Le Corset (1905)/12

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A. Maloine (p. 190-201).

CHAPITRE XII


Les quelques lignes qui précèdent consacrées au vêtement féminin chez les peuples hors de l’Europe prouvent que si les rudiments du corset se retrouvent dans l’histoire de tous les temps, ils se retrouvent aussi dans l’histoire de tous les pays.

Quoi donc d’étonnant à ce que le corset, aussi universellement connu, ait été porté par les hommes ? Ceux-ci n’ont-ils pas eu à faire valoir parfois pour adopter ce vêtement les mêmes raisons, bonnes ou mauvaises, sérieuses ou frivoles, par lesquelles les femmes expliquent l’usage du corset et dont elles se servent pour proclamer la nécessité de cette partie de leur habillement ?

Dans les jeux olympiques, les Grecs se ceignaient les reins du soster et les Romains du cingulum. Chez ces mêmes anciens « les corsets destinés aux torses masculins étaient des cuirasses formées de lames de bois de tilleul qui soutenaient le tronc comme en portait le Cinésias, l’homme au tilleul, raillé par Aristophane dans sa comédie des Oiseaux ou qui dissimulaient la voussure de la vieillesse à l’exemple d’Antonin le Pieux, lequel, au dire de Capitolin, se garnissait la poitrine de petites planchettes de bois léger afin de marcher droit. »

En France, les corsages étroits ajustés à la taille apparaissent vers le milieu du XIVe siècle, sous le roi Jean. Ces vêtements étaient lacés sur les côtés ou en arrière et quelquefois munis d’agrafes en avant. Les gipons ou justaucorps, étaient rembourrés de crin et faisaient saillir la poitrine des seigneurs avec excès ; on prétend, dit Roger Miles, que cette coutume fut amenée par l’usage des cuirasses bombées. À la Renaissance, on ajoute un busc en haut du pourpoint qui prend le nom de corsetus et les deux sexes s’en couvrent la poitrine. Sous François II, en vertu de la mobilité de la mode et de la loi des contrastes qui la régit, ce buste descend et dessine la panse de Polichinelle, digne pendant des grotesques vertugadins. De là, les plaintes de Montaigne : « Quand nostre peuple portoit le buse de son pourpoint entre les mamelles, il maintenait par vifves raisons qu’il estoit en son vray lieu ; quelques années après le voyla avallé jusques entre les cuisses, il se mocque de son austre usage, le trouve inepte et insupportable. »

En 1488, les élégants portaient des écrevisses de velours c’est-à-dire des corselets en lames d’acier recouvertes de velours pour faire fine taille.

Bientôt le satirique Agrippa d’Aubigné, maltraitera Henri III, en ces vers indignés :

Son menton pinceté,
Son visage de blanc et de rouge empasté, -
Son chef tout empoudré, nous firent voir l’idée,
En la place d’un roy,. d’une p… fardée.
Pensez quel beau spectacle, et comme il fit bien voir
Ce prince avec un buse, un corps de satin noir
Couppé à l’espaignolle, où des déchiquetures
Sortaient des parrements et des blanches tissures.

Fig. 176. — La rage de la mode.

Avec Henri IV, la bosse d’estomac des mignons disparaît et les pourpoints s’affranchissent de leurs buses ; les hommes abandonnent la rigidité du corsage à la gent caractérisée par « les cheveux longs et les idées courtes. » Le fils de Louis XIV portait un corps baleiné « pour lui tenir la taille ferme » et ajoute son valet de chambre Dubois, pour le protéger contre les coups de son brutal gouverneur, M. de Montausier (Dr Cabanes, Les Indiscrétions de l’Histoire.)

Au XVIIIe siècle, les jeunes garçons portaient des corps spéciaux qui étaient des intermédiaires entre les brassières de l’enfant et les longs gilets de l’adulte. L’Encyclopédie de Diderot donne la coupe d’un corps de garçon à sa première culotte.

En Angleterre, les hommes prirent également l’habitude de porter des corsets et une caricature du siècle dernier montre que les corsets à l’anglaise comme toutes les autres modes, cherchèrent à s’implanter en France. Cette estampe a pour légende : « La Rage de la mode ! ou milord Tripp chez un fabricant de corsets »; elle est accompagnée de ce dialogue :

Milord. — Goddem ! je crois que le corset il être trop équitable.

Le Fabricant. — Milord, vous crèverez, où je vous rendrai aussi plat que vos petits-maîtres.

