Le Degré des âges du plaisir/05

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(Attribution contestée)
Vital Puissant ? (T. 1 : Le Degré des âges du plaisir,p. 60-78).





CHAPITRE V.


Suite des aventures lubriques de Belleval en garnison ; nouvelle manière de jouir au son des instruments ; son arrivée à Paris à l’âge de 30 ans ; liaison avec des filles publiques ; orgies de bordel ; il y retrouve Constance ; continuation des plaisirs voluptueux de cette femme et de Belleval jusqu’à l’âge de 35 ans.


J’ai dit dans mon chapitre dernier qu’il ne m’arriva rien de remarquable à ma garnison jusqu’à l’âge de 25 ans, que je n’y fis absolument que dépenser mon argent comme un fou, et que les gens accoutumés à faire des dupes y trouvaient leur compte ; cependant, ce genre de vie commençait à me fatiguer cruellement ; il ne convenait point à mes sens bouillants, qui étaient accoutumés à être satisfaits lorsque leur voix se faisait entendre ; mais comment serais-je parvenu à me contenter sur cet article dans une petite ville où je ne voyais que des prudes et des bégueules dans toutes les sociétés où je me trouvais, où madame L’Élu, madame la lieutenante-générale, toujours guindées sur le ton grave et compassées, m’escroquaient au jeu mon argent et ne me permettaient pas seulement de leur baiser le bout du doigt ? Il y avait de quoi périr d’ennui en attendant quelques bonnes affaires, et j’y aurais succombé sans doute si le ciel n’eut amené dans notre ville une troupe de comédiens errants qui s’y fixèrent, et du moment que cette vermine qui court de villes en villes, de bourgades en bourgades, s’est établie dans un endroit quelconque, les mâles de cet assemblage burlesque et ridicule courent au café militaire, s’il y a garnison, et là ils s’étendent richement et avec emphase sur la composition de la bande, vantant adroitement les charmes de leurs compagnes, leur complaisance, leurs agréments. Qu’on ne croie pas qu’ils fassent étalage de leurs talents et de leurs vertus ; ils savent très-bien que c’est là le moindre objet où s’arrêtent des officiers, et qu’il n’y a pas de quoi faire bouillir la marmite une heure après leur arrivée. Tout le corps d’officiers sut par ces histrions vagabonds qu’il y avait du danger à s’approximer avec celle qui jouait les reines, attendu que la majeure partie des carabiniers lui ayant passé sur le ventre l’année précédente, elle était au régime ; ce qui prouvait conséquemment une vérole des plus compliquées. Que celle qui jouait les caractères était amoureuse comme une chatte et qu’on pouvait la prendre par tous les bouts, que tous les trous qu’elle possédait étaient au service du premier venu, ce qui, malgré son âge déjà avancé, lui attirait des pratiques. Que celle qui jouait les ingénuités avait déjà eu trois enfants, mais qu’il ne fallait pas s’arrêter à cette bagatelle, vu ses rares talents tant au lit qu’à la scène, et que l’amateur qui sortait de l’un ou de l’autre se montrait toujours content et satisfait.

L’opéra passa de même en revue. J’écoutais de toutes mes oreilles ce récit libertin ; mais je ne pus sans émotion entendre le portrait que fit l’affiche ambulante de cette troupe de la première chanteuse, nommée Jolival.

Jolival, disait-il, est la plus agréable de toutes nos femmes, la plus spirituelle et la plus belle ; on la dit aussi la plus voluptueuse, la plus raffinée sur les jouissances de l’amour, mais je n’en suis pas certain. Ce n’est pas pour nous que le four chauffe. Dans toutes les villes de garnison, depuis le colonel jusqu’au moindre officier, tous briguent sa conquête. C’est elle qui fait la plus ample récolte, et, quoique notre camarade, elle ne voyage jamais qu’en poste, tandis que le plus souvent nous allons nu-pieds. Elle doit arriver demain, messieurs, continua-t-il en regardant avec attention ce groupe de Cesars de ma trempe qui l’écoutait, vous la verrez ; mais gare vos cœurs et vos pistoles.

