement l’être masculin.
Depuis environ la fin du règne de Henri IV, les costumes masculins, en particulier, sont la honte de l’espèce humaine. Un tel être aura tout naturellement une inclination pour celui qui — quelquefois au moins — montre du goût dans le choix et la disposition de ses deux cadres. La femme élégante encore plus peut-être que la femme gracieuse, est certaine d’exercer un grand attrait sur le sexe qui compte infiniment peu de Pétrones.
J’applaudis à cette conclusion de M. Rafford Pyke et de M. Émile Faguet, l’homme recherche surtout la femme élégante parce que la femme élégante pouvant grâce à des artifices de sa toilette masquer les défauts de son corps donne à l’homme l’illusion de la beauté.
Il y a, en effet, bien peu de femmes qui peuvent montrer nues des formes impeccables, presque toutes ont besoin de mentir à l’homme par l’arrangement du costume et, en cette façon de mentir, elles sont expertes plus que dans toutes les autres.
Le corset est là qui lui apporte son aide trompeuse et quand, grâce à lui, grâce à ses dessous, grâce à sa robe, la femme est arrivée à plaire ; à son tour, prise à son mensonge, elle s’estime non seulement élégante mais belle, estimant certificats de beauté ses succès auprès des hommes
Ce qu’il faudrait pour guérir les femmes de cette prétention et leur faire voir clair une fois dans leur vie, dit l’auteur d’un roman espagnol, ce serait une bonne loi les obligeant pendant un mois seulement à se revêtir du même costume national que les hommes : culotte collante, veste courte.
Il n’en sortirait, pas deux dans la rue sur cinquante tellement elles se trouveraient ridicules et ratées !… Les voyez-vous, par exemple, je ne dis pas en costume de toreros, mais seulement d’Aragonais, d’Andalous, n’importe ! avec leur petite taille, leurs courtes jambes, leur large ventre, leurs énormes fesses, etc. Quelles grâces, Messieurs, Mesdames ! Comparez et admirez ! Les voyez-vous aussi en Èves, debout, alignées comme on voit des régiments d’Adams de tous les âges et de toutes les tailles à la baignade ? C’est cela qui aurait bientôt fait de les mater ! Le voilà bien non plus en images, ni en statues ce fameux beau sexe qui ne peut même pas supporter une minute d’examen lorsqu’il se tient les os en pointe et qui n’est plus présentable que lorsqu’il est couché et étendu ! Aussi vivent éternellement les jupes et les longues chemises pour cacher toutes leurs difformités physiques ! Et cela ne leur suffit pas : il leur faut encore se couvrir et se recouvrir de barres de fer et de baleines, de postiches, de maquillages, de fanfreluches de toutes sortes et de toutes couleurs comme les seigneurs de l’ancien temps ou les sauvages d’aujourd’hui, ou mieux encore comme les mules du carrosse royal. Heureusement que faute de mieux elles nous plaisent, toujours et quand même non pour ce qu’elles valent, mais pour le plaisir qu’elles nous représentent.
Et elles plaisent et elles représentent du plaisir parce que peu d’hommes malheureusement songent à faire de la femme une compagne et que presque tous poussés par l’instinct ne voient dans l’être féminin qu’un instrument de jouissance.
C’est ainsi que la femme coquette et élégante l’a compris, inconsciemment peut-être, mais non moins certainement et c’est pourquoi elle a compris aussi comment dans notre civilisation, elle peut par la constriction du corset, par l’art du costume, augmenter la mise en valeur ou produire l’illusion des lignes ondoyantes qui sont celles de la beauté féminine ; lignes ondoyantes, apparentes ou réelles, auxquelles elle doit d’être désirée par eux.
« Quelles sont donc ces lignes ondoyantes qui caractérisent la femme. Ce sont avant tout le profil antérieur de la poitrine, puis les profils latéraux de la taille et le profil de la cambrure des reins ; c’est le profil de la nuque ; ce sont enfin les lignes qui relient le cou aux épaules ». Toute l’habileté féminine va donc consister désormais à mettre en valeur ces lignes ondoyantes qui sont la parure naturelle de la femme ; à créer ce que le monde civilisé actuel considère comme étant la beauté : une taille svelte, des hanches saillantes, une gorge proéminente ; pour cela le vêtement est nécessaire. Ce n’est pas en effet un sentiment de pudeur instinctive qui a fait naître l’usage des vêtements. De nos jours encore, il est des peuplades qui vivent complètement nues ; c’est la civilisation qui a inventé et voulu la pudeur. Le christianisme a augmenté cet instinct de la pudeur. L’effroi de la chair, le mépris du corps humain, voilà des idées essentiellement chrétiennes.