Vers 1840, l'habit ou la redingote à taille pincée rendait obligatoire le port d'un corset. Aussi à la reprise de la Dame aux Camélias qui se fit en 1896 à la Renaissance avec la reconstitution des costumes de l'époque, les artistes masculins furent-ils astreints à porter des corsets pour rester dans le style pur de cette date. Le fabricant de ces corsets, M. Châne, écrivait alors à M. Pighini : J'ai l'honneur de vous informer que tous les corsets qui m'ont été commandés pour le théâtre de la Renaissance sont prêts. Les artistes ont été avisés de venir les essayer de suite. Quelques-uns de ces messieurs sont venus et sont partis avec leur corset qu'ils feront bien de porter dès maintenant pour se former la taille. En portant leurs corsets dès à présent, ils auront le Temps de s'y habituer et 'd'apprendre à les agrafer et dégrafer aisément, et les ventripotents s'aminciront la taille, le ventre et le torse en général. Ils feraient même bien de porter régulièrement leur corset pour que leur torse soit ramené aux proportions de l'esthétique.

La plupart des comédiens suivirent ce conseil et portèrent à la ville le corset obligé ce qui aurait stupéfié bien des dames, si elles s'étaient avisées de leur prendre la taille. (Dr Witkowski).

Fig. 177. Corset anatomique pour homme de A. Claverie.
Fig. 178. Péri-Ceinture du docteur Objoit.

« Nombre d'officiers d'infanterie et surtout de cavalerie, ont porté et portent encore le corset sous leur tunique impeccable. Le théâtre, si justement appelé le miroir des mœurs, plaisante ce travers dans les Enfants de troupe, comédie de Bayard et Bieville, représentée au Gymnase en 1840 ; on y voit, au lever du rideau, la maîtresse couturière Lodoïska lacer en cachette le capitaine Sevelas qui, comme une vieille coquette, ne se trouve jamais assez serré. De nos jours encore, sportmen, officiers, vieux-beaux, portent des corsets que les fabricants désignent plus souvent sous le nom de ceinture ; telle la ceinture olympique, la ceinture-corset, la ceinture de sport, la ceinture-maintien, etc. Les buses et les baleines y sont remplacés par des tiges d'acier flexible, et le plus souvent, au lieu de lacets, il y a des sangles élastiques ou des boutons à pression. Ces ceintures sont faites en coutil, en soie, en tissu élastique, en peaux de daim, en peau de chien ou de coyotte du Mexique. »

Dans quelques cas, les ceintures-corsets pour hommes sont appliquées directement sur la peau, dans le but, quelquefois atteint, de produire par une compression progressive et par la sudation locale, une diminution de l'embonpoint abdominal.

« Terminons en rappelant avec le malicieux Cri de Paris, un incident comique qui eut lieu au cours du professeur Ranke, le physiologue bien connu de l'Université de Munich. Le professeur en expliquant la différence du tour de taille chez l'homme et chez le singe, se permit une inoffensive plaisanterie sur l'habitude qu'ont les dames et les officiers allemands de s'arranger de fines tailles. Or, parmi les auditeurs, se trouvait le prince George, fils de Léopold de Bavière, jeune homme de vingt ans et officier à la suite d'un régiment d'infanterie. Cet adolescent prit mal l'allusion et le professeur, un peu ahuri, dut déclarer publiquement « qu'il n'avait pas eu l'intention d'offenser les officiers allemands portant corset. »

Ainsi donc en tous lieux, en tous temps, par la femme aussi bien que par l'homme, le corset ou le vêtement qui en tient lieu a été utilisé dans un but de coquetterie, mais ce corset dont je viens d'examiner les aspects si variés n'a pas toujours été simplement une parure et bien des fois on a construit spécialement le corset dans un but de thérapeutique orthopédique. C'est ainsi qu'un célèbre poète anglais Pope, était tellement faible de corps, qu'un corset lui était chaque jour appliqué par son domestique pour le soutenir.

Comme le corset ordinaire, je dois donc étudier le corset orthopédique, c'est-à-dire en écrire d'abord l'histoire.

Toutefois, je le ferai brièvement d'autant que l'histoire du corset orthopédique à ses débuts se confond avec l'histoire du corset employé, comme vêtement. Le corset orthopédique a, en effet, existé de tout temps, il suffit de lire les auteurs grecs et latins, pour trouver en abondance les passages où les auteurs parlent du corset employé pour corriger un vice de conformation du thorax, des épaules,

Fig. 179. — Machine de Levacher.

du dos. Déjà j'ai, en écrivant l'histoire du corset à la première période, rapporté nombre de citations qui justifient cette assertion et je m'exposerais à des redites en multipliant les textes. En outre, j'ai reproduit, en écrivant l'histoire du corset au XVIe siècle, plusieurs types de corsets en fer qu'il y a tout lieu de considérer comme des appareils d'orthopédie.

Au XVIIIe siècle, le corps baleiné lui-même fut employé indirectement comme corset orthopédique, il jouait le rôle de support, c'est ainsi qu'il se trouve utilisé dans la machine de Levacher de la Feutrie (1772).

