Le Diable amoureux/Épilogue

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Texte établi par Gérard de NervalPlon (p. 286-289).
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ÉPILOGUE


DU DIABLE AMOUREUX.




Lorsque la première édition du Diable amoureux parut, les lecteurs en trouvèrent le dénoûment trop brusque. Le plus grand nombre eût désiré que le héros tombât dans un piège couvert d’assez de fleurs pour qu’elles pussent lui sauver le désagrément de la chute. Enfin, l’imagination leur semblait avoir abandonné l’auteur, parvenu aux trois quarts de sa petite carrière ; alors la vanité, qui ne veut rien perdre, suggéra à celui-ci, pour se venger du reproche de stérilité et justifier son propre goût, de réciter aux personnes de sa connaissance le roman en entier tel qu’il l’avait conçu dans le premier feu. Alvare y devenait la dupe de son ennemi, et l’ouvrage alors, divisé en deux parties, se terminait dans la première par cette fâcheuse catastrophe, dont la seconde partie développait les suites ; d’obsédé qu’il était, Alvare, devenu possédé, n’était plus qu’un instrument entre les mains du Diable, dont celui-ci se servait pour mettre le désordre partout. Le canevas de cette seconde partie, en donnant beaucoup d’essor à l’imagination, ouvrait la carrière la plus étendue à la critique, au sarcasme, à la licence.

Sur ce récit, les avis se partagèrent ; les uns prétendirent qu’on devait conduire Alvare jusqu’à la chute inclusivement, et s’arrêter là ; les autres, qu’on ne devait pas en retrancher les conséquences.

On a cherché à concilier les idées des critiques dans cette nouvelle édition. Alvare y est dupe jusqu’à un certain point, mais sans être victime ; son adversaire, pour le tromper, est réduit à se montrer honnête et presque prude, ce qui détruit les effets de son propre système, et rend son succès incomplet. Enfin, il arrive à sa victime ce qui pourrait arriver à un galant homme séduit par les plus honnêtes apparences ; il aurait sans doute fait de certaines pertes, mais il sauverait l’honneur, si les circonstances de son aventure étaient connues.

On pressentira aisément les raisons qui ont fait supprimer la deuxième partie de l’ouvrage : si elle était susceptible d’une certaine espèce de comique aisé, piquant quoique forcé, elle présentait des idées noires, et il n’en faut pas offrir de cette espèce à une nation de qui l’on peut dire que, si le rire est un caractère distinctif de l’homme comme animal, c’est chez elle qu’il est le plus agréablement marqué. Elle n’a pas moins de grâces dans l’attendrissement ; mais soit qu’on l’amuse ou qu’on l’intéresse, il faut ménager son beau naturel, et lui épargner les convulsions.

Le petit ouvrage que l’on donne aujourd’hui réimprimé et augmenté, quoique peu important, a eu dans le principe des motifs raisonnables, et son origine est assez noble pour qu’on ne doive en parler ici qu’avec les plus grands ménagements. Il fut inspiré par la lecture du passage d’un auteur infiniment respectable, dans lequel il est parlé des ruses que peut employer le Démon quand il veut plaire et séduire. On les a rassemblées autant qu’on a pu le faire, dans une allégorie où les principes sont aux prises avec les passions : l’âme est le champ de bataille ; la curiosité engage l’action, l’allégorie est double, et les lecteurs s’en apercevront aisément.

On ne poursuivra pas l’explication plus loin : on se souvient qu’à vingt-cinq ans, en parcourant l’édition complète des œuvres du Tasse, on tomba sur un volume qui ne contenait que l’éclaircissement des allégories renfermées dans la Jérusalem délivrée. On se garda bien de l’ouvrir. On était amoureux passionné d’Armide, d’Herminie, de Clorinde ; on perdait des chimères trop agréables si ces princesses étaient réduites à n’être que de simples emblèmes.