Le Dernier prince de Condé - Son mariage et ses campagnes à la Guerre de Sept ans (1753-1762)

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Le Dernier prince de Condé - Son mariage et ses campagnes à la Guerre de Sept ans (1753-1762)
Revue des Deux Mondes6e période, tome 12 (p. 163-195).
LE
DERNIER PRINCE DE CONDÉ

SON MARIAGE ET SES CAMPAGNES
Á LA GUERRE DE SEPT ANS
(1753-1762)


I

La décadence de la Maison de Condé, au début du XVIIIe siècle, sous les trois premiers descendans du grand Condé, n’avait été qu’une éclipse momentanée. La grandeur de cette illustre race s’était du moins maintenue par son rapprochement du trône, par l’exercice d’un pouvoir qui, pour avoir été en mauvaises mains avec M. le Duc, n’en avait que trop manifesté sa puissance ; enfin par le faste, l’opulence cl le goût des arts qui avaient fait de ce prince un Mécène, en même temps que le plus grand seigneur du royaume.

De son vivant, en 1736, comme je l’ai raconté ailleurs[1], la naissance de son fils unique, Louis-Joseph, avait été saluée par des acclamations de bon augure. Partout on avait formé des souhaits pour l’avenir de ce nouveau-né, un rejeton mâle dans la maison de Condé, un héros futur cette fois… On se plaisait à le proclamer par avance avec espoir de voir se renouer la tradition.

M. le Duc disparu en 1740, le futur Condé de l’émigration (c’est le nom qui lui est resté dans l’Histoire) hérita de lui à quatre ans les charges de grand maître de la maison du Roi, de colonel du régiment de Condé-infanterie, et de mestre de camp du régiment de Condé-cavalerie.

De telles investitures, déposées de génération en génération dans le berceau des princes, n’ont pas toujours le don de confirmer leur renommée guerrière. Ici du moins, le talisman ne devait pas être trompeur.

L’instinct naturel d’abord, l’éducation spéciale ensuite, l’ambiance elle-même, tout inclina Louis-Joseph, dès son jeune âge, vers les choses de la guerre. Son oncle et tuteur, le comte de Charolais, était d’un tempérament batailleur. Il avait vaillamment lutté en Hongrie contre les Turcs en 1717. Ce fut même à peu près la seule rançon de sa jeunesse tapageuse. Tout en donnant à son pupille les Pères Jésuites comme professeurs, afin de lui inculquer leur foi et leur science, il eut la bonne inspiration de tenir la main à ce que l’éducation, suivie à Paris, à Versailles, au château de Saint-Maur-les-Fossés, fût surtout préparatoire au métier des armes. Il attendit que l’élève fût en âge de comprendre, pour l’introduire dans le domaine ancestral de Chantilly[2], privé de maître depuis des années. En y pénétrant pour la première fois, le 3 septembre 1748, le jeune prince y reçut, avec de grands transports de joie, les empressemens de ses vassaux, qui s’y traduisirent par des roulemens de tambours, des sonneries de trompettes, des salves de mousquets, où la poudre parlait en son honneur.

L’enfant eut à la fois les oreilles frappées par ces vivats et ces sons belliqueux, les regards émerveillés des trésors artistiques dont le château de ses pères recelait les richesses et les élégances. Surtout il y avait là de grands souvenirs et plus encore des traditions guerrières à y puiser. Chantilly, c’était le joyau des Condés, c’était leur sanctuaire ; c’était le berceau de ces hommes d’armes et le tombeau de leurs cœurs, de ces cœurs qui avaient battu jadis sous des poitrines bardées de fer. Chantilly, c’était leur orgueil et leur légende. Là, s’étaient formés leurs esprits, leurs vertus et même aussi leurs vices. Leurs âmes s’étaient trempées dans cette atmosphère belliqueuse ; c’est du grand Condé que datait surtout la célébrité du lieu. C’est lui qui en avait fait dessiner les jardins par Le Nôtre, qui les avait peuplés de statues martiales, qui avait revêtu son palais de cette sorte de « livrée royale » où se reconnaissait le style de Louis XIV ; là enfin que se déroulait la Galerie des Batailles, la page magnifique, peinte sur toile, des actions de M. le Prince, comme on appelait de son temps les immortelles victoires du grand Condé.

Qu’on se représente Louis-Joseph, un enfant intelligent et pensif, ayant déjà lu dans ses livres d’étude les hauts faits des grands hommes de l’antiquité ou du moyen âge. Il est introduit là par son tuteur. Ce mentor le tient par la main, l’invite à se découvrir, l’arrête devant chaque tableau et lui fait sommairement le récit ou le commentaire de l’épisode (toujours un exploit français) ; lui explique le site, lui montre les deux partis en présence ; lui signale le panache blanc du vainqueur. Louis-Joseph écoute silencieux, captivé, et répète à voix basse les noms retentissans de Rocroi, de Nordlingen, de Lens, de Senef, de Fribourg. De si grands titres, qu’il entend sans doute prononcer ainsi pour la première fois, devant l’image même de la bataille dont ils sont l’emblème, se gravent plus fidèlement dans sa mémoire. La visite aura décidé peut-être de l’orientation de sa vie. Il sent le génie de son ancêtre qui lui montre la voie. Comment hésiterait-il à la suivre ?

Peu de jours après, une première distinction militaire vient confirmer l’heureuse impression du néophyte. Il obtient le grand prieuré de France et parait à la Cour, avec la croix de Malte sur la poitrine. Cet ordre lui vaut cent mille livres de rente. C’est la récompense des plus anciens commandeurs de Malte : « Louis XIV, dit Luynes[3], n’eût pas eu les mêmes complaisances pour un prince du sang. » Dieu sait cependant si ce grand roi faisait du népotisme.

Ici, Louis XV semait pour récolter plus tard. Si la semence était bonne, le sol était généreux, bien cultivé surtout.

Le physique d’abord : c’est la base de toute éducation virile. De bonne heure, Charolais chercha à développer chez l’enfant les exercices du corps. Louis-Joseph se livra avec passion aux battues et aux laisser-courre en forêt de Chantilly ; il supportait vaillamment ces fatigues au-dessus de son âge, et non sans danger ; son oncle eut, dans une chasse, la cuisse décousue par une défense de sanglier. Au manège comme à la carrière, Condé devint l’un des meilleurs écuyers de son temps. Il jouait et s’exerçait avec ses pages, dans des parties de barres à cheval, souvenir des anciens tournois et des carrousels.

On le vit figurer en 1749 à une brillante joute équestre, à la tête de deux autres princes du sang et de cent cinquante cavaliers, en dehors de la barrière Saint-Antoine. La paume était aussi l’un de ses triomphes. Dans les faveurs qu’il réservera plus tard à ses gentilshommes, il tiendra grand compte de leur adresse à ce jeu, et prisera toujours la robustesse et l’agilité des muscles. Les émigrés de l’armée de Condé s’en feront une émulation vis-à-vis de lui. Bon tireur à l’épée, il fera venir, à certaines époques, dans son palais, les maîtres d’escrime en renom tels que les Saint-Georges et les Castelvert.

Cette éducation rustique marcha de pair avec la formation intellectuelle.

Le nouveau Condé se passionne surtout pour les études militaires et en particulier pour les hauts faits de ses devanciers. C’est lui qui se fera le premier historiographe de « M. le prince le Héros, » et retracera cette vie auguste dans un récit très simple et très sincère, empreint d’une sorte de piété filiale. Son livre, qu’il qualifiera modestement d’Essai, servira de base aux historiens suivans. Sa fille Louise le parcourra un jour avec le même sentiment de respect et d’amour ; et, cédant à un noble mouvement d’indignation, elle y déchirera certaine page qui faisait tache au nom de Condé en montrant le général transfuge dans le camp espagnol.

Louis-Joseph fut rapidement versé dans les connaissances de l’antiquité. Il lisait, en bon humaniste, les commentaires de César, Polybe, Végèce ; traduisait Cicéron et les poètes latins, étudiait Télémaque et le Discours sur l’histoire universelle. Amateur de géographie, il formera plus tard à Chantilly et au Palais-Bourbon un important dépôt de cartes rares, surtout de cartes militaires, dont, à l’époque, la perfection était encore loin d’être atteinte. Il les consultait chaque jour, suivant avec leur aide les campagnes d’Annibal, de Condé et de Turenne.

A seize ans, il fut nommé chevalier de Saint-Michel, un des ordres du Roi. Il y eut chapitre à cette occasion. L’abbé de Pomponne y lut un mémoire sur la maison de Condé et fit en peu de mots l’éloge des aïeux du nouveau chevalier. « M. le Prince en habit de novice, ayant sur le front une aigrette de plumes de héron estimée seize mille livres, entra dans le cabinet royal. Il se mit à deux genoux et le Roi l’arma, selon le rite accoutumé[4]. » (1er janvier 1752.)

Louis XV parut charmé de la contenance du jeune homme qui avait déjà toute sa croissance ; une taille courte et ramassée, mais la démarche fière, le geste gracieux. Ses traits, mélange de douceur et de dignité, commandaient le respect et l’affection ; sa courtoisie avec les dames annonçait un vrai chevalier français. Les habitués de la Cour de Versailles recherchaient sa causerie juvénile où il savait mettre une sage réserve. Le Roi goûtait ses reparties prime-sautières, sa vivacité d’imagination, ses bons mots naturels. Il s’occupait de lui, le menait au sermon, lui faisait servir les plats à la Cène royale, présidée par le grand-maître, entre le Dauphin, le duc de Chartres, le prince de Conti, etc.

Au milieu de ces premiers succès de cour, l’hiver de 1749 faillit être fatal au jeune prince. « Il donna force bals et y veilla plus qu’il ne devait. Il en eut, dit d’Argenson, le sang fort échauffé »[5]et contracta une violente petite vérole, la maladie du temps. Le 27 décembre, il était au plus mal, et avait en outre l’esprit frappé par la mort de son aïeul maternel, le prince de Hesse-Rothembourg. Le Roi, dans une visite au malade, eut la malchance de lui parler de son vêtement noir : « C’est l’habit de mon enterrement, car je mourrai bientôt, » répondit gravement le moribond, qui devait vivre octogénaire.

