Le Diable à Paris/Série 3/Les Parisiennes

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Le Diable à Paris/Série 3
Le Diable à ParisJ. HetzelVolume 3 (p. 77-92).
LES PARISIENNES
études morales
extraites de l’esprit de madame de girardin[1]

le courage des parisiennes. — leurs gouts en littérature.
signes du temps — bravoure et poltronnerie.
causeries positives. — dévotion des parisiennes. — l’air de paris.
les parisiennes retour de province.
ce que cherchent les parisiennes. — de quoi se compose une jolie femme a paris. — l’innocence à paris. — des vocations naturelles chez la parisienne.

Le courage des Parisiennes. — Les Parisiennes ont beaucoup plus de courage que les Parisiens : on avouera cela un jour. Regardez la rue, un jour d’orage : les hommes passent en cabriolet, les femmes s’en vont à pied dans l’eau et dans la boue. Sur dix passants, il y a huit femmes. Ce ne sont point des élégantes, non, sans doute ; mais ce sont de braves mères de famille laborieuses, qui courent pour affaires, des ouvrières consciencieuses qui reportent leur ouvrage à l’heure dite, des gardes-malades qui rejoignent un lit de douleur, de jeunes filles artistes qui regagnent leur atelier. Ceci est un indice infaillible ; vous ne risquez jamais de vous tromper en vous intéressant à la femme que vous voyez courir dans la rue par une averse. Le motif qui la fait sortir par ce temps-là méritera toujours votre intérêt et quelquefois votre admiration.

Les jeunes gens du jour ne savent plus ni souffrir, ni travailler ; ils ne savent rien supporter, ni la douleur, ni la pauvreté, ni l’ennui, ni les humiliations honorables, ni le chaud, ni le froid, ni la fatigue, ni les privations ; excepté quelques injures, ils ne savent rien endurer.

Voilà pourquoi les femmes ont été forcées de se métamorphoser ; elles ont acquis des vertus surnaturelles, et qui certes ne leur convenaient point. Elles sont devenues courageuses, elles dont les frayeurs puériles avaient tant de grâce, elles sont devenues raisonnables, elles dont la légèreté avait tant d’attraits ; elles ont renoncé à la beauté par économie, à la vanité par dévouement ; elles ont compris, avec ce pur instinct qui est leur force, que dans le ménage humain il faut que l’un des deux époux travaille pour que l’enfant soit nourri. L’homme s’étant croisé les bras, la femme s’est mise à l’ouvrage, et c’est pourquoi la femme n’existe plus.

Étudiez les mœurs du peuple ; voyez la femme de cet ouvrier, elle travaille, elle élève ses enfants, elle s’occupe de la boutique et de son ménage, elle n’a pas dans tout le jour un seul moment de repos. — Que fait donc son mari ? Où est-il ? — Au cabaret.

Regardez cette jeune fille, elle est couturière en linge. Son teint est pâle, ses yeux sont rouges, elle a dix-huit ans, elle n’est déjà plus jolie. Elle ne sort jamais, elle travaille nuit et jour. — Et son père ? — il est là dans l’estaminet voisin, occupé à lire les journaux.

Suivez cette belle femme. Comme elle marche rapidement ! elle regarde à sa montre avec inquiétude, elle est en retard, elle a déjà donné depuis ce matin quatre leçons de chant, elle en a encore trois à donner. C’est un métier bien fatigant. — Et son mari, que fait-il donc ? — Elle vient de le rencontrer ; il se promène sur le boulevard avec une actrice de petits théâtres.

Regardez encore cette pauvre femme : comme elle a l’air de s’ennuyer ! C’est une victime littéraire qui tâche de se faire une existence en écrivant. Ses médiocres ouvrages, qui se vendent assez bien, l’aident à vêtir convenablement sa petite fille. — Et son mari, où est-il donc ? — Il est au café là-bas, qui joue au billard, en faisant des plaisanteries contre les femmes auteurs.

Voyez encore chez tous les ministres courir, s’agiter, parler cette petite femme ; elle est riche, elle n’a pas besoin de travailler ; mais son mari est un homme tout à fait nul, qui ne parviendrait à rien sans elle. Elle veut le faire nommer à telle place, et elle va solliciter pour lui, pendant qu’il joue au whist dans quelque club.

Eh ! pensez-vous que ce soit pour leur plaisir que les femmes se fassent ainsi actives et courageuses ? Croyez-vous qu’elles ne préféreraient pas mille fois redevenir nonchalantes et petites-maîtresses, et qu’il ne leur semblerait pas infiniment plus doux de passer leurs jours étendues sur de soyeux divans, avec des poses de sultane, entourées de fleurs, parées des plus riches étoffes et n’ayant autre chose à faire que de plaire et d’être jolies ! En changeant leur nature, elles font un très-grand sacrifice, et qui leur coûte fort, croyez-le…

