Le Diable à Paris/Série 3/De l’Esprit à Paris

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DE L’ESPRIT À PARIS
par p.-j. stahl

C’est une chose digne de remarque que Paris soit en même temps la ville du monde où l’on aime le plus l’esprit, et celle où l’on semble estimer davantage la bêtise. Un homme d’esprit qui n’a pas de rentes au soleil, qui a sa fortune à faire ou tout bonnement sa vie à gagner, doit tout d’abord, chez nous, se faire pardonner de n’être point un sot comme le premier venu, comme la plupart de ceux dont il aura besoin.

Si à son esprit il ne joint pas un peu de malice, s’il ne sait pas à l’occasion faire un peu la bête, s’il ne s’arrange pas, tout au moins, pour bien cacher l’esprit qu’il a, il est perdu. Il aura plus de mal, pour arriver au plus mince emploi, qu’un niais quelconque à rouler carrosse. Ceci n’est point un paradoxe, c’est la plus palpable des vérités.

Il semble que cette rare faculté, cette faculté essentielle, l’esprit, soit considérée par nous comme un objet de luxe dont il est impossible de tirer parti au point de vue pratique, et qu’il y ait de la suffisance, de la part d’un homme d’esprit, de prétendre à accomplir la besogne d’un sot.

D’où vient donc que l’esprit soit une si pauvre recommandation dans ce Paris qu’on appelle par excellence le pays de l’esprit ? d’où vient donc cette défiance dont on y accueille l’homme d’esprit à son entrée dans la vie, pour peu qu’il ait faim, et d’où aussi l’inexplicable confiance qu’y rencontrent généralement les imbéciles ?

Bien que je n’ignore pas que la querelle des sots et des gens d’esprit doive être éternelle et qu’elle ne puisse jamais se plaider qu’aux dépens de l’esprit et au profit de la sottise, on me permettra ici d’en dire quelques mots et d’essayer de jeter un peu de jour sur la double question que je viens de poser.

Quand on fait tant que d’être sot, j’imagine qu’il doit faire bon de l’être tout à son aise, de n’être gêné par rien ni par personne dans sa sottise, et de pouvoir se plonger dans ses petites ténèbres sans jamais que la lumière y pénètre.

Or, qu’est-ce qu’un homme d’esprit au milieu des sots, si ce n’est la lumière importune ? On comprend dès lors qu’à l’approche de l’homme d’esprit les rangs des sots se resserrent.

« Soit, direz-vous, que l’homme d’esprit cherche fortune ailleurs. Ce n’est pas un malheur pour un garçon de mérite que de n’avoir point à vivre avec des gens qui ne sauraient le comprendre. »

Je serais de votre avis, lecteur spirituel, si à côté du régiment, que dis-je ! de l’innombrable armée des sots, se trouvait seulement un bataillon de gens d’esprit tout prêts à recevoir les nouvelles recrues et à leur donner un ordinaire supportable. Mais ce bataillon, où est-il ?

Avec tout leur esprit, les gens d’esprit ne sont pas jusqu’ici parvenus à le former. La majorité a toujours détesté les corps d’élite et la grande armée dont je parlais tout à l’heure a toujours pris soin de faire avorter dans leur germe les tentatives faites pour constituer parmi nous ce qu’on eût pu appeler le corps ou la corporation des gens d’esprit. En voulez-vous une preuve ? Voyez notre Académie : du génie, de la science, de la pensée, du talent, de l’éloquence, du mérite tant qu’on voudra ; mais le fauteuil de l’esprit proprement dit, le tapissier de l’Académie ne l’a pas encore fabriqué.

L’homme d’esprit, dans notre société, n’est donc par le fait qu’un tirailleur réduit souvent à la maraude et dont le sort est d’être tué presque toujours, sans que personne y prenne garde, dans quelque combat d’avant-poste.