Je fis mon profit de l’avertissement, mais cependant je me résolus bien d’arracher pied ou aile de mademoiselle Jolival, si elle était en effet telle qu’on nous l’avait dépeinte, et pour cet effet j’allai l’attendre sur les glacis du rempart, à l’heure à peu près ou elle devait arriver.

Je ne fus pas longtemps dans l’attente. Une chaise que je vis de loin m’annonça l’objet pour qui je me sentais déjà de la passion, et fut arrêtée par la sentinelle. Je volai au poste assez tôt pour voir la belle Jolival. Je dis à la sentinelle de la laisser passer, et indiquai au postillon la route de mon auberge. Je servis d’écuyer à cette infante de coulisse, qui agréa mes soins comme ceux du premier venu, et dès le même soir je soupai et couchai avec elle, après quelques grimaces de sa part ; mais je trouvai bien le moyen de les faire finir en montrant une bourse bien garnie, qui fut acceptée pour les frais du voyage.

Le malotru, que sans doute elle payait pour annoncer ses appas un jour avant son arrivée, n’avait pas menti dans l’éloge qu’il en avait fait, et la nuit que je passai avec Jolival fut pour moi la nuit la plus délicieuse. J’avais goûté mille plaisirs avec Louison, mais combien ils étaient peu de chose auprès de ceux que me procura cette beauté ! Avant d’en donner le détail circonstancié, je vais jeter à la hâte sur le papier les trésors voluptueux que la belle Jolival offrit à mes désirs empressés.

Les plus beaux yeux du monde surmontés de deux arcs d’ébène dont la prunelle lançait les étincelles de la concupiscence, une bouche adorable ne s’ouvrant dans les accès du plaisir que pour proférer les polissonneries les plus spirituelles, une gorge admirable, ornée de deux tetons qui, quoique volumineux, n’avaient rien de rebutant ; des veines d’un bleu d’azur dessinées dessus, traçaient aux amants la carte des Pays-Bas, ventre poli, motte enchanteresse, dont le poil noir et parfaitement frisé accélérait le plaisir par son frottement délicieux ; mais ce que j’aurais peine à décrire, ce que je brûle de nommer et ce que je vais indiquer par la lettre initiale, c’est le c.. de cette divine chanteuse. D’après le récit que j’avais entendu faire, je ne pouvais douter que cette place n’eût été bloquée une infinité de fois, et qu’elle n’eût souffert bien des assauts ; cependant, je ne m’en aperçus pas, et je puis dire sans vanité que j’étais parfait connaisseur sur cette partie, l’ornement du beau sexe, et que le manège artificiel des courtisanes qui possèdent le talent merveilleux de se rétrécir à leur gré ne m’en a jamais imposé, que j’ai vaincu sans peine les obstacles mécaniques qu’elles appellent leur prétendue virginité ; mais Jolival n’était pas dans ce cas ; c’était un demi-pucelage que j’avais à conquérir et que j’obtins non sans m’être beaucoup évertué.

Deux colonnes d’ivoire servaient de support à cet édifice. De ma vie je n’ai vu de plus superbes cuisses ; jambes faites au tour, pieds furtifs et mignons, telle était ma déesse du jour, à l’examen des attraits qu’elle offrait par devant à ma lascive curiosité.

Par derrière, autre miracle d’amour. Ces mêmes cuisses que j’avais dévorées de baisers me parurent encore plus dignes d’admiration ; elles soutenaient de ce côté un cul miraculeux fait exprès pour l’amour, deux fesses serrées, fermes et rebondies, au-dessus desquelles des hanches bien prises formaient l’ensemble d’une croupe ravissante. L’amour tira les rideaux du lit, et n’ayant d’autres témoins de nos ardents plaisirs que nos transports mutuels et convulsifs, nous procédâmes à une infinité de mystères amoureux et lubriques que je vais peindre afin d’instruire mon sexe sur les variations du plaisir.

