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Le Destin des étoiles/ch-6

La bibliothèque libre.
Traduction par Théophile Seyrig.
Félix Alcan (p. 163-185).
Mercure, la lune et Vénus.

CHAPITRE VI

MERCURE, LA LUNE, ET VÉNUS

La planète Mercure ressemble probablement, sous beaucoup de rapports, à Mars. Elle en diffère largement en ce qu’elle manque totalement d’atmosphère. Les fissures de la croûte terrestre et de celle de Mars sont, en général, rapidement comblées, et leurs contours en grande partie oblitérés, cachés à la vue, par des alluvions ou par des sables apportés par les vents violents, de sorte qu’elles se révèlent uniquement par des trépidations et par des émanations tout le long de leur tracé. Sur Mercure, au contraire, les fissures qui se produisent doivent rester à l’état d’abîmes ouverts. On peut supposer que des gaz réducteurs sont exhalés par ces craquelures de la croûte, tout comme sur la terre, et qu’il en résulte une coloration plus sombre aux environs des points d’émanation qu’aux autres points visibles de la surface de la planète. Cette portion visible est toujours l’hémisphère qui est tourné vers le soleil. Des gaz peu volatils, comme le sel ammoniaque (chlorhydrate), d’autres chlorures, le soufre, qui sur la terre se déposent à l’intérieur des fissures, peuvent ici se répandre sur de vastes surfaces, et changer la couleur des régions environnantes. Cela est surtout possible là où il existe des combinaisons du fer qui, sous l’action du soufre, noircissent.

Fig. 27. — La planète Mercure observée
par M. Lowell, 11 juillet 1907.

Fig. 27 : Mercure observé par M. Lowell le 11 juillet 1907.

Lowell, qui a étudié la surface de Mercure, a fait des dessins des taches noires que l’on peut voir sur cette surface, et nous reproduisons (fig. 27) un de ces dessins. Les taches qui s’y trouvent forment des lignes, comme celles que l’on voit sur le dessin de M. Antoniadi de la surface de Mars (fig. 19). Ces lignes sont droites, ou n’ont qu’une faible courbure. Cela semblerait indiquer que ces taches appartiennent à des régions avoisinant de fort près d’immenses fissures. À en juger par les dessins de Lowell, elles sont beaucoup plus régulièrement distribuées qu’à la surface de Mars. Très près du centre de la face perpétuellement ensoleillée nous voyons un point noir important, un « lac ». Il est évident que ce point est de beaucoup l’endroit le plus chaud de toute la surface. On peut, en partant de là, se laisser aller au raisonnement suivant. Le point le plus chaud de Mercure a été forcément le dernier à acquérir la forme solide. La planète a évidemment cessé d’avoir une rotation autour de son axe, pendant qu’elle était encore à l’état de lave liquide. Dès lors un même côté était toujours exposé au soleil, et ce côté est resté le plus longtemps fluide, au moins là où le soleil donnait avec le plus de puissance. C’est ce point, le plus faible de la croûte, qui se trouvait juste en face le soleil.

Quand donc plus tard, ses affaissements ont commencé à se produire, les fissures ont dû avoir leur origine en ce point faible. La figure nous montre que jusqu’à six de ces fissures rayonnent de ce point unique. D’autres se sont formées là où la croûte s’est brisée en se détachant de portions déjà solidifiées. Ces dernières ont une apparence moins droite que celles qui rayonnent du centre. Le long de ces failles il est probable que des gaz réducteurs s’échappent de l’intérieur de la planète, et colorent les couches adjacentes, qui peuvent fort bien être recouvertes de poussières arrivant de l’espace. Au voisinage du soleil ces poussières sont, sans nul doute, plus abondantes, par suite de l’attraction de la masse solaire. Mercure est 2,6 fois plus rapproché du soleil que nous, et 4 fois plus près que Mars. Il semble probable qu’il y a, à la surface de Mercure, comme aussi sur celle de la lune, de grandes montagnes qui ne seraient pas sujettes à l’érosion de l’eau et des sables errants. Nous ne pouvons pas les voir, à la distance où nous sommes. Peut-être correspondent-elles aux taches très étendues que plusieurs observateurs, tels que Schrœter, Vogel et d’autres ont remarquées. Ils ont cru apercevoir des endroits ressemblant à ce que nous appelons des « mers » sur la surface de la lune. Vogel a cru trouver des indices de vapeur d’eau dans l’atmosphère de Mercure comme dans celle de Mars, mais il semble bien que cette opinion ne soit fondée que sur des observations fautives.