Je n’exagère point, et, si l’on me montre, dans quelque situation très en vue, un petit nombre d’hommes d’esprit exceptionnellement arrivés, je dirai que ce n’est certes point à cause de leur esprit, mais malgré leur esprit, que ceux qu’on prétend m’opposer ont obtenu de s’égaler au commun de nos grands hommes politiques, par exemple. J’en appelle sur ce point aux cinq ou six hommes vraiment spirituels, — je dis spirituels dans le sens français, dans le sens gaulois de ce mot, — qui, depuis trente ans, ont occupé accidentellement quelques places sur les banquettes du char de l’État. Est-ce en faisant briller ou en assourdissant le feu de leur lanterne qu’ils sont venus à bout d’y monter ?

De ce que c’est un obstacle à la fortune, dans notre société française, d’être un homme d’esprit, il s’ensuit tout naturellement que n’avoir pas d’esprit est un joli capital pour un débutant.

Ces deux phénomènes s’expliquent l’un par l’autre, et chacun par ses contraires.

Les gens que l’homme d’esprit effraye, ceux qui resserrent leurs rangs à sa vue : le commerçant un peu encroûté, le banquier sans génie, le père de famille inintelligent, le mari qui a sur la fidélité des femmes l’opinion de M. Paul de Kock, la majorité des commerçants, des hommes d’affaires, des pères de famille par conséquent, tous ces braves gens-là, l’homme médiocre, leur semblable, les rassure. Il leur va comme un gant, et la logique veut que les portes qui se ferment pour le premier s’ouvrent toutes grandes pour le second. Et, d’ailleurs, qui est-ce qui, dans une société où l’intérêt personnel domine, ne fait pas de préférence une petite place à ses côtés a l’homme qui ne peut pas l’éclipser, à l’imbécile dont le voisinage, encore qu’il puisse être fâcheux, ne saurait du moins être inquiétant ? Un homme sans valeur occupe une place, mais il ne la remplit pas, et, tandis que la place d’un homme nul n’est que la place de quelque chose, celle d’un homme d’esprit est tout de suite la place de quelqu’un. Quand on s’expose à coudoyer un homme supérieur, c’est avec lui qu’il faut compter et non avec sa fonction seulement.

Convenons aussi qu’il se dit journellement autour d’un comptoir, dans le bureau d’un négociant, dans l’étude d’un tabellion, autour de la toque de quelques avoués, derrière la grille d’un agent de change, dans le sein d’un certain nombre de familles, partout enfin où l’intérêt est en jeu, une foule de sottises accréditées par l’usage, tolérées par la loi, nécessitées par le besoin, exigées par la niaiserie, la vulgarité ou la duplicité du public avec lequel on est en rapport, et que toutes ces choses-là, il n’y aurait aucune sûreté à charger un homme d’esprit de les dire. Elles sortiraient moins ingénument d’une conscience et d’une bouche qui sauraient ce qu’agir et parler veulent dire, que de la conscience et de la bouche d’un pauvre diable qui met candidement toutes les obéissances passives au nombre des vertus et qui a trouvé sans réplique qu’il n’y eut de défendu que ce qui n’est pas profitable.

Qui n’a pas entendu dix fois dans le monde parisien des dialogues comme celui-ci :

« Vous connaissez Francis ?

— Un garçon d’esprit, ma foi.

— Eh bien, il est notaire !

— Notaire ! pas possible ! Qui est-ce qui lui a confié une étude ?

— Que voulez-vous, mon cher ? on ose tout aujourd’hui ! »

Ou cet autre :

« Y a-t-il longtemps que vous n’avez vu Paul de C*** ? Vous savez, celui qui a publié, l’an passé, une relation de son voyage en Chine, un garçon qui n’avait rien, qu’un peu d’esprit ; eh bien, M. Z*** vient de lui donner son usine à conduire, plus la main de sa fille !  !

— M. Z***, son usine ? Ah çà ! mais M. Z*** est devenu fou, je suppose.

— Ne m’en parlez pas… »

Ou celui-ci :

« Vous savez bien le petit M***, qui faisait mes affaires à la Bourse ?