Dès que l’éruption avait été déclarée, on l’avait transporté de Versailles à Paris. On tremblait non seulement pour sa personne, mais pour sa lignée. Les membres de la maison royale s’égrenaient de façon inquiétante. Il n’y avait plus que des têtes uniques par chaque branche, « et elles ne provignaient point ou dépérissaient, » dit le chroniqueur. On remarquait aussi que, si Louis-Joseph venait à disparaître, ce serait un malheur d’avoir à marier, pour faire souche à sa place, un homme aussi extravagant que Charolais, « de tirer race d’une telle nature. » Quelle épouse voudrait être la sienne ? Quels rejetons laisserait-il derrière lui ?… La maison de Condé reposait donc, vers le milieu du siècle, sur une tête masculine unique, celle de Louis-Joseph à peine sorti de l’enfance. L’entourage, qui en prenait souci, songeait par avance à son mariage. C’était la mode des unions précoces dans les maisons princières.

La petite vérole lui avait malheureusement laissé de légères traces au visage. Est-ce à la suite de cette maladie qu’il devint borgne, ainsi que l’avait été son père accidentellement ? Ou, par une fâcheuse bizarrerie de l’hérédité, devait-il cette infirmité à sa naissance ?… On s’aperçut un peu tard que l’un de ses yeux était atrophié ; l’autre du moins lui servira bien, toute sa vie, sans qu’il en paraisse gêné, même en campagne, où on le retrouvera si clairvoyant. A peine était-il entré dans sa dix-septième année, qu’il fut invité plus formellement par son tuteur à faire choix d’une princesse : simple formule de politesse d’ailleurs, car on lui offrit bientôt la carte forcée, dans la personne de la princesse Charlotte-Godefride-Elisabeth de Rohan-Soubise, qui, du reste, à quinze ans, passait déjà pour une jeune fille accomplie. Les jeunes gens se connaissaient à peine. Si convenable qu’elle fût, l’union ne se fit pas sans difficultés. Dans sa hâte à se débarrasser des soins de sa tutelle, Charolais rencontra plus d’une opposition autour de lui ; la future épouse n’étant pas de sang royal, on lui eût préféré une princesse de maison souveraine. Cependant les Condés avaient déjà donné plus d’un exemple de modération sur ce point. Le grand Condé lui-même n’avait épousé qu’une Maillé-Brézé ; son père, une Montmorency. Avec les Rohan, même pour un prince de la maison de France, on ne pouvait arguer d’une mésalliance choquante. Ils avaient été presque rois en Bretagne et maintes fois alliés à des familles souveraines. Tout en passant sur le nom, on discuta sur l’étiquette, « qui se rebiffait, » car, dit le chroniqueur, « c’était un temps épineux où l’on trouvait des obstacles partout. »

Enfin les fiançailles eurent lieu à l’hôtel Soubise. Qui ne connaît le vaste palais des Archives, à la majestueuse colonnade en hémicycle, une des gloires du Marais, avec sa tour moyenâgeuse datant d’Olivier de Clisson ?

La réception y fut digne du rang des époux. Grand déploiement de luxe et de pompe. Le prince de Soubise, père de la future, avait choisi, dans la gendarmerie de la garde du Roi, les douze plus beaux hommes pour offrir la main aux dames à la descente des carrosses ! Mlle de Soubise parut grande pour son âge, bien faite et douée par excellence[6]. »

Le mariage fut très solennel. La lecture du contrat se fit dans l’Œil-de-Bœuf à Versailles, et la cérémonie fut célébrée le 3 mai 1753 dans la chapelle du château, par les soins d’un parent, le cardinal de Soubise, grand aumônier du Roi. Au couvert de la famille royale réglé par M. de Brézé, maître des cérémonies, la nouvelle princesse de Condé eut l’honneur de s’asseoir, à l’exclusion de son époux ; la sévère étiquette exigeant, pour qu’un prince mâle prenne part à un banquet royal, en présence de la Reine, que ce prince ait le titre d’Altesse Royale. Or Condé n’avait que celui d’Altesse Sérénissime. Fête nocturne autour du grand canal à Versailles. Promenade sur l’eau des jeunes époux dans un yacht aux armes des Condés, entouré de vingt-quatre gondoles pavoisées et éclairées par des pots à feu et des lanternes : rien ne fut négligé dans les réjouissances nuptiales pour le plaisir des yeux et le charme des cœurs.

Quand la Cour fut rentrée au château, le Roi donna la chemise au marié, sur la présentation de M. d’Anlezy, gouverneur du prince de Condé ; la Reine la donna à la mariée. Le lendemain de la noce, le jeune couple partit pour Chantilly où l’attendaient de nouvelles fêtes. Tables dressées chaque jour pour quatre cents convives : « sept mille bougies allumées toutes les nuits, dans les salles du château ; promenades sur l’eau en barques chargées de musiciens. » Bref, six semaines de divertissemens et une lune de miel d’heureux présage.

Deux ans de suite, les jeunes époux menèrent côte à côte, soit à Paris, soit à la campagne, une existence d’amoureux, paisible et enviée par tous ceux qui pouvaient admirer le cadre de leurs amours. Ils avaient naissance, honneurs, richesses, beauté et, par-dessus tout, cette prime jeunesse qui voit l’avenir dans un mirage étincelant. En 1755, par une nouvelle faveur royale, Condé reçut la Toison d’Or des mains du marquis de la Mina, qui l’arma chevalier, en le frappant par trois fois de son épée sur l’épaule gauche. Que lui manquait-il encore, si ce n’est de mériter toutes ces grandeurs ? Il avait ses éperons à gagner.

Cette douce période de début amena très rapidement la naissance de trois enfans : une première fille qui devait mourir bas âge, puis le duc de Bourbon et la princesse Louise, voués l’un et l’autre à des existences ballottées par des événemens tragiques.

Au milieu de ces trop courtes joies de la famille, les velléités guerrières du jeune prince s’étaient encore développées par l’étude. Il ne pensait plus qu’à s’exercer au métier des armes, en attendant l’heure des combats. Il s’y prépara en se montrant dans les camps d’instruction, en se faisant reconnaître des soldats pour le sang des Condés.

Il n’avait pas encore vingt et un ans, c’était l’âge de Rocroi, et il n’attendait que l’occasion. Malheureusement l’armée était en décadence, endormie dans les loisirs de la paix à l’ombre des lauriers de Fontenoy. « Le goût de bien vivre[7] » avait remplacé les ardeurs belliqueuses, et, à tous les degrés de la hiérarchie militaire, la discipline s’était relâchée. Le cadre des états-majors péchait par son recrutement. Les officiers de cour y tenaient la place des officiers de métier. L’organisation était défectueuse du haut en bas de la hiérarchie.

En Prusse au contraire, le grand Frédéric portait l’art militaire à un haut degré de perfection. Il inaugurait une révolution dans la tactique, en battant l’Autriche, et nous devions éprouver bientôt le contre-coup de ces succès éclalans, par nos revers dans la guerre de Sept ans, prête à s’ouvrir.

Louis-Joseph était plein d’illusions et d’une généreuse ardeur. Il ne pouvait plus se passer de mouvement. Déjà peu fidèle à sa femme et l’ayant habituée à subir ses fréquentes absences, il n’hésita plus à s’arracher à son intérieur pour courir où la gloire l’appelait, peut-être aussi pour mieux secouer ses lisières.

Louis XV ne le retint pas, et la petite princesse, en poussant des soupirs, dut accepter avec résignation cette séparation cruelle.

Le 11 mai 1757, lorsque le Roi passa à cheval, dans la plaine des Sablons, la revue des gardes françaises et suisses, Condé l’accompagnait avec le Duc d’Orléans et une foule de gentilshommes. Le 2 mai, prêts à partir, ces deux princes allèrent prendre les ordres du Roi au sujet du cérémonial à observer entre eux et l’Electeur de Cologne. « Mon cousin, dit Sa Majesté à Louis-Joseph, voilà une belle occasion pour vous de marcher sur les traces du grand Condé. »

Le lendemain, les princes partirent pour aller rejoindre l’armée du Hanovre. Le commandement en était confié au maréchal d’Estrées, petit-fils de Louvois, celui qu’on avait surnommé le Temporiseur. « Il est de mes connaissances de société, écrivait Mme de Pompadour au comte de Clermont : je n’ai jamais été à portée d’en faire mon ami intime ; mais quand il le serait autant que M. de Soubise, je ne prendrais pas sur moi de le faire nommer, dans la crainte d’avoir à me reprocher les événemens. »

La favorite avait eu moins de scrupules avec son ami Soubise. Le choix de d’Estrées valait mieux sans doute, bien qu’imparfait encore. Que de réformes eut à faire le nouveau commandant en chef en arrivant en Allemagne ! Tous les abus pesaient sur l’armée, jusqu’à ceux des trains princiers. Condé lui-même, par inexpérience, avait suivi la mauvaise tradition. A ses débuts de campagne en 1757, il était parti emmenant une suite de deux cent vingt-cinq chevaux, et des valets en proportion. Il se présenta à l’armée avec un luxe quasi royal, traitant ses officiers à une table somptueuse. Il fallut bientôt réduire ce fâcheux étalage. La simplicité seule, à la guerre, sied au commandement. C’est d’elle qu’il tire une partie de son prestige et de son autorité. Condé l’eut vite compris, se réforma, se fit humble et vrai camarade dans ses rapports avec ses sous-ordres. Il eut le bon goût de se créer des amitiés auprès des plus expérimentés, comme le vieux Chevert, le héros de Prague ; parlant aux uns de sa propre insuffisance, demandant aux autres des conseils, en attendant qu’il en pût donner lui-même, faisant apprécier son endurance, son tact et son esprit de discipline : « Il se montre, dit Voltaire, partout où il y a un péril à braver et une leçon à prendre[8]. »

Peu après son arrivée, l’armée française passe le Weser. La bataille d’Hastenbeck (26 juillet 1757), où, pour parler comme Voltaire, « le sang de France soutint la gloire de la patrie contre le sang de l’Angleterre, » lui offre la première occasion de se signaler. Il a auprès de lui le Duc d’Orléans et le comte de La Marche : le fils du vainqueur de Coni, son cousin, le dernier des Conti[9].

