Voyage de Marco Polo/Livre 2/Chapitre 19

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XIX
De la chasse aux oiseaux par le Grand Khan.


Le mois de mars approchant, le Grand Khan quitte la ville de Cambalu et s’en va vers les campagnes, le long de l’Océan, menant avec lui un grand nombre de chasseurs aux oiseaux, environ mille, qui ont des faucons, des éperviers et plusieurs autres sortes d’oiseaux de rapine et propres à cette chasse : il y a bien au moins cinq cents de ces oiseaux. Or ces chasseurs se répandent dans les campagnes, et lâchent leurs faucons et leurs éperviers sur les oiseaux, qui sont là en abondance ; tous les oiseaux qui sont pris, ou du moins la plus grande partie, sont portés au roi. Le roi se tient dans une petite maison de bois portée par quatre éléphants et couverte de peaux de lion, et dorée en dedans. Le roi a pour lui tenir compagnie quelques-uns des principaux de sa cour et douze éperviers des meilleurs. Autour et à côté des éléphants qui portent le petit château royal il y a plusieurs nobles et officiers à cheval, qui, dès qu’ils aperçoivent quelques faisans, grues ou autres oiseaux en l’air, avertissent d’abord les chasseurs qui sont auprès du roi, et ceux-ci en avertissent l’empereur et découvrent la petite maison royale où il est, et lâchent les faucons et les éperviers ; de cette manière, le roi peut voir cette chasse sans bouger de sa place. Ces dix mille hommes, qui sont employés à cette chasse et qui sont répandus par la campagne deux à deux, prennent garde de quel côté les faucons et les éperviers prennent leur vol, et ils les secourent en cas de besoin. Ces sortes de gens s’appellent en langue tartare « toscaor », qui veut dire gardes, et ils ont une certaine manière de rappeler les oiseaux quand ils veulent ; et il n’est pas nécessaire que le chasseur qui lâche l’oiseau le suive, parce que ceux dont nous venons de parler ont l’œil et doivent prendre garde qu’aucun ne se perde ou ne soit blessé. Ceux qui sont le plus près d’un oiseau, pendant le combat, sont obligés de le secourir ; les oiseaux que l’on lâche ainsi ont une petite tablette du prince ou de son chasseur, afin que si elle venait à s’égarer, on pût la connaître et la reporter. Si on n’en connaît pas la marque, on la porte à un baron, que l’on appelle à cause de cela, en langue du pays, « bularguci », c’est-à-dire gardien des oiseaux perdus, et il les garde jusqu’à ce qu’on les lui demande. Il en est de même des chevaux ou des autres choses perdues à la chasse. Et quiconque ne porte pas sur-le-champ à ce baron quelque chose qu’il a trouvé à la chasse, et s’en sert pendant quelque temps, est puni comme voleur. C’est pourquoi ce gardien des choses perdues fait mettre son étendard sur quelque éminence pendant que la chasse se fait, afin qu’on l’aperçoive de loin, au milieu d’une si grande multitude de monde qui se trouve là, et que par ce moyen on lui puisse rapporter les choses perdues.