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Le Destin des étoiles/ch-4

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Traduction par Théophile Seyrig.
Félix Alcan (p. 105-125).

CHAPITRE IV

LA CHIMIE DE L’ATMOSPHÈRE

L’atmosphère des planètes est un sujet d’étude très particulièrement intéressant pour nous. Le problème de la possibilité qu’elles soient habitées s’y relie très directement. Depuis longtemps l’imagination des hommes s’est occupée de cette question ; elle a peuplé les corps célestes d’êtres plus ou moins semblables à ceux de la terre, particulièrement les étoiles et le soleil. Petit à petit, cependant, on a dû reconnaître que ces astres se trouvaient à l’état d’incandescence, et que par conséquent, ils étaient hors d’état d’abriter la vie, telle qu’elle nous est familière. Dès lors, l’attention s’est portée sur les planètes, à partir du moment ou l’on a reconnu qu’elles appartenaient à un groupe de corps analogues à notre terre. Peut-être, supposait-on, s’y trouvait-il des êtres de notre propre espèce. Les étoiles, ces soleils analogues à notre soleil, pourquoi ne seraient-elles pas entourées chacune de sa pléiade de planètes, gravitant autour d’elles, et recevant de cette source centrale leur chaleur, leur lumière, favorables à l’habitation tout comme chez nous. Cette conception, belle en elle-même, se heurtait cependant à la pensée que la terre était le centre de l’univers, mise à part de tous les autres corps célestes, dont le rôle se bornait à fournir aux habitants terrestres la lumière, et à leur permettre de compter le temps. Cette théorie, il faut le regretter, fut fermement adoptée par l’Église, bien que quelques-unes des autorités de celle-ci, plus éclairées, comme le cardinal Nicolas Cusanus (1401–1464), se fussent prononcées en faveur de l’opinion contraire, et néanmoins, ne furent pas molestés. Mais il survint d’autres temps plus sévères, l’orthodoxie farouche parvint à triompher, et Giordano Bruno, qui s’était rallié aux vues de Cusanus, et qui s’en réclamait, dut monter sur le bûcher pour expier sa conviction courageusement exprimée et soutenue, savoir, que d’autres mondes que le nôtre pouvaient être favorisés de la présence d’êtres vivants.

Sans nul doute, les planètes autres que les nôtres sont construites des mêmes matériaux que ceux qui forment notre globe. Déjà Léonard de Vinci professa cette opinion. Aujourd’hui l’analyse spectrale nous prouve, de façon certaine, que les mêmes éléments entrent dans la composition de la matière qui forme tous les soleils, comme le nôtre. Toute notre science nous porte à la conviction que la masse primordiale solaire s’est subdivisée, fractionnée, et que les diverses unités de notre système en sont des parties qui circulent autour d’elle. De là la conséquence que toutes les planètes contiennent les mêmes éléments que le soleil, mais encore que celles qui sont parvenues à une même période de leur évolution, c’est-à-dire qui se trouvent à un égal état de refroidissement, doivent présenter les mêmes combinaisons chimiques. Ne savons-nous pas, d’ailleurs, que les rares échantillons qui nous arrivent parfois sur la terre, savoir, les météorites ou aérolithes, nous offrent une constitution qui a de frappantes analogies avec quelques roches volcaniques, basiques, qui existent sur notre globe. Seulement c’est en vain que nous y cherchons une trace quelconque d’une présence de l’eau, dont les actions sont si puissantes à la surface de la terre, et dont les effets sur les couches anciennes dites sédimentaires, sont si marqués. Rappelons-nous ici que l’eau sous forme de vapeur s’est échappée, comme nous l’avons précédemment expliqué, de tous les corps stellaires de moindre importance. Les météorites sont parmi les plus petites de toutes ces masses qui circulent dans l’univers.

