Le Déséquilibre du monde/Livre II. Le déséquilibre social

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Livre I. Le déséquilibre politique Le déséquilibre du monde Livre III. Le déséquilibre financier et les sources de la richesse



Chapitre I. La discipline sociale et l’esprit révolutionnaire[modifier]

Des âges lointains de la pierre taillée, où l’humanité vivait en tribus errantes, jusqu’aux grandes civilisations modernes, la discipline, c’est-à-dire l’obéissance à certaines règles, a toujours constitué un fondement indispensable de l’existence des sociétés. Plus la civilisation s’élève, plus ces règles se compliquent et plus leur observation devient nécessaire.

Trop protégé par les lois pour en saisir les bienfaits, l’homme moderne n’en perçoit souvent que les gênes. Dans son bel ouvrage : Les Constantes du Droit, où il prouve que la contrainte est la base fondamentale de toute vie sociale, le grand jurisconsulte belge, Edmond Picard, rappelle le passage suivant de Schopenhauer, montrant ce que serait une société humaine sans le respect obligatoire des lois :

« L’État a remis les droits de chacun aux mains d’un pouvoir infiniment supérieur au pouvoir de l’individu, et qui le force à respecter le droit des autres. C’est ainsi que sont rejetés dans l’ombre l’égoïsme démesuré de presque tous, la méchanceté de beaucoup, la férocité de quelques-uns. La contrainte les tient enchaînés. Il en résulte une apparence trompeuse. Mais que le pouvoir protecteur de l’État se trouve, comme il arrive parfois, éludé ou paralysé, on voit éclater au grand jour les appétits insatiables, la fausseté, la méchanceté, la perfidie des hommes. »


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La discipline crée une sorte d’équilibre entre les impulsions instinctives de la nature humaine et les nécessités sociales. Pour l’établir, de rigoureuses sanctions sont d’abord nécessaires. Mais la loi inscrite dans les Codes n’acquiert sa force réelle qu’après s’être incrustée dans les âmes.

La discipline externe imposée par la contrainte se trouve ainsi transformée en une discipline inconsciente, dont l’hérédité fait une habitude. Alors, et seulement alors, les sanctions deviennent inutiles. L’âme est stabilisée. Elle ne l’est pas encore chez tous les peuples.

Très lente à se former et parfois un peu incertaine, la discipline sociale se trouve facilement ébranlée par les grandes catastrophes. Les nations échappées alors aux contraintes des lois n’ont plus pour guides que leurs seules impulsions et ressemblent au navire sans gouvernail ballotté par les flots.


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La fondamentale importance de la discipline apparaît quand on constate que les peuples n’arrivent à la civilisation qu’après l’avoir acquise et retournent à la barbarie dès qu’ils l’ont perdue.

Ce fut l’indiscipline des citoyens d’Athènes qui, dans l’antiquité, les conduisit à la servitude, et Rome vit sonner l’heure de la décadence lorsque, tout respect de la discipline étant détruit, il n’exista plus d’autres lois que la volonté d’empereurs éphémères élus et renversés par les soldats. C’est alors que les invasions barbares purent triompher.

Dans un travail ayant pour titre : Comment meurent les Patries, M. Camille Jullian montre que la Gaule indépendante périt de la même façon. « Personne n’obéissait plus aux lois. Justice, finances, tout ce qui fait la règle sociale était à chaque instant brisé. » C’est pourquoi César réalisa si facilement sa conquête.


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L’Europe entière traverse actuellement une phase critique d’indiscipline qui ne saurait se prolonger sans créer l’anarchie et la décadence. Les anciens principes jadis fidèlement observés ont perdu leur force, et ceux qui pourraient les remplacer ne sont pas formés.

Si le nombre des révoltés n’est pas encore très grand, celui des indisciplinés devient immense. Dans la famille aussi bien qu’à l’école, à l’atelier et à l’usine, l’autorité du père, du maître et du patron s’affaisse chaque jour davantage. L’insoumission grandit. Partout se constate l’impuissance des chefs à se faire obéir.

L’indiscipline s’accompagne, aujourd’hui, de certains symptômes de désagrégation morale dont voici les principaux : antipathie pour toute espèce de contrainte ; décroissance continue du prestige des lois et de celui des gouvernements ; haine générale des supériorités, aussi bien celles de la fortune que celles de l’intelligence ; absence de solidarité entre les diverses couches sociales et lutte des classes ; dédain profond des anciens idéals de liberté et de fraternité ; progrès des doctrines extrémistes prêchant la destruction de l’ordre social établi, quel que soit, d’ailleurs, cet ordre ; substitution de pouvoirs collectifs autocratiques à toutes les anciennes formes de gouvernement.

De tels symptômes, notamment, l’horreur des contraintes et l’indiscipline résultant du mépris des lois, ont pour conséquence fatale le développement de l’esprit révolutionnaire avec ses inséparables compagnons : la violence et la haine.


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Il est visible, d’après ce qui précède, que l’esprit révolutionnaire représente un état mental beaucoup plus qu’une doctrine.

Une des caractéristiques du révolté est son impuissance d’adaptation à l’ordre de choses établi. Son besoin de renverser résulte, en grande partie, de cette incapacité.

Hostile à toute organisation, il s’insurge même contre les membres dirigeants de son parti dès que ce parti triomphe. Semblable phénomène s’est manifesté dans chacune des révolutions de l’Histoire. Les Montagnards y combattirent toujours les Girondins.

La mentalité révolutionnaire semble impliquer une grande indépendance d’esprit. Il en est tout autrement en réalité. La véritable indépendance d’esprit exige un développement de l’intelligence et du jugement que les révolutionnaires ne possèdent guère. Réfractaires en apparence à l’obéissance, ils éprouvent un tel besoin d’être dirigés qu’ils se soumettent facilement aux volontés de leurs meneurs. C’est ainsi que les plus avancés de nos extrémistes acceptaient avec une respectueuse docilité les ordres impératifs émanés du grand pontife bolcheviste régnant à Moscou.

