Le Danger aérien

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Général Hirschauer
Le Danger aérien
Revue des Deux Mondes7e période, tome 63 (p. 282-293).

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LE DANGER AÉRIEN

Il me souvient qu’en 1911, Ader vint à Versailles pour revoir le lieu de ses mémorables expériences de 1897 ; il voulut bien, à ma demande, faire une conférence aux futurs officiers aviateurs rassembles en un stage préliminaire, avant leur dispersion dans les Ecoles d’aviation.

Il en reste peu, de ces brillants et courageux pionniers de la première heure ; parfois, je rencontre l’un des survivants de la glorieuse phalange et nous nous rappelons la longue causerie, écoutée d’abord avec un peu de scepticisme et qui se termina dans l’enthousiasme.

Ader avait prophétisé, disons-nous maintenant, alors que nous avons vu l’armée aérienne se constituer, manœuvrer et combattre suivant des règles presque analogues à celles qu’il avait indiquées bien des années avant la guerre.

Ader, dont la verte vieillesse ne connaît pas de défaillances, du fond de sa retraite de Muret, saisit aujourd’hui l’opinion publique, et réclame un effort nouveau, gigantesque, pour sauver la France du danger aérien.

Quel est, quel sera ce danger ? Quels sont les moyens d’y parer ?


En 1914, l’avion fragile, peu puissant, de faible rayon d’action, simple engin de sport appliqué à la guerre, est avant tout un instrument d’observation et de reconnaissance ; tout au plus en avons-nous cent cinquante sur le front, au moment où la Grande Guerre éclate.

Les nécessités de la lutte entraînent des progrès considérables qui permettent à l’avion de remplir les missions les plus variées ; obéissant à la loi de toute industrie, il se spécialise ; aux légers avions de chasse et de reconnaissance viennent s’ajouter ceux affectés à l’observation rapprochée, puis les avions gros porteurs destinés aux bombardements de jour et de nuit.

L’armée aérienne, non seulement opère dans le ciel en luttant contre l’aviation ennemie, mais encore prend part aux combats sur terre et sur mer.

Au cours des batailles de 1918, notre aviation, opérant en masse, a largement contribué, par le feu de ses mitrailleuses et par ses bombardements, à arrêter l’avance allemande.

L’avion n’est plus isolé ; il fait partie d’une masse de manœuvre, pourvue de règlements d’évolution et de combat. L’armée aérienne est formée ; en novembre 1918, elle ne compte pas moins de 4 500 avions sur les fronts de terre et 1 300 sur les fronts de mer.

En même temps, la valeur des appareils augmente dans des proportions considérables : la vitesse est doublée, le rayon d’action triplé ; la charge utile passe de 20 à 600 kilogrammes ; l’avion reçoit un armement redoutable : mitrailleuses, canon à tir rapide, bombes de plus en plus puissantes.


Les progrès ne devaient pas s’arrêter là ; les fabrications en cours nous auraient donné, au printemps de 1919, sur le front de terre 8 000 avions : certains d’entre eux auraient porté une bombe de 1 000 kilogrammes.

Si l’armistice a ralenti la production, les perfectionnements des appareils ont continué ; les performances accomplies ont été de plus en plus saisissantes. L’année 1920 a vu la vitesse passer de 200 à plus de 300 kilomètres à l’heure ; l’Atlantique a été traversée d’un seul vol.

Et le kilomètre bouclé de Farman date de janvier 19081

Les progrès ne s’arrêtent guère ; ils sont rapides en une matière aussi neuve que la conquête de l’air ; par ceux qui ont été réalisés en treize années, on peut juger de ceux que nous réserve l’avenir.


L’Allemagne, elle aussi, eut, dès le début, foi dans l’aviation ; elle en était sensiblement au même point que nous au 2 août 1914. Le développement de son aviation fut parallèle au nôtre ; mais, suivant sa méthode invariable, elle ne s’est pas bornée à utiliser l’arme nouvelle sur les champs de bataille ; elle a cherché à frapper le moral de la population par le bombardement des villes ouvertes.

Le traité de Paix a obligé l’Allemagne à détruire la plupart de ses avions et de ses moteurs ; de par son article 198, « les forces militaires de l’Allemagne ne devront comporter aucune aviation militaire ni navale, » et l’article 201 interdit, pendant une durée qui a été prolongée jusqu’au 10 janvier 1921, toute fabrication ou importation d’aéronefs.