Il n’y a donc aucune raison de douter que la matière constitutive de toutes les planètes soit essentiellement la même dans l’univers tout entier. Intérieurement, elles doivent comme notre terre être formées de métaux lourds, principalement de fer, que nous retrouvons également en quantité dominante dans le soleil aussi bien que dans les météores. Ce noyau métallique est, sans nul doute, enveloppé de silicates, d’oxydes, de carbonates, de sulfures et d’hydrates de toutes sortes de métaux, notamment d’aluminium. Parmi ces métaux nous comptons encore l’hydrogène. Le point de fusion de toutes ces substances extérieures et relativement légères est supérieur à 1 000 degrés. Aucune vie ne peut subsister dans une masse fondue semblable, et comme conséquence, nous pouvons dire qu’aucune possibilité de vie n’existe jusqu’au moment où une croûte solide aura pu se former, par suite du refroidissement.

La vie, tout au moins à la surface de la terre, est liée à la production de certaines combinaisons, dans lesquelles le carbone est l’élément commun et essentiel, en même temps que d’autres corps y entrent également, tels l’hydrogène, l’azote, l’oxygène, puis encore, en moindre proportion : le soufre, le phosphore, le fer, le magnésium, et quelques autres éléments de moindre importance. Aucune autre substance n’est aussi généralement indispensable à la vie que le carbone. Le silicium est, chimiquement, très voisin du carbone, et il peut se substituer à lui dans certaines combinaisons organiques. Mais le protoplasme, la matière fondamentale de la cellule vivante, ne saurait exister sans carbone. Cette matière ne résiste pas à une température qui dépasse 60 degrés environ. On affirme que certaines algues peuvent encore vivre dans des sources thermales atteignant 80, ou même 90 degrés. Elles n’existent certainement pas au delà de 100 degrés. Dans toute cette étendue de la température (et, à vrai dire, pour être complet, dans toute l’étendue entre 0 et 365 degrés) l’eau peut exister à l’état fluide. Or c’est cet état de fluidité qui est une des conditions primordiales de l’existence de la vie. Nous pouvons dire, en conséquence, que la vie est limitée à une faible étendue de température, comprise entre les points de congélation et d’ébullition de l’eau.

Mais partout où il se trouve de l’eau, sauf dans quelque espace clos qu’elle remplirait en totalité, il se trouve aussi, dans l’espace qui lui est immédiatement contigu, — s’il est inoccupé par des solides ou des liquides, — de la vapeur d’eau, à une pression qui est, à son minimum, de 4mm,6. Il y aura donc nécessairement aussi, une atmosphère de vapeur aqueuse à la surface de n’importe quelle planète où il existerait de l’eau.

Nos paléontologues sont d’accord sur ce point, que toute vie doit avoir commencé dans l’eau. La multiplicité énorme des êtres aujourd’hui vivants à la surface de la terre a pour ancêtres des organismes qui ont flotté sur les vagues ou vécu dans les profondeurs de l’océan, berceau de toute vitalité. Il n’est nullement certain que l’oxygène soit indispensable à tous les êtres vivants, mais un grand nombre de biologistes penchent vers cette conviction. Certaines bactéries ont le pouvoir de tirer l’oxygène qui est nécessaire à leur développement, de certains composés dans la constitution intime desquels il entre, tels par exemple, que des sulfates. Mais ces bactéries sont considérées comme des plantes dégénérées, et l’oxygène libre est certainement indispensable à l’existence des animaux aussi bien que des plantes, à l’exception de celles que nous venons de mentionner. Nous verrons plus loin que l’oxygène libre ne peut exister dans ou sur les planètes avant qu’elles possèdent une croûte solidifiée. Et nous pouvons dire ainsi que la vie ne peut trouver ses conditions d’existence à la surface d’une planète qu’à partir du moment où une véritable atmosphère l’environne, comprenant parmi ses éléments constitutifs de l’oxygène et de la vapeur d’eau.

