Voyage de Marco Polo/Livre 1/Chapitre 16

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Voyage de Marco Polo, Texte établi par Eugène MüllerDelagrave (p. 160-161).
XVI
De la ville de Baldachi.


Il y a dans ces quartiers-là une ville considérable, nommée Baldachi (Bagdad), où fait sa résidence le grand prélat des Saracéniens (Sarrasins), qu’ils appellent caliphe. On ne trouve point de plus belles villes que celle-là dans toute cette région. On y fait de fort belles étoffes de soie et d’or, de différente manière. L’an 1250, Houlagou, grand roi des Tartares, assiégea cette ville et la pressa si vivement qu’il la prit. Il y avait alors plus de cent mille hommes de guerre dans la place ; mais Houlagou était bien plus fort qu’eux. Au reste le caliphe, qui était seigneur de la ville, avait une tour remplie d’or et d’argent, de pierres précieuses et d’autres choses de prix ; mais au lieu de se servir de ses trésors et d’en faire part à ses soldats, son avarice lui fit tout perdre avec la ville. Car le roi Houlagou, ayant pris la ville, fit mettre ce caliphe dans la tour où il gardait son trésor, avec ordre de ne lui donner ni à boire ni à manger, et lui disant : « Si tu n’avais pas gardé ce trésor avec tant d’avarice, tu aurais pu te conserver toi et ta ville ; jouis-en donc présentement tout à ton aise ; bois-en, manges-en, si tu peux, puisque c’est ce que tu as le plus aimé. » C’est ainsi que ce misérable mourut de faim sur son trésor. Il passe par cette ville une grande rivière (le Tigre), qui va se décharger dans la mer des Indes, de l’embouchure de laquelle cette ville est éloignée de dix-huit milles, en sorte que l’on y apporte aisément toutes sortes de marchandises des Indes, et en abondance.