La description géographique des provinces/Livre 2 - 16 à 24

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Edition de E. Groulleau (p. 127-141).


Des bestes sauvaiges qui de toutes pars sont envoyées au grand Cham.       Chap.     XVI.



En ces trois mois, pendant lesquelz l’Empereur (comme j’ay dict cy dessus) faict sa demeure & sejour en la ville de Cambalu, asçavoir Decembre, Janvier & Febvrier, tous les veneurs qu’il a en chacune des provinces voysines & adjacentes au royaume de Cathay, ne font autres chose que s’employer à la chasse, & toutes les grosses bestes rousses qu’ilz prennent, comme cerfz, ours, chevreux, sangliers, dains, & semblables bestes sauvaiges, ilz les presentent à leurs gouverneurs, & capitaines, lesquelz (s’ilz ne sont plus loing de trente journées de distance de la court de l’Empereur) envoyent les bestes prinses, ou par navires ou chariotz vers l’Empereur, apres toutesfois en avoir faict la curée. Mais s’il y a plus de trente journées de chemin jusques à la court, ilz envoyent seulement les peaulx, lesquelles servent, & sont propres pour faire armeures.


Comment le grand Cham prent les bestes sauvaiges, avec autres bestes sauvaiges apprivoysées.
Chap.     XVII.



Le grand Cham faict nourrir à sa court diverses bestes sauvaiges, lesquelles apres qu’elles sont apprivoysées & domptées, il mene avec luy à la chasse, ou il prent grand plaisir & recreation, quand il voit la beste apprivoysée combatre la sauvaige : & principalement il a des leopardz qu’il a faict dompter, qui sont merveilleusement bons à la chasse, & prennent grand nombre de bestes. Il a aussi des onces, qui ne sont moins promptz, & habilles à la chasse. Semblablement il a de fort beaux & grans lyons, plus grans certainement que ceulx qui sont en Babylone, ilz ont en leur poil de petitz rayons de diverses couleurs, asçavoir de blanc, noir & rouge, & ceulx la sont aussi aprins à la chasse & vennerie, mesmement ilz sont grandement commodes & habilles à prendre les sangliers, les ours, cerfz, chevreux, asnes sauvaiges & buffles, ilz ont de coustume de mener deux lyons en une chariotte, quand ilz vont à la chasse & un petit chien qui les suyt. Oultre ce l’Empereur a plusieurs aigles privées, qui sont si aspres & ardentes au vol, qu’elles arrestent, & prennent les lievres, chevreux, dains, & renardz, mesmes y en a d’aucunes de si grande hardiesse & temerité, qu’elles osent bien assaillir & impetueusement se ruer sur le loup, auquel elles font tant de vexation & molestation, qu’il pourra estre pris facilement & sans grand labeur ne peril par les hommes.


De l’ordre que tient le grand Cham quand il chasse.         Chap.     XVIII.



Il y a deux barons en la court de l’Empereur qui ont la charge & superintendence sur toute sa vennerie, chascun desquelz a soubz luy deux mil hommes qui donnent ordre à toutes choses necessaires pour la vennerie, & nourrissent de toutes sortes de chiens, lesquelz ilz dressent & façonnent pour la chasse. Et quand le grand Cham en veult avoir le plaisir, & demonstrer quelque spectacle singulier : ces deux barons cy dessus mentionnez amenent avec eulx leurs vingt mil hommes avec grande quantité de chiens qui sont le plus communement en nombre environ cinq mil, & se mettans avec l’Empereur aux champs es lieux ou ilz veulent chasser aux bestes, apres avoir tendu leurs cordes, ilz commencent leur chasse en ceste maniere : L’Empereur sera avec ses gentilzhommes au mylieu de la plaine estant costoyé d’une part & d’autre par ces deux capitaines de sa vennerie avec Forme estrange de chasser.leurs gens, dont les ungs seront vestuz d’acoustremens rouges, & les autres de couleur inde ou azuré. Or ilz sont tous arrengez comme dedans une ligne, estans l’un à costé de l’autre directement, en sorte qu’ilz occupent en ceste maniere si grande estendue de pays que d’un bout jusques à l’autre y auroit presque une journée de chemin ilz ont avec eulx tous les chiens dessusdictz, lesquelz apres s’estre ainsi rengez en bon ordre, ilz laschent & provoquent à la chasse, & neantmoins ilz cheminent tousjours tenans cest ordre, & occupans grand pays : en sorte qu’ilz prennent grand nombre de bestes sauvaiges, car il y en a grande quantité au pays qui ne peuvent pas facilement eschapper de leurs cordes, penthes, & chiens.