Inutile de dire qu’en cette matière, comme dans toutes les autres, l’Allemagne a, soit directement, soit indirectement, éludé une grande partie des conditions qui lui étaient imposées.

C’est ainsi qu’elle avait déclaré posséder 20 000 moteurs : les commissions de contrôle en ont déjà trouvé et détruit 28 000 et il en reste encore plusieurs milliers soit cachés en Allemagne, soit déposés dans les pays neutres. Elle a certainement aussi dissimulé des avions démontés ; on en a découvert un certain nombre ; des avions entièrement métalliques, comme ceux que construisait l’Allemagne en 1918, peuvent se conserver dans d’assez bonnes conditions. Mais cette dissimulation est moins grave que celle des moteurs, car le moteur est de beaucoup la partie de l’avion qui demande le plus de temps à construire.


Le traité de Paix n’as pas interdit à l’Allemagne de posséder une aviation commerciale ; il a semblé impossible de priver une nation d’un engin de transport dont l’emploi peut un jour bouleverser la vie économique du monde.

Les articles 313 à 320 du traité de Paix donnent même les règles de la participation au mouvement commercial aérien en Allemagne des aéronefs ressortissant aux Puissances alliées et associées.

L’autorisation donnée à l’Allemagne de posséder une aviation commerciale n’est pas sans inconvénients graves ; l’application stricte de la clause implique une bonne foi complète de la part de tous les signataires du traité, ou, à défaut, une surveillance minutieuse, constante, de la part des Alliés.

Sans doute, l’article 213, dernier article des clauses militaires, dit : « Aussi longtemps que le présent traité restera en vigueur, l’Allemagne s’engage à se prêter à toute investigation que le Conseil des Nations, votant à la majorité, jugerait nécessaire. » Mais, dans ce Conseil, la France possède une voix, comme la Grèce, ou la République de Haïti. « 

Sans doute aussi, un véritable avion commercial ne fera qu’un fort médiocre avion militaire ; il n’aura ni la vitesse, ni la facilité d’évolution, ni la possibilité de naviguer à de hautes altitudes ; tout au plus, l’avion gros porteur et à grand rayon d’action, pourra-t-il être transformé en avion de bombardement.

Ces déductions seraient exactes, si l’avion commercial était construit uniquement pour un but commercial ; mais, durant bien des années, l’aviation commerciale devra être subventionnée par les gouvernements ; rien n’est plus facile que d’introduire dans les contrats de subvention des clauses qui permettront la transformation rapide, presque instantanée, de l’avion commercial en avion de guerre.

Au reste encore, l’avion commercial doit-il être seulement un avion gros porteur ? Rien ne le dit dans le traité de Paix ; à côté de l’avion-omnibus, ou de l’avion-camion, on pourra avoir l’avion de tourisme, l’avion postal, auxquels on demandera avant tout la vitesse.

Et d’ailleurs, l’Allemagne subventionne déjà l’exploitation des lignes aériennes, u à condition que les appareils soient susceptibles de transporter une charge utile de cent kilogrammes. »

Cent kilogrammes, c’est le poids d’un mitrailleur et de son armement ; il est impossible d’admettre qu’une telle clause ait été introduite avec le souci de faire faire un progrès quelconque aux avions commerciaux, proprement dits.

Comme, d’autre part, il existe, en service en Allemagne, des avions gros porteurs, on peut affirmer que l’Allemagne veut avoir une aviation commerciale mobilisable, soit en aviation de bombardement, soit en aviation de chasse et de reconnaissance.


L’organisation commerciale actuelle de l’aéronautique allemande est à la fois un but et un moyen. Le but, c’est de s’assurer des communications rapides, en Allemagne d’abord, en Europe ensuite, transcontinentales pour finir ; c’est encore de développer une industrie qui peut offrir de larges possibilités d’exportation.

Le moyen, c’est d’entretenir l’activité industrielle de l’aéronautique, de conserver, de dresser des équipages ; c’est de posséder une aviation promptement mobilisable.

L’étude des routes commerciales tracées à travers l’Allemagne montre la même volonté d’organisation de guerre.

On distingue aisément six itinéraires principaux ; trois sont orientés Ouest-Est :

— Des bouches du Rhin à Dantzig, par la région de Cologne et Berlin ;

— De Cologne à la Russie, par Dresde et Breslau ;

— De Friedrichshafen à la Turquie, par Munich et Vienne.