Le côté de Mercure qui est tourné du côté opposé au soleil doit forcément se trouver à une température des plus basses, grâce à la radiation qui s’y produit vers l’espace. Cette température reste probablement à 200 degrés au moins au-dessous de zéro. Toutes les dissolutions salines que nous connaissons s’y prennent donc en glace, en précipitant leurs sels bien avant d’atteindre ce degré de froid. Il serait impossible à aucune humidité de subsister dans cette région, à l’état fluide. D’autre part, il n’en peut guère rester non plus du côté échauffé par le soleil, par suite de l’évaporation, et de la fuite des vapeurs vers le côté froid. De tout ceci il ressort que la surface de Mercure doit être plus désolée encore que celle de Mars, et qu’il n’y a guère à supposer aucun changement dû à des variations de température. Il est vrai que par suite de la libration, quelques faibles parties situées aux approches du terminateur peuvent de temps en temps être éclairées par le soleil puis retomber dans la nuit. Mais pendant ces instants d’éclairement, le peu d’humidité qui peut y exister, sera sans nul doute chassé à son tour, pour n’y revenir jamais.

La lune, notre satellite, n’est pas dans un état aussi absolument inerte que Mercure, bien que dans l’ensemble elle ait une ressemblance étroite avec cette planète. Elle tourne perpétuellement sa même face vers nous, — sauf par suite d’une légère libration — et il en résulte que chaque moitié de sa surface est alternativement éclairée par le soleil pendant une moitié du mois synodique, qui est de 29,53 jours. Cette durée est assez longue pour que la surface soit près d’atteindre la température qui résulterait d’un éclairement indéfini.
Fig. 28 : La lune, partie voisine du cratère Tycho (photographie de l’Observatoire de Yerkes)
Fig. 28. — Partie de la lune, près du pôle Sud. Le grand cratère du haut avec de petits cratères intérieurs est Clavius. Un peu au-dessous et à droite, se trouve Longomontanus. Au centre, Tycho avec son cône central. La lune entière, à cette échelle, aurait 0m,434 de diamètre. Photographie de l’Observatoire de Yerkes.

Quelques chercheurs, comme M. W. H. Pickering, sont persuadés que les parties de la surface lunaire qui viennent d’être atteints par la lumière du soleil ont une teinte de couleur plus claire que lorsque le soleil les a éclairées pendant un certain temps. Ces observations n’ont pas été généralement admises comme parfaitement vérifiées. D’après M. Pickering, cette teinte claire serait provoquée par l’existence d’une légère couche de neige, ou encore de givre, étant donné que ces régions viennent de passer 355 heures dans une nuit absolue. Or s’il existait sur la lune une trace appréciable de vapeur d’eau, elle s’évaporerait, et elle formerait aux emplacements des pôles des calottes blanches, aux points où le soleil ne serait pas assez puissant pour les faire fondre. Rien de semblable n’a jamais été observé, et il ne semble pas que la croyance aux neiges lunaires trouve jamais beaucoup de défenseurs.

Les montagnes de la lune ne sont attaquées ni par l’eau, ni par des tempêtes de sable ; elles n’éclatent et ne se détruisent pas non plus sous l’action rapide du soleil. Elles s’élèvent par conséquent, invariables, de toute leur hauteur au-dessus de leur entourage. Cette hauteur peut être mesurée au moyen de la longueur de leurs ombres. Mädler, qui s’est livré à cette recherche, a trouvé que l’un des pics du Mont Newton s’élève à 7 300 mètres au-dessus de la région qui se trouve dans son ombre. Six autres pics atteignent de 6 à 7 000 mètres, vingt et un ont de 5 à 6 000 mètres, quatre-vingt-deux ont entre 4 et 5 000 mètres, et 582 atteignent 2 000 mètres d’altitude, et au delà. Ces chiffres suffisent pour faire reconnaître combien la surface de la lune est accidentée, montagneuse, comparativement à celle de la terre qui est treize fois plus grande.

La figure 28, montre une portion de la surface lunaire où se trouvent réunis le plus grand nombre de volcans. Le grand cratère appelé Tycho est au centre de l’image ; Clavius est au-dessus.