Ah ! vous ne savez pas ce qu’il faut de courage à une femme pour se dévouer à être toujours vêtue humblement ; vous ne savez pas à quelles innombrables et irrésistibles tentations il lui faut à tout moment résister ! En fait de parure, être sage, c’est être sublime ! Passer devant une boutique engageante et voir suspendu derrière la glace un délicieux ruban bleu de ciel ou lilas, un ruban provocateur, qui vous excite à l’admirer ; dévorer du regard cette proie charmante ; bâtir toute sorte de châteaux en Espagne à son sujet ; se parer en idée de ses nœuds coquets et se dire : « Je mettrai deux rosettes dans mes cheveux ; le grand ruban sera pour la ceinture, le plus petit servira pour la pèlerine et pour les manches… » et puis tout à coup s’arracher violemment à ces coupables rêveries, se les reprocher comme un crime et fuir courageuse et désolée loin du ruban tentateur, sans même vouloir le marchander : cela seul demande plus de force d’âme que les plus terribles combats ; et ce mot plein de stoïque résignation et de noble humilité que nous avons entendu l’autre jour nous a plus touché le cœur que toutes les belles paroles des héroïnes de Sparte et de Rome. Une femme devait aller à un bal, à une fête magnifique ; elle était occupée à choisir des fleurs. Après avoir admiré ces couronnes à la mode qui sont si jolies, dont la forme est si gracieuse, elle en demanda le prix. Les belles fleurs fines sont très-chères cette année, et ce prix trop élevé l’effraya. Alors, posant tristement la couronne de roses sur le comptoir, elle dit avec un soupir : « C’est trop cher ; je mettrai ma vieille guirlande ! »

Ma vieille guirlande ! Sentez-vous ce qu’il y a de douleur et de poignante résignation dans ces deux mots : ma vieille guirlande ! Cela fait venir les larmes aux yeux.

Oui, les femmes ont perdu en attraits tout ce qu’elles ont gagné en qualités. Chose étrange ! elles ont plus de valeur, elles ont moins de puissance ; c’est que leur puissance, à elles, n’est point dans l’activité qu’elles déploient, mais dans l’influence qu’elles exercent ; les femmes ne sont point faites pour agir, elles sont faites pour commander, c’est-à-dire pour inspirer : conseiller, empêcher, demander, obtenir, voilà leur rôle ; agir, pour elles, c’est abdiquer.


Leurs goûts en littérature. — C’est à la douce influence des femmes que nous devons les horreurs à la mode. Ces adorables créatures aiment les crimes, les descriptions détaillées des lieux infâmes ; on les sert selon leur goût. Vous criez contre les auteurs et contre les journalistes ; est-ce leur faute s’ils sont forcés de vous offrir de telles peintures ? Ils avaient tous commencé par de riants tableaux, on ne les a point regardés : alors il leur a bien fallu chercher d’autres sujets pour attirer les yeux.


Signes du temps. — La véritable mission des femmes est de secourir ceux qui luttent seuls et désespérément ; leur devoir est d’assister les héroïsmes en détresse ; il ne leur est permis de courir qu’après les persécutés ; qu’elles jettent leurs doux regards, leurs rubans, leurs bouquets, au chevalier blessé dans l’arène, mais qu’elles refusent un applaudissement au vainqueur félon qui doit son triomphe à la ruse. Oh ! le présage est funeste ! ceci n’a l’air de rien, eh bien, c’est très-grave ; tout est perdu, tout est fini dans un pays ou les renégats sont protégés par les femmes ; car il n’y a au monde que les femmes qui puissent encore maintenir dans le cœur des hommes, éprouvé par toutes les tentations de l’égoïsme, cette sublime démence qu’on appelle le courage, cette divine niaiserie qu’on nomme la loyauté.

Depuis quelques années, le courage et la droiture sont entièrement passés de mode ; les fourbes sans esprit, les intrigants moroses sont en tous lieux les favoris des belles. Il faut flétrir ce favoritisme dangereux ; il ne faut pas permettre qu’il s’établisse, ce règne brutal, le règne des envieux et des traîtres. Dieu sait où il nous mènerait !


Bravoure et poltronnerie. — Le courage des femmes est si capricieux ! telle perd la tête dans un incendie, qui a été sublime dans un naufrage ; telle autre, très-brave au milieu des flammes, ne peut entendre un coup de fusil sans s’évanouir ; un danger qui est un souvenir, pour l’une est un motif de sécurité ; pour une autre, précisément, c’est un motif de crainte invincible ; il y a des mères qui sont courageuses parce que leurs enfants sont là et qu’il s’agit de les protéger ; il y en a d’autres, au contraire, qui sont folles d’effroi parce que leurs enfants sont près d’elles, et que l’excès de leur tendresse leur fait perdre toute énergie, toute présence d’esprit.

