Le Diable au XIXe siècle/XV

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Docteur Bataille ()
Delhomme et Briguet (tome 1p. 305-435).

DEUXIÈME PARTIE


LA HAUTE MAÇONNERIE
SON ORGANISATION




CHAPITRE XV

Albert Pike et son œuvre.




À l’époque où nous vivons, il est trois vérités que les francs-maçons nient obstinément : 1° l’existence des loges androgynes ; 2° l’exercice des vengeances poussées jusqu’au crime ; 3° la pratique du luciférianisme.

À les entendre, l’association n’admet que des frères et pas une seule sœur ; loin d’avoir le moindre meurtre à se reprocher, elle est, au contraire, essentiellement philanthropique ; quant à adorer Satan sous le nom de grand architecte, il faut avoir l’esprit bien mal tourné pour supposer pareille chose, attendu que la divinité à laquelle l’ordre maçonnique rend hommage est tout simplement vague, idéale, indéfinissable.

Voilà ce que répondent les maçons, lorsqu’on leur pose ces trois questions.

Je me hâte de dire que, parmi ceux qui parlent ainsi, il en est un grand nombre qui sont de très bonne foi. On peut posséder les plus hauts grades de la maçonnerie ordinaire, et avoir toujours été tenu à l’écart des ateliers où frères et sœurs travaillent ensemble, ignorer l’enrôlement et la mise en œuvre des ultionnistes, et ne pas soupçonner même l’occultisme luciférien (Théurgie palladique, Fakirisme, Old-Fellows, San-ho-hoeï, etc).

Sur le fait de l’occultisme, principalement, la question des grades, en dehors de la haute maçonnerie, ne signifie rien, absolument rien : ainsi, par exemple, dans le Rite Écossais, un chevalier Kadosch (30e degré), que les Palladistes ont bien voulu appeler à eux, le reconnaissant digne de leurs mystères, est en réalité plus instruit, et, par conséquent, plus en faveur auprès des chefs secrets qu’un initié au 33e degré de ce rite, tenu dans l’ignorance de l’occultisme et utilisé uniquement pour les affaires d’ordre administratif ; ce Kadosch-là saura tout, et l’autre, tout 33e qu’il soit, ne saura rien. C’est ainsi que la secte se joue de tant et tant d’adeptes, qu’elle conduit aux plus hauts grades connus, se servant d’eux alors qu’ils croient se servir d’elle, leur donnant « l’anneau », cet anneau qui les désigne aux vrais initiés comme frères peu perspicaces et qu’il est nécessaire d’entretenir dans de douces illusions, en un mot, les bafouant, les mystifiant, ne leur apprenant pas le secret des secrets, puisque d’eux-mêmes ils ne l’ont pas compris.

Je ne citerai qu’un cas de cet aveuglement dans lequel les chefs secrets de la haute maçonnerie se plaisent à tenir ceux de leurs initiés qui ont reçu l’anneau ; mais ce cas est caractéristique.

Il s’agit de M. Paul Rosen, 33e du Rite Écossais, qui ne sera certes pas suspect de ménagement envers la confrérie trois-points ; car, depuis quelques années, il a publié contre elle un certain nombre de volumes où l’on rencontre par-ci par-là des documents qui ne manquent pas d’intérêt.

M. Rosen, qui est juif et qui a même été rabbin, à ce que l’on m’a assuré, s’affilia, en outre, à la franc-maçonnerie, à une époque où il haïssait de toute son âme le catholicisme ; ce qu’aujourd’hui il regrette sans doute, j’aime à le croire. Je ne sais pas quel suprême conseil lui conféra le 33e degré ; en tout cas, ce n’est aucun de ceux que j’ai visités, attendu que je n’ai trouvé trace de son initiation à ce grade dans nulles archives à ma connaissance ; mais il est juste de dire qu’au temps où je pouvais mettre mon nez un peu partout je ne me préoccupais guère du F∴ Rosen ; son inscription a donc pu fort bien m’échapper.

Quoi qu’il en soit, soit qu’il ait passé par toute la filière, soit qu’il ait trouvé, comme tant d’autres, deux haut-gradés assez complaisants pour lui céder (contre finances, bien entendu, en maçonnerie rien ne se donne) une patente de 33e, il a ce titre ou, du moins, il l’a eu.

Plus tard, — bien tard, dirai-je, car M. Rosen n’est pas de la première jeunesse, — il a renoncé à la maçonnerie, à ses pompes, à ses œuvres. Les lauriers d’Andrieux et de Léo Taxil l’empêchant de dormir, il fit un coup d’éclat et vint grossir la phalange des écrivains anti-maçonniques.

Certes, il a rendu service à la cause sainte de la religion ; ceci est indiscutable ; et je serai toujours des premiers à louer son initiative et même à le défendre contre ses ex-frères qui, du jour où ils ont constaté qu’il leur tournait le dos, l’ont vilipendé, traduit et leur barre, et, au lieu de l’expulser franchement pour anti-maçonnisme subit, ont tenu à le radier dans des conditions qui seraient déshonorantes pour lui, si les accusations portées en de telles circonstances n’étaient pas calomnieuses. Et c’est bien là, vraiment, la franc-maçonnerie : soyez pour elle, vous êtes le nec plus ultra de l’humanité ; soyez contre elle, vous êtes le dernier des êtres parmi les plus vils.