Deux autres sont orientés du Nord au Sud :

— De la région de Cologne à l’Italie, par Stuttgart et Friedrichshafen ;

— De la Scandinavie à Vienne, par Berlin, Dresde et Prague.

Un dernier va du Nord-Est au Sud-Ouest :

— De Dantzig par Berlin, Nuremberg, Stuttgart à Friedrichshafen.

Un tel réseau réalisé, l’Allemagne possédera, sur la rive droite du Rhin, deux grandes régions de rassemblement, face à la Belgique, l’Angleterre, la France et l’Italie : Westphalie et Wurtemberg.

Cologne est à 500 kilomètres de Londres, à 400 de Paris ; Stuttgart est à 500 kilomètres de Paris, à moins de 500 kilomètres de Venise et Gênes. L’évacuation de la Rhénanie permettra aux Allemands de rapprocher encore leurs bases de concentration de certains objectifs principaux.


Il n’y a pas de ministère de l’air à Berlin, mais la section aéronautique de l’ « Office d’Empire de locomotion aérienne et automobile [1], » rattachée au ministère du commerce, « dirige » les maisons de construction, d’après un programme bien arrêté et organise les routes aériennes de l’Empire.

L’office centralise aussi les efforts des associations, commissions, sociétés privées, qui toutes dépendent étroitement de l’État : la plus active de ces sociétés est l’ « Union aéronautique [2], » qui étend son action sur toute l’Allemagne, qui s’adresse au personnel navigant, aux techniciens, aux ouvriers d’aviation ; l’Union possède un organe « der Flieger » et édite des affiches de propagande.

Les anciens aviateurs militaires sont restés étroitement groupés ; ils ont aussi leur organe qui, à côté de communications techniques, contient de violentes excitations pangermanistes ; ce personnel, subventionné par des sociétés privées, maintient son entraînement, forme même de nouveaux pilotes.

La société « Vols et ports [3], » dont le Président est nommé par le Reich, maintient en état les terrains d’aviation.

Pendant la guerre, il existait, au ministère de la Guerre, un j ; organe centralisateur des études techniques [4], analogue à notre section technique d’aéronautique ; ce service officiel allemand a disparu, mais pour renaître immédiatement sous forme d’un groupement particulier comprenant tout l’ancien personnel de l’office technique.

Officiellement donc, l’aviation militaire, personnel et matériel, a disparu ; elle subsiste néanmoins, réduite, désarmée, « camouflée, » mais elle subsiste, peu dangereuse pour le moment, inquiétante pour l’avenir, car elle constitue un cadre tout préparé pour les organisations futures.


L’activité technique, très intense pendant la guerre, s’est maintenue.

Les Allemands ont justement admis que l’empirisme a vécu en matière d’aéronautique, et qu’il a fait place à la science de l’ingénieur. Les savants préparent le travail par leurs études spéculatives ; les spécialistes serrent de plus près les problèmes dans les bureaux d’étude et les laboratoires ; les recherches portent sur les moteurs, les propulseurs, la contexture générale des appareils... Cette méthode de travail a fait ses preuves ; du laboratoire de Junker est sorti, en 1918, après des années de travail silencieux, un avion entièrement métallique qui, dès ses premiers essais, a donné les remarquables résultats prévus.

Or, l’Allemagne ne manque pas de techniciens de l’aéronautique ; dans presque toutes les hautes écoles techniques, et elles sont nombreuses, il existe un cours d’aérodynamique très complet, qui permet aux industriels de recruter avec facilité un bon personnel, sélectionné par l’expérience journalière.

Beaucoup d’usines d’aviation créées avant ou pendant la guerre ont été transformées et fabriquent aujourd’hui un matériel quelconque : automobiles, machines à coudre, machines agricoles, meubles, etc. ; mais la plupart ont maintenu leurs bureaux d’études et laboratoires d’aérodynamique, avec un personnel choisi ; elles ont conservé leurs bons ouvriers d’aviation ; en peu de semaines, elles seraient en état de reprendre les fabrications d’aéronautique.

Il est d’ailleurs à remarquer que volontairement les grandes usines, les sociétés importantes, s’imposent des sacrifices pour conserver et faire travailler le personnel technique spécialisé dans l’aéronautique, et consacrent à cette œuvre une part de leurs bénéfices.