Dans ce combat acharné, l’ardeur juvénile de notre prince va jusqu’à la témérité. Il s’expose au feu comme à plaisir. Son entourage veut le retirer d’un poste trop périlleux ; il répond en souriant : « Je ne trouve pas ces précautions dans l’histoire du grand Condé[10] ; » mot chevaleresque, digne d’ailleurs du sang-froid de l’adversaire Ferdinand de Brunswick. Cet autre prince, voyant dans son parti des troupes de fuyards qui ne cherchaient qu’à échapper au carnage, « quand la terre fumait de sang autour de lui, » rassemblait ses soldats dispersés, réussissait à forcer l’ennemi et arrachait aux Français, l’épée à la main, une batterie perdue.

Mais ce n’était qu’un épisode de l’action ; Hastenbeck demeure une victoire pour la France, chèrement achetée, il est vrai. Les hésitations de d’Estrées, qui l’avait crue un moment compromise, avaient obligé Maillebois, et le jeune Condé lui-même, à donner certains ordres à sa place. Déjà la confusion était dans nos troupes et le maréchal avait dû les faire reculer, lorsqu’il s’aperçut que les Anglais de Cumberland battaient spontanément en retraite. Le champ de bataille nous restait, gage de notre succès final. Condé n’y avait pas été étranger, et ce coup d’essai était pour lui plein de promesses.

Quant au maréchal d’Estrées, dont l’indécision fut blâmée à la Cour, il ne bénéficia nullement de son avantage ; car, par un effet sans doute de la méfiance que Mme de Pompadour avait eue de lui et exprimée par avance, il reçut ses lettres de rappel. Si la journée tourna définitivement en notre faveur, c’est plutôt à ses lieutenans qu’en revient le mérite.

Le lendemain, Condé rassemble ses généraux, ce qu’il appelle « son petit comité militaire, » et leur fait la critique des péripéties du combat, avec un tact et une mesure dont les plus expérimentés ne peuvent que se déclarer satisfaits. Il leur adresse ses observations, les consulte et se garde avec respect de toute censure sur la tactique du général en chef, donnant ainsi tout le premier l’exemple de la subordination. Quand le maréchal d’Estrées fut rappelé, le jeune prince, cédant à son instinct généreux, et en témoin connaisseur, rendit plus de justice peut-être au maréchal en disgrâce que les censeurs en chambre de Versailles. Il exprima publiquement, dans le camp, son regret de cette sévère mesure : souvent aussi, par la suite, il déclara que la bataille d’Hastenheck était la meilleure leçon militaire qu’il eût reçue dans sa vie.

Le duc de Richelieu, successeur de d’Estrées, personnage plus en faveur auprès de la maîtresse royale, allait ramasser les lauriers déjà moissonnés en Allemagne. Sans grands talens militaires, homme de plaisir, avide de grandeurs, grâce à l’aide de Condé, il n’eut qu’à continuer la poursuite commencée par d’Estrées, pour acculer Cumberland à l’embouchure de l’Elbe ; il réussit ainsi à le faire capituler, avec toute son armée. La convention de Closterseven fut célébrée en France comme un triomphe décisif. Plus perspicace que le public, Condé jugea que le pacte, garanti seulement par le Danemark, serait violé, dès que les Anglais pourraient le faire, et il n’hésita pas cette fois à blâmer à sa table la condescendance du maréchal de Richelieu pour le représentant du Cabinet de Copenhague[11].

Sa bonne étoile, qui semble l’avoir accompagné partout, dans cette première partie de sa vie, lui permit de ne pas figurer à la fatale journée de Rosbach, et c’est avec un double chagrin qu’il apprit la défaite du général en chef, Soubise étant le père de sa femme. Condé, en connaisseur, eût préféré que son beau-père ne fit point la guerre ; il l’y trouvait insuffisant. Le prince de Soubise avait des qualités de bonne grâce. Ses défauts de galanterie excessive étaient ceux de son temps. Sa bravoure était non moins incontestable. Mais, chez un commandant en chef, le courage ne remplace pas la maîtrise. Son coup d’œil inspirait peu de confiance. C’est lui peut-être que visait Mme de Pompadour, dont il était cependant le protégé, lorsqu’elle écrivait : « Il faut qu’un grand homme qui veut se rendre utile à sa patrie cède à la prévention publique. » Or cette prévention n’était guère favorable à M. de Soubise.

Il insista cependant pour obtenir un autre commandement. On retrouve le maréchal prêt à prendre sa revanche à la campagne de 1758. Cette année-là, il est plus heureux ; il harcèle l’ennemi dans une dizaine d’engagemens, jusqu’à ce qu’il l’ait battu à Hetzelberg. Cette fois, Condé, qui vient d’être promu maréchal de camp, combat aux côtés de son beau-père. Il fait preuve aux yeux de l’armée, dans cette rencontre, d’autant de sang-froid que de sagacité militaire.

De telles qualités, jointes à l’activité de son âge, le rendaient surtout propre aux opérations de la petite guerre. C’était un véritable officier de cavalerie légère, et rien ne sied mieux que ce genre d’aptitude à un prince-soldat. Elle fait partie de ses élégances. Que ne fut-il le seul de la maison de Condé à se pousser ainsi peu à peu vers le commandement suprême ! Il était né pour cela ; mais en voici un autre membre bien différent : un homme d’église, le comte de Clermont, « petit collet ecclésiastique, » frère de M. le Duc et du comte de Charolais, qui a obtenu l’honneur de se voir à la tête de l’armée et qui va la perdre, tout en compromettant le prestige militaire des Condés. Sans entrer dans le détail de la bataille de Crefeld qu’il a maladroitement livrée, arrêtons-nous un instant sur ce nouveau prince, pour mieux faire ressortir les qualités martiales du neveu par les défaillances de l’oncle.

Clermont venait de remporter un succès d’un autre genre en 1754 ; mais il ne le devait pas à son mérite. Le rang seul du a sa naissance avait milité en sa faveur, pour le faire recevoir à l’Académie française, et le public, moins indulgent que ses nouveaux confrères, ne s’y était pas trompé, il lui avait décoché cette épigramme :


Trente-neuf unis à zéro.
Si j’entends bien mon numéro,
N’ont jamais pu faire quarante ;
D’où je conclus, troupe savante,
Q’ayant à vos côtés admis
Clermont, cette masse pesante,
Ce digne cousin de Louis,
La place est encore vacante.


Clermont se rendit compte de son insuffisance littéraire et siégea peu parmi ses confrères. Il ne fut pas plus brillant à la guerre. Il se fit battre honteusement à Crefeld, pour n’avoir pas voulu suivre les conseils de son jeune neveu, le prince de Condé, qui, bien que simple maréchal de camp, avait déjà sur la tactique des idées très nettes ; et ceux du comte de Saint-Germain, le meilleur général de l’état-major, un passionné disciple de l’école du grand Frédéric. S’ils eussent eu l’oreille de leur chef, ces deux auxiliaires perspicaces auraient pu contrebalancer sa défaillance et son manque d’initiative ; mais souvent les généraux médiocres repoussent les bons avis, de peur de s’amoindrir, étouffant ainsi inconsciemment la lumière qui leur est offerte ; heureux si l’événement ne vient pas leur prouver ensuite qu’ils ont eu le tort de la mettre sous le boisseau. Ce fut la leçon de la journée de Crefeld.

Le comte de Clermont était campé sur la rive gauche du Rhin ; dans une position favorable, la droite au fleuve, le centre vers Wicheln, la gauche du côté d’Osterodt. Le duc de Brunswick, aimant mieux donner une bataille que la recevoir, résolut de s’avancer contre les Français. De Saint-Tonis à Willich, un ancien fossé très large, appelé dans le pays le landwerth, séparait l’armée ennemie de l’armée française, et traversait une grande bruyère où Clermont avait étalé son camp. Il avait mis le landwerth et ses alentours en état de défense ; mais en négligeant toute sa partie gauche, qui s’étendait jusqu’à la Niesse et ne se trouvait pas défendue. L’aile gauche de l’armée était ainsi complètement en l’air, et c’est vainement que le comte de Saint-Germain et le prince de Condé firent remarquer cette lacune. C’est de ce côté que Brunswick allait porter ses efforts. Clermont, au contraire, en dépit de tous les avertissemens, n’avait d’yeux que pour sa droite et avait même fait de ce côté un détachement inutile.

Le 23 juin, la bataille s’engagea avant le jour, et l’ennemi esquissa aussitôt un grand mouvement tournant contre notre malheureuse aile gauche, dans la direction d’Anrath. L’état-major était encore attablé, lorsque l’attaque se prononça, et il y eut surprise.

Saint-Germain avait sur les bras, vers midi, des forces très supérieures. Il disposait d’une réserve de 16 bataillons et 16 escadrons. Après une lutte acharnée, les confédérés, qui avaient engagé tout leur monde, parvenaient, grâce au tir de leur gros canon et avec l’avantage du nombre (11 000 hommes contre les 7 000 de Saint-Germain), à se rendre maîtres des taillis, où la défense concentrait sa résistance.

Par suite d’une fatalité ou d’un ordre égaré, les renforts fiévreusement attendus ne paraissent pas sur le champ de bataille. Les grenadiers de France se sont trompés de route, et le comte de Saint-Germain en est réduit à ses propres forces. Il repousse trois assauts, mais sa division finit par être obligée de battre en retraite. La cavalerie française soutient le mouvement et « fait la meilleure contenance du monde[12]. »

Vers cinq heures du soir enfin, l’armée française était complètement débordée par sa gauche. Les carabiniers français eurent raison des premiers escadrons ennemis, puis vinrent échouer contre le feu des bataillons hanovriens. Les mêlées ne cessèrent qu’à la nuit, et donnèrent lieu à de belles prouesses, mais la journée était perdue.