En dehors de cela le vêtement n’a rien à voir avec la morale, le fait de découvrir son corps ne passe point pour immoral quand la mode l’exige (Dr Stratz).
La femme esthétiquement est faite, dit Montaigne, pour être vêtue selon les sinuosités exquises de ses lignes ; rien ne doit masquer l’ampleur ni les vallonnements adorables de sa gorge, la cambrure de sa taille ou l’élégance de sa nuque, cette partie damnable, attirante faite pour y enfouir les baisers. La jupe doit épouser ses formes, modeler les hanches, adhérer aux rondeurs des cuisses et mourir en plis gracieux sur la délicatesse des attaches du pied dont la pointe semble émerger de la soie, des guipures, des batistes.
Toutes les modes qui ont engoncé la femme ont été des attentats contre sa beauté et des obstacles contre la sélection naturelle ; les modes godronnées, empesées, déformatrices du corps ont toujours été prônées et imposées par des souveraines mal faites intéressées à dissimuler des défauts de corsages, des maigreurs terribles ou des pauvretés de chute de reins.
Mais pourquoi la femme veut-elle dissimuler ces défauts et ces pauvretés, pourquoi veut-elle par des artifices divers par ce contraste que produit une taille fine augmenter ou simuler l’opulence de la croupe et des seins ? C’est que les régions mammaires et fessières constituent encore dans notre civilisation actuelle des régions d’attirance du regard et du désir masculin. De tout temps, des femmes dépourvues de charmes mammaires ont eu recours à des artifices de toilette.
Ovide conseillait déjà l’emploi de « ces enveloppes qui arrondissent la poitrine et lui prêtent ce qui lui manque. » Eustache Deschamps, huissier d’armes de Charles VI, dans sa diatribe sur le sexe « vilain » : Le Mirouer du mariage, indique la manière de fabriquer des appas à celles qui en sont dépourvues. Et Mahomet n’a-t-il pas dit : Le sein de la femme a un double rôle à remplir : nourrir l’enfant et réjouir le père. Il est vrai que maintenant la femme s’occupe peu du premier rôle et beaucoup du second.
C’est qu’en effet le sein qui n’a été à l’origine qu’un organe maternel secondaire, se transforme plus tard en organe érotique, en tentation d’amour, au même titre que le coussinet des Hottentotes qui sert de berceau et de hotte au nouveau-né est devenu chez ces peuplades un véritable organe sexuel secondaire, c’est-à-dire un organe propre à inspirer de l’amour, des désirs (Lombroso, Origine du baiser in Nouvelle Revue 15 août 1893).
Aucun organe, dit le docteur Witkowski, ne réunit mieux les avantages de l’utile dulci. Ces appas palpables sont des appâts magiques, qui avec les charmes du visage, provoquent chez l’homme la griserie nécessaire à la reproduction de l’espèce, d’autre part, les caresses du mamelon déterminent chez la femme, un éréthisme favorable à l’union sexuelle.
Nadeschin prétend même qu’en raison de l’étroite sympathie des seins avec la matrice, leur ablation équivaut presque à une véritable castration, qu’elle diminue l’aptitude à la conception et le plaisir dans le coït ce qui expliquerait pourquoi en Russie la secte des Skoptsy s’appuyant sur certains passages de la Bible préconise et pratique des mutilations, spéciales suivant les sexes, portant sur les testicules, les nymphes, le clitoris, les seins.
En Écosse des sectaires aveuglés par le fanatisme religieux coupaient les fesses et les têtons aux jeunes filles adeptes (Barbaste, de l’Homicide et de l’Anthropophagie).
« Plus on avance vers la civilisation, plus la femme triomphe de la femelle et plus l’amour envahit le champ de la maternité ». Le snobisme actuel n’a-t-il pas créé les Florifères !