En fait, la majorité des esprits aspire beaucoup plus à l’obéissance qu’à l’indépendance. L’esprit révolutionnaire ne supprime nullement ce besoin. Le révolté est un homme qui obéit facilement mais demande à changer souvent de maître.

Quand un pays se trouve en pleine période d’équilibre, la discipline générale empêche l’esprit révolutionnaire des inadaptés de se propager par contagion mentale. Ce n’est qu’aux époques troublées, où la résistance morale s’affaiblit, que le microbe révolutionnaire exerce ses ravages.

Toutes les considérations sur les dangers et l’inutilité des révolutions sont d’ailleurs inutiles, parce que, je le répète, l’esprit révolutionnaire constitue un état mental et non une doctrine. La doctrine n’est qu’un prétexte servant d’appui à l’état mental. Ce dernier subsiste, par conséquent, même quand la doctrine a triomphé.

En même temps que se propage chez beaucoup de peuples l’esprit de révolte, l’autorité faiblit. Cherchant à suivre et à contenter une opinion incertaine les gouvernants, de moins en moins écoutés, cèdent de plus en plus.

Les chefs des partis révolutionnaires, syndicalistes et socialistes unifiés par exemple, ne sont pas mieux obéis. Nous avons vu que les grèves sont souvent, comme celle des cheminots, déclenchées en dehors de la volonté des dirigeants. Ne pouvant conduire le mouvement ils le suivent, pour ne pas paraître abandonnés de leurs troupes.


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Si la propagande révolutionnaire recrute aujourd’hui tant d’adeptes dans divers pays, ce n’est pas à cause des théories qu’elle propose, mais en raison de l’indiscipline générale des esprits.

Seules, les élites pourront réussir à combattre ce vent d’indiscipline qui menace de renverser les civilisations. Elles n’y parviendront que si leur caractère s’élève au niveau de leur intelligence.

Comme notre Université l’oublie toujours, et comme les Universités anglo-saxonnes ne l’oublient jamais, la discipline et les qualités qui font triompher l’homme dans la vie ne se fondent pas sur l’intelligence, mais seulement sur le caractère.


Chapitre II. Les éléments mystiques des aspirations révolutionnaires[modifier]

Quand on recherche les sources des théories révolutionnaires qui agitent le monde, on constate que, derrière leurs formes diverses : Communisme, socialisme, syndicalisme, dictature du prolétariat, etc., se trouvent une illusion mystique commune et des sentiments identiques.

L’illusion mystique, dont nous étudierons bientôt la genèse, a pour conséquence cette conviction que l’ouvrier, étant plus capable que le bourgeois de diriger l’État, et les entreprises industrielles, doit, comme en Russie, prendre sa place.

Les sentiments servant de soutiens aux nouvelles doctrines sont, chez les chefs, l’ardente ambition de s’emparer d’un fructueux pouvoir, chez les simples fidèles la haine jalouse de toutes les supériorités.

Cette haine des supériorités fut très typique en Russie et se manifesta nettement dès les débuts de sa révolution. Les intellectuels, dont la disparition révèle aujourd’hui l’importance sociale, furent aussi persécutés et massacrés que les capitalistes. Innombrables sont les faits analogues à celui observé après la prise de Bakou, lorsque les bolchevistes mirent à la tête de l’Université un ancien portier assisté de garçons de salle illettrés et de manœuvres.

D’une façon générale, on peut dire que toutes les aspirations populaires qui se manifestent en Europe représentent surtout une lutte contre les inégalités de l’intelligence et de la fortune que la nature s’obstine à créer.

Les idées condensées dans la formule : dictature du prolétariat, sont devenues l’évangile de masses ouvrières dont ce titre flatte la vanité. Le pouvoir qu’elles ont acquis, grâce aux syndicats et aux grèves, leur semble un pouvoir souverain devant lequel tous les autres doivent plier. Dans la société future, le manœuvre seul serait roi.


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L’insuccès des expériences des dictatures populaires et notamment du communisme dans divers pays n’a pas du tout converti les adeptes de ces doctrines.

L’étonnement causé par cette constatation prouve que le mécanisme de la crédulité populaire est encore assez méconnu. Il ne sera donc pas inutile d’en rappeler brièvement la genèse.

Au premier abord, les nouvelles doctrines paraissent avoir pour uniques soutiens des appétits très matériels, puisqu’il ne s’agit, en apparence, que de dépouiller une classe au profit d’une autre.

Ces dogmes et l’évangile communiste qui leur sert de code s’appuient bien en effet sur des intérêts matériels, mais ils doivent leur force principale à des éléments mystiques, identiques à ceux qui, depuis les origines de l’Histoire, ont dominé la mentalité des peuples.

Malgré tous les progrès de la philosophie, l’indépendance de la pensée reste une illusoire fiction, L’homme n’est pas conduit seulement par des besoins, des sentiments et des passions. Une croyance est nécessaire pour orienter ses espérances et ses rêves. Jamais il ne s’en est passé.

L’antique mysticisme a conservé, toute sa puissance. Ses manifestations n’ont fait que changer de forme. La foi socialiste tend à remplacer les illusions religieuses. Dérivée des mêmes sources psychologiques, elle se propage de la même façon.

J’ai déjà montré longuement, ailleurs, que le mysticisme, c’est-à-dire l’attribution de pouvoirs surnaturels à des forces supérieures : dieux, formules ou doctrines, constitue un des facteurs prédominants de l’Histoire.

Il serait inutile de revenir ici sur des démonstrations qui m’ont servi, jadis, à interpréter certains grands événements, tels que la Révolution française et les origines de la dernière guerre. Je me bornerai donc à rappeler que la domination de l’esprit par les forces mystiques peut seule expliquer la crédulité avec laquelle furent admises à tous les âges les plus chimériques croyances.