Dans la formation du protoplasme, l’existence, la présence de l’azote et du carbone est essentielle. C’est pourquoi l’acide carbonique est un des plus importants constituants de l’atmosphère terrestre ; l’azote de même, quoique d’une importance moindre. Peut-être pourrait-on supposer toutefois que ces éléments, carbone et azote fussent fournis par la croûte solide, sous forme de combinaisons carbonées et nitratées, car on sait quel rôle important jouent encore aujourd’hui ces combinaisons.

Voulons-nous connaître les conditions de l’existence de la vie à la surface d’une planète, il nous faudra donc nous enquérir de quelle manière, par quel procédé, l’oxygène a pu parvenir à se trouver dans son atmosphère. Toutes les planètes s’étant successivement détachées de la masse primitive solaire, leur composition a dû correspondre, à leur origine, à celle du soleil, et plus précisément à celle des couches extérieures du soleil.

Or ces couches comprennent principalement des métaux, mais également certains oxydes, notamment ceux du titane et du magnésium, à ce que nous a appris M. Fowler ; puis de l’hydrogène en grande quantité, de l’oxygène, du carbone, du cyanogène et de l’oxyde de carbone. Peut-être semblera-t-il bien singulier qu’il puisse y avoir de l’oxygène libre à côté de flots d’hydrogène et de sodium, en notable excès. Mais il faut se souvenir qu’aux hautes températures existantes dans le soleil les combinaisons chimiques des corps réducteurs doivent être résolues, et ces corps doivent être au moins partiellement dissociés en leurs éléments. Tel est le cas pour l’eau dont il s’agit particulièrement ici. Si la température y descendait jusque vers 1 200 degrés, où le point de formation d’une croûte solide n’est pas encore atteint, l’oxygène serait entièrement fixé par les corps formant les composés que nous venons d’énumérer.

Les principaux constituants de la terre sont presque tous fortement réducteurs comme ceux du soleil, de sorte que nous devons supposer que l’oxygène libre n’existait pas encore sur notre globe avant la formation de sa croûte solidifiée. Nous pouvons nous faire une idée des gaz qui alors se trouvaient dans son enveloppe périphérique, en examinant les gaz solaires, et ceux des autres soleils célestes, et encore particulièrement ceux des comètes. Nous pouvons encore étudier les gaz contenus dans la masse en fusion de l’intérieur de la terre, ou absorbés par elle. Avant que la terre ne fût revêtue de sa croûte, la masse entière ressemblait à celle de son noyau actuel, à l’exception des gaz qui se trouvaient dans des couches les plus extérieures. Cette masse incandescente, fondue, se trouvait en contact avec les gaz enveloppants, et elle devait s’en saturer par absorption. L’examen des gaz encore absorbés actuellement par le magma nous fournira donc des indications sur ceux qui se trouvaient dans les vapeurs primitives qui ont enveloppé le globe. Ce magma nous apparaît parfois dans les éruptions volcaniques. Les gaz qui y sont contenus se répandent en partie dans l’atmosphère, en partie aussi restent-ils renfermés dans la lave qui se solidifie, ou même dans les roches volcaniques. On peut les en extraire par l’emploi de températures très élevées, et les soumettre ainsi à l’analyse. Nous pouvons recueillir directement les gaz vomis par les cratères, et les examiner. De telles analyses ont été abondamment faites par Albert Brun, Arthur Day et ses collaborateurs Shepherd et Perret. Brun est arrivé à cette conclusion très surprenante, que la vapeur d’eau, considérée jusqu’alors comme le gaz le plus abondant d’entre ceux lancés par les volcans, ne leur appartenait pas en réalité, mais proviendrait d’eaux de pluie, ou encore d’eaux circulant dans la croûte même du globe. Hâtons-nous de dire que cette théorie a été renversée par les recherches de Day et de ses aides.

Nous donnons ci-dessous, à titre d’exemple, et comme moyennes de plusieurs analyses, les chiffres concernant les gaz vomis par le volcan Kilauea, dans l’île Hawaï, au cratère de Halemaumau.

