Le Diable à Paris/Série 1/Flammèche et Baptiste

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FLAMMÈCHE ET BAPTISTE

conversation et consultation
PAR P.-J. STAHL
I


lammèche était un diable de bonne foi, et qui ne tenait pas d’ailleurs à s’en faire accroire à lui-même ; — il avait donc bientôt reconnu que sa mission n’était point aussi facile à remplir qu’il se l’était imaginé. Le peu qu’il avait vu et entendu l’avait tout d’abord convaincu que, pour avoir été le secrétaire intime de Satan, et le diable le mieux instruit des secrets de l’autre monde, il n’en était pas moins dans le nôtre fort neuf en toutes choses.

Aussi, après avoir considéré dans le premier moment Paris avec la curiosité banale d’un entomologiste examinant sous le verre de sa loupe une fourmilière quelconque, s’était-il bientôt senti intéressé par la singularité du spectacle qu’il avait sous les yeux. Dans ces mouvements, en apparence si désordonnés, il avait fini par distinguer une certaine symétrie ; et dans ces bruits, d’abord si confus, des voix et des discours qui ne manquaient pas absolument de sens et d’harmonie. La scène n’avait pas grandi, mais les acteurs, mais la pièce, avaient pris des proportions raisonnables. Un mathématicien lui avait prouvé, par A B, que l’infini étant partout et dans tout, dans l’unité comme dans le nombre, un est aussi parfait que cent mille, et que la terre, par conséquent, est, sinon aussi grosse, au moins aussi digne de l’attention de l’observateur que toute autre partie plus considérable de l’univers, — ce qui revient à dire, avec raison peut-être, qu’un ciron vaut un éléphant ; — et Flammèche avait trouvé sans réplique cette théorie de l’infini. Un métaphysicien lui avait démontré que les plus grandes choses sont contenues dans les plus petites, maxima in minimis ; et un gamin, à qui il avait fait une question probablement par trop naïve, lui avait demandé, avec beaucoup de sang-froid, s’il revenait de son village.

Bref, Flammèche en était arrivé à s’avouer ingénument — ce qui était encore une naïveté — qu’il avait tout à apprendre avant de pouvoir rien critiquer.

II

Son parti avait été bientôt pris.

« J’apprendrai, se dit-il, fût-ce à mes dépens ! »

Et Flammèche, qui était intrépide, commença bravement, non par le plus difficile, mais à coup sûr par le plus dangereux, puisque tout d’abord, ainsi que nous l’avons dit, il était devenu amoureux.

L’Amour, chère madame, est un maître qui ne fait grâce à personne.

III
une consultation.

La lecture de l’histoire de mademoiselle Mimi Pinson et du Coup de canif embrouilla tellement toutes les idées que Flammèche amoureux s’était faites des femmes et le jeta dans de telles perplexités, que, voulant s’en tirer à tout prix : « Baptiste, dit-il en s’adressant en dépit de cause à son valet de chambre, réponds-moi : que penses-tu des femmes ?

— Mais, monsieur, dit Baptiste, de l’air d’un homme pris au dépourvu.

— Dis toujours, reprit Flammèche ; que penses-tu des femmes ?

— Dame, monsieur, dit enfin Baptiste, c’est selon. »

Et il fut impossible de tirer de la bouche du sage Baptiste un mot de plus.

« Au fait, pensa Flammèche, ce garçon a raison, et sa réponse en vaut une autre.

« Baptiste, je n’ai plus de cigares, » dit Flammèche.

IV
opinion définitive de baptiste sur les femmes

Baptiste, qui était sorti un instant pour aller chercher des cigares, venait de rentrer.

« Que diable ! lui dit encore Flammèche, qui avait fini par trouver que la réponse de son valet de chambre laissait quelque chose à désirer, que diable ! Baptiste, tu as dû être joli garçon ; il n’est pas possible que tu n’aies rien de mieux à répondre à ma question que les deux mots que tu viens d’articuler tout à l’heure. »

Et comme Baptiste, pour ne pas répondre c’est selon, ne répondait rien du tout :

« Mais enfin, lui dit Flammèche, tu as été amoureux ?

— J’ai été si jeune !… dit Baptiste.

— Eh quoi ! dit Flammèche, te repentirais-tu d’avoir aimé ? »

Baptiste hésita un instant.

« Il y a femme et femme, dit-il enfin.

— Comme il y a fagot et fagot, » dit en riant Flammèche, que le laconisme de Baptiste mit en bonne humeur.

