Le Corset (1905)/05

La bibliothèque libre.
A. Maloine (p. 40-47).

CHAPITRE V[modifier]

« C'est à la fin du XVe siècle — au commencement du xvie — que la Basquine ou Vasquine fait son apparition, suivie bientôt vers 1530 de la Vertugale, Vertugade ou Vertugadin qui nous venait d'Espagne.

Dans les Emblemata, J. de Brunes, Amsterdam 1636 in-4o, l'on trouve une série de vignettes des plus intéressantes, parce qu'elles offrent, prises sur le vif par des contemporains, la représentation des faits de la vie intime. La vignette emblématique que nous reproduisons ici représente : « Une dame qui ne dort pas, tourmentée par une jalousie dont les personnes les plus honnêtes ne sont pas toujours exemptes... Cet intérieur n'est pas luxueux, mais que de choses on y voit ! Le lit d'abord... La dame est enveloppée d'une très ample chemise de nuit sans
Fig. 32. — Le Vertugadin
manches... au mur est le miroir de Venise ; à côté, la grande brosse rectangulaire, servant aux parquets ; sur le bahut... la collerette empesée... sur la 'Chaise basse à portée de la main est un vase dont l'usage est assez indiqué par sa forme... ; à terre, on voit les pianelles vénitiennes, puis les bas épais qui se nouent à mi-jambes ; et enfin le vertugadin composé de cerceaux liés ensemble et se terminant par une agrafe. Ces vertugadins portaient encore les noms de « gard'en-fants (protecteurs d'enfants), ou encore cache-bâtards et par ironie vertu-gardiens si favorables aux filles qui s'étaient laissé gâter la taille. »

La basquine, désignée aussi dans quelques écrits sous le nom de buste, était un corset de fil ou de forte toile garni sur le devant d'un buse de bois ou de métal ; c'était un ache-minement vers l'invention des corps piqués. Quant au ver-

Fig. 33. — Diane de Poitiers (1499-1566).

tugadin, c'était un bourrelet que les femmes plaçaient au-dessous de la taille pour soutenir la jupe st faire « baller » la robe ; il se transforma dans la suite en panier et en crinoline. »

Rabelais, décrivant l'habillement des dames de la cour de François Ier (Gargantua, liv. 1er, LVI), dit : Au-dessus de la chemise elles vestoient la belle vasquine de quelque beau camelot de soye ; sus icelle vestoient la verdugale de taffetas blanc, rouge, tanné, gris, etc... D'après Racinet, le caractère saillant du costume féminin en France pendant la plus grande partie du XVIe siècle s'accuse nettement dans ces deux exemples: pour avoir une fine Iailie on comprime le buste et pour faire ressortir la sveltesse, le costume féminin se trouve composé de deux évase-ments contraires, issus de la ceinture. Du haut de l'espèce d'entonnoir supérieur,taillé devant en carré à l'italienne plus ou moins bas, on voit se dégager le haut de la poitrine, le col nu, la. tête coiffée bas; à partir des hanches la robe est

Fig. 34. —- Marguerite de France, duchesse de Savoie (1523-1574) Troisième et dernière fille de François Ier.
une cloche allant en s'élargissant jusqu'à terre, on n'en est pas encore au corset à armature baleiné à éclanches de bois ou de métal qui devait faire tant de meurtrissures et projeter en avant et si bas la pointe du corsage comme on le voit sous Henri III, on n'en était encore qu'à la vasquine ou bas-quineje corset ou petit pourpoint sans manches fait de toile forte serrant le buste de manière à l'amincir graduellement jusqu'à la taille. La vertugale, la vertugade ou vertugadin, qui était l'autre vêtement de dessous donnant la configuration de la contre-partie inférieure ne comportait pas non plus à son origine le bourrelet des fausses hanches qui lui fut adjoint et fut de si singulier aspect. Le vertugadin primitif était un jupon de gros canevas empesé que les dames riches faisaient recouvrir de taffetas ; on l'attachait aux basques de labasquine, et il ne grossissait pas les hanches
Fig. 35. — Epousée de Venise vers 1550.

ou du moins fort peu... La cotte qui se mettait par dessus cet appareil était en quelque sorte tendue et ne devait faire aucun pli, on n'en voyait plus d'ailleurs que la, jupe apparaissant par l'ouverture des pans qui s'écartaient de la robe de dessus, l'ancienne surcotte et les manches entières, ou recouvertes en partie par les manches étoffées de la surcotte.

On attribue à Eléonore de Castille l'introduction en France du vertugadin et aussi de l'adjonction aux pièces de la. contenance du petit miroir qui en fit dès lors partie et auquel personne n'avait encore songé.

Les femmes étaient tellement guindées dans ces basquines, et l’aspect de la vertugale était tellement bizarre et ridicule, que bon nombre de poètes exercèrent leur verve contre la nouvelle mode.