Et à bien examiner nos femmes elles le sont presque toutes des Florifères !… intégrales ou mitigées… par un procédé ou un autre… une raison ou une cause quelconque. (Les florifères, Camille Pert). Mais l’instinct sexuel existe toujours, il est là qui veille. En effet, si la femme veut être belle, si elle veut paraître belle surtout, si elle veut par cette réalité de beauté et plus souvent par cette apparence de beauté — et sans négliger en outre d’exciter l’envie des autres femmes — si elle veut, dis-je, plaire à l’homme, c’est qu’elle est « l’être destinée à succomber aux subites convulsions de son sexe ». C’est que « chaque jour elle nous invite à l’acte qui est la destinée même de notre espèce ». (Le feu, D’Annunzio). C’est que « les deux sexes ne viennent dans le monde que parce qu’ils ont un amour à y conduire ou à y trouver ou à s’y procurer ». (Flirt, P. Hervieu). C’est qu’en un mot la femme obéit à un grand instinct, supérieur à tout le vouloir humain, l’instinct de la reproduction qui pousse l’un des sexes dans les bras de l’autre.
Luther a dit : « Une femme à moins d’être douée d’une grâce extraordinairement rare, ne peut pas plus se passer d’un homme qu’elle ne peut se passer de manger, de dormir, de boire et de satisfaire à d’autres nécessités de la matière. Réciproquement un homme ne peut pas davantage se passer d’une femme. La raison en est qu’il est aussi profondément implanté dans la nature de procréer des enfants que de boire et de manger. C’est pourquoi Dieu a donné au corps et renfermé en lui, les membres, les veines, les artères et tous les organes qui doivent servir à ce but. Celui donc qui essaie de lutter contre cela et d’empêcher les choses d’aller comme le veut la nature, que fait-il sinon essayer d’empêcher la nature d’être la nature, le feu de brûler, l’eau de mouiller, l’homme de manger, de boire et de dormir ! »
Kant a résumé ces mêmes idées quand il a dit : « L’homme et la femme ne constituent l’être humain entier et complet que réunis ; un sexe complète l’autre ».
Et Schopenhauer de déclarer : l’instinct sexuel est la plus complète manifestation de la volonté de vivre c’est donc la concentration de toute volonté !
Affirmation que viennent confirmer ces lignes de Mainlœnder : le point essentiel de la vie humaine est dans l’instinct sexuel. Lui seul assure à l’individu la vie qu’il veut avant tout…
Et précédant tous ces philosophes la doctrine de Boudha ne dit-elle pas : « l’instinct sexuel est plus aigu que le croc avec lequel on dompte les éléphants sauvages ; plus ardent que la flamme, il est comme un dard enfoncé dans l’esprit de l’homme. »
La Doctoresse Elisabeth Blackwall dit dans son livre The moral éducation of the young in relation to sex : « L’instinct sexuel existe comme une condition inévitable de la vie et de la fondation de la société. Il est la force prépondérante dans la nature humaine. Il survit à tout ce qui passe ».
Rien n’est changé maintenant : la femme est aujourd’hui pour l’homme avant tout un objet de jouissance ; subordonnée au point de vue économique, il lui faut considérer dans le mariage sa sécurité ; elle dépend donc de l’homme, elle devient une parcelle de sa propriété. Sa situation est rendue plus défavorable encore par ce fait que, en règle générale, le nombre des femmes est supérieur à celui des hommes. Cette disproportion numérique, excite la concurrence rendue plus âpre encore par suite de ce que nombre d’hommes pour toutes sortes de raisons ne se marient pas. C’est ainsi que la femme est obligée, en donnant à son extérieur l’allure la plus avantageuse possible, d’entamer, avec toutes celles de ses congénères du même rang qu’elle la lutte pour l’homme (La Femme, Bebel).
L’amour n’est en effet qu’un piège tendu à l’individu. La nature ne songe qu’au maintien de l’espèce et pour la perpétuer, elle n’a que faire de notre sottise. À ne consulter que la raison quel est l’homme qui voudrait être père et se préparer tant de soucis pour l’avenir ; quelle femme pour une épilepsie de quelques minutes se donnerait une maladie d’une année entière (Chamfort).
J’ajouterai, si ce n’était un piège, qui donc, s’il pouvait réfléchir, oserait passer des préliminaires de l’amour aimables si souvent, au geste final, laid toujours.