Baptiste, qui avait respectueusement baissé les yeux pendant que son maître l’interrogeait, et qui les avait même fermés tout à fait, sans doute pour se mieux recueillir quand il avait eu à lui répondre, Baptiste, l’entendant rire et ne comprenant rien à cette subite gaieté, se hasarda alors à lever la tête pour en savoir le motif ; mais les regards de Baptiste ne rencontrèrent que le fauteuil vide de Flammèche.

Quant à Flammèche lui-même, il avait disparu !

V

Un autre que Baptiste eût été intrigué de cette incroyable disparition, car la porte n’avait point été ouverte, les fenêtres n’avaient pas cessé d’être fermées, et l’appartement que Flammèche occupait dans l’hôtel des Princes, où il était descendu, avait toujours passé pour être parfaitement clos. Un autre aurait cherché sous les tables, sous le lit, derrière les rideaux, partout enfin, si peu probable qu’il pût être qu’un ambassadeur s’y fût caché dans le seul but de causer une surprise à son valet de chambre ; mais Baptiste était un serviteur trop discret pour s’inquiéter jamais de ce que pouvait faire son maître et pour scruter ses actions. Il se contenta de replacer le fauteuil dans un des coins du salon, de fermer le secrétaire, de ranger les papiers — et de descendre à l’office.

Le lendemain, Flammèche n’avait point reparu.

Un autre que Baptiste se serait dit peut-être : « Où donc monsieur a-t-il passé ? » Mais Baptiste, qui était Allemand et même Prussien, ne se dit rien du tout et se borna à l’attendre.

Personne, on le voit, n’était moins bavard que Baptiste, puisque, contre l’ordinaire des gens qui parlent peu, il ne causait même pas quand il était tout seul.


Vers dix heures du matin, un domestique monta une lettre à Baptiste. Cette lettre était de Flammèche.

Lettre de Flammèche à Baptiste.

« Mon bon garçon, lui disait Flammèche, je reviendrai quand je pourrai.

« En attendant mon retour, qui peut être prompt et qui peut ne pas l’être, et tant que durera mon absence, tu seras mon chargé d’affaires, — c’est-à-dire que tu auras soin d’ouvrir une fois par semaine, tous les lundis, mon secrétaire ; que tu prendras, les yeux fermés, dans le tiroir du milieu, un des manuscrits qui s’y trouveront, et qu’après en avoir fait un paquet proprement cacheté, tu auras à l’envoyer (par la poste) au Diable, mon maître, en y joignant les lettres à son adresse qu’il m’arrivera peut-être de te faire passer pour lui.

« Te voici par conséquent, mon cher Baptiste, ambassadeur par intérim ; c’est la moindre des choses, comme tu vois ; ne t’effraye donc pas, mais sois exact, tu as affaire à un maître qui ne sait pas attendre.

« N. B. — Parmi les manuscrits qui s’offriront à ta vue, ne va pas t’aviser de choisir ; prends au hasard ! — Il n’y a d’impartial — que le hasard !

« Flammèche. »

« Post-scriptum. — Quand tu auras besoin d’argent, tu en trouveras dans ta poche. »

Beaucoup de gens à la place de Baptiste, et je n’entends pas parler seulement des valets de chambre, auraient dit sans plus tarder : « J’ai besoin d’argent. » Mais le calme de cet honnête serviteur ne se démentit point dans cette circonstance, et, quoiqu’il ne servît Flammèche que depuis quelques jours, il ne songea même pas à vérifier cette dernière parole de son maître.

Après avoir lu sa lettre avec une grande attention, il la replia silencieusement, et tout fut dit.

Mais si Baptiste avait peu de conversation, c’était en revanche un garçon ponctuel et régulier ; aussi ne manqua-t-il pas une seule fois d’exécuter dans tous ses points la manœuvre prescrite, et de tirer, — sans choisir — et au jour dit, du tiroir mystérieux, un manuscrit quelconque.

Grâce à ce tiroir, toujours bien rempli, grâce au zèle de Baptiste, la curiosité de Satan ne chôma pas un seul instant. Ce grand monarque se prit bientôt d’une si grande passion pour ces messages qui lui venaient de la terre, que le jour de leur arrivée était pour lui un jour de fête.

Ces jours-là, il rassemblait sa cour. Les vignettes passaient d’abord de main en main, après quoi un diable — le moins enroué sans doute — faisait à haute voix la lecture de ce qui venait d’arriver.

Quant à Flammèche, que faisait-il ? qu’était-il devenu ? Si quelqu’un le sait, ce n’est pas nous ; mais nous le saurons plus tard peut-être, et, quand nous le saurons, — notre devoir sera de le dire.

p.-j. stahl.