Par la presse, par les conférences, par une propagande constante, le peuple allemand est associé à cette préparation de la puissance aérienne ; le mot de l’ex-Empereur : « Notre avenir est sur l’eau, » est aujourd’hui remplacé par : « Notre puissance est dans l’air. »

De nombreuses réunions sont tenues auxquelles assistent anciens officiers, anciens et nouveaux aviateurs ; on y étudie le rôle militaire de l’avion dans une autre guerre ; on y examine les liaisons de l’armée de l’air avec les armées de terre et de mer ; on y discute les meilleurs procédés d’attaque brusquée. Le secret est recommandé aux auditeurs, mais tout finit par transpirer : dernièrement, les conférences portaient sur les procédés de bombardement des grands centres. Les uns préconisaient les grandes bombes d’une tonne capables d’écraser un quartier, d’autres veulent les petites bombes incendiaires de 1 kilogramme à base de magnésium ; ces derniers estiment que 20 000 bombes de cette nature allumeraient facilement 2 000 foyers d’incendie ; or 20 000 bombes de 1 kilogramme peuvent être transportées par cent avions à grand rayon d’action... et Cologne est à 500 kilomètres de Londres et Stuttgart à 400 kilomètres de Paris.

Telles sont les idées qui ont cours dans les milieux actifs de l’Allemagne.


Ce sont encore pour les Allemands des rêves d’avenir ; dans le temps présent, leur aviation est réduite en nombre, presque annihilée en puissance.

Pour donner de la réalité à ces rêves, il faudra relativement peu de temps, mais beaucoup d’argent.

Peu de temps, — car l’Allemagne a certainement à l’étude et probablement en essais, des avions nouveaux, des moteurs nouveaux. Les avions métalliques peuvent être construits rapidement, avec des matériaux standardisés, dans des usines maintenues en haleine et à mobilisation industrielle préparée ; comme entrée de jeu, elle disposera de son aviation commerciale rapidement mobilisée.

Beaucoup d’argent, — car l’arrêt brusque des fabrications industrielles, la transformation des usines, le prix élevé des constructions aéronautiques de guerre, entraîneront des sacrifices financiers considérables.

Pour le moment donc, il suffit de se garer d’une attaque brusquée, par surprise, coïncidant vraisemblablement avec un soulèvement de la population sur les derrières de nos divisions sur le Rhin. Si peu probable que puisse paraître actuellement une telle opération, encore faut-il la prévoir et se garder, tant par une escadre aérienne toujours prête à prendre l’air, que par des organes à terre, fixes ou mobiles, de défense anti-aérienne. C’est fait, et si l’attaque se produisait, quelques villes allemandes payeraient chèrement, et dès la première heure, la rupture de la paix.


Mais demain, l’Allemagne aura recouvré toute liberté de fabriquer et de mettre en service toute l’aviation commerciale, ou dite commerciale, qu’elle voudra ; à la condition de ne pas mettre tout de suite sur les avions des mitrailleuses ou des porte-bombes, de ne pas faire revêtir aux pilotes-aviateurs l’uniforme feld-grau, de ne pas se livrer ouvertement à des exercices d’ensemble, les Alliés n’ont rien à dire.

Il ne faut pas attendre que le danger soit imminent pour prendre les précautions nécessaires ; il est des avances qu’on ne peut regagner.

De toutes les mesures de protection, la plus énergique est d’exiger, par tous les moyens, le paiement de ce que l’Allemagne nous doit, à la condition toutefois que ce paiement ne s’étale pas sur un demi-siècle.

Ensuite, n’oublions pas que la meilleure défense a toujours été et sera toujours la possibilité de l’attaque ; ayons donc une couverture aérienne importante, toujours en haleine, capable d’une action préalable, ou d’une exécution, brutale.

Derrière cette couverture se mobiliseront un deuxième échelon sur appareils militaires, puis un troisième constitué par l’aviation civile transformée.

La transformation sera d’autant plus rapide, plus efficace que l’aviation commerciale sera plus développée, et fournira arsenaux, ateliers et personnel.

Cette aviation commerciale peut paraître aujourd’hui une charge financière lourde pour la nation ; les lignes aériennes ne peuvent vivre que si elles sont soutenues par l’Etat ; mais, quand ces progrès que nous sommes assurés de voir venir auront été accomplis, l’aviation de transport donnera pour les longs parcours de telles économies de temps, qu’elle sera assurée de couvrir ses frais, et de les couvrir d’autant mieux que l’organisation aura été plus complète, plus large.

Sur ce point, les intérêts économiques et militaires du pays se soudent étroitement.