Il y a des jeunes filles qui ont peur des voleurs, des revenants, des crapauds, des souris, et qui se voient emporter par un cheval fougueux sans pâlir. Interrogez les femmes, elles vous feront toutes une réponse différente : — Moi, je n’ai pas peur des revenants, mais j’ai peur des voitures ; je reste une heure avant de me décider à traverser le boulevard, et quelquefois j’y renonce. — Moi, je n’ai pas peur des voitures ; je n’ai peur que des chemins de fer. — Moi, j’ai peur sur un balcon, sur une montagne, j’ai le vertige. — Moi, j’ai peur des voleurs ; je ne pourrais pas dormir sans une lampe dans ma chambre. — Moi, je n’ai peur que des morts ; je ne peux pas traverser un cimetière sans frémir. — Moi, j’ai peur des fous. — Moi, des gens ivres qui chantent des chœurs. — Moi, des bœufs. — Moi, des chauves-souris. — Moi, des araignées. — Moi, des couleuvres. — Moi, des ennuyeux. Et vous, madame, oh ! vous êtes calme, vous n’avez peur de rien ? — Moi ! si, j’ai peur des lâches. — Et moi, j’ai peur de tout ce que vous venez de nommer. — À la bonne heure, vous n’êtes pas une femme inconséquente, vous !


Causeries positives. — C’est là un des principaux ennuis du grand monde : entendre quelquefois, pendant une soirée entière, des femmes jeunes et vieilles, même des jeunes filles, parler fortune, dots, rentes, propriétés, maisons de rapport, usufruits, substitutions, etc., etc., avec un intérêt toujours croissant et une connaissance des faits admirable. Que des gens d’affaires, des commerçants s’appliquent à connaître la fortune de tous ceux qui les entourent, cela est tout simple : quand on a pour métier de vendre, il faut bien s’informer si ceux à qui l’on vend ont de quoi payer ; mais dans un salon, mais pour des personnes qui ont la prétention d’être futiles et généreuses, cette science de la fortune générale, cette étude du bilan universel a quelque chose de dégoûtant et de misérable. O gens bien élevés ! si votre vénalité vous porte à acquérir cette triste science, du moins que votre bon goût vous empêche de la faire valoir avec tant de pompe.


Dévotion des Parisiennes. — Le carême est fort brillant cette année, il lutte de plaisirs avec le carnaval ; c’est affreux à dire, mais il faut bien l’avouer, puisque cela est. On danse, on danse avec ardeur, comme on devrait prier, et certes on ne jeûne pas. Si vous voyiez souper nos élégantes, si vous saviez comme toutes ces nymphes mangent, vous ne vous croiriez point aux jours des privations pieuses ; vous ne comprendriez pas non plus pourquoi ces jeunes femmes sont si maigres. Vrai, quand on a assisté à l’un de nos grands soupers de bal, quand on a vu ces frêles beautés à l’ouvrage, quand on a mesuré de l’œil ce qu’elles ont englouti de jambons, de pâtés, de volailles, de sautés de perdreaux et de gâteaux de toute espèce, on a le droit d’exiger d’elles des bras plus ronds et des épaules mieux réussies. Pauvres sylphides, en retournant chez elles, leur âme retrouve donc bien des chagrins !… car il faut plus d’une peine pour neutraliser les bienfaits nutritifs de pareils repas ! Un homme d’esprit a dit : « Les femmes ne savent pas le tort qu’elles se font en mangeant. » Et il a bien raison ; rien de plus désenchantant que de voir une femme belle et parée manger sérieusement. L’appétit n’est permis aux femmes qu’en voyage. Dans un salon, il faut qu’elles soient petites-maîtresses avant tout ; et une petite-maîtresse ne doit prendre au bal que des glaces, ne doit choisir que des fruits et des friandises. Cela nous rappelle ce mot d’un enfant qui entendait sa mère retenir à déjeuner son maître d’écriture, et qui voulait l’inviter aussi à sa manière. « Oh ! restez, monsieur, disait-elle (c’était une petite fille), je vous en prie : je n’ai jamais vu manger un maître d’écriture ! » Sans doute, elle se figurait qu’un maître d’écriture devait manger des choses extraordinaires, des pains à cacheter peut-être, ou toute autre chose de son art. Eh bien, nous, nous sommes un peu comme elle : il nous semble qu’une élégante ne doit se nourrir à l’œil que de parfums, de fruits et de fleurs.

Il y a des merveilleuses qui savent adroitement concilier les plaisirs défendus et les privations ordonnées ; ainsi elles vont au bal, elles y dansent, mais elles y jeûnent ; si le bal a lieu un samedi, elles se privent de gâteaux et de glaces jusqu’à minuit ; après minuit, c’est dimanche ; quelques-unes, plus ingénieuses, se permettent les glaces aux fruits ; les glaces aux fruits sont considérées comme une boisson ; mais jamais elles ne se permettraient des glaces à la crème. Oh ! jamais ! le lait étant généralement considéré comme une nourriture. Elles dansent… mais elles ne se permettent pas non plus toutes les danses ; il y a les danses des jours gras et les danses des jours maigres ; ne confondez pas ; cela ressemble au joli mot de la duchesse de M… On parlait d’un bal d’artistes qui devait être donné aux Variétés. — Dans la salle des Variétés ? demanda quelqu’un. — Non, pas dans la salle, reprit une autre personne ; on ne dansera que dans le foyer, à cause du carême. — Ah ! dit la duchesse, le foyer est maigre ?

