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Le Déluge (Hugo)

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Le Déluge




Par Eugène Hugo




argument


Discite justitiam moniti, non temmere divos.


Introduction. — Colère de Dieu. — Portrait de Noé. — Il trouve grâce devant le Seigneur. — L’arche. — Endurcissement des hommes.


Enfin les fils d’Adam par leur impiété,
Ont lassé du Très Haut la facile bonté
Sa malédiction va tomber sur terre :
Rien ne peut désormais arrêter son tonnerre.

« Périssez donc, dit-il, ingrats, que mes bienfaits
Enhardissent toujours à de nouveaux forfaits !
vous avez abusé de mon trop de clémence :
éprouvez, maintenant, ma terrible vengeance !
Vous, que j’avais créés pour appeler l’Univers
rentrez dans le néant ! je vous maudis, pervers ! »

L’Eternel a parlé : sa voix majestueuse
Tonne et répand partout une crainte pieuse.

Les archanges saisis d’une sainte frayeur,
De leurs divines voix ont suspendu le chœur
Tout se tait dans le ciel : et la foudre bruyante
retentit seule au loin sous la voûte tremblante.

Heureux ceux dont le cœur est pur et sans remords !
Dieu les voit, et bénit leurs louables efforts
Car si son immuable et sévère justice
Sait poursuivre le crime et châtier le vice :
Sa bonté veille aussi sur le mortel pieux
qui, soumis à sa loi, se montre vertueux.

Au sein de cette race impie et sanguinaire,
Que ses crimes rendaient importune à la terre,
Il existait encor un homme dont le cœur
méprisait les attraits d’un monde corrupteur,
et gui n’ayant d’espoir que dans la Providence
Seul avec ses enfants vivait dans l’innocence.

Longtemps par ses discours ayant en vain tenté
de ramener au bien l’humaine impiété :
Des mortel endurcis pleurant l’ingratitude,
il s’était relire dans une solitude
où goûtant les douceurs d’un tranquille repos
il jouissait en paix des bienfaits du Très-Haut
heureux de voir ses fils vertueux et sincères
donner un libre hommage au culte de leur pères.

Du haut de sa grandeur, le souverain des cieux
sur le juste Noé laissa tomber les yeux :
et Noé fut sauvé : la prudence éternelle
le choisit pour auteur d’une race nouvelle
voulant qu’épouvanté du triste châtiment
qui punit les mortels de leur aveuglement,
l’homme né de Noé, le prenant pour modèle
à son Dieu désormais se montrât plus fidèle.

Ainsi l’humble reçoit le prix de sa vertu ;
et le méchant superbe à ses pieds abattu
Sous les traits redoublés de la sainte vengeance.
voit briser son orgueil et tomber sa puissance.
Cependant est porté l’irrévocable arrêt
Punissant justement, punissant à regret,
Le roi de l’univers de ce terrible orage
suspend encor les coups pour sauver son ouvrage.

C’est alors que l’on vit ces prodiges fameux
Que les fastes des temps déroulent à nos yeux :
L’ordre du Tout-Puissant transmis au Patriarche
les longs et fortunés travaux de la grande arche
De ce vaste vaisseau dont le phare protecteur
devait sauver l’espoir d’un peuple agriculteur
où pour perpétuer la race salutaire
de taus les animaux utiles à la terre
Noé les renferma sous d’immenses parvis
deux seuls de chaque espèce accouplés et choisis.

En vain, pendant le temps qu’il mit à la construire
par un dernier effort, il tenta de détruire
le rempart qu’élevait le vice entre ton cœur
et le cœur corrompu des mortel sans pudeur
en vain il s’efforça de dessiller leur vue
la foudre, disait-il, gronde encor dans la nue ;
l’abîme est sous vos pas, il va vous engloutir.
Mortels, écoutez-moi, laissez-vous convertir !
D’un Dieu juste il élément fléchissez la colère !
Mais tout fut sans effet : ni larmes, ni prière,
rien ne les put toucher : une sombre terreur
de leur audace impie augmentait la fureur :
reniant l’Eternel, malgré tous leurs blasphèmes
ils t’irritaient, encor de le craindre en eux-mêmes
Tant il est difficile au faible cœur humain
d’embrasser la vertu, de chérir son chemin,
ou de pouvoir jamais revenir en arrière
quand du vice il choisit la fatale carrière.

Tels l’on voit de fougueux et superbes coursiers.
dédaignant la lenteur des pénibles sentiers
trompés par la douceur d’une pente rapide,
s’élancer, être sourds à la voix qui les guide,
ils entraînent le char : ils courent sans effort ;
hélas ! les malheureux ! ils courent à la mort !
un abîme est au bout ; en sa folie extrême
tel est l’homme, il se plaît à s’aveugler soi-même ;
ce n’est qu’en périssant qu’il connaît son erreur
et qu’un tardif remords vient déchirer son cœur.

Eugène Hugo.