Résultat : quand le champ de bataille fut abandonné, 7 000 hommes restaient sur le carreau, sans profit pour le succès de nos armes. Crefeld était comme Rosbach une épreuve nationale, un revers fait pour jeter un nouveau discrédit sur la noblesse française, sur les princes eux-mêmes. C’était le tour des Condés de voir leur prestige atteint. Louis-Joseph le pensait mieux que personne. Resté en sous-ordre, il n’avait pu que combattre vaillamment, sans être assez heureux pour ramener la victoire. Mme de Pompadour, apprenant que le renfort envoyé de l’aile droite, n’avait pu arriver à temps pour sauver l’aile gauche, décocha à Clermont ce trait virulent, dans une lettre furibonde : « Quels sont donc les plats officiers, Monseigneur, qui ont égaré vos troupes et ont fait, d’une action qui devait être la plus belle, la plus malheureuse du monde[13] ? »

Peut-être par un violent effort sur le centre ennemi, trop dégarni, le général en chef aurait-il pu changer la face des choses. Il eût ainsi justifié la critique de Napoléon qui jugea trop excentrique et téméraire le mouvement de Brunswick. Du moins Brunswick avait risqué et réussi. Au grand désespoir de ses généraux, Clermont n’avait rien tenté. Il n’avait pas seulement été battu, mais il s’était enfui et avait entraîné l’armée jusqu’à Cologne et Trêves. Il fut mis en disgrâce et remplacé par le maréchal de Contades, non plus un général de sacristie, mais un général de salon ; c’était faire courir à de nouveaux désastres. On le pressentait à Versailles, où les femmes elles-mêmes le bafouaient. Mme de Condé écrivait à son mari :

« On croit ici que M. de Contades n’est pas fort empressé de se battre. L’événement d’une bataille perdue étant ordinairement funeste pour celui qui commande l’armée, il n’est pas étonnant qu’on y regarde à deux fois. Je ne puis le blâmer : je suis fort pour la prudence et pour qu’on épargne le sang. »

Avant de voir Louis-Joseph grandir comme homme de guerre, arrêtons-nous un instant sur la correspondance de sa compagne trop délaissée. Elle était digne de le réconforter, de le maintenir à distance dans la voie de l’amour conjugal et de l’honneur militaire en même temps.

Un peu mièvres sans doute, menues comme sa personne elle-même, humbles comme cette violette qui préférait l’ombre à l’éclat des salons de Versailles, ces lettres, dont j’ai tenu entre les mains le papier festonné de fleurs, mais dont je ne livre pas ici la primeur[14], sont pleines de fraîcheur et de grâce et respirent une honnêteté qui plait doublement, au milieu des corruptions du siècle. Elles donnent une noble idée de la tendre et vertueuse épouse, laissée comme une épave à son foyer, pendant les années de danger et d’éloignement, continuellement dévouée à l’être qui lui tient tant au cœur. On devine combien lui pèsent les absences prolongées du mari en campagne, quand les nouvelles s’en font si longtemps attendre. Si du moins une pensée religieuse accompagnait le prince en Allemagne, lui parlait tendrement tout bas de celle qui prie sans cesse pour lui ; mais elle a des raisons d’en douter, et cette âme en péril la jette dans un perpétuel souci : « Je ne saurais trop demander à Dieu la conversion d’un mari qui me donne bien de la bile pour son indévotion. » — « Mon cher enfant, je t’aime de tout mon cœur… Vous savez, cher mari, que c’est pour moi le comble de la joie d’être avec vous… »

Si ces mots si touchans sont bien parvenus en Allemagne, l’âme et le cœur du prince n’en ont-ils pas été pénétrés ? N’a-t-il pas respiré comme un doux parfum, a la veille de ses combats, cette jeunesse amoureuse, si expansive et si fraîche, qui lui vient du pays natal, ainsi qu’une brise légère ?…

Nous n’avons pas les réponses de Condé. On aimerait à lire la contre-partie, à comparer les deux styles amoureux ou légèrement contrarians. Sans doute, au milieu du bruit des camps, le prince avait peu de temps pour écrire ; l’esprit trop absorbé ou trop répandu pour revoir à chaque heure la gardienne de ses enfans et leurs berceaux. Certes, il aimait sa femme, mais plus encore peut-être cette fumée du moment qui lui en cachait l’image.

A Versailles, il s’était senti influent dans les Conseils du Roi. A l’année, se voyant déjà considéré et écouté, il brûlait d’ajouter « un brin de laurier » aux trophées des ancêtres.

La princesse, ou confiante ou soumise, avait triomphé aisément de quelques rivalités qu’elle avait rencontrées dès ses débuts à la Cour ; notamment de la part des filles du Roi, qui avaient paru vouloir lui disputer le cœur de son époux. Le cousinage, il est vrai, excusait les assiduités du prince auprès des princesses ; malgré cela, les lettres de Mme de Condé ne laissent pas que de nous la montrer un peu jalouse.

De temps en temps la correspondance « hausse le ton. »

En échange des faits de guerre dont Condé lui espace les laconiques bulletins, sa femme le tient au courant de la politique de la Cour, et même des événemens extérieurs ; de la retraite du ministre Bernis « dont la faveur diminue, » de l’élection d’un nouveau Pape dont la sainteté la transporte. « C’est une grande grâce que Dieu nous fait dans un moment où la religion est si abandonnée. »

Après la déconfiture de M. de Clermont, elle a reçu sa visite et a été frappée du calme de son attitude. Elle ne lui a trouvé l’air ni d’un vaincu, ni d’un fuyard. « Il fait bonne contenance, parle à tout le monde et semble fort à son aise. » Elle ne lui pardonne pas d’avoir laissé son mari en sous-ordre : « On dit que c’est sa faute, si vous n’avez pas été à la tête de la cavalerie. »

A son tour, elle a de l’ambition et ne craint pas de l’exprimer : « On croit que vous avez été bien moins exposé (à Crefeld) qu’à Hastenbeck… On trouve que c’est un mauvais procédé de la part de M. de Clermont de vous avoir empêché de paraître où vous deviez être. » Elle est fière maintenant des succès du prince, elle s’y associe et lui en renvoie l’écho. « On dit mille biens de vous à Paris ; que vous êtes fort aimé à l’armée, que vous avez fait des choses admirables et donné des preuves du meilleur cœur. Vous ne sauriez croire, cher mary, le plaisir que j’ai quand j’entends chanter vos louanges. »

Voilà parler en femme à qui la gloire d’un époux n’est pas indifférente. Quel réconfort ! Quel encouragement à bien faire, pour l’homme dont la vie est toujours en péril, mais qui sent au loin, à son foyer, une pensée, une prière !

C’est le baume sur la blessure, l’appui secret dont s’étaye l’âme dans les momens de défaillance, comme la souffrance ou la misère en apporte en campagne, même au milieu de l’enivrement de la poudre ou du succès.

La suite de la correspondance nous montre la vie intime de la famille à Chantilly. La princesse entretient le père absent de ces petits enfans qu’elle élève avec tant d’amour. Elle cherche à l’égayer, à l’intéresser par les détails qu’elle lui adresse. Elle est allée voir son fils en nourrice à Vanves. Comme elle le trouve maussade et colère, elle le fouette de bonne grâce, « ce qui, ajoute-t-elle gaiement, n’a fait ni chaud ni froid. » Ce pronostic pour le futur caractère du duc de Bourbon ne se démentira pas. L’enfant adulte restera volontaire.

La princesse, un moment, croit Condé las de la guerre. En cela, elle se trompe. Un revers a pu tout au plus lui en donner le dégoût momentané. Le vrai soldat ne se décourage pas ainsi, quand il est jeune. Condé ne songe qu’à venger son oncle et l’honneur de sa maison. Ce que sa femme craint surtout, c’est que le désastre de Crefeld « ne renouvelle l’aversion qu’on a pour les princes du sang ; » à mesure que les nouvelles arrivent d’Allemagne, elle juge plus sévèrement l’impéritie du comte de Clermont.

« De l’aveu de tout le monde, écrit-elle, le départ de M. de Clermont de l’armée est un grand bonheur pour l’Etat : on dit qu’il a toujours fait le contraire de ce qu’il fallait… » « C’est lui l’auteur de la perte de Dusseldorf… Le maréchal d’Estrées tâche de rétablir sa santé. S’il se porte mieux, il partira… » «… La famille royale parait dans la consternation de la défaite… »

On voit, par ces fragmens de correspondance, combien les esprits sont montés à la Cour et jusque dans la maison de Condé, contre ce malhabile guerrier improvisé, qui a mis le comble au désarroi de nos armes. Si du moins sa tenue était plus digne ! Mais Mme de Condé parle ailleurs de « l’indécence de Mlle Le Duc, » la maîtresse en titre du vaincu de Crefeld. « C’est toujours à elle qu’on s’adresse quand on veut avoir des nouvelles. Elle débite des bulletins dans tout Paris, où les troupes sont traitées de lâches, sans en excepter les gros mots[15]. » C’est une honte.

Les efforts de Mme de Condé pour dominer ses inquiétudes au sujet de la vie de son cher époux ne sont pas toujours couronnés de succès. Quand la nature reprend le dessus sur la fermeté qu’elle cherche à s’imposer, elle redevient tout à fait femme et tremble pour l’époux chéri. Elle ne peut, lui dit-elle, cacher ses pleurs au public. Ses alarmes sont affreuses. Elle fuit le monde. Elle préfère s’enfermer chez elle et souper seule. Elle repousse les consolations banales.

« On ne vous croit pas exposé à Paris, parce qu’on est dans l’opinion que des princes ne peuvent pas l’être autant que des particuliers. »

La princesse a l’air de douter de cette opinion et elle a raison. La vie d’un prince au feu ne vaut que celle du soldat. Elle est souvent plus exposée, parce qu’il doit se mettre à la tête de ses troupes, pour donner du cœur à ce qui le suit ; et si sa mort a besoin d’être vengée, c’est peut-être cet événement qui gagnera la bataille.