L’air de Paris. — À Paris, toutes les femmes jouent un rôle ; c’est que le besoin de produire de l’effet leur compose une seconde nature, qui détruit toute la noblesse de la première ; c’est que la vanité, à Paris, est stérile, tandis que la vanité, à la campagne, est féconde. À Paris, une femme ne songe qu’à briller, son orgueil n’est qu’égoïsme ; elle, toujours elle sur le premier plan ; sa pensée est d’être la plus belle, la plus entourée, la plus spirituelle, la plus riche, la première enfin, toujours la première ; et vous tous, vous ses enfants, vous son mari, vous sa sœur, vous sa mère, vous êtes sacrifiés à ce besoin d’effet, qui est le mobile de toutes les actions de sa vie. À la campagne, au contraire, sa vanité se repose, ou plutôt elle vous appartient ; ses prétentions, bien loin de vous être hostiles, vous deviennent favorables, car maintenant son orgueil, c’est vous, c’est votre bien-être, ce sont vos plaisirs ; elle s’occupe de vous du matin au soir ; elle vous est rendue tout entière ; plus de préoccupation mondaine, elle n’a plus qu’un rôle à jouer, celui de bonne maîtresse de maison, et ce rôle lui sied à merveille. Sa vanité est votre joie ; cette vanité qui vous séparait d’elle à Pâris, là vous réunit à toutes les heures ; vous lui devez vos plus doux moments, et vous découvrez dans cette femme nouvelle mille qualités dont vous n’aviez aucune idée ; vous lui trouvez de l’esprit, et jusqu’alors vous aviez cru sincèrement qu’elle en manquait ; vous découvrez qu’elle est très-bonne musicienne, qu’elle chante bien ; talent gracieux qu’une rivalité de famille lui fait modestement cacher. « Ma cousine a une si belle voix, dit-elle, que je n’ose jamais chanter quand elle est là. » Vous lui découvrez enfin deux petits enfants adorables que vous n’aviez jamais vus et qu’elle élève parfaitement. Cette femme si moqueuse, si médisante à Paris, dans son château est bienveillante pour tout le monde. Si l’on vient à parler d’une de ses amies absente, elle en fera l’éloge, elle rendra justice à sa beauté ; à Paris, elle en est envieuse, elle ne peut lui pardonner ses beaux cheveux, ses admirateurs et ses diamants ; à la campagne, elle convient qu’elle est jolie, elle oublie ses succès qu’elle ne voit pas et ses diamants qui sont dans leur écrin ; elle lui écrit mille choses affectueuses, et elle est sincère. O prodige ! qu’est-ce que cela prouve ? Que l’air de Paris ne convient pas aux Parisiennes. La vanité et l’envie composent l’atmosphère ici, et cela suffit pour corrompre les plus belles natures.

Les Parisiennes retour de province. — Les femmes de Paris qui reviennent des champs, qu’elles sont étranges ! Comment les définir ? Ce ne sont plus des élégantes et ce ne sont pas encore de bonnes ménagères. Quelle conversation ! les voila maintenant cent fois plus provinciales que les provinciales les plus consommées. Elles ont toutes les petites idées des petites localités, et elles n’ont pas ce qui en fait l’excuse, l’intérêt. Qu’une femme de province s’inquiète des moindres actions de sa sous-préfète ou de son sous-préfet, c’est tout simple ; ces moindres actions peuvent avoir sur sa destinée une très-grande influence ; mais qu’on s’en aille attentivement étudier le sous-préfet d’un autre, qu’on aille soupçonner, espionner, décrier le président du tribunal d’un autre, le substitut du procureur du roi d’un autre, le percepteur des contributions d’un autre ; qu’on épouse les haines, les jalousies, les passions de la localité d’un autre… cela n’est pas dans la nature et cela est impardonnable comme toutes les choses que l’on fait sans motif raisonné et sans droit.

C’est là pourtant ce qu’ont fait nos Parisiennes ; il faut les entendre parler des plaisirs de leur été, si l’on veut savoir jusqu’où peut aller la facilité merveilleuse d’une brillante Parisienne à adopter les défauts, les ridicules, les manies de toutes les provinces qu’elle parcourt. Nous n’avons encore eu l’honneur de rencontrer que deux nouvelles arrivées, et nous connaissons déjà toutes sortes de particularités intéressantes sur deux petites villes que nous ne connaissons pas du tout. Nous savons que la sous-préfète X… cache son âge ; elle a trente-huit ans, elle s’en donne trente-deux. Elle est comme cette femme qui disait : « Trente-deux ans, c’est un âge charmant ; je les ai déjà depuis deux ans, et je compte bien les avoir encore longtemps. » Bref, la sous-préfète cache son âge, elle cache son jeu aussi, car elle affecte de servir le candidat futur du gouvernement, et elle intrigue contre lui tant qu’elle peut. — Nous savons que les enfants du receveur particulier sont très-turbulents ; c’est la faute de leur mère, qui est pour eux d’une faiblesse misérable. — Nous savons de plus que madame Simonet, que nous n’avons jamais vue, élève horriblement mal sa fille ; que mademoiselle Euphrasie est très-insolente ; qu’on lui laisse lire les journaux et qu’elle ne met pas un mot d’orthographe. — Nous savons aussi que madame Coutellier veut l’impossible ; elle fait teindre ses vieilles robes à Paris, soit !… mais elle envoie à son correspondant une jupe de satin rose, une jupe de taffetas gris et une jupe de barége bleu, et, de tout cela, elle veut qu’on lui fasse une robe de moire noire. C’est trop fort.