« S’il est une fonction sur laquelle pèse le déterminisme lit-on un peu partout, c’est bien la fonction sexuelle. Nous nous croyons libres et nous ne sommes en amour que de véritables esclaves. La nature, la grande sournoise aux aguets nous attend à tous les tournants du chemin ; tel qui fier de sa conquête, l’emporte victorieux dans ses bras, n’est que le misérable jouet des forces naturelles. »
Maurice Maindron, l’auteur de pages si justement réputées abonde en propos subtils sur cette question. C’est ainsi que dans son livre Monsieur de Clerambon le héros du roman répond à l’amoureux Taubadel qui avait entrepris un éloge des dames et des demoiselles : « Les femmes sont ainsi faites qu’elles supportent plus commodément les sévices que la contradiction. Prompte à pardonner les mauvais traitements qui n’intéressent que leur chair, elles ne pardonnent point au contraire les paroles sévères et les reproches mérités. Il semblerait qu’elles soient mues en cela par un sens obscur de la justice et qu’elles pressentent confusément combien peu leur esprit compte en comparaison de leur chair. Péchant toujours par cette chair qui est leur seule raison d’être, elles ne s’étonnent point des inconvénients qui résultent généralement du commerce naturel. Après tout se répètent-elles, nous avons été créées pour ça. Fou qui cherche en nous autre chose. Battez une femme qui s’est laissé aller à quelque faute grave, elle ne vous en gardera rigueur qu’autant qu’il y a eu des témoins. Mais n’essayez pas de la morigéner encore moins de la railler, la bête se cabre. Il me souvient au temps de ma première jeunesse d’avoir écrit une lettre mesurée et courtoise pour reprocher a une dame de m’avoir trompé sans motifs et contre son intérêt. Elle me répondit par ces mots que je n’ai jamais oubliés, tant je les trouve délicieux : « Tu avais le droit de me gifler, mais non de m’adresser une pareille lettre. » Cette femme était logique. Elle prétendait être punie dans sa chair qui avait la seule grande part dans sa faute. »
« Je ne saurais trop insister : rien n’est moins supportable aux femmes que la moquerie, et elles poursuivent les gens d’esprit, j’entends par là, ceux qui ont cet esprit profond des anciens philosophes — d’une haine singulière et vivace. La plupart des heureux moments que les sots obtiennent de passer avec les belles, leur sont accordés pour une raison qu’ils ne soupçonnent guère ; c’est qu’alors qu’une dame se donne ou se prête — pour rester dans le vrai et des idées et des mots — à un homme sans même souvent le connaître, elle n’agit ainsi que dans le secret espoir de mortifier un autre qui, toujours, vaut mieux que celui-là. Tant il est vrai que la femme va volontiers du meilleur au pire, et se complaît à vous donner des leçons utiles à rabaisser notre orgueil. »
« Et ce qu’il y a d’admirable là-dedans, c’est qu’elles procèdent par instinct, comme les bêtes ode la terre et les oiseaux du ciel, sans être en rien capables de débrouiller le chaos confus de leurs pensées. Il ne se passe rien derrière ce mur qu’est leur front poli et cependant chacun a la prétention d’y trouver des choses nouvelles à soi particulièrement destinées. »
Cette universelle loi de l’attraction des sexes qui pousse fatalement l’homme et la femme à se livrer à un perpétuel et incessant combat sur le terrain de la satisfaction des sens, M. Jules Lemaître la reconnaît aussi quand il écrit : « la toilette féminine est essentiellement expressive du sexe ; tandis que la toilette des femmes a pour fin suprême l’attrait du sexe, et ne se soucie point de la commodité ; c’est de la commodité presque, seule que le costume masculin se préoccupe ; il a fini par faire avec le leur un contraste absolu… »
Plus j’approfondis la question, dit un autre auteur, plus je me convainquis que l’homme est un animal d’instinct essentiellement polygamique, animal plus intelligent mais plus vicieux que tout autre, et que la femme n’est rien autre chose que sa femelle née avec des aptitudes polyandriques que la nature s’acharne à développer en dépit des mœurs, de l’éducation et de tous les progrès humains. C’est là de la science exacte et expérimentale à l’appui de laquelle les preuves abondent.
C’est aussi la conclusion à laquelle arrive M. Paul Valentin dans son étude sur l’Évolution de la femme devant la psychologie positive, le cerveau féminin, dit-il, subit en permanence, à un degré dont le cerveau masculin n’approche que dans des circonstances très rares, le contrecoup d’une sexualité normalement omnipotente. De la puberté à la ménopause, en dépit des apparences parfois contraires, la mentalité de la femme obéit, dans une proportion que soupçonnent seuls les médecins spécialistes des névroses, à des tendances émotionnelles, dont l’origine profonde doit être cherchée dans l’expansion ou la dérivation du « besoin d’aimer ». Évident ou méconnu, entravé ou libre, excessif ou modéré, l’instinct, qui pousse les femmes à sacrifier à l’espèce le meilleur de leur vie, neutralise, équilibre, galvanise ou pervertit, suivant les cas, ses manifestations psychiques essentielles. Toute impression qui met en jeu l’instrument de la pensée féminine le trouve « accordé » en quelque sorte à un « diapason » spécial, par le fait même de l’énorme retentissement cérébral de l’activité sexuelle. Si la femme n’atteint pas dans le domaine de la production intellectuelle, ni la même puissance, ni la même hauteur que l’homme, elle reconquiert tous ses avantages sur le terrain de l’instruction instinctive et de la logique passionnelle.