Pendant la campagne de 1758, la princesse devient plus résolue et témoigne de l’ambition pour la carrière du prince. Elle est en souci du grade de lieutenant général, que le Roi marchande à son cousin. Louis XV avait consenti, sur les instances du maréchal de Broglie, « à condition, écrivait-il, que cela ne ferait point planche pour l’avenir. » Puis il s’était repris et avait ajourné la nomination, trouvant le passe-droit trop éclatant. »

Condé s’en montra courroucé et faillit donner sa démission dans un mouvement d’humeur. Le comte de Charolais, pour parer le coup, alla trouver Mme de Pompadour, la toute-puissante distributrice des grâces. Il fut assez mal reçu.

« N’étiez-vous pas convenu, dans votre mémoire, répondit-elle sèchement, en visant tous les princes du sang, de n’être lieutenans généraux qu’à la troisième campagne ?… Vous n’avez pas sujet de vous plaindre. »

La petite princesse n’en est pas moins furieuse de cet échec. Elle met de côté sa dignité ; que ne ferait-elle pas quand l’amour commande ?

« Si j’avais imaginé qu’il fût nécessaire que j’allasse voir cette dame, écrit-elle, vous pouvez compter, mon cher mari, que j’y aurais volé. Rien ne me coûte ni ne me déplaît, quand il s’agit de vous être utile. »

Enfin le fameux grade arriva, le 11 août 1758. S’il était prématuré, au dire des jaloux, du moins tombait-il en des mains dignes de lui.

Joie générale à Chantilly ! On n’y réclamait plus que la présence du nouveau promu. A la fin de septembre, Condé annonce sa rentrée en France, où un congé va lui permettre de se faire complimenter par ses proches. Quelle ivresse pour le cœur d’une femme aimante ! « Vous serez peut-être importuné de mes caresses ; car je me prépare à vous en faire beaucoup, » lui écrit-elle. Elle ne se soucie pas de recevoir l’époux volage au milieu du tourbillon de la Cour ou de Paris. Elle connaît ses faiblesses. Il y aurait autour de lui trop d’empressemens féminins, trop d’adulations intéressées peut-être. Elle préfère le tête-à-tête à la campagne et demande à son seigneur licence d’aller attendre à Chantilly le retour ardemment désiré. « D’ailleurs, insinue-t-elle, comme une sorte d’excuse pour sa requête, la solitude me paraît bien agréable, quand on a été si longtemps privés du plaisir de se voir. »

Mais voici la déception. L’arrivée du prince est retardée par la guerre, et le dépit fait changer le ton de la correspondance. « On parle du départ des ennemis. Pourvu que vous ne les suiviez pas ; que vous leur laissiez passer la Lippe tout à leur aise. »

Quand Condé rentre enfin en France le 8 novembre, ce n’est pas à Chantilly qu’il trouve sa femme, c’est à Versailles, et malade de la petite vérole. Il en est consterné. « Il l’embrasse dans son lit, » rapporte avec admiration le bon Toudouze, capitaine des chasses à Chantilly, dont le journal est un précieux document pour la vie quotidienne de ses maîtres[16].

Le 10 décembre, au bout d’un mois de grandes inquiétudes, la princesse semble guérie. On chante un Te Deum au château de Versailles « à l’aide des musiciens de la Sainte-Chapelle. » Le soir, on boit à la santé de la convalescente au bruit d’une salve de canon. Mais ce n’est qu’un mauvais son pour elle. On se réjouit d’une résurrection là où il n’y a qu’une accalmie.

En allant reprendre son commandement au printemps suivant, Condé s’arrache aux bras d’une malheureuse victime, déjà désignée pour la mort. Il est loin de prévoir que ce départ est le signal d’une séparation dernière. Il quitte la maladie pour aller retrouver la défaite. Passons rapidement sur les deux campagnes de 1759 et 1760 où il est encore en sous-ordre. Il lui reste plus d’une occasion nouvelle d’exposer sa vie en se battant comme un preux.

Dans la funeste journée de Minden, où Contades commande, on voit Condé charger à trois reprises la colonne hanovrienne poussée contre notre centre, sur une pelouse jonchée de cadavres des officiers de gendarmerie et des carabiniers. « Par quatre fois les carabiniers reviennent à la charge » et laissent sur le sol cent cinquante des leurs, dont deux Vogüé[17]. Après la bataille, Condé dégage Contades, en lui donnant le temps de recueillir ses débris.

Par un assez mauvais sentiment, le duc de Broglie avait refusé le commandement suprême, craignant que la présence d’un prince du sang « qu’il trouvait trop jeune et trop incertain de caractère » ne fût une gêne pour son autorité propre. Le reproche était immérité. Condé avait déjà prouvé qu’il savait se plier devant la supériorité d’un chef. Son talent s’était encore affermi et allait devenir hors de pair à partir de 1760. Mais il lui faut auparavant passer par deux cruelles épreuves. C’est au printemps de 1759 qu’on salua pour la dernière fois à Chantilly la délicieuse châtelaine qui avait su s’y faire aimer et apprécier, en même temps que ses charmes extérieurs y avaient attiré tous ses hôtes. Le 22 juin, elle y perdit sa fille aînée, et presque aussitôt, le chagrin, tombant sur une santé déjà ébranlée, la mina sourdement. Elle languit plusieurs mois encore et ne revit plus son mari. Elle passa ainsi le plus triste des hivers, dans son grand domaine abandonné par celui qui en était l’âme, ne lui écrivant plus que quelques courts billets et espérant toujours le voir revenir à son chevet, mais en vain. La consomption de la malade augmentait de jour en jour. Vingt praticiens appelés auprès d’elle ne purent s’entendre au sujet de la nature du mal, ni des remèdes à lui opposer. Tandis qu’ils discutaient entre eux sur le cas, elle succomba[18], au bout de sept ans de mariage à peine et dans sa vingt-troisième année : pauvre fleur que l’orage n’avait pas battue encore et qui semblait s’ouvrir sur une brillante destinée princière ! Du moins Dieu la soustrayait ainsi aux terribles vicissitudes que devaient subir un jour ses deux orphelins, alors en si bas âge. Si l’un et l’autre avaient pu lire en ce moment dans l’avenir, peut-être auraient-ils préféré suivre leur jeune mère au tombeau. Mais qui pouvait prévoir le cataclysme de la Révolution, avec ses effroyables conséquences pour la maison royale ?

Toute la Cour de France, à la nouvelle de la mort de la princesse de Condé, se mit en larmes et prit le deuil. Sa disparition causait une consternation générale. On se répétait en s’abordant à Versailles le mot de Bossuet : « Madame se meurt, Madame est morte. » On songeait au malheur du prince de Condé qui, au milieu des combats, au-delà des frontières, n’avait pas eu la consolation de fermer les yeux à une si jeune épouse. Cette perte, qu’il ressentit vivement tout d’abord, venait assombrir la période la plus glorieuse de sa vie.


II

Condé, malgré le grand malheur qu’il venait d’éprouver, ne voulait pas résigner ses fonctions militaires, au moment où la France, battue et menacée par le contre-coup des victoires prussiennes, réclamait la présence aux armées de ses généraux les plus capables et les plus énergiques. Il espérait ainsi noyer son chagrin dans les obligations quotidiennes de son métier en campagne. Les maréchaux Broglie et Soubise avaient remplacé Contades en Allemagne. C’est sous leurs ordres directs qu’il allait manœuvrer désormais, commander la cavalerie, faire la petite guerre. Parfois ses mouvemens hardis fixent le point d’attaque dans les rencontres. En dépit de son rang, il sollicite comme une faveur des missions subalternes qui lui permettent de se signaler personnellement. Il achève ainsi de se faire la main pour de plus grandes occasions.

Le 10 juillet 1760, on trouve le maréchal de Broglie gravissant avec lui la hauteur de Corback. Sous les ordres de Condé figurent comme maréchaux de camp : le prince de Rohan et M. de la Mortière ; comme brigadiers : MM. de Rosambo et de Boisclairin. Dans cette journée heureuse, une éclaircie, au milieu de nos sombres défaites, les deux maréchaux luttent victorieusement contre des forces supérieures.

Le prince avance à la tête des grenadiers et des chasseurs ; il pousse les ennemis avec tant de vivacité qu’à peine ont-ils le temps de retirer leur canon à force de bras. Tandis que Broglie et Condé donnent leurs ordres côte à côte, un projectile d’artillerie fait sauter près d’eux plusieurs caissons de munitions ; l’un et l’autre sont renversés par les attelages affolés. Ils se remettent en selle, tout meurtris et, dans la poursuite, Condé harcèle les Hanovriens jusque vers Cassel, en leur livrant plusieurs autres engagemens favorables à nos armes.

Dans la campagne de 1761, il fait autorité à l’état-major et prend part au conseil de guerre tenu par les maréchaux avant les opérations. Commandant de l’avant-garde, il exécute une série de mouvemens habiles avec ses bataillons de grenadiers et de chasseurs ; tantôt repoussant l’attaque d’un parti allemand, M. de Vangenheim ; tantôt, dans un fourrage, reprenant mille rations de vivres à l’ennemi : tantôt encore, avec une réserve, achevant le succès de la journée de Neheim, tantôt enfin canonnant la place de Hamm, et même on va le voir, changeant de tactique, pour assiéger Meppen, « petite place fraisée et palissadée, » où les ennemis ont des dépôts considérables.