Toutefois leur conversation n’est pas ce qu’il y a de plus plaisant en elles ; c’est leur costume qui est admirable à étudier ! Dépêchons-nous d’en rire, car demain il sera plein de goût et d’élégance, et nous n’aurons plus qu’à le vanter. Mais aujourd’hui, quelle confusion ! quel amalgame ! que ces chiffons dépareillés sont étranges !


Ce que cherchent les Parisiennes. — Les Parisiennes n’ont à un si haut degré les passions de l’esprit que parce qu’elles n’ont pas les autres ; si elles avaient plus de sentiments, elles auraient moins d’idées ; si elles avaient plus d’amour, elles auraient moins d’ambition ; mais ce sont d’étranges personnes ; les Parisiennes ont une imagination dévorante et une nature froide, une vanité folle et un cœur plein de bon sens.

L’ambition, c’est toute leur vie ; avoir de l’importance, c’est tout leur rêve. L’amour n’est pour elles qu’un succès ; être aimée, c’est seulement prouver que l’on est aimable.

L’unique passion qu’elles puissent ressentir et comprendre, c’est la passion de la maternité, parce que l’amour maternel est une ambition sainte, un orgueil sacré.

Ce qu’il y a de plus rare à Paris, après une femme bête, c’est une femme généreuse. Il n’y a point d’exemple d’une riche héritière qui ait choisi un jeune mari parce qu’il était séduisant et beau ; celle-ci a voulu être ambassadrice, celle-là a voulu être duchesse.

Quand la femme d’un vieux maréchal goutteux vient à mourir, toutes les jeunes filles qui ont de belles dots, en s’éveillant pensent à lui… Madame la maréchale !… pour une âme tendre ce mot est si doux !

Plus une Parisienne est jeune, plus elle est ambitieuse et intéressée.

Une Parisienne sincère n’a pas une pensée généreuse avant trente ans ; à cet âge, elle s’interroge, elle se demande si elle ne s’est pas trompée de route, si les douces affections ne valent pas mieux que les hautes positions ; elle a un éclair de sensibilité, elle entrevoit, comme nous l’avons dit ailleurs, les vanités de la vanité ; elle consent à faire une expérience de cœur, elle se hasarde, elle se risque à aimer ; mais cet essai n’est pas de longue durée ; bientôt elle retombe dans la vérité de son caractère, elle revient à sa nature, et, après s’être faite la tendre protectrice de quelque jeune inconnu, elle se fait la gouvernante de quelque vieillard en crédit pour retrouver plus promptement son importance perdue ; elle expie enfin par des années de raison et d’orgueil une heure folle d’amour.

Certes, il a fallu aux femmes une bien grande habileté pour arriver à cette influence, malgré tant d’obstacles, malgré ces lois faites contre elles, malgré les craintes soupçonneuses des hommes, si jaloux de leur autorité. Elles ne sont parvenues à prendre cet empire qu’a force de duplicité et d’innocente hypocrisie, elles se sont résignées : elles ont accepté avec douceur le rôle modeste qu’on leur imposait pour déguiser leurs prétentions au rôle important, qu’elles voulaient jouer ; elles ont voilé leur supériorité réelle sous une futilité volontaire, exagérée, insupportable, et elles ont ainsi rassuré leurs tyrans, ou plutôt leurs rivaux, qui, les voyant si folles et si légères dans leurs plaisirs, ne se sont pas aperçus qu’elles étaient plus que jamais ambitieuses et profondes dans leurs desseins.

Elles ont dansé pour cacher qu’elles pensaient ; elles ont déraisonné pour cacher qu’elles devinaient ; il y en a même qui ont fait semblant d’aimer, pour cacher qu’elles jugeaient, elles ont volé le sceptre et l’ont caché sous les chiffons, et, comme elles étaient bien soumises, on les a laissées régner.

Ce fut un travail merveilleux et tant soit peu diabolique ; mais un vieux philosophe de nos amis prétendait que toute Française était plus ou moins douée d’une certaine dose d’infernalité. Elle n’a pas, ajoutait-il, précisément fait ni signé de pacte avec Satan ; oh ! non, une Française ne se compromettrait jamais jusqu’à lui laisser de son écriture ; mais il s’occupe d’elle, et elle est en coquetterie avec lui. Sans le bien traiter, elle l’écoute.