— Oui, — celui qui vous a donné de si bons conseils ? D’après ce que vous m’avez dit, mon gaillard, vous avez gagné deux cent bons mille francs, grâce à lui, l’an passé !

— Précisément. Eh bien, savez-vous ce qu’il a fait, l’imbécile ? Il a fait une pièce au Théâtre-Français, une pièce qui a un succès fou. C’est un garçon perdu ! Je l’ai rencontré huit jours après son équipée, et, ma foi, je ne lui ai pas mâché mon opinion. « Vous avez eu mes derniers ordres, lui ai-je dit. Si vous croyez que j’aurai confiance dans un auteur, vous vous trompez du tout au tout. Tant pis pour vous ! vous m’alliez avant d’avoir perdu la tête ; mais, aujourd’hui, vous m’offririez un empire, que je ne vous donnerais pas commission de m’acheter seulement pour cent francs de rente. »

— C’était dur ; mais il ne l’avait pas volé. Et qu’est-ce qu’il vous a répondu, le pauvre garçon ?

— Le pauvre garçon ? Vous le plaignez à présent ? Vous avez de la bonté de reste, par exemple ! Il m’a ri au nez, m’a frappé sur le ventre et m’a dit qu’il avait parié, avant que sa pièce fut jouée, qu’il perdrait ma clientèle dès que son nom serait sur l’affiche ; que ce que je lui disais ne l’étonnait donc pas et que c’était nature… »

Un dernier exemple, tiré d’un peu plus haut.

On conseillait à un président du conseil, que je ne veux pas nommer, de prendre pour collègue, dans un moment de crjse, M. X***

« Non, répondit-il tout net, X*** a trop d’esprit, il est trop fort, il nous gênerait. »

Etc., etc., etc.

Hélas ! hélas ! il faut le confesser, l’esprit a tort, la société et la sottise ont raison. Il est une foule d’emplois incompatibles avec l’esprit ; il est une foule de places où un homme d’esprit ferait tache par son éclat même et se trouverait fourvoyé, comme un diamant au doigt d’un pauvre homme. Si donc, au lieu de classer un homme, son esprit ne sert qu’à le déclasser, rien n’est plus normal que l’ostracisme qui pèse sur l’esprit.

Sur ce, vous tous qui avez de l’esprit humiliez-vous et tenez-vous pour avertis qu’à moins d’un miracle ou, tout au moins, d’une abjuration dans les règles, votre royaume n’est pas de ce monde. Où diable vous nicherait-on, dans un pays où sa médiocrité est un préjugé en faveur du jugement d’un homme, où il suffit presque d’être un peu bête pour avoir une notoriété de bon sens ?

Ce n’est pas avec de l’esprit, en effet, je parle de l’esprit d’honnête homme, le seul qui soit de l’esprit, c’est-à-dire avec de la raison sans empois, c’est-à-dire avec cette irrésistible soudaineté, avec cette brusque et franche gaieté du bon sens qui est la marque du véritable esprit, que vous saurez faire illusion et à vous-même et aux autres sur le sérieux d’une entreprise peu morale, sur la valeur d’une doctrine absurde, sur l’importance d’une découverte qui n’a de prix pour personne, sur le mérite d’un système politique que votre cœur condamne. Et, si ce talent essentiel de vous tromper vous-même et de tromper les autres vous fait défaut, vous n’êtes qu’une superfétation sociale.

Est-ce là, oui ou non, la condition faite à l’esprit de nos jours ? L’esprit uni à la conscience, dont il doit être inséparable pour avoir qualité, d’esprit, est-il, oui ou non, un empêchement plutôt qu’une aide, dans la vie moderne ?

Qui pourrait le nier ?

À ce compte, dira-t-on, le mot de l’Evangile : « Bienheureux les pauvres d’esprit, » serait donc vrai sur la terre comme au ciel, et la condition d’homme d’esprit serait, même ici-bas, une des pires de notre triste humanité ?

Oui et non.

Oui, dans l’ordre matériel.

Non, dans l’ordre moral.