Après avoir satisfait à l’ardeur de mes sens, en exploitant Jolival suivant la manière accoutumée, c’est-à-dire de cette façon simple et générale qu’emploient et qu’ont toujours employée nos premiers pères, pour créer des malheureux du tiers-état, des ministres déprédateurs, des législateurs intéressés, des juges sans honneur, des fripons administrateurs, des prêtres sans mœurs et des prélats libertins, en nous mettant sans cérémonie l’un sur l’autre et en assouvissant la chaleur la plus violente de nos désirs, nous passâmes à ces nuances qui, lorsqu’elles sont vivement senties, ne nous laissent plus rien à désirer en jouissance.

Jolival aimait ardemment la pratique du plaisir que j’avais goûté machinalement avec Constance à l’époque de la défaite de son pucelage, en glissant machinalement ma langue dans l’intérieur de son bijou ; elle formait mille replis de son corps ; d’abord, elle prit ma main qu’elle posa sur l’éminence de sa petite fente ; j’y portai le doigt majeur mais elle m’arrêta en m’adressant ces mots :

Mon cher chevalier, croyez-vous de bonne foi que votre doigt puisse faire plus d’effet et me faire éprouver plus de sensations que celle que je viens d’éprouver avec l’arme redoutable que vous m’avez enfoncée jusqu’à la garde dans le réduit central de la volupté ? En me le mettant, vous m’avez plongée dans une extase délicieuse ; j’en ressens encore toute l’ivresse, et si je ne connaissais pas une manière encore plus parfaite et plus ravissante de jouir de vos embrassements, je vous supplierais de me le mettre encore ; mais je veux être votre Mentor en plaisirs et vous apprendre l’exercice le plus charmant qu’on puisse faire de cette partie qui facilite l’organe de la parole ; oui, je veux que votre langue fasse en ce moment l’emploi de votre membre viril, et vous m’en direz des nouvelles après.

Je compris ce que Jolival voulait me dire, et j’allais, posant ma tête entre ses cuisses, commencer mes fonctions et chatouiller voluptueusement avec ma langue ce muscle qui se roidit, dans les femmes, à peu près comme en nous le principe de la génération ; mais elle ne voulut pas de cette façon ; elle me fit coucher sur le dos comme une fille qui se prépare à l’amoureux combat, puis se mettant à cheval sur mon estomac, elle me tourna gracieusement le derrière, qu’elle appliqua sur mon visage, de manière que ses fesses se reposant sur le haut de ma figure livraient le joli petit étui de mon priape à la discrétion de mes baisers ; mais dieux ! dans quel délire je fus plongé quand je sentis que Jolival, en se baissant, s’était emparée de mon joyau avec sa bouche, dont elle formait pour lui un nouvel asile, que sa langue frétillante se promenait sur le filet qui réunit la membrane avec le prépuce ; qu’en un mot, par ses chatouillements vifs et prolongés elle m’excitait au souverain plaisir, dans le même genre que je pratiquais pour favoriser son éjaculation.

Détracteurs froids du plaisir, blâmez-moi si vous voulez, mais attendez pour le faire que vous ayez fait l’épreuve de pareille situation, et vous vous tairez sûrement.

Notre nuit se passa de cette façon à inventer mille postures différentes pour varier cette jouissance suprême, et nous nous réveillâmes le lendemain ivres l’un de l’autre. Le dirai-je ? Eh ! pourra-t-on le croire ? Notre amour dura huit grands jours, et ce ne fut qu’après avoir mis en usage tous les moyens de satisfaire nos désirs que nous nous aperçûmes que nos sens étaient pleinement satisfaits, et que le changement réveille le goût.