Mais la dernière de ces analyses semble indiquer qu’il y a eu admixtion d’une partie d’air atmosphérique, et cet air aurait fait apport d’une certaine quantité d’eau. Elle ne pouvait être considérable, à en juger par la proportion d’azote qui aurait pu correspondre à 3 p. 100 d’eau au maximum. La première analyse a négligé de tenir compte de la vapeur d’eau. Il faut noter que bien souvent une forte proportion d’eau a été décelée par l’analyse dans les gaz ainsi recueillis ailleurs.

ANALYSE DE GAZ DE VOLCANS.
MAI 1912 DÉCEMBRE 1912
en vol. en poids. 
Acide carbonique
55,4  42,9
Oxyde de carbone
 4,3 »
Hydrogène
 7,7 »
Azote
29,6  25,8
Acide sulfureux
 2,9  23,7
Eau
»   27,5
99,9  99,9

Les gaz volcaniques laissés en contact avec l’eau en sont largement absorbés, particulièrement les composés du chlore et du fluor, l’ammoniaque et l’acide sulfureux. L’analyse d’une eau ainsi chargée a révélé 10 p. 100 de plus de fluor que d’acide sulfureux, et en chlore, seulement les 4/10e du fluor. L’ammoniaque n’y existait qu’à raison de 1/2 p. 100 de la quantité de chlore. Aucun des gaz rares de l’atmosphère n’a été reconnu, et cela semble prouver que l’azote avait pour origine exclusivement le magma et nullement l’air atmosphérique.

Brun s’est livré principalement à l’examen des laves de différents volcans. Les gaz qui en proviennent ne donnent pas une image aussi exacte de la composition primitive de l’atmosphère terrestre que les gaz expulsés encore aujourd’hui. Voici par exemple comment se composaient les gaz du Stromboli et du Vésuve, le premier, le 4 mars 1901, le second, en 1906. Ce dernier correspond à une forte éruption bien connue. Les pourcentages sont en volume.

STROMBOLI
VÉSUVE
 
Chlore libre
12,8 170,8
Acide chlorhydrique
2,0 176,6
Acide sulfureux
4,5 712,8
Acide carbonique
60,2 173,8
Oxyde de carbone
11,5 traces
Hydrogène
0,5 177,6
Azote
6,9 traces
Gaz des marais
1,6 170,8
100,0 100,0

Il est important de noter que la composition du mélange des gaz varie dans de larges limites. Le chlore libre ne peut pas avoir existé d’avance, attendu qu’il se combine, comme l’oxygène, avec les éléments réducteurs. On peut faire apparaître du chlore en chauffant du chlorure de calcium avec de la silice ou encore avec des silicates de fer, qui tous deux existent dans le magma. Mais ce qui apparaît comme certain, c’est que l’acide carbonique est prédominant dans le mélange. Puis viennent les acides sulfureux et chlorhydrique. L’oxyde de carbone, l’hydrogène et l’azote se montrent parfois en proportions très considérables, d’autres fois ils sont totalement absents.

D’après MM. Day et Shepherd les gaz expulsés par le cratère d’Halemaumau consistent en azote, eau, acide carbonique, oxyde de carbone, acide sulfureux, hydrogène, vapeurs de soufre, puis encore de faibles quantités de chlorures, fluorures, et peut-être de l’ammoniaque. C’est là, semble-t-il, la composition probable de l’atmosphère terrestre quand la croûte superficielle était nouvellement formée. L’azote, l’eau et l’acide carbonique devaient en être les éléments principaux. Dans les couches extérieures il y avait déjà l’hydrogène. L’oxygène manquait, et les gaz réducteurs, tels que l’hydrogène, l’acide sulfureux et l’oxyde de carbone étaient abondants.