Tout homme d’esprit digne de ce nom doit contenir un philosophe et être armé contre les disgrâces de la vie, de façon à ne perdre l’esprit ni dans le succès, ni dans la défaite. Or, ne plaignez pas celui à qui reste l’esprit. Le plus riche est pauvre, assis sur ses millions, à côté de ce déshérité dont la besace ferait envie à la caisse de M. de Rothschild, si, par impossible, M. de Rothschild n’était pas un homme de génie.

L’esprit porte ses consolations en lui-même ; sa fortune, c’est-à-dire la joie de sa raison satisfaite, est tout intérieure. Quoi qu’il lui arrive, il ne saurait la perdre. « L’esprit, a dit M. de Rémusat, est peut-être le seul bien de ce monde qui soit sans mélange. Seul, avec la Vertu, il ne laisse aucun regret après lui. » Disons encore, avec la Romiguière, « qu’il ne vieillit pas, » et ajoutons, pour notre compte, qu’il empêche la raison de vieillir.

Beaucoup de gens s’inscrivent contre ces vérités ; qu’importe ? Ceux-là n’ont pas réfléchi au sens exact qu’il faut donner à ce mot esprit, qui ne signifierait rien s’il méritait les étranges et très-variées significations que tous les jours on lui donne.

Pour un grand nombre de bonnes gens, pour tous ceux qui font, d’instinct, obstacle à l’esprit, il semble qu’esprit et légèreté soient synonymes et qu’aujourd’hui comme au moyen âge l’homme d’esprit ne puisse prétendre qu’à l’emploi des comiques, qu’à être, non le bouffon de quelqu’un, — de nos jours, les rois, dit-on, n’ont plus de fous à leur cour, — mais le bouffon de tous.

Il a dû arriver à quelques hommes d’esprit, dans nos temps agités, de se dévouer à quelque noble cause, de s’y consacrer entièrement et de mourir en la servant. Savez-vous ce qu’ils auront gagné à ce généreux sacrifice ? « Tous les gens d’esprit ont décidément la tête à l’envers, dira-t-on. De quoi diable se mêlent-ils, je vous prie ? » Et ce sera là toute l’oraison funèbre que leur feront les gens bienveillants. Les malveillants ne s’en tiendront pas là. « Hum ! diront-ils, à qui fera-t-on croire que, sous ce prétendu héroïsme, il n’y eut pas quelque intérêt caché ? Ils ont manqué leur but ; ils sont punis par où ils ont péché ; c’est bien fait. »

Le malheur de l’esprit, dans nos sociétés modernes, c’est qu’il ne pose pas ; c’est que les périodes qui charment les niais, c’est que les phrases et les cols empesés l’agacent ; c’est qu’il parle, en un mot, et ne déclame jamais ; c’est enfin que, pour les gens d’esprit, le sérieux est au fond, tandis que, pour les sots, il est à la surface.

De là ce grand, cet inextricable malentendu qui ne finira que quand la majorité des Français saura qu’on peut être plus frivole en faisant un sermon qu’en regardant voler une mouche.

On me passera de ne pas appeler gens d’esprit ceux qui n’ont d’esprit que ce qu’il en faut pour émerveiller les bavards et pour amuser et abuser les sots. Ce ne sont là que joueurs de gobelets et instrumentistes de place publique ; leurs variations et leurs tours de force ne sont qu’affaire de saltimbanques. L’esprit et la raison ne sauraient avoir ni deux bureaux, ni deux plumes. Ce qui n’est pas tous les deux n’est ni l’un ni l’autre.

J’en dis autant de l’esprit et de la conscience. Un coquin, si spirituel qu’on le suppose, ne sera jamais qu’un homme d’esprit manqué. « Eh quoi ! me dira-t-on, ce fripon célèbre, ce fripon merveilleux, ce fripon illustre qui a tenu la France en éveil pendant vingt ans, il n’a pas d’esprit, celui-là ? »

À quoi on me permettra de répondre que l’homme qui n’a pas eu l’esprit de n’être pas un fripon n’est qu’un sot.