La machine de Levacher se compose d'un corset baleiné et ne diffère des corsets ordinaires qu'en ce qu'il est fait pour être lacé par-devant et qu'il a deux coquilles embrassant les hanches le plus exactement possible. Ce à quoi l'on devait faire attention dans la façon de ce corset, c'était à la coupe des épaulettes et aux coquilles. Il faut que les épaulettes repoussent faiblement les épaules en arrière, en les soulevant en même temps un tant soit peu sous les aisselles. Il faut que les coquilles embrassent les hanches bien exactement d'arrière en avant, de sorte que le corps étant pressé de haut en bas, il appuie principalement sur la partie supérieure des fesses par une large surface et non pas seulement sur la crête des îles. La deuxième partie de cette machine se compose de la tige ou arbre suspenseur en acier battu à froid en forme de faucille dont la courbure laisse dans tout son trajet entre elle et la tête un vide au moins de deux doigts. Sur le bord supérieur, on voit quelques crans distants de deux lignes. L'extension et la contrei-extension se produisent par la crémaillère disposée à la partie lombaire et le point d'appui disposé à la partie supérieure de l'arbre suspenseur.

De tous les biens que cette machine peut procurer, le plus précieux est incontestablement celui d'ôter le poids de la tête et de toutes les autres parties du corps qui y sont attachées, d'empêcher par conséquent leur action sur la colonne de l'épine.

Déjà, en 1762, Roux avait imaginé un appareil analogue pour maintenir la tête et le buste droits, ainsi que Heister, anatomiste et chirurgien, mort en 1758.

Dionis a très bien exprimé ce qu'on doit attendre du corset orthopédique et que ce corset doit être spécial à chaque cas en écrivant : il ne faut pas qu'un chirurgien, ayant à soigner un enfant qui aura de la disposition à être bossu, promette plus qu'il ne peut accomplir comme font des couturières, des tailleurs et des fabricants de corps de fer qui, pour tirer de l'argent, assurent de donner une taille aussi belle que si on n'avait jamais été contrefait. On ne saurait pas prescrire positivement et en particulier ce qu'il faut faire à la gibbosité. Si l'épine se jette en dehors, on couchera l'enfant sur un matelas un peu dur, l'y tenant sur le dos et sans chevet afin que la tête et l'épine soient au même niveau. Si elle se porte à droite ou à gauche il faut, par le moyen de petits corsets faits exprès, comprimer l'endroit qui pousse. L'usage des croix de fer attachées à l'épine, aux épaules et au col, est excellent pour tenir ces parties égales les unes aux autres. C'est au chirurgien industrieux à inventer des machines capables de combattre la difformité et de la corriger autant qu'il se peut, prenant garde surtout de ne point presser les parties contenues dans la poitrine, lesquelles ne peuvent avoir trop de liberté dans leurs mouvements si nécessaires à la vie.

Dans un savant mémoire présenté à l'Académie des sciences, Portai (1797) a aussi parlé des corsets orthopédiques émettant sur ceux-ci une théorie qui a rencontré de nos jours plus d'un contradicteur, comme je le montrerai en étudiant l'influence du corset sur le rachis. Portal écrivait en effet : Les personnes qui n'ont point fait usage de corps doivent y recourir si elles ont de la faiblesse dans les muscles du dos ou que, par quelque autre cause, leur épine se courbe trop vite ; c'est le seul moyen de prévenir un plus grand dérangement de la taille. Pour un renversement de l'épine sur le côté, j'ai employé avec succès, une seule machine d'acier fort légère et qui soutient l'épine et les épaules.

Fig. 180.
Fig. 181.

Appareil orthopédique de Portal.

Marcartney, au contraire, soutenait, dès 1826, une théorie qui ne peut qu'être agréée par les mécanothérapeutes contemporains : si la personne, dit-il, est jeune et si la courbure n'existe que depuis peu de temps, quelque grande que soit la difformité, on ne doit pas désespérer d'un rétablissement parfait. Tant que le corps grandit, toutes ses parties ont une forte tendance à reprendre leur forme et leur emploi déterminé quand les circonstances sont favorables et que les mouvements du système vasculaire annoncent de la vigueur et de la santé.