« Si l’on avait l’espérance de conserver l’Ost Frise, écrivait Broglie à Choiseul, la possession de Meppen serait nécessaire pour jouir de la navigation de l’Ems. M. le prince de Condé serait heureux de faire cette conquête[19]. » Par son insinuation bienveillante pour le prince, le maréchal voulait effacer l’effet d’une altercation assez vive qu’il avait eue avec son sous-ordre, le lendemain de la prise de Willinghausen[20]. Broglie, homme difficultueux et jaloux de son autorité, lui avait reproché à cette occasion d’avoir voulu jeter du louche sur son attitude. « Ce n’est pas ma coutume, répliqua le prince en se cabrant cette fois : j’agis toujours selon la vérité de mon caractère. »

Lettre et réponse, Condé avait soumis le différend au ministre de la Guerre. Choiseul n’avait pas hésité à condamner le maréchal et avait donné à son contradicteur un grand témoignage d’estime par ce laconique billet : « Le Roi, monsieur, connaît votre volonté, votre exactitude. Sa Majesté pense que vous êtes infiniment au-dessus des tracasseries souterraines, qui ne peuvent pas offenser une conduite telle que la vôtre. » Et pour lui témoigner la confiance du gouvernement, il ratifie, malgré la jeunesse du prince, la proposition faite en sa faveur, au sujet de la direction du siège de Meppen. Bien que novice dans le métier d’ingénieur, Condé s’empressa de tout mettre en œuvre pour mener à bien cette mission délicate.

Eloigné de ses magasins, il dut forcer tous ses moyens pour assurer la subsistance des troupes détachées au siège, et brusquer l’opération. Il trompa l’ennemi sur son itinéraire, couvrit sa marche avec adresse, et, tombant à l’improviste sous les murs de Meppen, somma le gouverneur : « J’aime mieux mourir, » répondit simplement le major Udam, homme énergique, rivé à son règlement et décidé à épuiser les ressources de sa défense. Il savait cependant sa petite garnison menacée d’un assaut donné par quarante-cinq compagnies de grenadiers, suivies d’un corps considérable de chasseurs et de trois régimens de dragons à pied.

Le siège fut aussitôt poussé avec activité. Ceinte d’un mur épais et de fossés profonds, la place était en outre défendue par plusieurs ouvrages extérieurs. Condé se révéla officier du génie, comme il s’était déjà révélé canonnier en rase campagne. Avec l’aide de l’ingénieur Bourcet de la Saigne et de l’artilleur de Saint-Auban, il dirige les travaux d’attaque au milieu d’un feu violent qui lui laisse tout son sang-froid, place artistement les batteries, fait pousser méthodiquement les tranchées. Le tir continu des assiégés a beau inquiéter et retarder les travailleurs. Ils sont animés par la constante présence du jeune chef qui se poste souvent sur les points les plus exposés au canon des remparts. Il montre qu’il a étudié avec fruit Cohorn et Vauban. Ensuite il va visiter les blessés à l’ambulance. Sa sollicitude lui gagne les cœurs dans le corps de siège ; il a fait preuve ainsi des doubles dons du commandement.

La place se rend enfin, n’ayant plus ni munitions, ni vivres, et les bombes ayant fait sauter le magasin à poudre. La garnison est prisonnière, mais sort de l’enceinte avec les honneurs de la guerre. Le gouverneur allemand, après avoir éprouvé l’énergique vaillance de l’assaillant, ne peut que rendre hommage à sa magnanimité.

La dernière campagne de la guerre de Sept ans, celle de 1762, en apportant à Louis-Joseph l’honneur d’un commandement désiré, devait le sacrer capitaine dans notre histoire militaire. « On crut alors, dit le duc d’Aumale, qu’on allait voir reparaître le grand Condé. » Mais l’illustre historien s’empresse d’ajouter : « Il n’y a qu’un grand Condé. » Laissons à Louis-Joseph un moindre piédestal.

Les maréchaux Soubise et d’Estrées opéraient en Westphalie avec 80 000 hommes. Le prince de Condé commandait la réserve du lias-Rhin[21] (46 000 hommes)[22], divisée en six corps : ceux de MM. de Lévis, d’Affry, de Montazet, de Saint-Chamans, d’Auvet et de Conflans, bons gentilshommes ayant acquis l’expérience dans les campagnes précédentes : hommes d’action et hommes de métier.

Condé avait son quartier général à Dusseldorf. Il devait d’abord défendre les passages du Rhin, assurer par des détachemens les garnisons des places fortes en Westphalie, inquiéter les communications des Hanovriens avec la Hollande et lancer des troupes légères jusque sur le bas Ems, en menaçant les environs de Munster et de Hamm[23].

L’armée ennemie était commandée par les deux Brunswick, l’oncle et le neveu, les meilleurs élèves du grand Frédéric. Le duc était le vainqueur de Crefeld, Minden et Willinghausen. Charles-Ferdinand, surnommé le Prince héréditaire, avait été battu à Clostercamp. Il n’en avait pas moins la méthode du professeur prussien. Il prit l’offensive pour tâcher de recouvrer la Hesse que les Français lui avaient fait perdre. Région à la fois boisée et accidentée, cette province est caractérisée par le massif du Hartz et les monts de Thuringe qui, avec leur prolongement en Bohème, forment l’épine dorsale séparant les plaines de la Westphalie de l’Allemagne centrale. La Werra ou haute Weser, qui naît sur le versant méridional des monts de Thuringe, limite à l’Ouest le Thuringerwald. Là s’étend un riche bassin salifère, autour duquel vont opérer les armées en présence.

Le ministre de la Guerre écrivait le 3 janvier au maréchal de Soubise[24] : « Je suis dans la confiance que vous ferez usage incessamment du corps de troupes du prince de Condé et lui enverrez les ordres relativement au projet que vous avez concerté avec M. le maréchal d’Estrées. » Les deux maréchaux n’hésitèrent pas à appeler à eux comme renfort ce corps déjà éprouvé. Le 22 juin, l’armée française sous leurs ordres était rassemblée auprès de Cassel. Un mémoire émanant du quartier général fut adressé à Condé pour lui tracer les grandes lignes d’une diversion qu’on attendait de lui.

« Le Roi, lui manda Soubise, veut que vous veniez à Giessen dans la Hesse. » C’est alors qu’on vit Condé se surpasser comme manœuvrier. Le but de ses opérations ultérieures consistait à laisser un rideau le long du Rhin, en Westphalie, et à se rapprocher de l’armée des maréchaux dans la Hesse, pour grossir leur nombre ou les appuyer, « afin, selon l’expression du maréchal, de donner jalousie à l’ennemi. » Son jeu était par suite de marcher vite et de se dérober à tout engagement, tant qu’il n’aurait pas fait jonction ou du moins ne se trouverait pas en liaison avec le gros de l’armée, vers Marbourg, dans cette région montagneuse de la Hesse où il pourrait profiter de l’avantage du terrain. Mais le voilà bientôt retardé dans sa marche par la difficulté des distributions de vivres, parce qu’il traverse un pays pauvre ou dévasté, au milieu de populations hostiles. « Il ne peut, assure-t-il, faire plus grande diligence. » Les troupes sont harassées par des marches forcées. Tout ce qu’il lui sera possible d’accomplir, ce sera d’arriver vers le 8 août sur l’Ohm[25], et il s’attend à ce que l’ennemi lui en dispute le passage. « Voulez-vous, écrit-il à son beau-père, que je l’attaque, si j’en trouve la possibilité ? En tout cas, il me parait difficile, dans la situation où sont les choses, que je puisse vous joindre sans me commettre à combattre… Je vous amène 20 000 hommes qui ne demandent pas mieux. » Condé a franchi cinquante lieues en onze jours, par les chemins de la Wetteravie que les pluies ont défoncés, et a gagné le haut Eder. Cette marche difficile où il n’a laissé personne en arrière, et avec l’ennemi en flanc, lui a fait déjà grand honneur. Il a dû employer des formations spéciales pour n’être pas entouré en cours de route. Arrivée là, son avant-garde, commandée par le marquis de Lévis, fait des démonstrations sur l’Ohm avec MM. d’Affry et de Conflans, qui s’emparent de quelques postes. M. de Lévis, cadet de Gascogne, est un des héros de la guerre d’Amérique où il s’est particulièrement distingué à Québec. Du commandement du maréchal de Broglie, il a passé sous celui de Condé, qui connaît sa bravoure et sa ténacité.

M. le Prince se retranche et prend près de Giessen, à Grummingen, une position d’attente qui lui est imposée par les circonstances. « M. le Prince héréditaire, écrit-il à Soubise, est campé à Homberg et M. de Luckner l’a joint hier, j’en ai la certitude. » On reconnaît là le général qui sait s’éclairer et n’opère devant l’ennemi qu’en connaissance de cause. C’est aussi un chef prudent non moins qu’avisé : « Si je passe l’Ohm pour m’approcher d’Asfeld, je fais une marche en prêtant le flanc de très près au Prince héréditaire qui est à présent aussi fort que moi, et je m’expose à un combat : ce n’est pas là le plus grand inconvénient ; si vous l’ordonnez, nous le risquerons volontiers ; mais d’où vivrai-je ?… je tire mon pain de Giessen. Il sera facile aux ennemis campés à Homberg d’intercepter mes convois… » Ah ! les ravitaillemens, la pierre d’achoppement de tant de manœuvres savantes en campagne, surtout à une époque où les services que nous appelons « de l’arrière « étaient encore en enfance, d’où, faute de grands magasins préparés et de moyens de communication, on ne savait guère que réquisitionner, vivre sur le pays : mais quand le pays était épuisé ?…

Condé se trouvait en assez mauvaise posture avec sa réserve du Bas-Rhin, entre Grumberg et Giessen, menacé par deux corps ennemis, et très inférieur en forces. Son corps pouvait être écrasé, avant que l’armée des maréchaux, venant de Westphalie, mais encore éloignée, ne fût en mesure de lui porter secours. Il fallait k tout prix que le prince se rapprochât d’elle ou livrât un combat heureux, avant d’avoir sur les bras toutes les forces ennemies concentrées. Le canon seul pouvait le dégager de cette étreinte.

Sur un plateau près de Grummingen, se distinguaient encore les vestiges des lignes que les Romains avaient construites dans l’antiquité contre les Germains. C’est là qu’électrisé par ce monument des premiers âges, où le sort des empires se remettait déjà au dieu des batailles, confiant dans ce rempart dont il se couvre et plus encore dans les vaillantes poitrines d’hommes dont il se sent armé, le prince français accepte l’engagement contre le premier corps ennemi qui se présente, celui du Prince héréditaire prussien.