La troupe comique avait débuté, et cette ingénuité à trois enfants, dont on nous avait fait le détail au café, m’avait charmé par son nez retroussé et son air naïf et enfantin. Jolival commençait à m’ennuyer ; je voulus le mettre à tel prix que ce fût à Emilie, ainsi se nommait cette célèbre ingénuité comédienne, et je désespérais d’en venir à bout, le chevalier de Rosebois s’en étant emparé, lorsque lui-même m’en fournit les moyens. Tu sais, me dit-il, que j’ai l’honneur de le poser à Emilie ; mais elle m’excède et me fatigue horriblement. Je bande pour Jolival à qui tu commences à déplaire (tous les officiers s’en aperçoivent) et à laquelle tu renoncerais sûrement volontiers ; troquons ; d’ailleurs, Emilie a un furieux caprice pour toi ; elle a eu la bonne foi de me le confier, et Jolival me lorgne. Si tu acceptes le marché, dès ce soir je te mène chez Emilie, nous y ferons à trois une partie de débauche, et quant à Jolival, j’en fais mon affaire.

J’acquiesçai aussitôt, et le soir nous fûmes chez Emilie, qui, déjà prévenue, m’accueillit comme celui qui devait désormais fournir aux besoins de son tempérament et de sa cuisine. J’étais vêtu en habit de combat : une grande veste de coutil à la marinière et un pantalon étaient mes seuls vêtements afin d’en être plus tôt débarrassé, et par-dessus je m’étais affublé de mon manteau. Rosebois était en bourgeois, afin de dérouter les regards des curieux.

Après quelques préludes, que Rosebois feignit de ne pas apercevoir, il sortit sous prétexte de faire apprêter le souper. Emilie profitant de son absence vint m’embrasser amoureusement et me dit :

Mon cher Belleval, ce grand fou de Rosebois est sorti, profitons de son absence ; le temps est précieux ; tu bandes pour moi, je ne l’ignore pas ; je l’ai lu dans tes yeux, et plus encore le long de tes cuisses chaque fois que tu m’apercevais à la parade militaire ou ailleurs ; mets-le moi, je t’en conjure, et pour ne point y être surpris, faisons cette douce affaire à la grenadier, et baise-moi debout ; nous nous en dédommagerons une autre fois plus à notre aise.

Je ne me le fais pas répéter. Je troussai Emilie, et sans m’arrêter à examiner ses cuisses, son ventre, sa motte et son ethua, vomissant tous les feux de la luxure, je tirai mon membre nerveux hors de sa prison, dont il aurait de lui-même forcé les boutons, et nos corps se joignirent.

J’eus bientôt enfilé Emilie et je lui poussai les plus vigoureux coups de cul, qu’elle me rendait avec usure, quand Rosebois, qui se doutait du fait et qui ne s’était évadé qu’à dessein, rentra tenant un tambourin sur lequel il battait la mesure.

On croira peut-être qu’Emilie et moi fûmes déconcertés de sa plaisanterie, mais point ; le son du tambourin échauffa nos transports ; il s’assit gravement sur une chaise et ne cessa de nous accompagner qu’au moment où nous sentions se glisser dans les veines de toutes les parties de notre corps l’élixir des jouissances, et que nos jambes ne nous soutenant plus qu’à peine, nous fûmes obligés d’abandonner la partie.

Nous soupâmes gaiement, et après le souper Rosebois s’éclipsa et fut sans doute trouver Jolival pour battre avec elle sur son tambourin, et nous laissa le reste de la nuit, Emilie et moi, en liberté de renouveler nos scènes lubriques.