Elles sont acceptées en bloc sans discussion. Dans le cycle du mysticisme où s’élabore la foi, l’absurde n’existe pas.

Dès que, sous l’influence des éléments de persuasion que je résumerai plus loin, la foi dans une doctrine nouvelle envahit l’entendement, elle domine entièrement les pensées du convaincu et dirige sa conduite. Ses intérêts personnels s’évanouissent. Il est prêt à se sacrifier au triomphe de sa croyance.

Certain de posséder une vérité pure, le croyant éprouve le besoin de la propager, et ressent une haine intense à l’égard de ses détracteurs.

L’interprétation d’une croyance variant, naturellement, suivant la mentalité qui l’accepte, les schismes et les hérésies se multiplient bientôt, sans ébranler d’ailleurs les convictions du croyant. Ils ne sont pour lui qu’une preuve de la mauvaise foi des adversaires.

Les défenseurs de chaque secte nouvelle dérivée d’une croyance principale éprouvent bientôt les uns pour les autres une aversion aussi forte qu’envers les négateurs de leurs doctrines. Ces haines entre croyants sont d’une extrême violence et vont bientôt jusqu’au besoin de massacrer leurs adversaires.

On peut juger des sentiments que professent entre eux les défenseurs de doctrines à peu près identiques séparées seulement par quelques nuances, en lisant le compte rendu suivant de la séance d’ouverture d’un récent Congrès syndicaliste de Lille, rapporté par un rédacteur du Matin.

« J’ai encore devant les yeux le spectacle indescriptible d’une salle en furie, semblable à une mer déchaînée qui emporte tout sur son passage. Je revois les faces exaspérées de colère, les bouches vomissant des injures, les matraques tournoyantes. J’ai l’oreille pleine des hurlements des combattants, des cris des blessés, des injures échangées et du bruit des revolvers. De ma vie je n’ai assisté à pareil débordement de haines. »

Ce ne sont guère, du reste, que les extrémistes de chaque doctrine qui arrivent à ces fureurs. Ils se recrutent parmi des dégénérés, des faibles d’esprit, des impulsifs. Leurs violences sont grandes, mais leur personnalité si vacillante qu’ils éprouvent un impérieux besoin d’être guidés par un maître.

Ces dégénérés représentent les plus dangereux des extrémistes. On a remarqué que, pendant la domination des communistes en Hongrie, les principaux agents du dictateur Bela Kuhn étaient recrutés parmi des juifs atteints de tares physiques répugnantes. La foi nouvelle, qui permettait de faire périr dans d’affreux supplices les plus éminents citoyens, leur fournissait un excellent prétexte pour se venger des humiliations auxquelles la dégénérescence condamne ses victimes.


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Dès qu’une croyance mystique, si absurde qu’on la suppose, est établie, elle attire bientôt une foule d’ambitieux avides et de demi-intellectuels sans emploi. Avec les doctrines les moins soutenables, ils édifient facilement des institutions sociales théoriquement parfaites.

À l’époque où la civilisation était peu compliquée, les illusions mystiques n’avaient pas de bien fâcheuses conséquences. Dans l’ancienne Égypte, les institutions dérivées de l’adoration du crocodile ou de divinités à tête de chien s’adaptaient facilement à une civilisation locale très simple, où les difficultés de la vie étaient minimes et les relations extérieures presque nulles.

Il en est tout autrement aujourd’hui. Avec les progrès de l’industrie et les relations entre peuples, la civilisation devient formidablement compliquée. Dans cet édifice, dont l’entretien exige des capacités techniques supérieures, les chimériques fantaisies des rêveurs ne peuvent engendrer que ruines et carnages.


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Le besoin d’une foi mystique est le terrain sur lequel germent les croyances. Mais comment s’établissent et se propagent ces croyances ?

L’erreur, aussi bien, du reste, que la vérité, ne se fixent jamais dans l’âme populaire au moyen de démonstrations rationnelles. Elles sont acceptées en bloc sous forme d’assertions qui ne se discutent pas.

Ayant longuement insisté ailleurs sur le mécanisme de la formation des croyances, je me bornerai à rappeler qu’elles se forment sous l’influence de quatre éléments psychologiques fondamentaux : l’affirmation, la répétition, le prestige et la contagion.

Dans cette énumération, la raison ne figure pas, à cause de sa faible influence, sur la genèse d’une croyance.

L’affirmation et la répétition sont les plus puissants facteurs de la persuasion. L’affirmation crée l’opinion, la répétition fixe cette opinion et en fait une croyance, c’est-à-dire une opinion assez stabilisée pour rester inébranlable.

Le pouvoir de la répétition sur les âmes simples – et souvent aussi sur celles qui ne sont pas simples – est merveilleux. Sous son influence, les erreurs les plus manifestes deviennent des vérités éclatantes.

Heureusement pour l’existence des sociétés, les moyens psychologiques capables de transformer l’erreur en croyance permettent aussi de faire accepter la vérité sous forme de croyance. Les défenseurs de la vieille armature sociale qui nous soutient encore l’oublient trop souvent.

Pour transformer en croyances – puisqu’elles ne peuvent s’imposer autrement – les vérités économiques et sociales sur lesquelles la vie des peuples repose, les apôtres de ces vérités doivent se résigner à l’adoption des seules méthodes de persuasion capables d’agir sur l’âme populaire. Aux affirmations violentes et répétées de l’erreur, ils doivent opposer des affirmations aussi violentes et aussi répétées de la vérité, opposer surtout des formules à des formules.

C’est avec des méthodes analogues que les fascistes italiens contribuèrent à endiguer le flot communiste qui menaçait de submerger la vie industrielle de leur pays, et contre lequel le gouvernement se reconnaissait impuissant.