De la faulconnerie du grand Cham.       Chap.   XIX.



Advnant le mois de Mars le grand Cham desloge, & part de la ville de Cambalu, pour se retirer es campaignes, qui sont à la coste de la mer Occeane, menant avec luy ses faulconniers, qui sont quelquefois en nombre dix mil, ayans faulcons, espreviers, gerfaulx & autres oyseaulx de proye, fort legiers & bien adextres à la vollerie.Ces faulconniers s’escartent par le pays, & ayans trouvé leur gibier, laschent leurs oyseaulx apres la proye, dont il y a grande quantité au pays, & de ce qui est prins la plusgrand part est portée à l’Empereur, lequel ce pendant est assis sur un Tabernacle de l’empereur.Tabernacle faict de boys, porté par quatre elephantz, & couvert de peaulx de lyon & par le dedans doré & paré richement, ayant avec luy pour l’accompaigner & donner plaisir & recreation aucuns Ducz ou Barons, & douze oyseaulx de proye d’eslite les plus singuliers, & à l’entour des elephans qui portent le tabernacle ou l’Empereur est assis, sont plusieurs gentilz hommes & chevaliers montez sur leurs chevaulx, qui tousjours costoient l’Empereur, lesquelz quand ilz apperçoivent quelques grues, phaisans ou autres oyseaulx volans en l’air, incontinent les demonstrent aux faulconniers qui sont pres l’Empereur, qui semblablement l’en advertissent & descouvrent son tabernacle, puis laschent leurs faulcons & oyseaulx de proye, desquelz l’EMpereur assis en sa lictiere regarde le combat & passetemps. Oultre ce y a autres dix mil hommes qui pendant ceste volerie courent ça & la par les champs pour prendre garde quelle part vollent les faulcons & autres oyseaulx, & si besoing estoit pour les secourir, lesquelz s’appellent en langue Tartarique Toscaor.Toscaor, c’est a dire gardes, qui sçavent par un certain sifflement qu’ilz font, appeller les oyseaulx qu’on a laschez apres la proye. Et n’est point de besoing que le faulconnier qui a lasché son oyseau le suyve : car ces Toscaors dessus mentionnez prennent soigneusement garde de les poursuyvre, pour obvier qu’ilz ne soient perduz, ou blessez, & les reprennent incontinent : & ceulx qui se trouvent les premiers a la rencontre de l’oyseau qui est en dangier, sont tenuz de le secourir promptement. Or chascun oyseau de proye porte en l’un de ses piedz une petite tablette, ou vervelles d’argent aux armoiries & enseignes du seigneur, ou de son faulconnier, affin que s’il est esgaré, on le puisse rendre a qui il appartient. Et si la merque & enseigne ne se peult congnoistre es vervelles, on baillera l’oyseau a Bularguci.un certain baron a ce deputé, & qui pour ceste cause est appellé Bularguci, cest a dire Conservateur des choses esgarées.conservateur des oyseaulx esgarez:car il est commis pour garder tous les oyseaulx de proye qui luy sont apportez, jusques a ce qu’ilz soient recongneuz & demandez par leurs maistres. AUtant en faict des chevaulx & autres choses qui sont perdues ou adirées à la chasse. Et s’il advient que quelcun ayt trouvé aucune chose allant a la chasse, & ne l’apporte incontinent a ce conservateur, mais la retienne quelque temps, il sera reputé & puny comme larron. Au moyen de quoy ce Prevost ou commissaire des choses perdues, pendant les chasses & venneries se tient en lieu assez eminen, tau quel il a son enseigne desployée, affin d’estre recongneu en si grande quantité de peuple, & que plus aysement les choses trouvées luy soient apportées, ou de luy repetées, par ceulx qui les ont perduës.


De la magnificence des tentes & pavillons du
grand Cham.       Chap.   XX.