Le rôle prépondérant que jouent chez elle certaines excitations viscérales dans la genèse du travail psychique accentue à merveille le trait fondamental de sa structure physiologique, qui lui commande de sauvegarder avant tout la survivance de l’espèce.
Et il est heureux que l’amour ne soit qu’un piège tendu à l’individu, car si la nature ne disposait pas de ce piège comment maintiendrait-elle la perpétuité de l’espèce. La femme perd en effet le sentiment de la maternité, elle ne fait du reste que suivre les leçons de l’homme qui lui a démontré qu’en amour il n’y avait plus ni cause austère, ni but grandiose. L’homme a dénaturé à son profit l’attrait des sexes, il a faussé, tourné en gaudriole l’acte de reproduction, la femme l’a cru…
Du jour où l’homme s’est montré dédaigneux de la mère, ou il a mis sur un trône la Beauté, la Passion, la bataille entre l’homme et la femme était décidée, imminente ! L’amante, déifiée par les poètes, souveraine par le désir qu’elle inspirait, s’est affolée de la puissance que les sens surexcités de l’homme lui donnaient… elle a abusé de son pouvoir jusqu’à l’instant très moderne très contemporain où l’égoïsme de l’homme s’est redressé et a secoué le joug ! Car, ne vous y trompez pas ! l’homme sacrifie encore à la passion sensuelle, mais elle seule l’asservit, et non plus la prêtresse ! L’homme adore la sensation qui lui vient de la femme mais il marche sur la femme. Elle n’est plus pour lui qu’un instrument de plaisir qu’il regarde avec indifférence, sa folle brève assouvie.
Or, pour arriver à provoquer l’instinct sexuel de l’homme, et obéir ainsi inconsciemment à l’ordre de la nature qui pousse l’être humain à se reproduire, qu’est-ce que la femme a trouvé actuellement de mieux si ce n’est les vêtements, et non pas seulement n’importe quels vêtements, mais encore les vêtements qui le plus mettent en vedette ses qualités physiques quand elle en a, qui le mieux suppléent à ces qualités physiques quand la nature ne lui a pas départi la beauté ou quand la maladie, l’âge, la fatigue, ont fait disparaître les formes saines et fraîches de la jeunesse. Et ces vêtements, la femme s’en enveloppe d’autant plus volontiers que s’ils ont l’inappréciable avantage pour le plus grand nombre de donner à l’homme des illusions que celui-ci ne saurait avoir si la femme lui apparaissait brutalement dévêtue, ils ont pour toutes l’incontestable utilité d’augmenter le désir sensuel, qui excité devant l’inconnu, s’irrite devant seulement un peu de chair devinée, entrevue ou dévêtue. « Le vêtement développe un sentiment qui souvent s’associe à l’amour, la curiosité : il exalte aussi ce désir, la conquête. L’idée d’un obstacle monte le désir au paroxysme ; souvent l’excitation sexuelle tombe en même temps que les vêtements de la femme qui s’offre à nous sans combat » (Joanny Roux).
Dans un article paru dans le Figaro en juillet 1905, Marcel Prévost, écrivait, traitant du krack de la beauté féminine en France : La beauté s’est démocratisée ou plutôt — car les deux mots s’associent mal, l’un signifiant « moyenne » et l’autre « exception », une certaine habileté à parer, à présenter aux yeux les charmes dont les dota une nature, même parcimonieuse, réussit à niveler sensiblement l’attrait des Parisiennes. Les modes, heureusement combinées pour le gentil laideron que nous baptisons à Paris « femme charmante » ou pour les dames qui entrent gaillardement dans leur troisième jeunesse, — ces modes de chiffons, de fanfreluches, de pampilles, où la ligne est constamment rompue pour l’amusement des yeux, — ces modes illusionnistes ne siéent point à la pure beauté. Habillez chez le grand couturier la Vénus de Milo, voire la Joconde, elle aura l’air d’une chienlit. Le mannequin rêvé par tous les artistes de l’aiguille est la femme sans contours, le schéma de femme, sur lequel on peut draper et suspendre indéfiniment des étoffes, des dentelles, des broderies. La beauté de la femme contemporaine est essentiellement une beauté habillée, où le visage même et la chevelure sont œuvres d’art… Un homme qui assurait avoir goûté beaucoup d’heureuses fortunes dans le meilleur monde, et qui en parlait volontiers, me témoigna un jour à quel point il estimait, avec le poète des Stances, que le meilleur moment des amours n’est pas quand on s’est dit : « Je t’aime » — et qu’un autre moment après celui-ci est particulièrement pénible : celui où un galant courtisan doit prouver à une femme du monde, combien il la trouve plus charmante alors qu’elle est, en réalité, débarrassée de ses charmes les plus incontestables. Il ajoutait que les mondaines très intelligentes s’en rendent compte, qu’elles ne dérangent leur toilette qu’à la dernière extrémité, que tout se passe le plus souvent en thé et en porto et que les aptitudes d’un Casanova de Seingalt seraient aujourd’hui sans emploi.