De quoi se compose une jolie femme a Paris. — Pour tous les vrais connaisseurs, la beauté sociale est la plus séduisante ; aussi voit-on, à Paris, beaucoup de femmes très-admirées, très-aimées, et réellement très-aimables, dont la beauté se compose :

D’un joli bonnet, ruban rose, reflet favorable ;

D’une charmante robe de soie, nuance amie, forme intelligente ;

D’un soulier virginal ;

D’un petit bracelet sans valeur, mais d’un style pur ;

D’un bague précieuse, religieusement portée ;

D’un beau mouchoir brodé, élégamment déplié ;

D’un gros bouquet de violettes, sentant la violette ;

De douze camélias dans des jardinières de Chine ;

De deux rosiers tout en fleurs dans un vase de craquelé ;

D’une coupe de vieux sèvres remplie de bonbons ;

D’une argenterie très-bien tenue ;

D’un thé chaque soir bien servi ;

D’un café musulman, pur moka ;

D’un vin de Xérès véritable ;

De beaux chevaux parfaitement attelés ;

D’un excellent maître d’hôtel ;

D’un valet de chambre respectueusement empressé ;

D’un ami célèbre ;

D’un bel enfant bien élevé ;

D’un mari de bonne compagnie.

Il y a des femmes bien plus riches que celles-là qui ne savent tirer de leur position brillante aucun de ces avantages.

Elles ont un bonnet de dentelles superbes, mais d’une forme carrée, une coiffure d’aïeule ;

Elles ont aussi une belle robe de soie, mais d’une couleur fausse et chargée d’ornements lourds et prétentieux ;

Elles ont des souliers mal faits qui ont l’air bête ;

Elles ont des bracelets tapageurs comme des grelots de carlin ;

Elles ont des bagues de charlatan ;

Elles ont de grands mouchoirs affreusement empesés qui semblent se révolter ; leur mouchoir est armé de cornes menaçantes ;

Elles ont des bouquets de violettes qui sentent le marécage ;

Elles ont dans leur jardinière des fleurs artificielles que leur valet de chambre cultive avec un plumeau ;

Elles ont dans une coupe d’agate des bonbons à liqueurs ;

Elles ont une argenterie magnifiquement ciselée qui vous dit le menu de la veille ;

Elles ont un mobilier incommode et malveillant, de grands fauteuils en bois sculpté comme des stalles d’église, dont le dossier perpendiculaire est orné de rosaces en cuivre doré ; ils vous cognent la tête et vous repoussent quand vous voulez vous appuyer, ils vous tirent les cheveux et vous retiennent quand vous voulez vous lever ;

Elles ont un thé de comédie qu’elles ne servent pas ;

Du café de voyage ;

Des vins de fantaisie ;

Un maître d’hôtel familier qui vous tient des discours, qui vous donne des conseils, qui vous dit, par exemple, ce qu’un domestique qui passait des plateaux dans un bal a dit un soir à un invité qui refusait des petits gâteaux : « Vous avez tort, ils sont excellents. »

Elles ont un valet de chambre bègue qui écorche tous les noms, qui vous confond avec des gens affreux que vous détestez, qui vous prépare toujours dans un salon une entrée ridicule ;

Elles ont des amis obscurs, envieux, ennuyeux, assommants ;

Elles ont des enfants insupportables, habillés en chiens savants !

Elles ont un mari mal peigné, qui les appelle devant tout le monde : Bichette, Minette ou Mignonne !


L’innocence a Paris. — Les jeunes personnes, à Paris, celles du moins qu’on élève dans le monde, sont au courant de toutes les intrigues. La première chose qu’on leur apprend, c’est à plaire, et leur coquetterie s’éveille bien avant leur cœur. Leur imagination est corrompue d’avance ; elles savent comment on trompe avant de savoir comment on aime ; elles ne comprennent pas encore ce que c’est qu’une faute, mais elles sauraient déjà la cacher ; elles sont à la fois naïves et fausses, pures et rouées ; de là vient leur innocence sans candeur, et leur impatience du mariage, qui n’est que de la curiosité. Ce contraste de bien et de mal, ce mélange d’expérience anticipée et d’innocence involontaire, est très-piquant ; il leur donne un air spirituel et original qui est souvent trompeur, et l’on est tout étonné, par la suite, de voir la jeune personne la plus distinguée, la plus citée pour sa gentillesse, ne paraître après son mariage qu’une femme très-ordinaire et sans esprit.


Des vocations naturelles chez la Parisienne. — Il y a de très-grandes dames à Paris qui sont nées actrices, et qui cependant n’ont jamais joué la comédie, même pour s’amuser. Nous ne voulons pas dire qu’elles sont comédiennes et qu’elles affectent de ridicules et trompeurs sentiments ; nous voulons dire qu’elles sont nées pour le théâtre, qu’elles aiment les coups de théâtre, les poses de théâtre, les costumes de théâtre, le rouge, les mouches, les grands panaches, les aigrettes ; regardez-les, elles sont toujours en scène, mais sans prétention, sans le savoir et naturellement ; elles préparent dans leur salon des reconnaissances, des rencontres imprévues ; elles jouent dans la même soirée toutes sortes de rôles. Premier rôle. Amies dévouées : Elles traversent la foule et viennent vous serrer la main en levant les yeux au ciel. Second rôle. Grandes coquettes : Elles détachent de leur bouquet une branche de bruyère et la donnent avec un doux sourire à un jeune ou même à un vieux soupirant. Troisième rôle. Mères sensibles : Elles courent embrasser une petite fille de douze ans qu’une bonne mère aurait envoyée coucher à neuf heures. Quatrième rôle. Protectrices bienfaisantes : Elles font chanter un ange de vertu qui n’a pas de voix. Quoique duchesses ou princesses, elles redeviennent actrices par la force de leur naturel. Leur salon est un théâtre.