En chassant, & prenant ainsi le plaisir du vol des oyseaulx, on vient jusques a la grande plaine de Caciamordim.Caciamordim, ou sont tenduz & preparez bravement environ dix mil tentes & pavillons pour le grand Cham, & tous les gentilzhommes de sa court, lesquelz pavillons sont dressez & disposez en l’ordre que sensuyt. Le premier & plus apparent est fort grand & spacieux, soubz lequel peuvent commodement loger mil hommes, ayant son ouverture & entrée vers Midy. En iceluy logent les barons, chevaliers & gentilzhommes, pres duquel sur la coste d’Occident y a un pavillon assez ample qui sert de Pavillon de l’empereur.salle pour l’Empereur, quand il veult parler a ceulx qui ont affaire a luy, & jouxte laquelle est dressée une autre tente ou l’Empereur couche & repose. Et a l’entour de ces troy stentes y a d’autres sallettes & chambres joignantes & contigues pour entrer de l’une en l’autre. Mais les tentes ordonnées pour la personne de l’Empereur, ensemble ce grand pavillon pour ses nobles, sont dressez & disposez en ceste façon. Elles sont eslevées sur trois colonnes faictes de boys fort odoriferant, & taillées a lentour de divers & magnifiques ouvraiges. Oultre sont couvertes de peaulx de lyons rouges, & noires : car on trouve au pays grande quantité de lyons de diverses couleurs, & ne peuvent les tentes ainsi couvertes estre aucunement endommagées par pluyes, ne par ventz : Car le cuyr de telles peaulx est si fort & dur, qu’il ne peult estre facilement percé ne entamé. Et le dedans des tentes est tout doublé de belles & riches peaulx d’armynes, & Martes soubelines cheres en Tartarie.martes souz belines, combien que mesmes en ce pays elles soient fort requises & precieuses, & que la fourrure d’une robe de telles peaulx coustera bien quelquefois deux mil florins. Et au regard des cordages qui soustiennent ces troys tentes, ilz sont de fine soye. Il y a plusieurs autres pavillons dressez a l’entour de ces troys, esquelz sont logez les femmes, enfans & damoyselles du grand Cham. En apres y a d’autres pavillons, qui ne sont destinez que pour les faulcons, espreviers, aultours, tierceletz, gerfaultz, & autres oyseaulx de proye. Brief il y a si grande quantité de tentes & pavillons, qu’a les veoir de loing on jugeroit en ceste plaine estre assise une grosse ville, joinct que oultre les serviteurs domestiques, & la suytte de l’Empereur, y a grand nombre de gens oyseux, qui pour leur plaisir suyvent la court affin d’avoir le passetemps de la chasse, lesquelz font dresser leurs tentes, & y sont habituez, & appropriez aussi bien, que s’ilz estoient dedans la ville de Cambalu, mesmes y a grand nombre de medecins, astrologues & philosophes. En ceste belle campaigne l’Empereur sejourne tout le moys de Mars, & ce pendant prend a la chasse & au vol, infinies bestes & oyseaulx. AUssi n’est permis ne loysible a aucun, pendant ce moys d’aller a la chasse en toute ceste province, au moins au dedans de vingt journées a lentour : & mesmes de nourrir & avoir en sa maison aucun chien de chasse, ne oyseau de proye, & principalement depuis le commencement du moys de Mars, jusques au moys d’Octobre, cela leur est interdict & deffendu, & n’oseroient en quelque maniere que ce soit prendre cerfz, dains, chevreulx, lievres & semblables bestes de chasse. De la vient que le pays est si abondant & plein de bestes rousses, qu’elles sont si privées, que pour estre rencontrées par les hommes, elles ne daigneroient fuyr, ne se destourner. Apres avoir finy ceste chasse, l’Empereur se retire en son Palais, ou par trois jours entiers il tient maison ouverte a tous, mesmes a ceulx qu’il avoit appellez pour luy faire compaignie a la chasse, ausquelz en apres il donne congé d’eulx retirer en leurs maisons.


De la monnoye & grandes richesses du grand Cham.
Chapitre     XXI.