Le marquis de Lévis a tout fait d’avance pour en ralentir la marche par des escarmouches et des charges réunies.

Derrière cette avant-garde si bien commandée, Condé a toute sa réserve dans la main. Elle est fort entraînée et quelques jours de repos lui ont permis de se refaire de la fatigue des marches forcées. Ses mouvemens sont un peu gênés par les ravins escarpés de ce pays montagneux, coupé et boisé. L’habileté du prince sera d’en tirer parti. On le trouve partout dans cette journée du 23 août, où se livre le combat de Grummingen, en tête, en queue, au centre des colonnes, luttant avec énergie contre des forces supérieures et leur tenant tête. Il porte lui-même ses ordres au milieu du feu, et prodigue sa vie, comme ses moindres officiers, dans une défense acharnée.

À cette journée, la tactique de Lissa, de Liegnitz et de Torgau est impuissante. Le général français semble deviner les manœuvres qu’elle lui oppose, les pièges qu’elle lui tend et il les déjoue par l’art, la méthode et la vivacité de ses ripostes. Il excelle surtout à poster son artillerie. Elle fait un feu si bien dirigé qu’elle démonte les pièces du Prince héréditaire et culbute ses deux bataillons de grenadiers de soutien. « On voyait du landwehrt, dit la relation française, les mouvemens qu’il se donnait et l’ébranlement de ses troupes. » Le landwehrt, c’était le retranchement romain. C’est encore contre les Germains que ce rempart servit ce jour-là. Le prince de Condé ne s’en laissa pas déloger.

Le duc de Brunswick, bien qu’il n’eût pu suivre de près l’armée française depuis son départ de Cassel, car il s’avançait avec la lenteur compassée des Allemands, était en pleine marche avec toute son armée, pour s’approcher de son neveu et le soutenir par un second échelon.

Le lendemain du combat de Grummingen, 24 août, à deux heures du matin, le Prince héréditaire, n’ayant plus de canons disponibles, prit le parti de se retirer en abandonnant plusieurs pièces d’artillerie et tous les blessés, sans attendre le secours de son oncle. Condé s’empara de ses plus belles pièces, et, prenant alors bravement l’oiïensive, poursuivit l’arrière-garde de l’ennemi par ses troupes légères, appuyées des dragons et de deux brigades d’infanterie. La poursuite atteignit ainsi le pont du Wetter. « La bonne contenance du prince de Condé en a imposé au Prince héréditaire, » écrivait le lendemain au ministre le maréchal de Soubise, avisé par une estafette du résultat de cette première journée et tout fier de signaler la victoire de son gendre[26].

Le 27, devançant les colonnes de l’armée qui continuait à s’avancer, Soubise se porta de sa personne au camp de Condé à Marienborn, afin d’y conférer avec lui[27]. Ce jour-là, l’avant-garde de l’armée des maréchaux, commandée par les comtes de Guerchy et de Stainville, passait le Nidder. Deux jours après, elle prononça son mouvement, pour se rapprocher de Condé, mais sans pouvoir lui permettre encore d’opérer sa jonction ; car il avait l’ennemi devant lui. Ferdinand de Brunswick renforcé par le général de Luckner, tête de colonne du second échelon de l’armée prussienne, le serrait de près. Le prince dut se replier sur Friedberg par une marche de nuit pour reprendre une position plus en arrière et éviter ainsi à la réserve du Bas-Rhin un échec possible avant la jonction désirée. Heureusement, il avait fait reconnaître le pays ; il put occuper les hauteurs avantageuses de Johannisberg et se relier avec l’avant-garde de la principale armée. Il assurait ainsi, par la basse Nidda, sa liaison avec les maréchaux. « Sur les hauteurs de Homberg, écrivait-il au ministre, j’étais en sûreté, et tout aussi à portée d’exécuter les ordres de messieurs les maréchaux qu’à Nauheim. Malgré mon peu d’artillerie, j’ai foudroyé l’ennemi au point de l’empêcher de se former en bataille et de l’obliger à se retirer… Le Prince héréditaire a voulu faire une petite tentative sur ma droite, elle n’a pas mieux réussi[28]. »

A la suite de la reconnaissance ordonnée par Condé, la tour imposante de Johannisberg devint l’enjeu des deux partis. C’était une vigie du passé émergeant sur l’horizon à plusieurs lieues à la ronde, avec des vues étendues. L’avant-garde de Condé s’y porta sous le commandement du marquis de Lévis, tandis que l’armée des maréchaux, passant le Nidder et la Nidda, allait se concentrer dans la plaine de Friedberg, prête à donner au besoin. La troupe de M. de Lévis comprenait les deux régimens de grenadiers royaux d’Ally et de Cambis, les régimens de dragons de Chapt et de Flamarens, des volontaires du Dauphiné, les régimens d’infanterie de Contlans et de Wurmser, plus une réserve de deux cents chevaux, excellentes troupes bien encadrées, malgré leur manque d’homogénéité apparent.

Posté dès le matin du 30, au Johannisberg, Lévis est assailli par le prince Ferdinand et par Luckner, dont les colonnes d’attaque ont pris la tour pour objectif. Il fait bonne contenance avec ses troupes légères sur sa forte position défensive. À ce moment, Condé, qui s’est rapproché de son avant-garde, a comme une illumination soudaine du champ de bataille. Il lui faut écraser les têtes de colonnes ennemies (une dizaine de bataillons), avant qu’elles puissent être soutenues par le gros des Hanovriens qu’on voit déboucher au loin.

Pour renforcer M. de Lévis, la brigade d’infanterie de Boisgelin est la première arrivée à la rescousse, aidée des régimens de Narbonne, Le Camus, d’Argentré et de la réserve de Stainville. Condé lui prescrit de se former en bataille devant le bois. Le marquis de Lévis redouble de résistance. La brigade d’Orléans a essuyé par trois fois le feu de l’aile gauche ennemie, qui a pris une position de flanc, avec de la cavalerie. La troupe française se venge à la baïonnette et perce jusqu’à la deuxième ligne hanovrienne en terrassant la première. Elle prépare ainsi le succès des brigades suivantes, Limousin et Anhalt.

Mais voici le renfort : le régiment de Boisgelin s’avance, l’arme au bras, sans tirer, sous le commandement du comte de la Guiche, un vieux maréchal de camp à cheveux blancs, qui guide sa troupe à pied, l’épée à la main. « Il n’est pas possible, dit un témoin, d’aller au combat avec plus d’empressement et de gaîté que ces braves gens[29]. » Ils reçoivent la décharge ennemie sans se disloquer. Condé forme ses grenadiers royaux en colonne, leur donne l’ordre de ne charger qu’à la baïonnette, et les lance sur l’ennemi en se mettant à leur tête. La crête des bois est enlevée. Les Hanovriens, qui escaladent la hauteur, sont culbutés du plateau en une demi-heure, chassés du bois, rejetés en désordre dans la plaine. Condé les presse trop vivement pour leur donner le temps de se rallier, sous la protection de la cavalerie prussienne postée près de Niedermerle. Le canon atteint l’ennemi dans la poursuite et lui fait beaucoup de mal. Sa cavalerie détache le régiment de dragons anglais Elliot, qui s’avance au galop comme une trombe aux abords de Niedermerle, passe sur le ventre des hussards de Conflans, jette sur le bord d’un ravin les dragons de Schomberg, mais est arrêté dans son élan par l’approche des régimens de Choiseul, de Chapt, de Flamarens et de Nicolaï, chargés à leur tour. Les Anglais plient sous le choc, dans la mêlée, et s’enfuient à toute bride. L’infanterie ennemie suit ce mouvement et se rallie derrière l’Ulzbach. La cavalerie prussienne soutient cette retraite précipitée, puis disparaît par un demi-tour à droite par quatre comme à la manœuvre, « dans une discipline superbe, » relate un des acteurs de la scène. Tous les escadrons ennemis s’engouffrent dans le ravin de l’Ulzbach et, comme ils ne peuvent le passer tous à la fois, les troupes de Condé les taillent en pièces entre Oberet Niedermerle, sous le commandement du marquis de Saint-Chamans, lieutenant général, du comte d’Houdetot, maréchal de camp, et du comte de Saint-Chamans, colonel d’infanterie.

Près de la moitié du régiment allemand de Muller fut pris et tué, son colonel fut blessé et prisonnier. Il traversa le champ de bataille, sous la conduite d’un dragon français, et dut passer à côté du cadavre de son fils, sabré dans la mêlée[30]. La troupe du marquis de Conflans prit l’étendard d’un régiment de cavalerie hanovrienne ; l’infanterie allemande mise en déroute regagna le ravin du Wetter.

Cependant le corps principal du duc de Brunswick est encore intact. Condé, avec son artillerie, foudroie ces masses impassibles, puis s’élance contre elles au pas de charge et les enfonce. Plusieurs de ses batteries placées par lui-même produisent un effet décisif.

Voyant ses troupes d’avant-garde débusquées, le Prince héréditaire, pied à terre, s’était mis à la tête de ses bataillons pour les ramener au combat. Il fut alors renversé par un coup au bas ventre, et sa chute hâta la défaite des confédérés, en les privant d’un chef habile et vaillant. « Il échappa bien heureusement à nos dragons, écrit le colonel de Tricornot. Il était dans un chariot couvert que ceux-ci dédaignèrent de prendre, parce que les chevaux leur parurent mauvais, et qu’ils préféraient courir en avant pour faire meilleure capture ; ils ne se doutaient pas quelle proie ils laissaient. »

La valeur du général de Luckner sauva seule l’infanterie ennemie qui put gagner Nuheim, poursuivie par la cavalerie de Lévis et de Stainville, soutenue dans sa retraite par sa propre cavalerie. Un des nôtres, le vieux comte de la Guiche, emporté par son cheval, fut capturé. Luckner fut reconduit à coups de canon jusqu’au-delà du Wetter. Condé détacha à la poursuite, outre les dragons et les troupes légères, la brigade d’infanterie du Limousin et celle de Berry-cavalerie. Elles firent beaucoup de prisonniers et s’emparèrent de plusieurs caissons de munitions. L’ennemi ayant rompu les gués du Wetter, la poursuite dut s’arrêter là. Arrivé au secours de son neveu, le duc de Brunswick recueillit les fuyards. La réserve du Bas-Rhin campa derrière le ruisseau de l’Ulzbach.