Il y a aussi de très-grandes dames qui sont nées portières et qui se maintiennent portières dans les positions les plus élevées. Chez elles, tous les jours, chacun en passant va raconter sa petite anecdote et déposer sa fausse nouvelle. Elles connaissent tout le quartier, c’est-à-dire tout le monde. Elles savent, à ne jamais s’y tromper, le chiffre de la fortune de chacun : celui-ci dépense trop, celui-là pourrait dépenser davantage ; — les N… ne sont pas si riches qu’on le croit ; les D… sont beaucoup moins pauvres qu’ils ne le disent. Cette jeune fille a un amour dans le cœur. — Cette autre ne se mariera jamais, à cause de sa mère. — M. de R… ne va plus chez Mme de P… — Les Demarcel sont brouillés avec les Marilly. — Le petit Ernest est très-occupé de Mme de T… ; ils étaient hier ensemble au Gymnase. — La jolie duchesse de…, qui monte si bien à cheval, rencontre souvent par hasard au bois de Boulogne le prince de… — M. X… a vendu son poney au grand J…, qui ne pourra jamais le monter. — Les pauvres Z… ont supprimé leur voiture. — Les petites de T… sont devenues des héritières par la mort d’un jeune oncle. — Mme S… est bien attrapée d’avoir épousé un vieux mari qui se porte mieux qu’elle. Les Saint-Bertrand ne vont plus en Italie ; ils viennent d’acheter le château de…, etc., etc., etc. Voilà ce qu’on dit à peu près chez ces femmes-là. Leur magnifique salon est une loge de portier.

D’autres grandes dames sont nées… il faut bien dire le mot… sont nées courtisanes. En vain leur excellente éducation les a préservées de tout mauvais goût ; malgré elles, et par une pente insensible, elles sont redescendues au triste rang que la nature leur avait imposé. Elles aiment le bruit, l’agitation, le désordre, et même un peu le scandale. Elles s’habillent d’une manière inconvenante, elles font événement partout. Elles ont horreur du repos ; au spectacle, elles changent de place à chaque moment, elles vont boire dans le foyer ; elles affectent des peurs enfantines, et poussent des cris aigus pour le moindre événement. Elles aiment les cadeaux dans toutes les anciennes acceptions du mot, c’est-à-dire les soupers fins et les présents coûteux ; elles se laissent donner ou plutôt elles se font offrir des bijoux, qu’elles portent naïvement, non de ces bijoux insignifiants qui ont d’autant plus de prix qu’ils ont moins de valeur, qui ne sont précieux que par le souvenir, et que l’on nomme avec raison des sentiments, mais de vrais bijoux ayant un poids véritable, de gros joyaux estimés dans le commerce, qu’un père et un grand-oncle ont seuls le droit de donner. Dans le salon de ces femmes, rien ne se passe d’une façon convenable. On n’y parle point comme ailleurs. Là on ne se sent plus dans le monde. On n’y éprouve plus le besoin de s’observer, de se contraindre et de se fuir ; les préférences s’y révèlent avec la plus aimable candeur, l’on se cherche, l’on se trouve ; et quand on s’est trouvé, on ne se quitte plus. La société n’y est pas une réunion générale, c’est une collection de tête-à-tête attachants. Ce n’est plus l’harmonie d’une conversation à grand orchestre, c’est le gazouillement de vingt duos mélodieux. On y respire un parfum de mauvaise compagnie qui est piquant par le contraste, car le bel hôtel de ces grandes dames ressemble à une petite maison.

Il y a d’autres femmes riches, immensément riches, très-haut placées dans le monde, très-indépendantes par leur position, qui cependant sont nées dames du palais, qui trouvent toujours moyen d’être à la suite d’une autre femme quelquefois placée au-dessous d’elles. Ces femmes ont des instincts d’esclaves et des qualités de confidentes ; elles excellent dans l’art de servir toutes les mauvaises passions. Ce sont des Œnones qui finissent toujours par se procurer une Phèdre, et qui la composeraient même au besoin. Comme leur empire est fondé sur des confidences, elles se hâtent de fabriquer le secret. Ces femmes-là sont extrêmement dangereuses, comme tout ce qui vit aux dépens de quelqu’un. Accepter, choisir toute sa vie une position secondaire, ce n’est pas d’une âme élevée. La complaisance n’a rien de commun avec le dévouement. Ces femmes, nées dames du palais, sont rarement maîtresses de maison. Quelle que soit leur fortune, tout chez elles se ressent de leur état de domesticité. On va les voir un moment aux heures où leur princesse n’est pas visible. Leur salon est une salle d’attente ; c’est quelquefois une antichambre.