La surface de la lune est particulièrement remarquable par l’abondance des volcans, extrêmement nombreux. Leurs dimensions sont très variables ; leur diamètre dépasse parfois 200 kilomètres comme c’est le cas de cet énorme Clavius, qui en contient un grand nombre de plus petits, et il en est de si petits que le télescope permet à peine de les discerner. Les plus grands d’entre eux dépassent largement en dimensions les plus importants de nos volcans terrestres. Ils en diffèrent aussi essentiellement en ce qu’ils ont des centres ou fonds plats, qui parfois portent d’autres cônes volcaniques plus petits. On peut remarquer sur la figure 28 le cratère Longomontanus, à la droite de Tycho. Ils sont en général entourés d’une muraille rocheuse, abrupte vers l’intérieur, plus étalée vers l’extérieur, comme on le voit sur Clavius, Longomontanus et sur Tycho. Les plus grands, — tels Clavius, peuvent être comparés comme superficie à celle de la Bohême, qui est entourée de toutes parts de montagnes. Cet anneau de montagnes qui entoure les cratères lunaires est parsemé d’autres cratères, grands et petits. Les plus petits
Fig. 29 : La lune, la mer de la Sérénité et la mer de la Tranquillité.
Fig. 29. — La lune. La mer de la Sérénité (en bas) : la mer de la tranquillité (en haut). À gauche, en bas, le grand cratère Posidonius. — À 33 mm. du bord droit de la figure et à 28 mm. du bord inférieur, un point blanc est Linné, un petit cratère où l’on a cru constater des changements récents. — La lune entière à cette échelle aurait 0m,357. Photographie de l’Observatoire de Yerkes.

Fig. 30 : La lune dans le voisinage de son pôle sud (photographie de l’Observatoire de Yerkes).
Fig. 30. — La lune. Tycho pleinement éclairé avec sa magnifique auréole de rayons. À droite, en bas. Copernic avec une auréole moins importante. Entre les deux la mer des Nuées. En haut, à droite, la mer des humeurs. À son extrémité de droite Gassendi. — Le diamètre de la lune à cette échelle serait à 167 mm. Comp. fig. 28 autrement éclairée. — Photographie de l’Observatoire de Yerkes.
ressemblent à des cupules creusées dans la croûte du satellite, ou bien encore sont-ils peut-être de petits cônes volcaniques qui ont percé les parois rocheuses. Par-ci par-là, on en rencontre des chapelets, qui auraient accompagné des fissures de l’écorce lunaire.

Tous ces volcans ont, sans nul doute, livré passage de l’intérieur à la surface, à des masses énormes de gaz renfermés avant l’éruption dans le magma constitutif de la masse lunaire. Il n’est pas moins certain que ces gaz ont dû comprendre principalement de la vapeur d’eau. Si elle s’était condensée, il en serait résulté la formation d’océans, de rivières, et le fond de ces mers eût été garni de sédiments déposés par les torrents descendus des montagnes. Mais tel n’a pas été le cas. Ce qui, à la surface de la lune, a été désigné sous le nom de « mers », ce sont bien en effet des parties plus basses que leurs environs, mais leur surface est unie. Ainsi, voyez par exemple la figure 29, qui comprend la Mare Serenitatis (la Mer de la Sérénité) en haut, à gauche ; puis la figure 30 qui donne la Mare Imbrium, limitée à droite par les « Carpathes » lunaires. Ces « mers » sont formées de roches volcaniques, et elles ne sont nullement recouvertes par des couches sédimentaires qui, si elles existaient, refléteraient la lumière mieux que ne le font les roches volcaniques vitreuses. Or les mers lunaires sont beaucoup plus noires que leurs alentours ; cela indique que vraisemblablement il n’y a jamais eu sur la lune des mers proprement dites, ni aucun amas d’eau. Avant même que la lune fût sortie de son état de fusion, la vapeur d’eau doit avoir disparu de son atmosphère, et les quantités nouvellement dégagées par les volcans, en provenance des profondeurs intérieures, ont disparu si rapidement, que jamais aucun lac n’a eu le temps de se former. Tout autre gaz atmosphérique aura sans doute eu le même sort à la surface de la lune. Tout semble donc concourir à prouver que jamais la vie n’a pu exister, sous aucune forme, sur cette surface inhospitalière.

La figure 29 montre que les « fonds des mers » ne sont pas exempts de volcans. Ils abondent dans les replis, qui correspondent aux chaînes montagneuses de notre globe. Ces replis semblent indiquer d’anciennes cassures de la croûte quand celle-ci n’était encore que fort mince. À la droite de la figure, dans la Mer de la Sérénité, apparaissent quelques taches blanches que M. W. H. Pickering croyait représenter des amas de neige. La plus grande d’entre elles est le cratère (?) Linné, tant discuté. La mer en question est tout entière entourée d’un anneau de volcans.