Je me suis déjà déclaré comme l’ardent ami des plaisirs libertins ; mais comme l’ennemi de la constance ; en moi, toute espèce de jouissance éteignait le désir, et je regardai comme un très-grand avantage la translation d’un régiment d’une garnison à l’autre. Je profitai de sa marche pour obtenir un congé de semestre, dont j’employai les premiers mois à visiter mon pays, où l’on n’avait pas encore reçu de nouvelles de Constance et où l’on ne s’occupait même plus d’elle. Quelques affaires qui y rendaient ma présence indispensable étant terminées, je volai à Paris, dans ce séjour que je brûlais de voir. Un pressentiment secret m’annonçait que j’y retrouverais l’objet de mes premières amours, et ce pressentiment se réalisa, comme on le verra par la suite de ces mémoires.

À mon arrivée dans la capitale, les suites funestes de la Révolution y avaient mis tout en désordre. Le peuple criait famine et les guinguettes étaient toujours remplies de la plus vile portion de la populace ; les agioteurs et les infâmes vendeurs d’argent de la rue Vivienne vendaient le numéraire à un taux exorbitant, et des monceaux d’or roulaient sur des tapis verts dans les exécrables tripots que S. A. le duc d’Orléans tolérait dans l’enceinte du Palais-Royal. Les riches prélats ne respiraient que le sang et la vengeance, et les prêtres tartuffes se faisaient un mérite d’obéir à la nécessité par intérêt. Les courtisanes publiques et les gourgandines, voyant baisser les actions, renchérissaient sur le luxe et n’en procédaient pas moins à vil prix à tous les actes de la lubricité. Enfin Paris, lorsque j’y arrivai, était un mélange de bizarreries et de contradictions, un cahos qu’il était difficile de percer ; tantôt ce monstre qu’on nomme aristocratie prenait le dessus, au moyen de quelques centaines d’hommes que la politique faisait égorger dans les garnisons du royaume ; à son tour le patriotisme prenait sa revanche en faisant décrocher les réverbères et en y substituant une victime pour éclairer la nation sur ses intérêts. Telle était la capitale lorsque j’y arrivai.

Je m’y logeai rue St-Honoré, hôtel de Londres. Je ne connaissais pas encore cette espèce qu’on nomme raccrocheuse, et qui, le soir, dépouillées jusqu’à la ceinture, provoquent les passants en étalant aux yeux du public une volumineuse paire de tetons. Je me plaisais à examiner cette engeance maudite qui prostitue ses faveurs pour un morceau de pain ; et cependant, tout en les blâmant, j’éprouvais des velléités ; à leur air agaçant, je sentais que j’étais né pour le libertinage.

J’avais quelques connaissances de jeunes militaires dans cette grande ville ; après quelques visites de bienséance rendues, je ne m’occupai que de plaisirs, et mes nouveaux amis, tout aussi amateurs que je l’étais des orgies de Vénus impudique et de Bacchus, ne tardèrent pas à me proposer l’accomplissement de ce que je désirais avec tant d’ardeur, et me conduisirent au bordel.

Je sentis d’abord quelque répugnance à me livrer aux caresses de ces prostituées messalines, mais bientôt ma honte s’évanouit et le plaisir l’emporta. J’y passais les jours et les nuits, tantôt dans les bras de l’une, tantôt dans les bras de l’autre. J’y appris beaucoup mieux que je ne l’avais fait avec Louison toutes les ressources de la lubricité, et je recevais ces leçons avec volupté.

Julie, Blondy, Beaulieu, D’Harcourt, ô vous putains expertes et consommées, que ne vous dois-je point ! c’est vous qui avez le plus contribué à mon éducation, et c’est à vous que je dois le bonheur d’avoir retrouvé Constance.

Peindrai-je mes occupations avec ces prêtresses voluptueuses de l’amour et du plaisir ? Eh ! pourquoi non ? N’est-ce pas les degrés des âges du plaisir que j’écris, n’est-ce pas la narration de mes jouissances voluptueuses ? Ne laissons rien échapper de ces variations et montrons, par mon exemple, la plupart des hommes tels qu’ils sont.