Si nous observons la composition des comètes, nous trouvons que le cyanogène, les carbures d’hydrogène et l’oxyde de carbone s’y manifestent ; dans les météorites nous constatons la présence de l’argon et de l’hélium. On peut donc considérer comme probable que ces substances faisaient partie de l’atmosphère primitive des planètes, bien qu’elles fassent défaut dans les gaz des volcans, dans les émanations du Kilauea. Les gaz rares de l’air ont dû provenir principalement des parties extérieures du soleil, comme aussi l’azote.

Une semblable atmosphère ne peut convenir à des êtres vivants. Il faut, si un organisme quelconque doit y trouver la vie, qu’elle soit débarrassée de poisons violents comme le sont l’oxyde de carbone, l’acide sulfhydrique, le cyanogène et l’acide sulfureux. Cela s’est produit dans le cours des temps ; nous savons que la puissante lumière du soleil a été le grand facteur chimique qui a extrait de l’acide carbonique, le carbone d’une part, l’oxygène d’autre part. Les autres gaz vénéneux que nous avons nommés ci-dessus ont été oxydés de leur côté par des décharges électriques. Nous savons tous que les plantes bâtissent leur ossature sous l’influence du soleil tout en absorbant de l’acide carbonique, de l’eau et une petite quantité d’ammoniaque. Pendant cette opération il se dégage de l’oxygène, il se forme de la fécule, de la cellulose, et aussi les substances albuminoïdes, avec l’aide de la chlorophylle qui facilite beaucoup cette transformation. Puis de nouveau, toutes ces substances ainsi créées, qui toutes font partie du groupe des hydrates de carbone (à l’exception des albuminoïdes) se retransforment en carbone et en eau. Le résultat final est que l’acide carbonique se trouve résolu en carbone et en oxygène. Ce processus, qui consiste en réalité en une évolution rapide sous l’influence de la chlorophylle, doit aussi s’effectuer, quoique beaucoup plus lentement, sans cet intermédiaire. Des expériences récentes, en particulier celles de M. Daniel Berthelot, ont en effet réussi à réaliser ces importantes transformations sans le secours de la chlorophylle, par l’effet de la lumière de très petite longueur d’onde.

La géologie nous a fait connaître que des millions d’années ont été nécessaires pour l’évolution de notre planète. Pendant tout ce temps l’acide carbonique de l’air a été petit à petit transformé, résolu en ses constituants, l’oxygène et le carbone. Aussi longtemps que l’atmosphère a contenu encore des gaz réducteurs comme les gaz vénéneux que nous avons mentionnés, ou encore quelque proportion notable d’hydrures de carbone, et de l’hydrogène, l’oxygène se consommait par leur combustion. Si la croûte solide n’avait pas existé, et, par sa nature, empêché l’oxygène de pénétrer dans la masse fondue intérieure, il y serait également entré, et il aurait oxydé les éléments réducteurs contenus dans la masse. La séparation de la partie intérieure du globe de son enveloppe gazeuse extérieure par une croûte solide est donc une nécessité pour que l’oxygène libre puisse subsister dans l’air.

Une deuxième condition nécessaire est que les gaz inflammables qui s’échappent encore des volcans soient répandus dans l’atmosphère en quantités suffisamment faibles pour ne pas absorber tout l’oxygène en formation continue. Et une troisième condition encore, est que le carbone libéré ne s’empare pas à nouveau et rapidement, de l’oxygène, par quelque procédé d’oxydation violent. Aussi longtemps que l’atmosphère fut réductrice, cette dernière condition semble avoir été auto-agissante. Quoi qu’il en fut, une fois que la croûte terrestre fut établie, et que la grande activité volcanique des débuts fut quelque peu ralentie, le moment arriva où l’oxygène libre put se maintenir dans l’atmosphère. Les gaz réducteurs précédemment existants furent alors, à quelques exceptions près, brûlés et formèrent de l’eau, de l’acide carbonique, de l’acide sulfurique ; les composés azotés avaient déjà sans nul doute livré leur azote pour se joindre à la partie libre de ce gaz précédemment existant dans l’atmosphère.