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Plusieurs sociétés modernes font songer à cette époque de décadence où, reniant ses dieux et abandonnant les institutions qui avaient assuré sa grandeur, Rome laissa détruire sa civilisation par des barbares sans culture, n’ayant d’autre force que leur nombre et la violence de leurs appétits.

Les grandes civilisations périssent dès qu’elles ne se défendent plus. Celles, déjà nombreuses, qui ont disparu de la scène du monde furent surtout victimes de l’indifférence et de la faiblesse de leurs défenseurs. L’Histoire ne se répète pas toujours, mais les lois qui la régiment sont éternelles.


Chapitre III. La socialisation des richesses[modifier]

Parmi les erreurs d’ordre économique qui bouleversent actuellement le monde figurent les illusions socialistes. Présentées sous des formes diverses, toutes s’accordent, cependant, sur une même formule : socialisation des richesses.

Au cours de l’évolution du monde, le prestige des dieux a quelquefois pâli, mais les formules magiques n’ont jamais perdu leur empire. C’est avec elles que les hommes furent toujours conduits.

Religieuses, politiques ou sociales, elles agissent de la même façon et ont une commune genèse. Leur influence ne dépend pas des parcelles de vérité qu’elles contiennent, mais uniquement du pouvoir mystique que leur attribuent les foules.

Les Sociétés se trouvent, aujourd’hui, menacées de profonds bouleversements par cette nouvelle formule : la socialisation des richesses. Au dire de ses apôtres, elle doit créer l’égalité parfaite entre les hommes et une félicité universelle.

La magique promesse s’est rapidement répandue à travers les classes ouvrières de tous les pays. Après avoir ruiné la vie économique de la Russie, elle semble destinée à exercer ses ravages dans l’Europe entière. L’Amérique seule l’a repoussée avec énergie, pressentant son rôle funeste sur la prospérité des nations.

Ce fut uniquement pour obtenir la nationalisation rêvée que les cheminots Français réalisèrent, à l’occasion d’un 1er mai, une tentative de grève générale.

Cette grève, contrairement à toutes celles qui la précédèrent, n’avait nullement pour but d’accroître les salaires. La Confédération Générale du Travail le prouva en déclarant que l’objectif du mouvement n’était pas une augmentation de salaires, mais uniquement le désir d’imposer la nationalisation des chemins de fer.

Il n’existait pas, sans doute, plus d’un gréviste sur mille capable de dire en quoi consistait la nationalisation réclamée et d’expliquer son futur mécanisme. On peut même considérer comme probable que les rares grévistes susceptibles de comprendre quelque chose à ce qu’ils demandaient auraient donné chacun sur la nationalisation, des explications totalement différentes. Pour l’immense majorité la nationalisation signifiait simplement que les chemins de fer auraient été exploités à leur profit.

En fait, les grévistes suivirent leurs meneurs simplement parce qu’ils étaient des meneurs et sans chercher à s’expliquer le but des ordres reçus.

N’oublions pas, d’ailleurs, que les plus furieuses luttes religieuses de l’histoire furent engagées entre des hommes incapables de rien discerner dans les questions théologiques qui divisaient leurs chefs. Les lois de la psychologie des foules expliquent facilement ce phénomène.

Les vagues explications données par les défenseurs officiels de la nationalisation avaient pour seule base une série d’affirmations sans preuves. Leur meilleur défenseur les a résumées dans les lignes suivantes :


« Opposition du bénéfice capitaliste à l’intérêt collectif. Les diverses industries, celle des chemins de fer notamment, doivent devenir une propriété collective gérée pour le compte de la collectivité, non par l’État, mais par une organisation autonome dirigée par un conseil composé de représentants de la collectivité. Un conseil central réglerait les salaires, le choix et l’avancement du personnel. »


Il est visible que cette prétendue socialisation se ramènerait simplement à remplacer les Compagnies actuelles par d’autres Compagnies formées d’agents des chemins de fer.

Mais, pour que les employés puissent gagner quelque chose à cette substitution, il leur faudrait posséder des capacités supérieures à celles des ingénieurs et des spécialistes dirigeant actuellement le service singulièrement compliqué des chemins de fer.

Les administrateurs actuels, hommes fort compétents, travaillent non pour enrichir quelques capitalistes comme l’affirment les socialistes, mais pour rétribuer maigrement la poussière de petits actionnaires entre lesquels est divisée la possession des réseaux. Dépouiller totalement ces actionnaires par la socialisation des réseaux augmenterait de bien peu le salaire actuel des employés.

Au fond, les promoteurs de tels mouvements ne sauraient se faire illusion sur leurs résultats possibles. Ils espèrent simplement que la socialisation des Compagnies serait réalisée à leur profit. S’ils organisent de ruineuses grèves, c’est uniquement pour devenir maîtres à leur tour.


***


Existe-t-il un antagonisme réel entre les intérêts capitalistes et les intérêts collectifs ? Peut-on vraiment dire que, dans les sociétés actuelles, « le travail ne s’effectue pas au profit de tous, mais uniquement pour les intérêts de quelques-uns ? »

En réalité c’est, au contraire, l’immense majorité des travailleurs qui bénéficie de la capacité des élites. Il en a toujours été ainsi depuis les débuts de l’évolution industrielle moderne. Ce ne furent jamais les simples travailleurs qui créèrent les progrès dont ils ont profité.

Le travail manuel et l’habileté professionnelle ne sont nullement, d’ailleurs, les principaux éléments de la production et de la richesse. L’esprit d’entreprise, d’invention et d’organisation, la hardiesse à risquer et le jugement constituent des facteurs autrement importants.

C’est de telles facultés qu’est constitué le capital d’un peuple. Si la Russie tira toujours si peu de profits de son sol, malgré ses immenses richesses agricoles et minières et sa population également immense, c’est qu’elle a toujours manqué de capacités.