Un astronome de note, M. Cerulli, a remarqué que si l’on observe la lune à l’aide d’une lunette de faible puissance, une jumelle par exemple, les taches semblaient être disposées suivant des lignes qui se coupent, ressemblant beaucoup par là aux systèmes de canaux que l’on a reconnus sur Mars. Cette régularité ne se remarquant plus dès qu’on emploie des grossissements un peu plus forts, M. Cerulli a émis l’idée que les canaux de Mars se résoudraient aussi en
Fig. 31 : La lune, le cratère de Copernic et son voisinage (photographie de l’Observatoire de Yerkes).
Fig. 31. — La lune. Le grand cratère Copernic entouré de rayons. En dessous les Carpathes, et plus bas la mer des pluies. — Diamètre de la lune : 550 mm. Photographie de l’Observatoire de Yerkes.
taches, si l’on pouvait se servir dans leur observation, de lunettes plus puissantes. Cette opinion a été en partie vérifiée, et elle a été adoptée par un astronome anglais, M. Maunder, qui, lui, ne croit aucunement à l’existence des canaux de Mars. Et cependant il faut bien le reconnaître, la photographie en a démontré la réalité visuelle (voy. fig. 20).

Si nous laissons de côté la disposition réticulaire, qui n’est qu’une illusion, il reste cependant, à la surface de la lune, de nombreuses formations dont les contours sont à peu près rectilignes. Il y a d’abord les rainures, souvent très étendues, souvent ponctuées tout le long par des volcans moins importants. La figure 29 nous montre, dans l’angle supérieur de droite, deux de ces rainures. L’une, plus à droite, avec un petit volcan au milieu,-qui a reçu le nom d’Hyginus. Plus loin, dans le bras gauche de la rainure, il y a cinq de ces volcans, que la photographie ne montre pas bien, puis encore deux autres dans le bras de droite. La deuxième rainure, celle d’Ariadaeus, commence à la gauche de la figure dans le volcan de ce nom, qui se trouve en dehors d’elle. Quelle explication peut-on donner de ces rainures ? Il est probable qu’elles sont dues à la contraction inégale de la couche superficielle et des couches sous-jacentes plus chaudes, quand une fois la croûte a commencé à se former. Il semble qu’elles aient de l’analogie avec les craquelures qui se manifestent dans la couverte d’une porcelaine par suite de son refroidissement. Comme les deux rainures sur lesquelles nous venons d’attirer l’attention, elles commencent et se terminent souvent à l’emplacement de petits cratères, points faibles de la croûte, qui ont dû faciliter la rupture à son origine. Plus tard, d’autres volcans ont pu, à leur tour, se faire jour à divers points de la fissure déjà existante. Dans plusieurs régions, et particulièrement dans celle de l’équateur, divers observateurs ont affirmé avoir découvert de nouvelles rainures et parfois même de petits cratères, « qui certainement n’auraient pas pu échapper à l’observation s’ils avaient existé antérieurement ». L’opinion générale est aujourd’hui presque unanime, que de telles nouveautés sont éminemment problématiques, et que la possibilité d’apercevoir de ces détails nouveaux dépend uniquement d’un favorable éclairage latéral. Ils peuvent parfaitement avoir été négligés, ou inobservables si, précédemment, la région a été étudiée dans des conditions d’éclairement moins bonnes.

Les traits les plus remarquables de la surface lunaire sont les raies lumineuses qui la sillonnent, et qui presque toujours partent de quelqu’un des grands cratères, en suivant des lignes sensiblement droites, et tout particulièrement celles qui environnent Tycho et Copernic. Celles qui rayonnent de Tycho (voy. fig. 30), ne semblent être ni surélevées au-dessus du niveau général des environs, ni abaissées au-dessous, tout au moins d’une quantité appréciable quelconque. C’est la raison pourquoi elles ne se montrent pas sous un éclairage oblique, comme celui de la figure 28. Elles s’allongent suivant une direction rectiligne (arc de grand cercle) malgré qu’elles passent par-dessus des parties montagneuses. Ce caractère est singulièrement d’accord avec le tracé de certaines fissures ou failles terrestres, comme par exemple celle qui traverse la mer Tyrrhénienne et les montagnes des Calabres. Et de même, elles ressemblent sous ce rapport aux canaux de Mars.