Les corsets orthopédiques, au commencement du XIXe siècle, étaient construits selon deux principes différents qui permettent de ranger ces appareils en deux groupes distincts. Dans un premier groupe, l'instrument était calculé dans l'intention de soutenir une partie du poids du tronc, de la tête et des membres pectoraux et de le transmettre direc-

Fig. 182. — Corset de Portal vu de dos.

tement au bassin sans la médiation de l'épine, d'appliquer au besoin une impulsion ascendante à la partie supérieure de l'épine par la médiation des côtés ; de n'employer ja-

Fig. 183. — Corset suspenseur de Delpech (1828).

mais que des puissances élastiques et des forces progressives dans le but proposé. C'était le principe du corset sus-penseur de Delpech (1828). Dans le second groupe, il faut ranger le corset de Hossard dont « le principe fondamental fort simple repose sur l'appréciation des lois d'équilibre qui régissent la station dans l'espèce humaine. Au lieu d'agir sur l'épine comme sur un corps inerte à la manière de diverses machines à extension, soit en exerçant des tractions en sens opposé à ses deux extrémités, soit en pressant plus ou moins fortement sur les parties saillantes et au centre des courbures. Au lieu d'opérer comme elles le redressement par des moyens purement mécaniques pris en dehors du sujet et nécessairement aveugles et non continus, la ceinture opère le redressement de la taille en provoquant l'intervention des puissances musculaires dont les effets sont réglés par l'instinct ou la volonté de la personne elle-même, qui ne peut dès lors être exposée aux violences qu'on doit redouter de la part de toute machine à vis, à poids, à treuil ou a ressort. »

Fig. 184. — Appareil de Hossard.

« L'appareil de Hossard se compose principalement d'une large ceinture embrassant circulairement le bassin (sans le comprimer) d'un buse ou levier qui s'y adapte à la partie postérieure d'un sous-cuisse et d'une large courroie qui, bouclée en avant de la ceinture, remonte obliquement en passant sur la partie, la plus saillante des côtes vis-à-vis le centre de la courbure dorsale vient se fixer solidement. au levier qui doit être plus ou moins incliné suivant la nature de la déviation. Cette courroie est disposée de telle manière qu'elle ne peut être fixée ainsi qu'autant que la personne se sera préalablement inclinée du côté opposé ; or, dans cette position qui entraînerait nécessairement la chute, un mouvement en sens contraire devient indispensable pour ramener l'équilibre. Par ce mouvement que

Fig. 185. — Corset orthopédique de Chemin
Fig. 186. — Un corset orthopédique pour le redressement de la scoliose construit par Lacroix en collaboration avec Le Fort.

peut seule exécuter alors la partie de la colonne qui est située au-dessus de la courroie, la moitié supérieure de l'arc que représente l'épine déviée se trouve ramenée dans l'axe vertical. Les parties déviées étant placées pendant tout le cours du traitement dans des conditions toutes différentes de celles qui avaient fait naître la difformité, on comprend qu'en les maintenant, dans ces conditions pendant le temps voulu et d'une manière continue la consolidation aura d'autant plus de facilité à s'opérer, que d'une part l'état général pourra être amélioré par des soins hygiéniques et médicaux convenables et que de l'autre c'est pendant la station, c'est-à-dire dans la position que gardera habituellement la personne après le traitement, que le travail de consolidation s'opérera. » Tout ceci n'est point absolu et je crois que s'il faut accepter de faire jouer dans les déviations de la colonne vertébrale un rôle au système osseux ainsi qu'au système musculaire, il faut aussi accepter l'alliance dans la cons-

Fig. 187. — Corset pour scoliose au 3e degré par Raynal.

truction des corsets orthopédiques des moyens de soutien et des procédés qui favorisent la mise en jeu de muscles capables de combattre la difformité. Ce qui est acquis et cela tombe sous le sens, c'est l'obligation de ne pas faire un corset orthopédique à la légère ; c'est l'obligation de fabriquer chaque corset pour chaque cas spécial et de plus, au cours du traitement d'un même cas, il faut, ou modifier le corset ou en fabriquer un nouveau, suivant les résultats obtenus.

Ceci explique pourquoi l'on ne peut suivre l'histoire du corset orthopédique pas à pas comme je l'ai fait pour le corset ordinaire ; le second, bien que devant toujours, lui aussi, être fait sur mesure, se rapporte à une généralité d'individus, le premier, au contraire, ne se fabrique que pour des unités exceptionnelles.

Ne pouvant donc faire défiler sous les yeux du lecteur tous les modèles de corsets orthopédiques construits, je me contenterai d'en reproduire quelques types, œuvres de Chemin, Lacroix, Raynal, spécialistes réputés.

Je citerai pour mémoire le corset plâtré de Sayre, qui est une cuirasse obtenue avec des bandes de tarlatane frottées de plâtre sec que l’on immerge dans l'eau tiède avant de les employer et les corsets de bois décrits par les

Fig. 188. — Corset de bois.

docteurs Beck de Berne et Beely de Berlin, dans l'Illustrite Monatsschrift der Arztlichen Polytechnick et par mon confrère et ami le Dr Bilhaut, dans les Annales d'Orthopédie et de Chirurgie pratiques, corsets qui sont composés de toile et de bandes de bois de placage de sycomore ou de noyer, disposées sous trois épaisseurs.