Croire que le capital d’un pays se compose surtout de mines, de terres, d’habitations, d’actions et de numéraire, est une dangereuse illusion. Ce capital reste sans valeur par lui-même. Un pays privé de ses capacités serait condamné à une ruine rapide.

Actuellement, en raison des grèves qui se multiplient et de la mauvaise volonté des ouvriers, notre capital est fort mal exploité. Chaque grève nouvelle rend le pays un peu plus pauvre, la vie un peu plus chère, l’avenir un peu plus incertain. Les socialistes seuls se réjouissent d’une situation dont ils seront cependant, comme les extrémistes de tous les âges, les premières victimes.


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À toutes les évidences qui viennent d’être formulées sur les sources de la richesse, socialistes et syndicalistes, unis par une haine commune, n’opposent que leurs affirmations. Durant les dernières élections, la Fédération Socialiste de la Seine avait publié le manifeste suivant :


« Dans tous les pays, deux forces se heurtent, mises en mouvement par l’éclosion de la jeune République socialiste des Soviets :

Le prolétariat, d’un côté ;

La bourgeoisie de l’autre.

Partout, le travail se dresse contre le parasitisme.

Il faut que le parasitisme soit vaincu. »

Inutile d’insister sur le côté rudimentaire de telles conceptions. C’est pourtant avec des assertions d’un tel ordre que le monde a été tant de fois bouleversé.

Les Allemands qui, sous l’influence de leurs extrémistes, furent obligés d’essayer la socialisation, en sont vite revenus.

« Nous sommes menacés, écrivait la Deutsche Tageszeitung, d’une anarchie économique pareille à l’anarchie politique, avec cette différence que les conséquences en seront encore plus désastreuses. La classe ouvrière se rendra compte trop tard des erreurs qu’elle commet. Non seulement elle est en train d’anéantir l’avenir de l’Allemagne et de supprimer les sources dont elle vit, mais encore elle détruit ce qu’on a considéré jusqu’alors comme le plus précieux de tous les biens : son organisation. »


***


La tension des rapports entre des classes sociales qui, cependant, auraient tout intérêt à s’entendre, devient considérable. Elles sont d’ailleurs beaucoup plus divisées par des jalousies et des haines que par des intérêts.

Leurs divergences proviennent surtout de l’effort des politiciens socialistes qui, pour conquérir le pouvoir, ne cessent d’exciter les passions des sphères ouvrières et de provoquer leurs plus extravagantes revendications. Ils soutiennent indistinctement toutes les grèves, les estimant une étape vers la dictature du prolétariat. La société capitaliste se trouve représentée comme une sorte de monstre destiné à être prochainement détruit au profit du prolétariat.

Peu importe, bien entendu, à ces politiciens, les ruines provoquées. C’est leur propre dictature qu’ils rêvent d’installer sous prétexte d’établir celle du prolétariat.

Si l’expérience était susceptible d’instruire les peuples, les tentatives de socialisation faites en Russie seraient considérées comme catégoriques.

Les chemins de fer et les mines y ont été socialisés et, en quelques mois, leur désorganisation devint telle que, malgré un travail de douze heures par jour imposé aux ouvriers, les dictateurs en furent réduits à requérir à prix d’or de l’étranger les capacités qu’ils ne possédaient plus.

Mais un des merveilleux privilèges de la foi est d’empêcher le croyant de percevoir les faits contraires à sa foi. On ne cite guère qu’un seul socialiste, M. Erlich, qui, revenu de Russie, ait donné sa démission du parti socialiste unifié, le voyant s’orienter de plus en plus vers le bolchevisme. Dans sa lettre de démission, ce député disait :


« Je ne puis comprendre que le parti socialiste unifié, loin d’avoir le courage de répudier et de flétrir les excès et les crimes du bolchevisme russe, donne, au contraire, celui-ci en exemple et en admiration à la classe ouvrière française.

Certes, la bourgeoisie russe est ruinée ; mais avec elle a sombré également toute l’industrie nationale, au plus grand détriment du prolétariat russe, mais, par contre, pour le plus grand profit de l’industrie allemande, qui est en train de prendre sa place. Le bolchevisme n’a su engendrer que la famine et la disette dans cette Russie qui, hier encore, était la nourricière d’une grande partie de l’Europe. Les prétendues méthodes de la dictature bolchevique laissent loin derrière elles les pires horreurs de l’inquisition et du tsarisme. Toutes les libertés individuelles sont abolies, et, chaque jour, des centaines d’ouvriers et d’intellectuels russes, dont le seul crime est de ne pas penser comme les bolcheviks, sont massacrés sans le moindre jugement par des mercenaires magyars et chinois. »


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Les dernières élections ont montré, par les 50.000 voix données au bolcheviste Sadoul, quels progrès le bolchevisme a réalisés parmi la classe ouvrière.

Si, dans la lutte actuelle ou prochaine qui menace la civilisation, l’État cédait, il n’aurait plus qu’à abandonner la place aux chefs du prolétariat.

Ce n’est pas, malheureusement, sur l’énergie des gouvernants qu’il faut compter. La force de l’opinion sera beaucoup plus efficace. Pendant la grande grève, des cheminots, le public était tellement exaspéré contre les perturbateurs qui sacrifiaient l’intérêt général à leurs ambitions particulières, qu’en province beaucoup de fournisseurs : épiciers, boulangers, marchands de vin même, refusaient de rien vendre aux grévistes.

Le résultat final de ces conflits n’est pas prévisible encore. Nous sommes certains que les nations seront toujours conduites par leurs élites ; mais le triomphe momentané d’éléments inférieurs pourrait causer – comme en Russie et en Hongrie – d’irréparables ruines.

Aux meneurs de la classe ouvrière, « le grand soir » semble proche. C’est, en réalité, une grande nuit qu’établirait sur le monde la réalisation de leurs rêves.