C’est à l’initiative du prince de Condé, encore isolé et à peine soutenu à distance par l’arrivée de l’avant-garde des maréchaux, que fut due la victoire de Johannisberg. En dirigeant ses têtes de colonnes sur le plateau de la tour, il avait mis dans sa marche une célérité et une précision qui n’avaient pas laissé aux Allemands le temps de faire intervenir leur second échelon. Le champ de bataille lui resta. Il était couvert de cadavres : 1 500 morts ou blessés, du côté des Français ; les Hanovriens et Anglo-Prussiens avaient amené là près de 80 000 hommes, dont l’avant-garde seule avait été engagée sérieusement ; elle avait donné à fond, mais n’avait pu vaincre la résistance de M. de Lévis. Elle avait perdu 1 étendard, 10 pièces de canon, environ 500 hommes tués, 1 000 à 1 100 prisonniers et beaucoup de blessés. Le combat s’était prolongé de neuf heures du matin à cinq heures du soir. Les dragons de Schomberg firent un butin si considérable qu’on l’estima à 100 000 écus. Cela fut vite gaspillé. Aux représentations de leurs officiers, les dragons, qui faisaient bombance, se contentèrent de répondre : « Si nous sommes tués, notre argent serait perdu ; mieux vaut s’en bien faire honneur. » Rien n’était assez cher pour eux. Ils payaient aux Allemands dans leurs bivouacs six francs une bouteille de vin.

La réserve du Bas-Rhin campa dans la plaine de Friedberg à côté de l’armée des maréchaux. Le 4 septembre, les dragons de Schomberg occupèrent encore le plateau de Johannisberg ; le 12, ils étaient à Marbourg, capitale de la Haute-Hesse.

M. de Boisgelin, colonel du régiment de son nom, fut chargé par le prince d’aller porter au Roi l’étendard pris sur les ennemis, ainsi que le détail du combat, et partit la nuit même. C’est par une lettre fort simple que Condé annonçait sa jolie victoire à Versailles. « Le Prince héréditaire, écrivait-il, vient d’être battu par le corps que le Roi a bien voulu me confier, conjointement avec celui de M. de Stainville. Les troupes ont fait des prodiges, et particulièrement le régiment de Boisgelin, commandé par MM. de Chantilly et de Jenner. » Condé, l’adversaire d’hier, devient l’ami du vaincu blessé et veut lui prêter secours. Il écrit au duc de Brunswick pour lui témoigner son estime et lui offrir les soins de son premier chirurgien. Le maréchal de Soubise, dans son rapport daté de Friedberg, rend discrètement hommage au succès remporté par son gendre et déclare que, « sans la difficulté du passage du Wetter, toute l’infanterie hanovrienne était prise. »

La nouvelle de la victoire de Johannisberg, bien que peu efficace sur la suite des événemens, fut acclamée à Paris par la Cour et la ville. Le nom de Condé était dans toutes les bouches, comme après Rocroi. Le 9 septembre, un Te Deum fut chanté à Notre-Dame de Paris, à la gloire de nos armées ; il y eut le soir illumination et feu d’artifice.

A la fin de novembre, les troupes prirent leurs quartiers d’hiver. Les négociations de la Diète de Ratisbonne amenèrent la paix de Versailles « par impossibilité de continuer les hostilités[31]. » Condé revint en France, après six ans de guerre, trois années presque entièrement passées en campagne. Son épée rentrée au fourreau ne devait plus en ressortir que trente ans plus tard et dans des conditions bien différentes.

Louis XV accueillit son retour avec une faveur toute particulière, l’aida par ses attentions et ses complimens à supporter le deuil de son foyer désert. Il lui fit présent d’une partie des canons enlevés à l’ennemi par l’armée du Bas-Rhin. Le prince les installa sur le terre-plein de Chantilly autour de la statue du Connétable. Ses victoires le rendirent très populaire à la Cour et la ville. En le revoyant lier et modeste en même temps, le public se disait dans les salons : « Si avant sa vingtième année l’élève de Gassion avait écrasé à Rocroi les tertios vejos redoutés de toute l’Europe, Condé, avant ses vingt-cinq ans, en avait fait presque autant, avec les vieilles bandes du grand Frédéric. »

Quand le vainqueur de Johannisberg alla visiter les blessés de Hanovre aux Invalides, ces vieux serviteurs du Roi et de la Patrie baisèrent ses mains au passage. A la Cour, on organisa de grandes réceptions en son honneur.

A la première représentation d’une petite comédie de Rochon de Chabannes, intitulée : Heureusement, un personnage de la pièce, jeune militaire soupant avec une jolie femme, lui disait : « Je bois à Cypris » et la dame répondait : « Moi, je bois à Mars. » En prononçant ce mot, Mlle Hus, l’actrice qui jouait le rôle de Mme de Lisban, jeta les yeux sur la loge du prince présent à la représentation et lui tendit son verre, avec un geste et un sourire significatifs, aux applaudissemens de la salle.

Le retour du prince à Chantilly, auprès de ses deux orphelins et de la tombe de la princesse, dut être poignant pour son cœur. L’amour s’en était retiré momentanément, comme la main invisible du bonheur. Il devait revoir longtemps encore par la pensée la mère de ses enfans ; elle avait eu sur ses lèvres jusqu’à la dernière heure le nom de l’époux absent pour le service du Roi. Voulant plaire à la population qui l’acclamait, il secoua son chagrin et donna une fête où l’abbé Prévost, en résidence dans les environs et déjà célèbre par son roman de Manon Lescaut, tint un rôle dans une comédie de J.-B. Quin[32]. Après la paix de Versailles, Ferdinand de Brunswick, rétabli de sa blessure, fit un voyage en France et ne parut nullement garder rancune aux Français de la balle qui l’avait cloué sur son lit à Johannisberg. Sa première visite fut pour son généreux vainqueur. Il fut reçu à Chantilly selon les hautes traditions du lieu. La vue des canons allemands aurait pu offusquer le visiteur. Condé eut la délicate attention de les faire disparaître avant l’arrivée attendue. Ferdinand de Brunswick, l’ayant appris par hasard, dit à son hôte : « Ah ! prince, vous m’avez vaincu deux fois : à la guerre par vos armes, dans la paix par votre modestie ! »

Général DE PIEPAPE.

  1. Histoire des Princes de Condé au XVIIIe siècle.
  2. Voyez, sur Chanlilly, les Arts dans la maison de Condé et Chantilly et le Musée Condé, par M. Macon.
  3. Luynes, IX, 123 : XI, 361.
  4. Mémoires de Luynes, XI, 361.
  5. Mémoires d’Argenson, VI, 107.
  6. Dufort de Cheverny, Mémoires.
  7. Camille Roussel, le Comte de Gisors.
  8. Siècle de Louis XV, III, 162.
  9. Louis-François-Joseph comte de la Marche, né en 1734.
  10. Gazette du 4 août 1757. Récit officiel de la bataille d’Hastenbeck, Dépôt de la Guerre. Mémoires de Mme Campan, II, 52.
  11. Chambellan, Histoire du prince de Condé.
  12. Relation allemande de la journée de Crefeld, par le marquis de Voyer. Dépôt de la Guerre. Supplément Luynes, XVI, 182. Papiers Clermont, t. VII, no 159.
  13. Mme de Pompadour à Clermont, 28 juin 1778. Papiers de Clermont, lettre citée par M. Richard Waddington (Guerre de Sept ans), II, 115.
  14. Archives nationales R. 569. Originaux autographes. Elles ont été en partie publiées par M. le comte Fleury.
  15. Voyez sur Mlle Le Duc le Journal de Barbier, t. V, 54 et t. VIII. 249 ; Jules Cousin, le Comte de Clermont, sa cour et ses maîtresses ; Général Pajol, Guerres sous Louis XV, t. IV.
  16. Journal de Toudouze. Musée Condé. Copie à la Bibliothèque Mazarine.
  17. Général Zurlinden. loc. cit. Voyez la notice de M. le marquis de Vogüé, sur son ancêtre Charles de Vogüé. Que l’auteur de cette notice reçoive ici mes respectueux remerciemens pour la communication que je lui dois des épreuves de cette intéressante relation.
  18. Le 5 mars 1760.
  19. Dépôt de la Guerre. Broglie à Choiseul. Coesfeld. Vol. 35i90, 1er octobre 1761.
  20. 28 juillet 1761.
  21. Condé succédait, dans son commandement, an marquis Charles de Vogué, qui s’était fort distingué dans les campagnes précédentes. (Voyez la notice citée ci-dessus de M. le marquis de Vogué.)
  22. 61 bataillons, 48 escadrons, 100 pièces de canon. Archives de Chantilly, ins. 1050 ; Général Pajol. Guerre de Sept ans, t. V, p. 316.
  23. Dépôt de la Guerre, vol. 3608-137, vol. 3609-58. Condé à Choiseul, 13 mars 1762.
  24. Dépôt de la Guerre, vol. 3610, 33.
  25. Petit affluent de la Fulda.
  26. Du camp de Maberzel, 21 août 1762. Dépôt de la Guerre, vol. 3612, f° 235.
  27. Dépôt de la Guerre, vol. 3612, f° 235.
  28. Condé à Choiseul, camp de Bommersheim. Dépôt de la Guerre, 3612 ; 232 bis et 286.
  29. Mémoires du baron de Tricornol, officier de la réserve de Condé, témoin et acteur du combat. Communiqués par la famille à laquelle j’en exprime mes remerciemens.
  30. Mémoires de Tricornot, loc. cit.
  31. M. Frédéric Masson, Introduction aux Mémoires de Bernis, ch. I.
  32. 26 septembre 1762. Citation de M. Macon, Chantilly et le Musée de Condé.