Le Cri de Toulouse, numéro 1/Gardons nos Trésors

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Le vol de la « Joconde » pourrait, à la rigueur, être considéré comme une excellente affaire en ce sens que, depuis qu’il a été accompli, tout le patrimoine artistique de la France, y compris celui des colonies et de protectorat, est l’objet d’une surveillance rigoureuse et ininterrompue.

À Toulouse, à l’instigation de M. Feuga, M. Rieusset, le sympathique chef de notre bureau des beaux-arts, n’a pas perdu son temps, Il a pris à l’égard de nos richesses municipales, des mesures qui pour être radicales n’en sont que plus conservatrices.

C’est ainsi que la statue d’Henri IV exposée, comme on sait, dans la cour du Capitole, est retirée, tous les soirs, de sa coquille et transportée dans le cabinet de M. Feuga. M. Rieusset estime que le voisinage de la police municipale n’a rien de rassurant pour la statue en question.

En outre, l’administration ayant eu vent que de riches Américains, déguisés en touristes, rôdaient de puis quelque temps autour du Donjon, M. Rieusset vient de décider que des rondes de nuit seraient désormais effectuées, par les pompiers, autour de ce monument pour s’assurer qu’il est toujours en place et pour éviter qu’on lui substitue une copie.

En vue de ce service et pour parer à toute éventualité, chaque pompier a reçu un paquet de cartouches ; on a provisoirement jugé inutile de leur donner le fusil. Comme nous nous étonnions de ce détail, M. Rieusset nous a fait observer qu’il en était ainsi, dans l’armée, depuis bien longtemps, à cette différence près que les soldats, ont, en général, le fusil sans les cartouches, ce qui, dans le fond, revient au même.

Bien entendu, c’est autour de la Salle des Illustres qu’ont été prises les précautions les plus méticuleuses. On sait qu’il y a là un tableau de Benjamin Constant, sur lequel il est on ne peut plus facile de faire main-basse. La « Joconde », en effet, était fixée au mur par quatre pitons ; ce n’était peut-être pas énorme mais, enfin, c’était quelque chose. Or, le tableau de Benjamin Constant est entièrement libre sur son chevalet ; il n’y a qu’à le prendre sous le bras et sortir !

L’occasion la plus favorable, pour un rapt de cette espèce, serait le moment ou siège le Conseil municipal, d’abord parce qu’à cette heure là toute la police de Toulouse est dans la salle des séances, ensuite parce que si d’aventure on voyait sortir le voleur, avec cette machine sous le bras, tout le monde le prendrait pour un élu socialiste emportant le dossier de l’École vétérinaire ; on ne le saluerait seulement pas !

Pour parer à une catastrophe de ce genre et pour rendre aussi difficile que possible l’enlèvement du pape Urbain II, l’œuvre de Benjamin Constant va être scellée au mur au moyen de quatre pains à cacheter. En outre, un fil va être tendu autour de la toile ; pour arriver jusqu’à elle il faudrait le briser ! Bien que ce fil ne soit pas électrique, un écriteau préviendra le public qu’en y touchant on est sûr de recevoir une pile !

À bon entendeur salut ?