Les vêtements sont en effet pour la femme de vraies armes dans la lutte sexuelle qu’elle soutient, à tel point qu’il « faudrait qu’elle fût insoucieuse des plus élémentaires voluptés pour se dévoiler, pour se désarmer tout entière devant l’ennemi. Ah ! le fade divertissement qu’une femme nue ; c’est comme une charade dont on saurait le mot. »
Mais ces vêtements dont elle se couvre, ces lingeries, ces dentelles dont elle se pare seraient dans l’immense majorité des cas, pour ne pas dire toujours, insuffisants à rendre la femme désirable si celle-ci se contentait de vêtir de falbalas un corps fatigué, déformé, vieilli ; aussi la femme a-t-elle trouvé mieux.
Primitivement destiné à protéger le corps contre les lacets ou les cordons des jupes, primitivement destiné à rendre plus facile et plus léger le port des jupons, le corset a bientôt été détourné de son utilisation première, il est devenu l’arme par excellence que la femme emploie pour tromper sur la réalité de ses formes, comme il est devenu « l’armature » essentielle de la toilette féminine. Ne peut-on dire, avec Henry Fouquier, qu’il est la pierre angulaire de cet édifice, qu’est)a toilette d’une femme élégante d’aujourd’hui ?… Et puisque pour l’homme de nos contrées ce qui l’attire le plus dans la femme c’est en dehors des lèvres au, sourire charmeur, la forme des seins, et la chute des reins, et puisque « pour l’homme fait, le besoin sexuel se traduit avant tout par des représentations visuelles » l’on comprendra comment le corset qui peut par une coupe savante soit modifier le volume de la gorge, soit resserrer des chairs envahies par la graisse, et qui permet, grâce à un laçage sévère entre les côtes et le bassin de rendre fine une taille dont l’exiguïté s’accroît du contraste des masses sus ou sousjacentes — taille que la sottise masculine considère comme une beauté chez la femme — l’on comprendra donc que le corset soit en si grande faveur parmi les femmes que depuis des siècles aucune malédiction des philosophes, aucun conseil des hygiénistes, aucune prescription des médecins n’ait pu les convaincre de se défaire de cet instrument qui devient si facilement entre leurs mains un instrument de supplice, une cause de maladie.
C’est qu’en effet parmi tous les avantages du corps féminin, celui qui passe pour le plus important, c’est la sveltesse de la taille et pour l’obtenir les femmes ont eu recours au corset sous toutes ses formes.
D’Hippocrate à Sömmering, bien des voix autorisées se sont élevées contre l’usage du corset et bien d’autres s’élèveront encore après eux, hélas ! fort inutilement. Les femmes à qui le corset est nécessaire l’ont toujours conservé et le conserveront tant que le monde sera monde.
« Je ne suis pas ennemi du corset, mais ennemi de l’abus qu’on en a fait. Le déconseiller aux femmes mal faites, c’est prêcher dans le désert ; je me suis contenté, non sans succès, de mettre en garde les femmes bien faites contre ses funestes conséquences, lorsqu’il en était temps encore. »
Pour comprendre l’importance que l’on attache au corset, voyons tout d’abord clairement ce que c’est que la taille et quelle est l’idée qu’on s’en fait ordinairement.
La figure 131 nous montre la conformation naturelle de la taille, telle que la présente une jeune Javanaise bien faite qui n’a jamais porté de corset. Bien que le corps ait assez d’embonpoint, la sveltesse de taille ressort bien ; et ce n’est point parce que le milieu du corps est d’une minceur exceptionnelle, mais parce que sa minceur relative contraste avec la largeur des hanches et des épaules.