Chapitre IV. Les expériences socialistes dans divers pays[modifier]

En matière de dogme religieux l’expérience est totalement dépourvue d’action sur l’âme des croyants. Leurs illusions restent irréductibles.

En matière de croyances politiques et sociales l’expérience n’a pas plus d’action sur les convaincus mais elle peut agir sur les esprits hésitants dont les convictions définitives n’étaient pas formées.

Une des caractéristiques de l’heure présente est la dissociation des anciens principes sur lesquels les sociétés étaient fondées. Les perturbations de toute sorte créées par la guerre ont continué cette dissociation et provoqué de nouvelles aspirations dans l’âme populaire.

Les idées directrices actuelles se partagent en deux tendances nettement opposées : les conceptions nationalistes avec leur besoin d’hégémonie et les conceptions internationalistes rêvant d’établir une fraternité universelle.

Le nationalisme, dont le patriotisme représente une forme, est considéré par tous les gouvernants comme une nécessité de l’Histoire. Elle montre, en effet, que le culte de la patrie fit toujours la force des nations et que son affaissement marqua leur décadence.

L’internationalisme, professé surtout par les classes ouvrières, résume ta tendance exactement contraire. Rejetant l’idée de patrie, il prétend fusionner les nations, sans se préoccuper, ni seulement les apercevoir, des différences de mentalité et d’intérêts qui séparent les peuples.

À l’époque probablement fort lointaine où le monde se trouvera régi par la raison pure, cette dernière conception sera parfaite, car, en dehors, même de la sentimentalité vague qui pousse les classes ouvrières des divers pays à fraterniser, nous avons vu que l’évolution industrielle du monde conduit les nations à une interdépendance croissante d’où résulte pour elles la nécessité de s’entr’aider an lieu de se détruire.

De nos jours, cette nécessité reste une vérité inactive parce qu’elle se heurte aux sentiments et aux passions, seuls guides actuels de la conduite des peuples.


***


Les gouvernements modernes se trouvent ainsi en présence de cette antinomie : favoriser l’internationalisme qui représente l’avenir, mais laisse un peuple désarmé, ou développer le nationalisme avec tous les armements ruineux nécessités par de menaçantes agressions.

Ce conflit entre idées contradictoires condamne les hommes d’État à une politique au jour le jour, ne pouvant tenir compte de lendemains inconnus. Les foules ayant perdu confiance dans leurs chefs, obéissent à ces primitifs instincts qui renaissent toujours dès que l’antique armature d’une société est violemment ébranlée.

L’écroulement des idoles et la servilité des élus issus de votes populaires font croire aux foules que le monde doit leur appartenir. La force est aujourd’hui l’unique loi qu’elles respectent.

À l’époque de la grève des mineurs, qui faillit ruiner la Grande-Bretagne, un journal anglais remarquait que les contrats entre patrons et représentants des ouvriers étaient constamment violés par ces derniers dès qu’ils y trouvaient leur intérêt, et en vertu de ce principe fondamental que la force d’une collectivité crée son droit.

Ce droit crée-t-il à son tour les capacités que l’évolution industrielle exige ? Les expériences de gouvernements populaires récemment tentées permettent de répondre à cette question.

Toutes les affirmations des socialistes ayant été réfutées depuis longtemps sans que cette réfutation ait entravé leur influence, il était nécessaire que fût réalisée l’expérience socialiste. Elle le fut récemment, de façon décisive, dans divers pays. Ses résultats sont si connus qu’on peut se borner à les rappeler brièvement.


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En dehors du socialisme intégral tenté dans divers États, plusieurs nations, la France, notamment, ont été soumis depuis longtemps aux tendances socialistes des Parlements. Elles se sont heurtées toujours à des obstacles dérivés, les uns de la structure psychologique de l’homme, les autres des nécessités économiques modernes. Le choc entre les théories utopistes et les inflexibles lois naturelles a coûté fort cher.

Les principaux résultats des influences socialistes parlementaires dans divers pays furent de soumettre beaucoup d’industries à une gestion gouvernementale collective, c’est-à-dire à un étatisme général. Des expériences, cent fois répétées, en ont montré les ruineux effets.

Si ces conséquences furent identiques dans tous les pays et dans toutes les industries, c’est simplement parce que la gestion collective détruit les plus puissants ressorts psychologiques de l’activité humaine : l’intérêt personnel, le sens des responsabilités, l’initiative, la volonté, en un mot les éléments générateurs de tous les progrès qui ont transformé les civilisations.


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Les résultats des tendances socialistes permettaient de pressentir ceux que produirait leur définitif triomphe.

Bien des observateurs avaient prédit les catastrophes qu’engendrerait le triomphe complet du socialisme ; mais la valeur de ces prédictions pouvait être contestée, puisque aucune réalisation totale n’était venue les vérifier.

Aujourd’hui, cette réalisation a été tentée par plusieurs peuples. Les résultats obtenus furent identiques partout.

Si l’expérience s’était limitée à la Russie, on aurait pu soutenir qu’un essai tenté chez un peuple demi-civilisé n’était pas absolument probant. Seule, l’expérience faite chez une nation de haute culture pouvait être démonstrative. C’est pourquoi les tentatives de socialisme qui triomphèrent momentanément en Allemagne, en Hongrie et en Italie présentent un intérêt pratique considérable.

Au lendemain de sa défaite, l’Allemagne se trouva dans une période de trouble et de tâtonnements. La guerre lui ayant montré le danger des principes sur lesquels avait été édifiée sa puissance, elle fut naturellement conduite à en chercher d’autres.

Le socialisme s’offrit ou, plutôt, s’imposa pour réparer les maux créés par une monarchie militariste. Faute de mieux, l’Allemagne accepta d’en faire l’essai.