Julie, la première de ces filles publiques, avait une gorge admirable, elle le savait ; aussi ne craignait-on pas d’attraper la vérole. Se glissant sur le bord de son lit, elle vous invitait avec grâce à placer votre membre génital entre ses deux tetons, jouissance d’autant plus délicieuse que, par le moyen de la respiration, elle leur donnait un mouvement égal à celui du croupion, de manière qu’ainsi logé le priape fournissait sa carrière ; tandis que d’une main elle vous chatouillait agréablement les génitoires, et que de l’autre, avec un doigt jésuitique, elle introduisait dans l’anus le postillon de la même façon que le marquis de Villette et Voltaire exploitaient le beau Dauzel au château de Ferney.

Blondy présentait sa croupe ; le fréquent usage qu’elle avait fait de son joujou lui en avait interdit la jouissance. Sa trop vaste matrice, où l’on entrait sans savoir où l’on était, faisait murmurer les locataires, au lieu qu’au moyen de la sodomie c’était une femme neuve.

Beaulieu, si connue par le surnom de Belle-en-cuisses, les rapprochait avec tant d’art que l’on préférait cette double intromission à la voie naturelle.

D’Harcourt était Androgine ; elle vous le posait là où on le lui mettait. C’était au choix, tantôt baisant, tantôt baisée. Sans être jolie, D’Harcourt réunissait tous les charmes du plaisir ; elle en variait les formes et savait vous amener au but que vous souhaitiez ; on la baisait, elle était contente ; on la payait, elle l’était encore plus, et de fil en aiguille, chacun était satisfait.

C’est de cette manière que je me comportai pendant mon séjour à Paris ; le plaisir fut ma seule idole et je m’y sacrifiai constamment.

Un jour que je passais rue de Rohan, je fus invité par une de ces demoiselles à aller faire la visite de ses appas ; on juge bien que je ne me refusai pas à pareille requête. Je montai ; trois ou quatre filles formaient l’assemblage de ce bercail ; j’allais porter mon offrande à la grande prêtresse de cette maison d’amour, quand, au milieu de cette cohorte féminine, j’aperçus, le dirai-je et pourra-t-on le croire ? Constance, oui, Constance elle-même dans le costume de ses compagnes, décolletée, montrant impudiquement sa gorge et ayant placé ses tetons au-dessus d’un corset qui les rassemblait et leur donnait un faux aperçu.

La foudre tombant à mes pieds m’aurait moins étonné ; je balbutiai ; elle ne savait trop que dire. Je payai sans forniquer ; j’emmenai Constance à mon hôtel, où, après avoir renouvelé nos scènes de novice, elle me fit le récit sur lequel j’ai anticipé et qu’on a lu au chapitre IV.

Dans tout autre temps et mûri par l’âge tout aussi bien que par la raison, j’aurais fait avertir les parents de Constance ; je me serais comporté en honnête homme, mais j’obligeai la décence à céder au plaisir ; l’occasion m’offrait une maîtresse, une maîtresse que j’avais chérie ; je ne vis plus qu’elle, et mon parti pris, je la logeai dans un hôtel contigu au mien, où je lui assignai l’assurance de ses besoins.

Pendant ce temps, le régiment fut licencié ; conséquemment je me trouvai libre ; ma mère venant de mourir me mettait à même de me livrer à mes goûts et à toutes mes fantaisies. Ces divers événements me fixèrent à Paris, et plus idolâtre que je ne l’avais jamais été de ma chère Constance, j’avais juré dans ce temps, où j’atteignais ainsi qu’elle ma trente-troisième année, que dorénavant nous n’existerions plus que l’un pour l’autre.

Le temps, ce grand maître des événements, changea mes dispositions, tant il est vrai que l’homme ne doit jamais compter sur lui-même. Je ne cesserai de le répéter, j’étais né pour le plaisir, et lorsque j’en avais une fois assouvi le premier besoin, la nature et mon tempérament me couvraient les yeux d’un bandeau et me forçaient de recourir à d’autres.