Le temps était venu où les premières plantes purent commencer à vivre à la surface de notre planète. Ce furent probablement des algues de caractère absolument inférieur. Les acides carbonique et chlorhydrique jusqu’alors répandus dans l’air, finirent par se dissoudre petit à petit dans les eaux, comme aussi l’acide sulfureux. De là une rapide désagrégation des roches, puis formation d’acide silicique et de silicates acides. À mesure que la vie végétale se développa et se répandit, la production de l’oxygène augmenta. Les déchets organiques, les plantes mortes tombèrent dans la fange qui, empêchant l’oxygène de parvenir à leur contact, arrêta leur destruction complète, et assura leur transformation en ce qui est devenu aujourd’hui notre combustible fossile. Koene, de Bruxelles, a le premier appelé l’attention sur ce fait que le charbon fossile et les combinaisons sulfurées, accumulés dans les entrailles de la terre, suffisaient à eux seuls à absorber l’oxygène de l’atmosphère. Des recherches plus récentes ont précisé cette conclusion en nous apprenant que le carboné accumulé suffirait, à lui seul, à cet effet. Il semblerait donc que tout l’oxygène de l’air provienne de l’acide carbonique qui, dès le début, était répandu dans l’atmosphère, ou bien qui lui a été apporté par les exhalaisons des volcans du centre du globe.

Pourquoi l’intérieur incandescent et fluide de la terre libère-t-il constamment encore, par les volcans, de l’acide carbonique et de l’eau ? Cela provient, sans nul doute, de ce que les silicates acides sont plus légers que les silicates basiques, et que par suite ils se trouvent concentrés à l’extérieur de la masse centrale. L’acide silicique s’y trouve par conséquent en excès. Les combinaisons aqueuses et carboniques, les hydrates et les carbonates sont également légers, et arrivent par suite dans ces mêmes couches siliceuses, y sont décomposés par la silice, abandonnant l’acide carbonique et l’eau, qui s’échappent à l’état gazeux, tandis que les silicates restent. Ces réactions se produisent encore aujourd’hui, dans les volcans qui expulsent le magma intérieur. Celui-ci contient encore des acides à l’état volatil, les acides sulfureux, chlorhydrique et sulfhydrique. Ils sont également dissous par l’eau et jouent un rôle dans la désagrégation des roches ; l’acide carbonique forme les carbonates, l’acide chlorhydrique les chlorures. Les premiers sont en grande partie extraits de l’eau par les crustacés, parfois aussi par les plantes, et se retrouvent dans nos couches sédimentaires ; les chlorures sont solubles dans l’eau et y restent. L’acide sulfhydrique, qui est probablement produit par l’action d’acides sur le sulfure de fer contenu dans le magma, s’est uni à un grand nombre de métaux lourds que nous trouvons dans la croûte solide sous forme de sulfures. En partie cependant, il se sera oxydé, tout comme l’acide sulfureux, donnant de l’acide sulfurique. Il a pu dès lors jouer aussi son rôle dans la désintégration, formant les sulfates, comme le gypse, qui fut déposé dans les roches sédimentaires.

