Voyage de Marco Polo/Livre 2/Chapitre 53

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LIII
De la province de Mangi, et de la piété et de la justice du roi.


La province de Mangi[1] a eu un roi nommé Facfur, qui était riche et puissant, et, excepté le Grand Khan, il n’y en avait pas de plus grand que lui dans tous ces pays-là. Son royaume était bien fortifié, il le croyait inexpugnable et ne craignait point les irruptions de ses voisins, ce qui fit que ce roi et ses peuples tombèrent dans la mollesse et dans la nonchalance par trop de présomption. Les villes étaient munies de larges fossés pleins d’eau. Ils manquaient de chevaux, parce qu’ils croyaient n’avoir rien à craindre, ce qui faisait que leur roi vivait dans de continuelles délices. Il entretenait environ mille parasites et il avait une nombreuse garde. Il exerçait cependant la justice, conservait la paix et aimait la miséricorde ; personne n’osait offenser son prochain ni troubler l’amitié fraternelle, autrement il aurait été puni. Il régnait dans ce royaume-là une si grande concorde, que les artisans laissaient souvent leurs boutiques ouvertes pendant la nuit sans crainte des voleurs. Les voyageurs et les étrangers pouvaient aller le jour et la nuit par tout le royaume sans rien craindre. Le roi était pieux et bienfaisant envers les pauvres, et il secourait tous ceux qui étaient dans l’indigence. C’est pourquoi il avait soin de faire recueillir tous les enfants trouvés, qui se montaient quelquefois, dans une seule année, jusqu’à vingt mille ; et il les faisait nourrir à ses dépens. Car en ce pays-là les pauvres femmes abandonnent communément leurs enfants, afin que quelqu’un les prenne et les nourrisse. Le roi cependant donne des enfants trouvés aux riches de son royaume pour en avoir soin, principalement à ceux qui n’en ont point, et il leur ordonne d’adopter ceux-là. À l’égard de ceux qu’il nourrit à ses dépens, il les marie ensemble et leur donne de quoi vivre.

  1. Sous ce nom se trouve désignée la Chine méridionale, que le fleuve Jaune sépare du Cathay ou Chine septentrionale.