La monnoye du grand Cham n’est faicte d’or, d’argent, ne autre metal : mais ilz prennent Monnoy d’escorce de Meurier.l’escorce du mylieu de l’arbre appellé meurieur, laquelle ilz assemblent & conjoignent puis la divisent & taillent en diverses pieces rondes, les unes grandes, autres petites : puis en icelles impriment les characteres & armoyries de l’empire. La moindre piece vault un petit tournois, les autres un peu plus grandes valent deux gros de Venise, autres cinq, autres dix : il y en a qui valent un escu, autres deux, autres cinq. Au moyen dequoy l’Empereur faict monnoyer en sa ville de Cambalu si grande quantité de pecune de ceste matiere vile, qu’il y en à a suffire pour tout son empire. Et n’est loysible a aucun en tous ses royaumes, pays, terres & seigneuries, sur peine de la vie, de fabriquer ne employer autre monnoye, ne aussi la refuser aucunement. Et si quelqu’un vient d’autre pays, ou royaume qui n’est ſubject au grand Cham, il n’oseroit en tout l’empire mettre ne employer autre monnoye : en sorte que bien souvent les marchandz venans de pays loingtain & regions estranges, en la ville de Cambalu, combien qu’ilz ayent grande quantité d’or, d’argent, perles, & autres pierreries, sont contrainctz neantmoins les bailler, & prendre pour iceulx en payement de la monnoye dessusdicte. Et pour autant qu’ilz n’en pourroient faire leur proffit en leur pays, quand ilz s’en veullent retourner, sont encore contrainctz la changer ou en achepter de la marchandise, qu’ilz emportent avec eulx en leur pays : mesmes quelquefois l’Empereur mande aux habitans de Cambalu que ceulx qui ont de l’or, de l’argent ou pierres precieuses, qu’ilz ayent incontinent a les porter & bailler a ses officiers, pour en avoir & retirer d’eulx de la monnoye Imperialle jusques a la concurrence de la valeur & estimation d’icelles. Par ces moyens advient que les bourgeois & marchandz ne souffrent aucune perte de dommaige, & neantmoins l’Empereur tire a soy tout l’or & l’argent de son pays, qui luy cause un tresor inestimable. De celle mesmes monnoye il paye les gaiges de ses officiers, la soulte de ses gensdarmes & soldatz, & pour toutes choses qu’il a besoing pour sa court, il n’employe que ceste monnoye. Veu donc que de neant & matiere vile il faict monnoyer si grande quantité de pecune, par le moyen de laquelle il retire une infinité d’or & d’argent de ses pays terres & seigneuries, & oultre n’employe autre chose pour les provisions de sa court, payement d’officiers, & soulte de gendarmes, il est facile a conjecturer qu’il n’y a Prince ne Roy en tout le monde qui le surmonte en richesse & opulence.


Des douze gouverneurs des provinces de l’empire, & de leur charge & office.       Chap.   XXII.



Le grand Cham a en sa court Douze barons gouverneurs en Tartarie.douze barons, qui sont ses lieuxtenans sur trantequatre provinces, l’estat & office desquelz est de commettre en chascune province deux gouverneurs pour donner ordre & pourveoir de toutes choses necessaires aux armées, bandes & garnisons es lieux & endroictz ou elles sont arrestées, & de ce qu’ilz ordonnent, ilz advertissent l’empereur, qui de son auctorité & majesté Imperialle confirme ce que par eulx à esté determiné & ordonné. Ces douze barons peuvent donner & ottroyer beaucoup de privileges, franchises & immunitez, au moyen dequoy le peuple leur porte grand honneur & reverence, & capte leur faveur & bonne grace. Ilz font leur demeure & residence en un grand palais, assis dedans la ville de Cambalu, qui pour le regard de l’office leur est deputé & affecté, & en iceluy ont plusieurs salles & chambres, pour eulx & leur train & serviteurs. Il zont avec eulx des lieuxtenans & assesseurs, pour servir de conseil & des secrétaires pourc songneusement rediger par escript, ce qui est par eulx faict & ordonné.


Des postes & courriers du grand Cham, & de leur demeure & assiette.
Chap.     XXIII.



