Le Crépuscule des Idoles/Comment le « monde-vérité » devint enfin une fable
Le Crépuscule des Idoles, Le Cas Wagner,
Nietzsche contre Wagner, L’Antéchrist, Mercure de France, , Œuvres complètes de Frédéric Nietzsche, vol. 12 (p. 133-135).
COMMENT LE « MONDE-VÉRITÉ »
DEVINT ENFIN UNE FABLE
Histoire d’une erreur.
Le « monde-vérité », accessible au sage, au religieux, au vertueux, — il vit en lui, il est lui-même ce monde.
Le « monde-vérité », inaccessible pour le moment, mais permis au sage, au religieux, au vertueux (« pour le pécheur qui fait pénitence »).
Le « monde-vérité », inaccessible, indémontrable, que l’on ne peut pas promettre, mais, même s’il n’est qu’imaginé, une consolation, un impératif.
Le « monde-vérité » — inaccessible ? En tous les cas pas encore atteint. Donc inconnu. C’est pourquoi il ne console ni ne sauve plus, il n’oblige plus à rien : comment une chose inconnue pourrait-elle nous obliger à quelque chose ?…
Le « monde-vérité » — une idée qui ne sert plus de rien, qui n’oblige même plus à rien, — une idée devenue inutile et superflue, par conséquent, une idée réfutée : supprimons-la !
(Journée claire ; premier déjeuner ; retour du bon sens et de la gaieté ; Platon rougit de honte et tous les esprits libres font un vacarme du diable.)
Le « monde-vérité », nous l’avons aboli : quel monde nous est resté ? Le monde des apparences peut-être ?… Mais non ! avec le monde-vérité nous avons aussi aboli le monde des apparences !