MM. Nasmyth et Carpenter ont expérimenté à l’aide d’un ballon en verre, contenant de l’eau sous pression. Ils le fracturèrent en un point donné, et ils ont obtenu ainsi un système de rayons partant de ce point, qui rappelait vivement les raies partant des cratères lunaires. Un effet tout semblable se produit quand une plaque homogène, du verre par exemple, est brisée par un choc produit en un point déterminé. Il semble donc que ces centres de rayonnement furent jadis des centres d’effondrement, malgré que maintenant ils soient parfois situés à une grande altitude au-dessus de la surface générale, comme Tycho par exemple. Cela peut fort bien être le résultat d’un lent soulèvement séculaire des roches sous-jacentes comme nous le voyons dans le faible mouvement ascensionnel de la péninsule Scandinave. Les raies qui entourent Copernic (voy. fig. 31) diffèrent considérablement de celles qui rayonnent de Tycho. Elles ne sont pas rectilignes, et, près du cratère, elles consistent en chaînes montagneuses bien distinctes sous un éclairage oblique. Elles pénètrent dans le Mare Imbrium (Mer des pluies) en traversant même la puissante chaîne des « Carpathes ». Souvent on y reconnaît des volcans de second ordre, comme par exemple sur la raie qui descend à peu près verticalement (vers le Nord). Ce sont là évidemment des fissures volcaniques comme celles de notre terre.

Souvent ces raies seraient absolument invisibles, n’était leur coloration, qui est sensiblement plus claire que celle des environs. La seule explication que nous puissions donner de ce fait, est l’hypothèse que les fissures primitives ont été remplies par quelque matière légère, expulsée de l’intérieur de la lune, c’est-à-dire par le magma central. Ce magma ne devait pas être très visqueux, car il s’est répandu largement au delà des bords des fissures elles-mêmes. Celles-ci, comme celles de la terre, étaient probablement de largeur peu importante, et nous n’eussions peut-être pas pu les soupçonner, à la distance où se trouve notre satellite. Nous connaissons des coulées légères, sortant de longues fissures sur notre propre planète, comme par exemple celle de l’éruption du Laki, en Islande, en 1783. La couleur peut être claire simplement par contraste avec la croûte déjà préalablement formée. Celle-ci, à en juger par la façon dont la lumière s’y réfléchit, semble très analogue à notre obsidienne, et peut être plus encore à certaine matière minérale produite par les volcans, le vitrophyre. Mais il est possible aussi que la lave expulsée fut bouillonnante, et que des bulles gazeuses fussent libérées à mesure que cette lave approchait de la solidification, en donnant à la surface une apparence blanchâtre. À la surface de la lune la pesanteur n’est que le sixième de ce qu’elle est chez nous, en sorte que des bulles gazeuses n’auraient qu’une tendance très faible à s’élever de la masse fondue et l’auraient fait lentement. Par suite de la très faible pression atmosphérique à la surface, ces bulles auraient un volume bien plus grand, que dans un cas analogue sur la terre. Elles seraient par conséquent beaucoup plus visibles. Il est probable qu’elles soient restées sur la surface comme une légère mousse, qui a pu durcir dans cet état même. Depuis sa formation il ne s’est pas produit là, plus de changement que sur le reste de la surface, tandis que sur la terre, l’eau et les agents atmosphériques, le sable, en particulier, auraient vite fait leur œuvre de destruction.

Avant de quitter la lune, disons deux mots de sa couleur. Mädler, d’accord en cela avec plusieurs autres observateurs, dit que la Mer de la Sérénité, une « mer » située à environ 25 degrés de latitude nord, à droite du méridien central de la figure 29, se fait remarquer par sa superbe coloration verte. La mer des Crises, à 16° N. près du bord de droite de la même figure est d’une tonalité gris verdâtre foncée. La mer des Humeurs (Lat. 22° S.) près du bord de la lune dans la figure 30, a des parties alternant du gris au vert foncé, et la mer du Froid, tout près du pôle Nord, est d’une teinte vert jaunâtre sale. Ces couleurs s’accordent assez bien avec certaines régions de la terre, où des étendues de nature analogue sont coloriées en vert par des silicates de protoxyde de fer, dont quelques variétés sont appelées olivines ou chrysolites.

Il faut remarquer, toutefois, que les colorations vues par Mädler ont été mises en doute ; Franz remarque que des cratères très lumineux ont une apparence bleuâtre, et il pense que ce doit être là un effet de contraste avec la couleur générale de la lune, qui est jaune. Langley a examiné la lumière telle qu’elle nous arrive de la lune, à l’aide du spectroscope, et il a trouvé qu’elle contenait une proportion de bleu moindre que la lumière solaire. De là le fait que la couleur de la lune ressemble à celle d’un grès jaune.