Hors la cité de Cambalu y a plusieurs voyes & chemins tendans aux provinces circonvoysines, en chascun desquelz a huict lieues ou environ de distance de la ville de Cambalu, sont assises les postes, qui sont petitz chasteaulx ou maisons magnifiquement basties, esquelles se retirent & logent les heraulx & courriers en passant, & sont appellées en leur langue Janli.Janli, c’est a dire la demeure des chevaulx : car en chascune d’icelles y à trois ou quatre cens chevaulx tousjours prestz, attendans les courriers. De là passant oultre a huict lieues, on trouve l’autre poste, qui n’est en rien differente a la premiere, & consecutivement & en pareille distance se continuent les autres postes, jusques aux frontieres & limites de l’empire, en sorte qu’en tout l’empire sur les grandz chemins publicqs se trouvent environ dix mil postes assisses. Et au regard du nombre des chevaulx qui sont esdictes postes entretenuz & destinez pour les courriers, y en a environ deus cens mil, mesmes dans les forestz & lieux desertz ou n’y à aucune demeure ne habitation humaine, se trouveront neantmoins de semblables postes : toutesfois a distance de dix ou douze lieues l’une de l’autre. Et fault que les villes circonvoysines & habitans du pays, au dedans duquel les postes sont assises, fournissent et administrent le fourraige pour les chevaulx, & les vivres pour ceulx qui les gardent. Mais a celles qui sont assises dedans les bois & desertz, toutes choses necessaires leur sont administrées par les officiers de l’Empereur, lequel par ce moyen quand il velt sçavoir & entendre quelques nouvelles faictes en pays loingtain, incontinent faict depescher les courriers qui en grande diligence executans son mandement feront en un jour quatre vingtz ou cent lieues, tellement qu’en bien peu de temps ilz expedieront un grand païs. Ce qui se faict en Maniere d’aller en poste.ceste maniere : On envoye deux courriers, lesquelz ne cesseront de picquer tant qu’a grande course de cheval ilz soient arrivez a la premiere poste, a laquelle ilz lairront leurs chevaulx las & en prendront deux autres frais & reposez, sur lesquelz en pareille course & diligence, ilz ?endront a l’autre poste, & continuent ainsi leurs courses, allans & venans, sans intermission ne demeure, portans les pacquetz & mandemens de l’Empereur en peu de jours jusques aux limites de l’Empire. Et par mesme moyen en rapportent response, ou autres nouvelles certaines a l’Empereur. Oultre ce y a encores entre les susdictes postes, d’autre maisons & hostelleries d’une ou deux lieues de distance l’une de l’autre, esquelles se retirent & logent les Postes a pied.messagiers de pied, chascun desquelz a une ceinture garnie de ssonnettes, & sont tousjours pretz, pour quand quelques pacquetz ou lettres de l’Empereur leurs sont presentées, de les porter en toute diligence a la premiere hostellerie. Et devant qu’ilz y arrivent on entend de loing le bruit des sonnettes du messagier, au moyen dequoy les autres se tiennent prestz, attendant sa venue. Et le pacquet receu, incontinent le portent a l’autre hostellerie, ainsi le pacquet est porté de main en main, sans aucune retardation jusques au lieu ou ile est envoyé : dont souventesfois advient qu’en moins de trois jours l’Empereur sçaura des nouvelles, ou recevra quelque nouveauté de fruictz d’un lieu qui sera distant de dix grandes journées de sa court. Or tous ces courriers & messagers tant de pied que de cheval, sont exemptz de tous tributz, tailles & subsides, & oultre reçoyvent gros gaiges & sallaires par les tresoriers des finances de l’Empereur.


De la providence de l’Empereur au temps de cherté.
Chapitre     XXIIII.



Tous les ans le grand Cham a de coustume envoyer ses courriers en diverses provinces subjectes a son empire, pour s’enquerir si les bledz ont esté gastez, ou aucunement endommagez, par les saultereaux ou autre vermine, ou si quelque pestilence, ou autre injure de temps auroit causé au pays sterilité. Et quand il est certioré que quelque ville ou province en souffre frande disette ou famine, Remission de tailles.il remet au peuple les tailles & tributz pour ceste année, & leur envoye grande quantité de bledz tant pour leur vivre, que pour ensemencer la terre. Car au temps de fertilité & abondance de bledz, l’Empereur en faict faire grand amas & provision, qu’il faict soigneusement garder par trois ou quatre années en ses greniers, affin que s’il en advient disette au pays, il y puisse subvenir, & supplier le deffault par telles provisions. Et lors ilfaict vendre son bled a petit & vil pris, en sorte que le muyd sera vendu des quatre partz moins que si on l’acheptoit d’un autre. Semblablement si quelque peste ou maladie contagieuse est tumbée sur le bestail, il remet pour ceste année son tribut ordinaire, & leur faict vendre & delivrer d’autre bestail. D’avantaige pour obvier a ce que les courriers ou autres passans par la province de Cathay ne s’esgarent ou fourvoient de leur chemin, ce saige & prudent Empereur y à pourveu en ceste maniere : Par les grandz chemins il à fait planter grande quantité d’arbres, bien peu distans & eslongnez l’un de l’autre, & rengez de tel ordre, qu’ilz demonstrent comme au doigt, le vray & droict chemin par lequel il faut aller ou lon pretend. Au reste quant au grand nombre de pauvres, qui sont par luy nourriz toute l’année, & quelles aumosnes il faict ordinairement en pain, bledz & froment on le reputeroit incroyable, si je m’arrestois a le declairer, mais je peuz bien asseurer pour verité, que par chacun jour de l’année il nourrist de pain environ trente mille pauvres, & ne veult souffrir son pain estre denyé a quelque personne que ce soit, au moyen de quoy ses subjectz l’estiment & reputent comme Dieu.