L’esprit qui n’a pas le consentement des honnêtes gens et l’approbation des esprits élevés n’est pas l’esprit. L’esprit ne commence que là où il fait rêver les sots et pâlir les méchants. Hors de là, tout ce que l’on appelle esprit n’est que mirage et apparence. Le plus beau feu d’artifice ne fera jamais l’ouvrage du soleil.

Il est un moyen, toutefois, pour l’homme d’esprit de reprendre le rang qui lui est dû dans notre société française, s’il a le cœur ferme aussi bien qu’il a l’œil pénétrant. Ce moyen, le voici : il faut qu’acceptant la situation d’isolement qui lui est faite au milieu des intérêts de tous, il se fasse résolûment le spectateur et le juge de cette société qui le trouve inutile. Il faut que, s’armant d’une plume comme d’un fouet, il entre à la suite de Rabelais, de Montaigne, de Charron, de Voltaire, de la Bruyère, de la Rochefoucauld ou de Chamfort au service de la moralité publique.

Pour peu que cette détermination soit servie par le talent, les mains jusque-là fermées pour lui ne tarderont pas à se rouvrir. Cela s’explique : mieux vaut encore tendre les bras que le dos à un homme dont la tâche est désormais de frapper.

Aussitôt donc que les sots s’aperçoivent que, dans cette main qu’on croyait si futile, une plume a le piquant d’une épée et qu’un mot tombé de cette bouche rieuse est capable de faire, comme la balle d’une arme à feu, un trou aux peaux les plus dures, le respect fait place au dédain et c’est à qui saluera le plus bas cette force hier méconnue.

Les arts et les lettres, voilà le refuge, voilà le port obligé de l’homme d’esprit qui ne sait pas transiger et qui ne veut pas mettre son esprit dans sa poche. Port étroit, fécond en naufrages, mais en naufrages glorieux. Bien mourir ne vaut-il pas mieux que mal vivre ?

Non, il n’est pas d’alternative, non, il n’est pas deux professions pour l’homme d’esprit. Il faut qu’il écrive. Celui qui n’écrit pas est une sentinelle sans fusil. Celui qui écrit, au contraire, si humble que soit la table qui porte sa plume et son papier, a une part de souveraineté ici-bas. Mais, qu’il ne l’oublie pas, pour lui, désormais, plus de repos. Quand l’homme d’esprit a paru dans la lice, il ne peut plus désarmer ; quand il ne règne pas, on l’opprime.

On vient de faire un livre sur un mot, sur ce titre : « le Roi Voltaire. » Sans faire tort à ce livre, je suis bien sûr que son titre n’est pas ce qu’il contient de pire.

Voltaire a eu cet honneur de prouver que l’esprit était le maître du monde, à une époque où le monde tout entier était à refaire. La besogne était immense, mais immense était son courage, et pas un jour son vaillant esprit ne faillit à la tache.

La tache aujourd’hui est moins grande ; est-ce pour cela que les ouvriers semblent manquer ? ou bien, au lieu d’être excités par les nobles exemples du passé, craignent-ils, après de tels devanciers, d’entrer dans la carrière ?

Hélas ! tous n’ont pas l’esprit de Voltaire, sans doute ! Tous n’ont pas non plus sa conscience et son âme indomptable, ni sa foi dans la toute-puissance de l’esprit. Mais qu’importe ? Ne fût-on qu’un soldat sous la bannière des grands esprits qui ont illuminé le monde, il faut servir. C’est le privilège de l’esprit, qu’alors même qu’il ne peut rien pour lui-même, il peut beaucoup pour les autres. L’esprit est le seul patron que sa clientèle n’abandonne pas ; car, la plupart du temps, il plaide gratis. Le jour n’est-il pas venu de rappeler à tous que l’esprit n’est point un simple talent d’agrément, et que le plus mince apport de l’homme d’esprit dans le monde sert autant ce monde que le plus admirable mouvement des machines dont s’enorgueillit, à bon droit d’ailleurs, l’industrie ?

p.-j. stahl.