Les résultats acquis, tant en France qu’en Allemagne, par les recherches scientifiques se développent avec intensité.

Nous ne savons pas ce que sera l’avion de demain ; imitera-t-il toujours les formes de l’oiseau ; ou aura-t-il des formes entièrement nouvelles ? Son moteur et son propulseur resteront-ils ce qu’ils sont, ou ira-t-on chercher de nouvelles sources d’énergie, de nouveaux moyens de l’utiliser ? Déjà bien des esprits sont attelés à ces graves problèmes ; en ces matières, être prêt le premier constitue une supériorité de force incontestable, souvent définitivement acquise.

Le développement en nombre et en puissance de l’aéronautique aura d’autres conséquences encore.

A côté des avions qui constitueront toujours le corps de combat, on peut admettre que les grands dirigeables pourront être utilisés pour les transports particulièrement importants.

Il est parfaitement admissible que, dans un avenir peu éloigné, on possédera des avions capables d’enlever 25 à 30 hommes armés et équipés ; des dirigeables pourront même transporter de l’artillerie légère.

Aux bombardements, dont l’intensité croîtra avec le temps, dont l’efficacité grandira avec les progrès des industries chimiques, pourra donc s’ajouter le transport de petits corps de partisans à l’intérieur même du pays, ou au delà d’une mer étroite,

La couverture devra donc, non plus seulement garder la frontière, mais encore s’échelonner en profondeur dans l’intérieur du pays.

Et cette même puissance militaire aérienne donnera à celui qui la possédera des avantages économiques incontestables ; il ne peut être question de transporter par les airs le fer ou le charbon ; mais un moyen de locomotion qui peut mettre Paris à vingt-quatre heures de New-York, à quarante-huit heures du Cap..., donne de tels gains de temps, de telles facilités dans l’échange des courriers, dans le transport des personnes, que les relations économiques en seront profondément modifiées.

Je sais que volontiers ces idées sont traitées d’utopies, de romans à la Wells. Mais le kilomètre bouclé de Farman ne date que de 1908 !


Le programme d’avenir est immense, et nos finances nécessitent les plus grands ménagements. Or, l’aviation coûte cher à mettre sur pied, cher à entretenir.

Il ne peut être question d’augmenter nos dépenses ; il faut même les réduire.

Comment en même temps produire plus et dépenser moins ? En annulant les frais généraux inutiles, en centralisant les efforts, en réunissant toute l’armée aérienne, armée de guerre, armée de commerce, sous une seule direction, en faisant pour cette armée ce que Colbert a fait pour la marine renaissante, il y a plus de deux siècles.

Plus encore, la défense nationale est une ; elle prend une forme différente suivant la politique du moment ; les crédits totaux affectés à la défense nationale doivent être surtout consacrés au développement de l’élément de force qui correspond le mieux aux conditions politiques. C’est la conception du ministère de la Défense nationale, avec ses trois branches : terre, mer, air.

En ce moment, ce n’est pas d’au delà des mers que viendrait une agression ; elle viendra par terre et par l’air.


Résumons :

— Actuellement, une action aérienne allemande ne serait qu’une faible réplique de ce qui a été fait durant la guerre ; nous sommes plus forts que l’Allemagne dans l’air, comme sur terre.

— Dans peu de temps, la situation peut changer, car l’Allemagne travaille, et a conservé intacts ses moyens de production ; elle veut développer sa puissance dans l’air ; elle y met, y mettra toute l’activité nécessaire.

— Pour conjurer ce danger, nous devons maintenir nos forces aériennes actives, développer largement nos moyens de transport aériens commerciaux, avoir une aviation militaire toujours mobilisée, une autre civile, toujours mobilisable, une couverture anti-aérienne en place.

— Nous devons enlever à l’Allemagne la possibilité d’armer, par l’obligation de payer.

— Nous devons, pour nous armer, sans ruiner l’Etat, centraliser nos moyens financiers affectés à la défense nationale.

— Nous devons reporter sur l’armée aérienne les ressources rendues disponibles dans les autres armées, par la modification des conditions de politique extérieure.

La garde du Rhin ne suffit pas.

Si vis pacem, serva cœlum.


Général HIRSCHAUER.

  1. Reichsamt für Luft und Kraftfahrwesen.
  2. Behulfsverband für das Luftfahrwesen.
  3. Flug und hafen Gesellschaft.
  4. Flugmeisterei.