Nous admettrons donc comme condition naturelle d’une taille élancée, qu’à partir de la région la plus étroite, c’est-à-dire la base inférieure du thorax, le corps s’évase doucement vers le haut et vers le bas ; quant à la dimension absolue du tour de taille, elle est complètement accessoire. Dans la vie ordinaire et notamment parmi les femmes elles-mêmes on en juge autrement. Tout au plus parle-t-on de taille. Une taille de 60 centimètres est belle, une de 50 centimètres est ravissante, etc.
Mais que l’homme ne tente pas les dieux ; que jamais, jamais, il ne désire contempler ce que dans leur clémence ils enveloppent.
Et maintenant faisons abstraction, si vous le voulez bien, des troubles internes graves que peut produire le corset serré et posons la question suivante : atteint-on, en sacrifiant ainsi sa santé et bien des agréments de la vie, atteint-on oui ou non le véritable but qu’on s’était proposé, l’embellissement du corps ? Nous répondrons : en apparence oui, en réalité, non.
La fine taille ainsi obtenue peut en imposer au vulgaire, mais l’observateur expérimenté, choqué de la disproportion entre cette taille mince et les autres parties du corps reconnaîtra presque toujours les défauts sous les vêtements qui l’es dissimulent.
Sur un corps nu, la déformation saute aux yeux. Sur un corps non déformé par le corset, les contours du thorax ont pour prolongement naturel les lignes de l’abdomen, dont la légère convexité est déterminée par la saillie des muscles, notamment à droite et à gauche de la ligne médiane, au dessus du nombril, qui est particulièrement riche en tissu adipeux.
La compression par le corset a pour premier résultat un sillon transversal au-dessus du nombril, sillon qui forme une division trop nette et peu naturelle du tronc en deux parties ; les parties molles de l’abdomen situées au-dessous de cette ligne sont refoulées vers le bas et en avant ; le ventre devient lui aussi de plus en plus saillant. Comme la convexité du thorax diminue, les seins retombent toujours davantage. La forte compression des muscles du ventre, particulièrement de ceux qui vont du pubis au sternum, détruit le relief de l’abdomen et en même temps son principal soutien, si bien, que le ventre devient flasque et pendant.
Un pareil corps est déformé pour toujours par la première grossesse, par le plus léger embonpoint : le ventre et les seins grossissent, deviennent toujours plus flasques et plus pendants, à la place de la taille il ne reste plus qu’un sillon transversal plissé, ridé, seul le corset est encore capable de donner pendant quelque temps l’illusion des formes qu’il a lui-même détruites[1]. Et quand vient l’heure du déshabillage, que ce soit le retour à la maison après la journée d’affaires, que ce soit la rentrée après les heures de plaisir, avec quelle satisfaction non dissimulée la femme enlève son corset. Elle vous jurera qu’elle ne se serre pas malgré que sur sa peau une large bande, brunie et excoriée plus ou moins, atteste la constriction du corset. Elle vous dira que sans corset elle serait fatiguée des reins et parce qu’elle a pris à un tel point l’habitude du corset serré qu’elle ne peut plus se passer de ce soutien, elle conclut, avec une admirable absence de logique, que cette habitude, parce que ancienne, est bonne. Que ne répond-elle plus spirituellement comme une de nos exquises artistes parisiennes : « Je dois au corset une joie quotidienne, car l’ennui de le mettre tous les matins, n’est pas comparable, selon moi, au plaisir de l’ôter tous les soirs. »
Ou bien que ne reconnaît-elle franchement les services qu’elle demande au corset, comme le faisait naguère une divette pleine d’esprit : « Toutes les femmes grosses ou minces avouent difficilement les services rendus par le corset. Comme si toutes pouvaient s’en passer, sans être disgracieuses ! Eh bien, moi j’avoue que depuis que j’engraisse un peu, je m’en sers très rarement, mais quand je n’avais rien, absolument rien pour bomber mes corsages, mon corset avait deux fameux petits goussets pleins de coton réparateur ; et ma foi, je leur garde une petite reconnaissance aux corsets… » Nulle doute que cette même divette qui maintenant a engraissé beaucoup, n’avoue, si elle restait, sincère que son corset la « maintient » expression consacrée — une femme n’est jamais serrée, elle est maintenue — car grâce à lui la femme peut paraître avoir « des lignes encore très agréables, alors qu’elle a perdu la correction de ces lignes ».