Elle connut alors, en quelques mois, toutes les formes du socialisme, depuis le bolchevisme avec ses soviets, ses pillages et ses massacres, jusqu’à un socialisme anodin, ne conservant de la doctrine que certaines formules.

Au moment de la débâcle, ce fut, d’abord, une révolution violente et le renversement brusque des monarchies séculaires qui gouvernaient les divers États confédérés de l’Empire.

Pendant cette première phase, les partis extrêmes triomphèrent. Les spartakistes bolchevistes régnèrent plusieurs mois, pillant, massacrant et dominant le pays par la terreur, puis instaurant une période de dictature du prolétariat, c’est-à-dire de quelques meneurs du prolétariat.

Des conseils d’ouvriers, à l’image des Soviets russes, s’établirent partout. Il s’ensuivit naturellement, comme en Russie, une complète anarchie.

Les résultats de cette phase socialiste sont bien marqués dans l’extrait suivant d’un grand journal allemand :


« La révolution a compromis le patrimoine national allemand que quatre années de guerre avaient à peine entamé. Les impôts, les confiscations, ont déterminé un exode des capitaux qu’aucune mesure policière ne peut arrêter. Les immeubles, les fabriques, avec leurs machines, qui ne peuvent pas émigrer, sont cédés à bas prix à des étrangers. Les Anglais achètent des mines dans le bassin de la Ruhr. La « National City Bank », de New-York, s’installe à Berlin et dans d’autres grandes villes allemandes. »


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Cette période n’a pas duré, parce que la dictature communiste montra rapidement, comme en Russie, son incapacité.

Une autre raison, d’ordre psychologique, l’aurait d’ailleurs empêchée de se prolonger. Cette raison fondamentale, inaccessible aux socialistes, se résume dans la loi suivante :

Quelles que soient les institutions imposées à un peuple ou momentanément acceptées par lui, elles se transforment bientôt suivant la mentalité de ce peuple.

Une telle transformation s’observe dans tous les éléments de civilisation, y compris la religion, la langue et les arts. J’ai consacré, jadis, un volume à la démonstration de cette loi primordiale. Elle domine la politique et l’histoire.

Sous son action le socialisme allemand évolua rapidement.

On le voit en constatant, par exemple, ce qu’est devenue l’institution des Soviets, c’est-à-dire des conseils d’ouvriers, base essentielle du Bolchevisme.

Dans la nouvelle Constitution, un article instituait des conseils d’ouvriers « pour la défense des intérêts économiques des travailleurs. Le gouvernement est obligé de leur soumettre, à titre consultatif, tous les projets de loi de nature économique ».

Le soviet ainsi transformé n’est plus, on le voit, un rouage de gouvernement, puisqu’il est devenu seulement consultatif.

La constitution des soviets russes était fort différente. Des milliers de petits conseils devaient, théoriquement du moins, diriger les intérêts locaux.

Une telle organisation se montra, d’ailleurs, irréalisable. Tous les soviets se considérant comme indépendants, la volonté d’un soviet local était bientôt entravée par celle d’autres soviets.

Le soviet russe représentait, en réalité, le stade le plus inférieur des sociétés primitives. On ne l’observe plus en effet qu’au sein de tribus sauvages.


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Après s’être débarrassée du Bolchevisme et des soviets, l’Allemagne eut encore à lutter contre certaines tentatives socialistes, notamment la confiscation et l’administration par l’État de la propriété privée et de toutes les usines de production.

La lutte du gouvernement allemand contre les projets de socialisation se prolongea jusqu’au jour où le public finit par comprendre que l’idée de socialisation reposait sur des erreurs psychologiques et que sa réalisation déterminerait la ruine économique du pays où elle se généraliserait.

Dans l’espoir de satisfaire les derniers militants socialistes, les gouvernants allemands maintinrent encore le principe de la socialisation dans leurs discours, mais ils ne songèrent à socialiser que des industries pouvant – comme les tabacs en France, – par exemple devenir des monopoles d’État productifs.

Pour les autres industries, l’opinion générale est assez bien représentée dans le passage suivant d’un journal allemand :


« … Si le socialisme met la main sur le charbon et le fer, il s’empare, en même temps, de toutes les autres industries, et c’en est fait de la libre concurrence et des capacités individuelles. Or, il faut que nous ne perdions pu de vue le fait que les exploitations de l’État ne sont pas vivifiées par la concurrence, qu’elles entraînent des frais considérables, qu’elles excluent l’exportation ; qu’au contraire, l’activité privée et l’intérêt individuel représentent des forces puissantes et indestructibles, qui font jaillir des sources les plus profondes les trésors de la nature et donnent à un peuple la richesse et la considération. »


Les plus socialistes des dirigeants allemands eux-mêmes reconnaissent que les industries et le commerce d’exportation doivent être laissés en dehors de toute socialisation et rester complètement libres.


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Le Bolchevisme n’a pas été expérimenté seulement en Russie et en Allemagne, mais aussi en Hongrie. Ses méthodes dans ce dernier pays furent les mêmes qu’ailleurs : massacre des intellectuels, pillage des banques et des fortunes privées, obligation pour les anciens riches d’exercer un métier manuel. Les appartements particuliers furent réquisitionnés. Une seule chambre était laissée à l’ancien propriétaire, et les autres mises à la disposition des ouvriers.

L’organisation sociale du Bolchevisme hongrois fut copiée sur celle du Bolchevisme russe. Au sommet, un dictateur décrétant réquisitions et supplices.

Les résultats du régime furent naturellement les mêmes qu’en Russie. Toutes les usines se virent obligées, les unes après les autres, de fermer leurs portes, et la misère devint générale.

On vécut alors des anciens stocks accumulés par le précédent régime. Quand ils se trouvèrent épuisés, ce fut la débâcle. Si, pour des raisons restées inconnues, l’Entente ne s’était pas longtemps opposée à l’intervention des Roumains, que le peuple hongrois appelait de tous ses vœux, le régime communiste eût fort peu duré. Il s’effondra dès que quelques régiments approchèrent de la capitale.