Les géologues tenaient jadis fermement à ce point de vue que dans le cours des siècles la terre s’est graduellement et continûment refroidie. Cette théorie avait cependant à lutter contre le fait que certaines époques froides, dites glaciaires, constatées à sa surface, ont été de nouveau suivies par d’autres époques plus chaudes. Pour trouver à ces faits une explication, on supposa d’abord, suivant une suggestion de Croll, que les périodes glaciaires de l’hémisphère Nord avaient pour contrepartie des périodes chaudes de l’autre hémisphère, et réciproquement. Il aurait pu en résulter que la température moyenne du globe eût décru d’une façon continue, malgré les fluctuations superficielles des deux hémisphères. Dans les régions équatoriales ces variations périodiques ne pouvaient pas se faire sentir. Cette vue s’est cependant trouvée erronée, car la période glaciaire a laissé des traces fort nettes, sous les tropiques, même sous l’équateur, au Kilimandjaro, en Nouvelle-Guinée, et ailleurs. On penche aujourd’hui plutôt à croire que sur toute la surface de la terre, la température devait être, pendant la durée de la dernière grande période glaciaire, inférieure à celle d’aujourd’hui de 4 à 5 degrés. On est arrivé à ce point de vue en mesurant la différence de hauteur entre les pieds des glaciers actuels, et les points que ces glaciers ont atteint jadis, lors de leur plus grande extension. Il semble, à l’examen, que les immenses nappes de glace, qui ont jadis recouvert l’Europe du Nord, l’Amérique du Nord-Est, l’Amérique du Sud, le long de la côte du Chili, dans l’Argentine, et encore dans l’île méridionale de la Nouvelle-Zélande, aient toutes existé simultanément. On a constaté encore que d’autres époques glaciaires se sont produites plus anciennement, par exemple pendant l’époque précambrienne, et pendant l’époque permienne. Cette dernière dont les restes se retrouvent dans l’Australie, dans l’Inde, et dans l’Afrique du Sud, a reçu le nom de période du Gondwana. On avait cru que pendant sa durée aucune diminution de température, aucun refroidissement n’avait été constaté ailleurs que dans les localités qui viennent d’être mentionnées. Mais des études récentes ont porté à croire, comme l’a montré M. Holland, dans son discours inaugural à l’Association Britannique en 1912, que cette ère glaciaire s’est étendue comme toutes les autres, simultanément à la surface entière du globe.

La période précambrienne remontant aux époques les plus anciennes de l’histoire géologique, il semble, d’après ce qui précède, que la température superficielle de notre globe ait été bien près de constante depuis que la vie y a apparu, avec toutefois, d’importantes alternances de périodes chaudes et froides. Quelle explication donner de ces alternances ? Il semble que nous ne puissions guère recourir pour les comprendre, qu’à l’hypothèse d’une variation dans la composition de l’atmosphère, qui aurait pu lui donner une capacité variable pour la conservation de la chaleur. Les périodes chaudes ont peut-être correspondu à une abondance particulière d’acide carbonique dans l’air, grâce à une puissante activité volcanique. Les périodes froides seraient celles d’une diminution d’acide carbonique. Quand la température montait, la vapeur d’eau augmentait en même temps, ajoutant encore aux effets produits par l’acide carbonique contre la radiation et la perte de chaleur.

Il semblerait donc que la température moyenne de notre globe n’ait pas changé, dans une mesure sensible, depuis un laps de temps très considérable, qui semble pouvoir s’estimer à cinq cents millions d’années. Mais malgré cela, il est probable qu’un lent refroidissement a lieu surtout vers le centre de notre planète. Des quantités toujours croissantes de matière sont expulsées de son intérieur par l’action volcanique. Les dépôts sédimentaires s’accroissent, tandis que l’intérieur de la terre se creuse. Il en résulte que petit à petit la croûte doit s’affaisser, ce qui est une cause de production de fissures. L’activité volcanique se porte de préférence vers ces points affaiblis, et les cratères des volcans s’alignent facilement le long de fissures de ce genre. En d’autres endroits, où l’action volcanique est moins puissante, il apparaît souvent des sources chaudes, qui contiennent de l’acide carbonique en abondance, parfois aussi de l’acide sulfureux et de l’acide sulfhydrique. C’est enfin le long de ces fissures que se produisent encore les dislocations de la croûte, qui se manifestent par des tremblements de terre. Il a été possible, par l’étude de ces divers phénomènes, de faire la carte de toutes les fissures, qui d’une façon générale rayonnent à partir de centres connus, qu’on appelle volontiers centres d’effondrement, et qui rappellent les fentes d’un carreau de verre frappé d’un coup sec. Nous verrons plus tard que des centres d’affaissement du même genre et des lignes de rupture peuvent se remarquer sur tous les corps célestes dont la surface est une croûte solide, et que nous pouvons, de la terre, soumettre à nos observations.