Une observation des plus intéressantes a été faite à l’observatoire Lowell, en étudiant le spectre de la lumière de la lune réfléchie sur elle par la terre, dans la partie qu’on appelle la lumière cendrée, et en la comparant à celle donnée par la portion éclairée par le soleil. La première s’est trouvée contenir plus de bleu que la partie directement éclairée. Il faut en conclure que la terre luit d’une lumière bleuâtre. Et cela est parfaitement naturel, attendu que la lumière diffusée qui arrive à la surface terrestre après avoir été dispersée par les particules suspendues dans notre atmosphère, ainsi que par les molécules gazeuses, est d’un bleu profond. Il n’y a pas de raison pour que la portion de cette lumière réfléchie vers l’espace fût d’une couleur différente. La terre par conséquent apparaît comme bleue, contrairement à Mars, qui est rouge, en raison de sa surface désertique, et contrairement à Vénus, qui est blanche. Les parties nuageuses près de l’équateur et des pôles doivent être d’un bleu clair, et ces zones doivent être séparées par une zone ou bande bleu foncé au-dessus des latitudes moyennes, où les régions désertiques peu nuageuses se trouvent au nord et au sud de l’équateur.

En comparaison de Mars, la lune nous offre un aspect beaucoup plus désolé. À la surface de Mars nous voyons au moins certains changements d’assez grande importance, comme par exemple la disparition des calottes polaires blanches au gros de l’été, quand un cercle foncé semble les entourer. C’est alors que les « lacs » et les « canaux » deviennent visibles, et commencent dans le voisinage du cercle noir ; puis un peu plus tard près de l’équateur, et enfin dans l’autre hémisphère, environ au moment où la calotte polaire opposée va apparaître, et où elle prend son aspect hivernal. Puis nous avons l’apparition soudaine des taches blanches, et leur disparition non moins rapide, surtout dans le voisinage des lacs. Nous avons enfin les tempêtes de sable qui cachent la surface de Mars, et souvent emplissent ses canaux. La brusquerie de ces changements est un indice qu’ils n’affectent qu’une couche superficielle très peu épaisse. La formation des canaux, longtemps insoupçonnée, doit être attribuée à une action volcanique, qui, bien que faible, doit exister dans les portions plus profondes de la planète. Rappelons enfin qu’une végétation, dont les formes doivent être des plus élémentaires, n’est pas absolument inconcevable dans les régions polaires.

La lune, au contraire, est indubitablement un corps stellaire incapable d’aucune modification superficielle. Il est probable que près de son centre, elle n’est pas entièrement solidifiée, et il semble que sa croûte solide soit en voie d’épaississement lent. Des gaz doivent encore être parfois libérés, mais ils ne peuvent plus arriver au dehors à travers l’épaisse carapace, et ils restent par suite à l’état de bulles emprisonnées dans le magma durcissant.

On peut dire en tous cas, qu’aucune modification de la surface lunaire n’a jamais été vue avec certitude. Il est vrai que le grand Sir William Herschel, connu comme observateur de premier ordre, croyait avoir découvert en 1783 des montagnes qui n’étaient pas reconnues avant lui. Schröter, de son côté, qui étudiait avec assiduité la surface lunaire, croyait aussi avoir reconnu de notables changements. Mais ces découvertes ont été mises en doute par des critiques soigneux, et depuis la publication du grand ouvrage de Mädler sur la lune, en 1837, l’état inamovible de ce satellite a été universellement reconnu ; malgré cela, il y a plusieurs astronomes comme Schmidt à Athènes (1866) et récemment M. Pickering à Cambridge aux États-Unis, qui croient avoir reconnu des modifications certaines. Le premier croyait que le cratère Linné (fig. 29) avait disparu depuis la publication de l’ouvrage de Mädler. Mais en 1867, Mädler lui-même a affirmé que son apparence était toujours la même. Pickering annonce des apparences périodiques de « neiges » et de « végétation » (voy. la fig. 29, empruntée à l’atlas lunaire de Pickering). Une étude plus approfondie fait reconnaître que ces phénomènes ne sont probablement que des apparences, et dépendent de l’angle d’éclairement au moment de chaque observation particulière. Depuis quelque temps déjà la photographie a été mise au service des études lunaires, et cela avec des résultats plus positifs que tout ce que pourrait permettre l’inspection visuelle. Depuis lors, — et il faut reconnaître que cette période d’étude n’est pas encore bien longue, — aucun signe certain de modifications n’a été enregistré par les images photographiques.

La grande différence entre Mars et la lune est le résultat de l’existence d’une atmosphère réelle sur le premier de ces deux corps. Il est probable qu’avec le temps, l’oxygène en disparaîtra aussi, étant absorbé dans les procédés de désintégration. Mais il y restera de l’azote, de l’argon, et d’autres gaz permanents, comme aussi de la vapeur d’eau provenant des amas toujours existants, particulièrement aux environs du pôle Sud. Cette vapeur diminuera à son tour à mesure que la température s’abaissera encore. Quand le point de congélation des solutions salines à la surface de Mars sera atteint, les canaux et les lacs cesseront de se liquéfier ou de dégeler par suite de l’évaporation et du transfert des vapeurs d’un pôle à l’autre. Mais il restera des tourmentes, des orages de sable et de minces formations de vapeurs, qui pourront encore être la cause de colorations variables sur cette planète désolée.