Dans une satire intitulée : Blason des basquines et vertugales, avec la remontrance qu’ont faict quelques dames quand on leur a montré qu’il n’en fallait plus porter, l’auteur écrit :

…Ô la gente mutine !
Qu’elle a une belle basquine !
............
Que vous servent ces vertugalles
Sinon engendrer des scandalles ?
Quel bien apportent vos basquines
Fors de lubricité les signes ?
............
Laissez ces vilaines basquines
Qui vous font laides comme quines (singes)
Vestez-vous comme prudes femmes
Sans plus porter ces buscqs infâmes.

« Des prédicateurs même protestèrent dans leurs sermons contre les exagérations de la mode. L’un d’eux parlant de ces « bricoles infâmes » dit en chaire, s’adressant à la reine et à la cour : « les femmes qui les revêtent portent le diable en croupe. » Charles IX combattit violemment la basquine, il essaya même de la supprimer par des ordonnances, mais ne put y parvenir. Basquines et vertugales eurent cependant leurs défenseurs, témoins ces vers d’une chanson de l’époque :

La vertugalle nous aurons,
Malgré eulx et leur faulse envie,
Et le busqué au sein nous porterons,
N’esse-ce pas usance jolye ?

Avec la basquine fut introduit en France le busc déjà connu depuis la plus haute antiquité, puisque, un poète comique du IVe siècle avant notre ère, Alexis d’Athènes, oncle de Ménandre, en parle comme il suit dans un des rares fragments de ses ouvrages qui nous soient parvenus : « Les courtisanes prennent à leur charge des jeunes filles qui connaissent à peine les éléments du métier et déguisent aussitôt leurs formes au point de les rendre méconnaissables. Une jeune fille est-elle petite, sa stature est aussitôt exhaussée au moyen d’une semelle de liège. Est-elle trop grande, elle porte des sandales minces et marche la tête inclinée sur une épaule…

A-t-elle peu de hanches, on lui en met des fausses qui la font passer aux yeux de tous pour callipyge. Son ventre est-il trop gros, au sein postiche, qu’elle se met, comme les acteurs de la comédie, on adapte des supports droits qui le resserrent et le repoussent en arrière. A-t-elle les sourcils roux, on les lui teint avec du noir de fumée, etc… »

Les homimes portaient aussi des buses dans quelques cir constances. Aristophane, dans une scène de sa comédie Les Oiseaux, fait allusion par l’épithète de « l’homme au tilleul », d’après l’explication du grammairien Athénée, à une planchette en bois de tilleul que Cinésias, poète dithyrambique d’Athènes, très grand et très mince, mettait sous sa ceinture pour se soutenir le tronc et l’empêcher de se
Fig. 36. — Dame du XVIe siècle portant au devant de son corsage un buse apparent.
fléchir en avant. L’Empereur Antonin courbé par l’âge et par sa haute stature, avait recours à ce même moyen, au rapport de son biographe Capitolinus : « Cum esset longus et senex, incurvareturque, tiliaceis tabulis in pectore positis fasciabitur, ut reclus incederet. »

Les buses, on le voit, ne sont pas d’invention moderne, ils ont seulement subi, suivant les époques, des modifications dans leur forme, dans leur fabrication, dans leur ornementation. Dans son Dialogue du nouveau langage italianisé, Henri Estienne nous apprend que les dames appellent leur buse un os de baleine (ou autre chose à faute de ceci) qu'elles mettent par dessus leur poitrine au beau milieu pour se tenir plus droites.

Fig. 37. — Marie de Médicis.

Le buse des basquines était une lame de buis, d'ivoire, de nacre, d'acier, de laiton, d'argent. On décorait cet objet en vue, il était gravé, damasquiné, ciselé, sculpté même et quelquefois fort en relief .La collection Jubinal en offre des exemples variés ; les uns sont en marquetterie, d'autres sont chargés d'ornements et de figurines sculptés dans le bois. Celui-ci de bois incrusté d'ornements et d'arabesques d'ivoire est une gaine qui renferme un poignard, et ce n'est pas le seul de ce genre ; un autre qui est en fer est aussi le fourreau d'un poignard dont la lame au talon est décorée en forme de cœur. Les uns sont de fabrication allemande, les autres de main italienne, comme l’est par exemple un buse plat en fer finement gravé d'ornements et de figurines où se lit cependant une inscription française : Ai de madame cette grâce — D'estre sur son sein longuement, — D'où j'ouis soupirer un amant. — Qui voudrait bien tenir ma place.

Le buse qu'on faisait deviser en vers fut longtemps du goût des dames même quand il ne se voyait plus ; l'inscription gravée sur un buse de baleine ayant appartenu à Anne d'Autriche et qui fait partie de la même collection se termine comme celle que nous venons de citer, elle commence : «  ... Ma place ordinaire... est sur le cœur de ma maîtresse... » (Racinet).

Ces détails sur le buse, qui ne sauraient paraître une digression font réellement partie de l'historique du corset et cela d'autant plus que l'apparition du buse marque au milieu du XVIe siècle la transition entre l'époque des basquines et celle des corps à baleines qui vont constituer un nouvel et très sensible acheminement vers le corset actuel.