Nous pouvons maintenant nous faire une idée de la marche générale de la formation de notre atmosphère. Les gaz qui la composaient à son origine étaient tous, sauf l’hydrogène, l’azote et les gaz rares, très puissants à absorber la lumière, et plus encore la chaleur. Il est par suite, naturel, de supposer que les planètes dont la croûte solide n’est pas encore formée, aient une enveloppe de gaz ou de vapeurs puissamment absorbante. Tel est en effet le cas des grandes planètes (voy. fig. 14). Une fois la croûte formée, et l’atmosphère débarrassée des gaz, grâce à la puissance de la lumière solaire, il n’est resté que l’azote et l’oxygène en majeure proportion, avec de petites quantités des gaz rares, d’acide carbonique et d’eau ; la température a alors baissé rapidement. L’acide carbonique est resté le dernier élément conservant d’une façon effective la chaleur. À mesure que la croûte s’est épaissie, l’abondance de ce gaz a diminué, il était d’ailleurs absorbé déjà en partie par les diverses actions de désagrégation. Par suite la température a continué de descendre, bien que d’assez fortes fluctuations se soient produites, en raison de l’activité volcanique, encore très variable pendant longtemps.

La production et l’absorption de l’acide carbonique semblent s’être plus ou moins équilibrées à mesure que la désagrégation des roches marchait de pair avec l’abondance de ce gaz dans l’atmosphère. Mais l’évolution dans son ensemble n’a pu se faire que dans un seul sens, bien déterminé, qui est celui du refroidissement général du globe. C’est ce qui a dû se produire, même s’il n’en existait que cette seule raison, que la provision d’énergie accumulée dans le soleil diminue lentement, et par conséquent aussi, sa radiation. À mesure que la croûte planétaire s’épaissit, et que l’acide carbonique disparaît, la végétation diminue, et avec elle la production d’oxygène. Ce même gaz joue aussi son rôle dans la désintégration générale par suite de l’oxydation croissante des protoxydes ferreux si abondants dans les roches. Il y aura donc une teneur maxima d’oxygène dans l’air après quoi sa diminution commencera. Divers calculs ont permis de dire que l’acide carbonique dans ses proportions actuelles disparaîtrait de notre atmosphère en quelques dizaines de mille ans, s’il ne se produisait point d’alimentation par les sources intérieures au globe. Il en est de même pour l’eau qui est absorbée par les désintégrations de la surface, et cela d’autant plus que la température s’abaisse. Mais la masse des océans est immense par rapport à la quantité d’acide carbonique existante sur le globe. Il y a environ 50 000 fois plus d’eau que d’acide carbonique contenu dans l’air et dans l’océan lui-même. Ce gaz disparaîtra par conséquent indubitablement le premier. Mais un lent dessèchement de la planète se produira ensuite, glaciaires, ce qui fixera et retiendra une notable portion des eaux océaniques.

En fin de compte, la planète, après avoir servi de lieu de séjour à la vie organique pendant des millions d’années deviendra un désert de glace. Quelques fissures perçant sa croûte durcie permettront à des vapeurs chaudes et acides de se faire jour. Il en résultera quelques surfaces restreintes où la fusion se produira, et où une coloration plus sombre les différenciera du désert glacé de l’ensemble du globe. La vie organique ne trouvera plus aucune des conditions essentielles à son existence, et cessera par conséquent d’égayer le globe par son infinie variété. Notre planète sera morte, éteinte, tandis que, obéissant toujours aux lois de la gravitation universelle, elle continuera à rouler son orbe dans l’espace infini.