L’importance du rôle du corset dans la toilette féminine est donc capitale. Sans corset « lui faisant une jolie taille » pas de robe qui « habille bien » sans vêtement qui la pare et la répare, nul moyen pour la femme d’attirer le regard et d’attiser le désir.
Que si quelqu’un n’était point convaincu de ces vérités, je lui citerai une vieille loi anglaise promulguée sous Charles, II ; loi dont le texte, chose peu banale, n’a jamais été abrogé.
Cette loi édictait « que les femmes de tout âge, de tout rang, de tout métier ou grade qui par le port du corset, trompent les sujets masculins de Sa Majesté et les induisent par ce moyen en mariage soient atteintes par les peines applicables à la sorcellerie, à la magie noire et autres crimes de ce genre, en vertu des lois existantes, et que leur mariage soit déclaré nul par suite de la condamnation. »
Comme on le voit, le Dr Maréchal qui a rédigé contre le corset, un texte de loi que j’ai reproduit, a été un peu devancé dans ses idées de proscription. L’impuissance de la loi que je viens de citer consolera mon confrère de l’échec, de ses projets, car que vient faire l’hygiène et la médecine là où il n’est point question de santé ? Qu’importe à la femme sa santé ; ce qui l’intéresse, c’est plaire, plaire beaucoup, plaire longtemps. Hygiénistes et médecins perdent leur temps à proscrire le corset, l’homme seul en tant que mari ou amant pourra remédier à cet état de choses, je dirai plus loin comment, et encore n’est-ce là qu’une simple hypothèse de ma part, hypothèse dont je ne vois pas la réalisation dans un avenir prochain.
De tout ce qui précède, il m’apparaît bien résulter que je puis poser et résoudre ces deux questions — toutes conditions de costumes et de mœurs égales d’ailleurs — : la femme doit-elle porter un corset ? non. La femme portera-t-elle un corset ? oui.
J’ai, je crois, expliqué suffisamment ce paradoxe apparent seulement, car si les deux questions, semblent découler l’une de l’autre, les deux réponses résultent de considérations toutes différentes. J’ai tenu cependant à résumer tout le problème sous cette forme car elle m’apparaît devoir mieux frapper l’esprit du lecteur.
En résumé, le costume agit sur celui qui le porte et c’est pourquoi la tradition clairvoyante a établi un habit spécial à chaque sexe, à chaque âge, à chaque profession. Le costume développe et renforce les idées que sa forme suggère et parfois impose. Aussi n’est-ce pas sans logique que les féministes avisées et hardies ont souvent protesté contre la tyrannie de leurs vêtements et surtout contre celle des armatures si gracieuses qui les doublent et les soutiennent.
Je ris, en dedans de moi, comme psychologue, de l’effet des condamnations que, comme médecin, je porte sur le corset ; car je sais bien que c’est là une arme très précieuse dans la lutte sexuelle et que les combattants ne déposeront pas naïvement pour de simples motifs d’hygiène (Dr Toulouse, le Journal, 6 octobre 1905).
Et c’est pourquoi J.-J. Rousseau commettait vis-à-vis des femmes une impertinente erreur, quand, parlant incidemment du corset, il s’exprimait ainsi : « Je n’ose presser les raisons sur lesquelles les femmes s’obstinent à s’encuirasser ainsi : un sein qui tombe, un ventre qui grossit, cela déplaît fort, j’en conviens dans une personne de vingt ans, mais cela ne choque plus à trente, etc. »
Et c’est pourquoi ne pouvant faire disparaître le corset, le médecin doit s’efforcer de faire disparaître ses dangers dans la plus grande mesure possible.
Donc je ne perdrai pas mon temps en d’inutiles anathèmes contre le corset, je vais m’efforcer de trouver avec cet ennemi de la santé de bien des femmes un modus vivendi qui satisfasse le monde médical sans mécontenter le public féminin. La tâche est délicate, aussi ai-je droit à quelque indulgence si je ne la remplis pas au gré de tous.
Je vais d’abord examiner quel corset la femme doit porter puis j’étudierai comment elle doit lacer son corset.
- ↑ Je regrette de n’avoir pu obtenir l’autorisation de reproduire certaines figures de la publication : L’Étude Académique, données comme types de modèles bien conformés. Le lecteur aurait pu se rendre compte mieux encore des déformations produites par le corset en considérant les modèles dont les photographies illustrent les pages 248 et 249 (année 1905).