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L’Angleterre semblait être le pays d’Europe le mieux en état de résister à la vague révolutionnaire. Cependant, le Bolchevisme, grâce aux sommes énormes dépensées en propagande, y a fait quelques progrès.

Les mineurs paraissent les plus contaminés. Leurs menaces sont incessantes. Ils réclament, maintenant, la socialisation des mines, ce qui signifie pour eux que tous les profits de la vente du charbon leur appartiendraient, alors que les frais de production resteraient à la charge de l’État !

Certains extrémistes anglais sont allés plus loin encore. Ils ont prétendu obliger le premier ministre britannique à reconnaître le gouvernement russe des Soviets et empêcher la France d’aider la Pologne qu’une armée russe menaçait. Leur influence seule peut expliquer la conduite du gouvernement anglais dans cette dernière circonstance.

Les prétentions de ces extrémistes ont d’ailleurs soulevé en Angleterre de violentes protestations.

« Le peuple anglais, écrivait le Times, a toujours abhorré la tyrannie sous toutes ses formes. Il ne la tolérera pas plus de la part d’un Comité de Salut Public travailliste que de la part d’un souverain inconstitutionnel. »

On doit l’espérer. En réalité, nul n’en sait rien. Les épidémies mentales peuvent être enrayées mais, tant qu’elles durent, il faut en subir les ravages.

Ce qui semble bien clair aujourd’hui, c’est que certains syndicats anglais voudraient soumettre les masses ouvrières au gouvernement bolcheviste de Moscou. Qui eût prévu, jadis, que la traditionnelle et libérale Angleterre en arriverait là ?


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La France est encore le pays qui s’est le mieux défendu jusqu’ici contre les excès socialistes. Cependant, la doctrine continue à y progresser.

Le parti socialiste, qui nous avait tant nui avant la guerre, en paralysant nos armements au point que l’Allemagne crut pouvoir nous attaquer sans risques, a fini par adopter « sans réserve » les conceptions communistes.

Pour reconquérir, son prestige, il sème des illusions redoutables dans l’âme des multitudes.

Ce ne sont malheureusement que les représentants des forces inférieures qui savent s’associer. Puissantes par la pensée, les élites semblent inaptes à l’action et incapables, par conséquent, de se défendre. Il suffit pourtant de quelques hommes énergiques pour sauver un pays du danger socialiste. L’Italie vient d’en fournir un exemple bien frappant.


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Le socialisme exerça quelque temps en Italie les mêmes ravages que dans les diverses nations où il avait pénétré.

Durant plusieurs mois, les socialistes italiens purent croire à leur succès définitif. Ils s’étaient emparés des mairies de certaines villes, avaient expulsé les propriétaires des usines et commencé, suivant la méthode universelle du socialisme triomphant, à piller et assassiner. Le Gouvernement tremblait devant eux et cédait de plus en plus à leurs exigences.

La violence des excès provoqua bientôt une réaction. Le fascisme parti nouveau, formé surtout d’anciens combattants, se dressa contre le socialisme et, après une brève lutte, finit par réduire les communistes à une totale impuissance.

Le fascisme réussit uniquement parce qu’il eut à sa tête un de ces hommes résolus, si rares aujourd’hui parmi les gouvernants.

Ce chef, M. Mussolini, possédait deux qualités fort supérieures à celles conférées par l’instruction livresque : du caractère et du jugement.

Devant les coalitions d’intérêt qu’il a froissées en simplifiant les rouages administratifs, dont la complication croissante menace l’existence des Sociétés modernes, le dictateur finira peut-être par succomber mais en laissant une œuvre fort utile.

Son grand mérite fut d’avoir tenté de briser cet étatisme économique qui pèse lourdement aujourd’hui sur tant de pays et que défendent si ardemment les socialistes.

Ses idées ont été clairement exposées dans un discours prononcé par lui à Rome devant les représentants de la Chambre de Commerce internationale. En voici des extraits :


« Les principes économiques dont le nouveau gouvernement italien entend s’inspirer, sont simples. Je crois que l’État doit renoncer aux fonctions économiques, surtout à celles ayant un caractère de monopole, fonctions pour lesquelles il se montre souvent insuffisant. Je crois qu’un gouvernement qui se propose de soulager rapidement les populations de la crise survenue après la guerre, doit laisser à l’initiative privée le maximum de liberté d’action et renoncer à toute législation d’intervention et d’entrave, qui peut sans doute satisfaire la démagogie des parlementaires de gauche, mais qui, comme l’expérience l’a démontré, n’aboutit qu’à être absolument pernicieuse aux intérêts et au développement de l’économie.

Je ne crois pas que cet ensemble de forces qui, dans l’industrie, l’agriculture, le commerce, les banques et les transports, peut être appelé du nom global de capitalisme, soit proche du déclin, comme certains théoriciens de l’extrémisme social se plaisent à l’affirmer. Depuis longtemps, l’expérience qui vient de se dérouler sous nos yeux, et qui est l’une des plus grandes de l’histoire, prouve d’une manière éclatante que tous les systèmes d’économie négligeant la libre initiative et les ressorts individuels, sont dans un très bref délai voués à une faillite plus ou moins lamentable. Mais la libre initiative n’exclut pas l’accord des groupements, d’autant plus facile que la défense des intérêts individuels est faite loyalement. »


J’ai reproduit ce passage parce qu’on ne saurait exprimer d’une façon plus concise et plus juste des vérités éclatantes, que je défends depuis longtemps.

Il faut se féliciter, que l’Europe ait possédé un homme assez énergique pour tâcher de les appliquer. Si son œuvre réussit, il aura contribué à sauver nos civilisations du danger de destruction finale dont le socialisme les menace.