Si nous cherchons à nous représenter le sort ultérieur de notre globe terrestre quand, le soleil se refroidissant petit à petit, l’obscurité et le froid s’installeront, il faut assimiler son état à celui de Mars, et non à celui de la lune. Les océans se glaceront graduellement, et leur solidification finira par en atteindre le fond. Les pluies diminueront en abondance. Les neiges seules apporteront encore des modifications à une surface qui deviendra désertique et sableuse dans toute l’étendue des continents. Ceux-ci seront garnis de fentes ou de fissures, descendant dans les roches sous-jacentes, et elles feront à la surface des traînées noires causées par les gaz qui s’échappent de l’intérieur. Quand les régions équatoriales auront atteint une température moyenne de zéro, ou au-dessous, les régions polaires seront les seules où une faible couche superficielle pourra encore fondre au milieu de l’été. C’est là que les derniers organismes vivants pourront traîner une existence précaire, si un long hiver permet le sommeil de leurs graines ou de leurs spores. Cette dernière manifestation de la vie s’éteindra à son tour, et il ne restera plus comme manifestation de mouvement ou d’activité, que le passage des tempêtes de sable, ou la sortie des gaz par les fissures du sol, pour faire varier la désolante monotonie générale. Mais la chute des poussières météoriques continuera sans doute. On ne les trouve aujourd’hui qu’au fond des océans, mais peu à peu elles recouvriront la terre d’un manteau ocreux dû à l’influence oxydante de l’atmosphère. Quand cet oxygène aura, à son tour, été absorbé en entier, la poussière météoritique gardera sa teinte naturelle, qui est gris verdâtre, et donnera ainsi cette couleur au linceul funéraire de la terre.

Les conditions que nous pouvons reconnaître pour s’appliquer à notre lumineuse voisine, la planète Vénus, sont toutes différentes. Vénus est à la fois près du Soleil et près de nous, et cette proximité a conduit à en faire un objet d’intérêt pour les hommes depuis une haute antiquité. Aujourd’hui, nous sommes conduits, par le calcul, à lui assigner une température moyenne d’environ 47 degrés, en partant de l’estimation de la radiation solaire sur notre globe de 2 calories par centimètre carré et par minute. L’humidité doit y être environ six fois plus forte que sur la terre, ou trois fois celle qui règne au Congo, où la température moyenne est de 26 degrés. À une hauteur de 5 000 mètres au-dessus de la surface planétaire de Vénus, l’atmosphère contient à peu près autant de vapeur d’eau que celle de la terre à l’altitude zéro, c’est-à-dire au niveau de l’océan. Il faut en conclure que tout y est ruisselant d’eau. Et cependant il ne semble pas que les orages aqueux doivent y causer des chutes de pluie plus abondantes que chez nous. La formation des nuages y est énorme, et d’épaisses nuées emplissent l’atmosphère jusqu’à une hauteur de 10 000 mètres. La chaleur solaire directe ne parvient pas au sol, mais elle est absorbée par les nuages, produisant une intense circulation de l’air, qui remonte les vapeurs aux couches supérieures, où elle se condense à nouveau en nuages. Il se forme ainsi une barrière effective contre les courants d’air horizontaux dans les régions inférieures. Il doit y avoir à la surface de Vénus, une absence presque totale de vents, soit verticaux, en raison de l’absorption complète de la chaleur solaire par les nuages supérieurs, soit horizontaux, par suite des frottements.

Grâce à la température élevée qui y règne partout, la désintégration de la surface est forcément rapide, on peut estimer que les diverses actions sont à peu près huit fois aussi puissantes que sur notre globe. Les produits de la violente action des agents atmosphériques, tels que les pluies, sont rapidement emportés, et emplissent les vallées, ou forment de puissants dépôts devant tous les estuaires. De là aussi il résulte sans doute qu’une grande partie de la surface de Vénus est recouverte de marécages, analogues à ceux qui se trouvaient sur notre globe quand les dépôts carbonifères se sont formés. Mais ils se trouvent dans un climat qui a peut-être bien 30 degrés de plus de chaleur. Aucune poussière ne peut s’élever dans l’air pour lui donner une couleur définie ; le reflet clair des seuls nuages se répand dans l’espace environnant, et donne à la planète son éclat si blanc, si puissamment lumineux. Les violents courants verticaux de l’atmosphère supérieure égalisent la température depuis les pôles jusqu’à l’équateur, et cela si bien qu’un même climat règne sur toute la surface, ayant quelque analogie avec l’état de la terre pendant ses ères les plus chaudes.