Il y a encore d’autres femmes du monde qui sont nées gardes-malades, qui exercent sans diplôme la profession de médecin, à travers l’existence la plus élégante. Elles ont des recettes infaillibles pour tous les maux, on les surprend à toute heure préparant des tisanes et composant des drogues. Elles connaissent le nom de tous les bons apothicaires de Paris. Elles n’aiment pas la quinine de celui-là. Elles ne prennent jamais de laudanum que chez celui-ci. Elles vous recommandent bien de vous défier des sangsues d’un tel, mais vous pouvez lui demander de son émétique, elles ont été très-contentes de son émétique. Sous prétexte de vous guérir d’une innocente migraine, elles vous font les questions les plus indiscrètes ; une visite, chez elles, dégénère toujours en consultation. Leur salon est un cabinet de docteur, et leur boudoir une pharmacie.

Il y a encore d’autres femmes qui sont nées… (que l’on nous pardonne cette expression) qui sont nées… Nous n’osons le dire ! — Allons, courage ! qui sont nées… sergent de ville ! garde municipal, autrefois gendarme ! Ces femmes courageuses font gratuitement la police des salons ; elles vont et viennent de la salle de bal à la salle à manger avec un zèle et une activité infatigables ; elles traversent la foule, et la foule se range à leur seul aspect ; elles font taire les bavards quand on va chanter ; elles ordonnent aux hommes assis de céder leurs places aux femmes récemment arrivées ; elles font ouvrir les fenêtres, évacuer les portes, enlever les banquettes ; elles savent repousser avec énergie jusque dans l’office les rafraîchissements intempestifs, et les gens de la maison qui ne les connaissent point leur obéissent, comme les passants obéissent à un garde municipal inconnu. Ces femmes, en général, sont grandes comme de beaux hommes ; elles ont une bonne voix de commandement. Plus d’un colonel voudrait trouver, pour dire Portez arme, l’accent qu’elles trouvent pour crier : Chut ! chut donc, ou bien : On ne passe pas. Elles ont une attitude martiale qui impose un grand respect. Leur robe à brandebourgs ressemble toujours un peu à un uniforme ; leur toque de velours est un reste de chapeau à trois cornes, et leur bonnet… c’est un casque dégénéré.

Ces femmes ont quelques rapports avec d’autres femmes, Françaises et même Anglaises, qui sont nées… major allemand… Voilà qui va encore vous surprendre. Ces dames ont le teint fort animé, elles portent la tête haute, et les coudes en arrière ; elles ont toujours l’air de marcher au pas ; du reste, rien de particulier dans leur caractère, si ce n’est qu’elles vont au bal pour boire du vin de Champagne, et qu’elles oublient toujours leur éventail sur le buffet.

Heureusement, et par compensation, il y a d’autres femmes qui sont nées bergères et qui se maintiennent bergères jusqu’à quatre-vingt-dix ans. Elles chérissent les petits chapeaux coquets, capricieusement posés sur l’oreille. Elles sont toujours, et dès l’aurore, pavoisées de légers rubans, couronnées de fleurs, pomponnées de bouffettes et de rosettes. Dans l’âge le plus avancé, elles conservent une candeur enchanteresse, leur regard exprime un étonnement enfantin ; elles ne croient pas au mal, elles ignorent tout, elles n’ont jamais rien vu. D’une voix douce et flûtée, elles s’écrient à chaque instant : « Quoi ! vraiment, je ne le savais pas… je n’en ai jamais entendu parler… est-ce que c’est possible ?… » Et cela à propos des événements les plus connus, des personnages les plus célèbres, des malices les plus vulgaires. Ces antiques Parisiennes ont toujours l’air d’arriver de leur village. Aussi leur ombrelle mignonne et rosée a un faux air de houlette très-pastoral, et leur chien, qui n’aboie jamais, a des prétentions d’agneau très-prononcées.

Nous ne parlerons point des marquises nées soubrettes, si piquantes et si aimables par le mélange de leurs grands airs et de leur gentillesse ; — nous ne parlerons point non plus des femmes de chambre nées princesses, qui persistent à garder leur rang malgré vous, et qui veulent bien vous faire grâce de vous habiller, à condition que vous les traiterez en souveraines, servantes orgueilleuses et imposantes à qui l’on n’ose rien ordonner ; — nous parlerons encore moins de ces pauvres filles du peuple, nées fatalement petites-maîtresses, et qui sacrifient leur honnêteté à leurs instincts d’élégance ; — nous ne parlerons pas des Parisiennes nées provinciales et des provinciales nées Parisiennes ; nous terminerons en disant qu’il y a des actrices nées grandes dames, qui savent se faire une dignité de leur talent, qui savent dès le premier jour se placer sur un piédestal d’où elles ne descendent jamais ; leurs manières calmes et simples sont remplies de grandeur et de distinction ; elles ne visent point à l’effet, mais elles ne sont ni embarrassées, ni flattées de l’effet qu’elles ont produit. Elles ne se sentent à leur aise qu’avec des gens supérieurs : c’est pourquoi leur loge d’actrice au théâtre est un salon de bonne compagnie.

mme de girardin.
  1. L’Esprit de madame de Girardin, avec une préfaçe de M. de Lamartine. 1 très-joli volume in-18, chez J. Helzel. 18, rue Jacob.