La température, à la surface de Vénus, n’est cependant pas assez élevée pour s’opposer à une végétation luxuriante. Les conditions climatériques d’une complète uniformité partout rendent inutiles des formes susceptibles de s’adapter à des variations importantes. Il ne doit donc y avoir que des formes inférieures, appartenant sans doute de préférence au règne végétal, et sur toute la planète ces formes doivent avoir d’étroites ressemblances. Les procédés végétatifs sont énormément accélérés par la haute température. Il s’ensuit que la vie des êtres se trouve accélérée et raccourcie. Les unités mortes, se décomposant rapidement, si elles se trouvent dans l’air, y répandent des gaz épais ; si elles sont recouvertes par les vases qu’entraînent les cours d’eau, leur transformation en restes carbonisés est rapide. Les charbons ainsi formés, comprimés par de nouvelles couches sédimentaires et sous l’influence de la température élevée, arrivent à l’état de graphite. Il semble douteux qu’il puisse s’y former des fossiles comme dans les couches anciennes de notre globe.

Aux pôles de la planète, la température est sans doute quelque peu plus basse, peut-être d’environ 10 degrés au-dessous de la température moyenne. Là, il pourra par conséquent, y avoir des êtres plus élevés dans l’échelle. Si l’on pouvait parler de progrès, et supposer le développement d’une culture, c’est de là que se ferait le rayonnement, progressivement vers l’équateur. Bien plus tard, dans un avenir lointain, la température s’abaissera ; les nuées épaisses et l’obscurité sombre de la surface s’éclaireront. Peut-être avant même que la vie sur la terre soit retournée vers ses formes élémentaires, ou qu’elle se soit même éteinte, s’y produira-t-il une faune ou une flore qui aura des ressemblances avec celles qui aujourd’hui réjouissent nos yeux. Vénus deviendra peut-être alors cette Reine des Cieux que vénéraient déjà les Babyloniens, non plus à cause de son éclat brillant mais parce qu’elle sera peut-être devenue le séjour des êtres vivants les plus supérieurement organisés de notre système solaire.

Les anciens se sont imaginé que le sort des hommes pouvait se lire dans les étoiles, et cette croyance a persisté avec la puissance d’une véritable religion jusqu’à il y a peu de siècles. De très grands astronomes partageaient cette foi, surtout Tycho Brahe, qui fit de grands efforts pour l’appuyer par des recherches. On en rencontre encore aujourd’hui de nombreuses traces dans les croyances populaires. Nous nous trouvons maintenant avoir vérifié la réalité de ces croyances, mais dans un sens tout différent de celui qu’acceptaient nos ancêtres. Les planètes, en effet, nous font connaître l’état de notre globe lorsque la vie y manifesta ses premiers signes. Et nous y lisons aussi des prophéties concernant le sort qui, peut-être après des millions d’années, atteindra les derniers descendants des générations actuelles.

Dans un sens, cependant, les rêves de nos ancêtres ne se sont pas réalisés, à savoir, en ce qui concerne la possibilité que les autres globes de notre système soient habitables. Le grand philosophe Kant croyait que les conditions des étoiles errantes, plus lointaines du soleil que la nôtre, étaient si favorables à la vie, que leurs habitants devaient avoir atteint un degré de développement infiniment supérieur à celui des habitants de notre globe. Il reste quelque chose de cette conception dans l’hypothèse de l’existence d’ingénieurs supérieurement qualifiés, qui auraient conçu et réalisé le magnifique réseau des canaux de Mars. Mais une critique très serrée nous a maintenant démontré qu’aucune planète, dépendant de notre système solaire, ne saurait offrir une possibilité de séjour pour des êtres supérieurs, à l’exception de notre terre, qui par conséquent, pourrait réellement s’appeler le « Meilleur des Mondes » — d’entre ceux que nous connaissons.

Et cependant, c’est indubitablement une grande vérité, que celle pour laquelle Giordano Bruno a donné sa vie ! Il est infiniment probable, — nous dirions volontiers presque certain, — qu’autour des innombrables soleils qui illuminent le firmament infini, il circule des corps obscurs, que nos plus puissants instruments ne parviennent pas à nous révéler. Un grand nombre de ces mondes abrite des êtres vivants. Qui sait s’ils n’ont pas atteint des hauteurs plus brillantes dans leur évolution, que celles que nous pouvons constater sur notre propre terre !