Voilà donc un homme qui a fait tout son possible pour apporter la lumière aux profanes, pour leur faire connaître les mystères du temple d’Hiram. Et pourtant, quand on examine de près son œuvre, en voit qu’en dépit de ses coupures de journaux maçonniques, il n’a rien révélé de sérieux, d’important. Pourquoi ? parce qu’il ne savait rien, « parce qu’il avait reçu l’anneau ».

Il s’est livré à une besogne de bouquiniste ; il a ramassé, de droite et de gauche, des circulaires, des brochures, des discours (plus ou moins authentiques), des articles de revues officielles de grands orients et de suprêmes conseils ; et de tout cela il a fait une salade, qui ne pouvait pas produire une forte émotion chez les sectaires, puisqu’il ne dévoilait que ce qu’aujourd’hui ils ne cachent plus.

Ce qui lui manquait, à M. Rosen, c’était la clef, c’est-à-dire l’affiliation luciférienne au Palladium de Charleston, le droit de montrer patte blanche pour être reçu dans les loges androgynes, l’autorité nécessaire pour commander à des ultionnistes ou arrêter leur bras. Tout 33e qu’il était, il ignorait la personnalité du grand architecte, l’existence des sœurs d’adoption et autres, et jusqu’aux crimes maçonniques, aujourd’hui indiscutés. Si bien, qu’il s’est trouvé de simples profanes, qui, avant compris, eux, le grand secret, ayant eu la patience de collectionner des documents et l’intelligence de lire entre les lignes, comme le père Deschamps, comme M. Claudio Jeunet, comme Mgr Fava, comme dom Benoit, comme Mgr Meurin, ont découvert et divulgué cent fois plus que M. Rosen, 33e.

Les sœurs maçonnes ?… Ce pauvre M. Rosen en a ignoré l’existence jusqu’en 1888, et il y avait alors au moins trente ans qu’il gâchait du mortier pour reconstruire le temple de Salomon, s’il est aussi vieux maçon qu’il le dit. Oui, certes, en 1888, ce naïf 33e niait publiquement les loges androgynes ; et il était de bonne foi, personne n’ayant voulu le désigner pour l’admission. Mais, deux ans après, il apprenait indirectement qu’on s’était moqué de lui jusqu’alors, et que ces sœurs maçonnes qu’il n’avait jamais vues existaient pourtant bel et bien. Alors, il écrivit dans son volume l’Ennemie Sociale qu’il y avait sur le globe « 2,850,000 femmes appelées Sœurs-Maçonnes » ; chiffre mis un peu trop au hasard, et que je rectifierai en entrant dans les détails. Mais l’intention y était ; il faut lui en savoir gré. Quoique ne publiant aucun rituel de la maçonnerie féminine, quoique n’expliquant même pas ce qu’étaient ces sœurs maçonnes dont il donnait un total, au petit bonheur, il est juste de tenir compte à M. Rosen de son aveu, si tardif et si incomplet qu’il ait été.

Sur la question des crimes ordonnés et exécutés par la haute maçonnerie, même ignorance chez M. Rosen. Son dernier livre, l’Ennemie Sociale, a plus de cent pages consacrées à « la franc-maçonnerie en Italie ». Cette partie importante est divisée en trois chapitres, intitulés : 1° « Origine et développement de la franc-maçonnerie en Italie » ; 2° « l’exploitation de la franc-maçonnerie en Italie » ; 3° « l’action de la franc-maçonnerie en Italie ». Or, s’il est un pays où des assassinats ont été commis par la secte, c’est bien celui-là. M. Rosen les ignore, ne fait mention d’aucun d’eux ; il ne cite même pas l’assassinat du comte Pellegrino Rossi, ce franc-maçon converti dont Pie IX fit son premier ministre et qui, le 15 novembre 1848, tomba sous le poignard des ultionnistes désignés par les chefs sectaires. Ce crime est historique : on sait que la mort de Rossi avait été délibérée et décidée le 10 octobre, à Turin, dans un conciliabule maçonnique présidé par Mazzini ; on sait qu’à Rome, le 14 novembre, veille de l’assassinat, les ultionnistes s’étaient procuré, à l’hôpital San-Giacomo, un cadavre de la taille du ministre condamné à périr, et que ce cadavre, maintenu debout, dressé contre un portant, leur servit à se faire la main ; on sait que la leçon criminelle fut donnée, salle Capranica, au F∴ Sante-Costantini, que le sort avait désigné pour être le meurtrier ; on sait, en un mot, tous les détails de cet abominable forfait, accompli en plein jour. Quelle belle page M. Rosen aurait eu à écrire sur cet épisode tragique, dans son chapitre de « l’action de la franc-maçonnerie en Italie », s’il avait été tant soit peu renseigné ! Mais non, on lui a affirmé, dans sa loge, que l’ordre maçonnique répugnait à verser le sang, et naïvement il l’a cru ; on a traité devant lui de calomniateurs les écrivains qui ont accusé la secte de se vautrer dans le crime, et il s’est bien gardé, dans ses ouvrages, de faire la moindre allusion aux ultionnistes, de citer un seul des nombreux assassinats dont l’odieuse société secrète s’est souillée ; 33e avec l’anneau, il ne savait rien de tout cela.

Quant à la pratique du culte luciférien dans les triangles palladiques, il ne pouvait pas s’en douter, n’ayant jamais pénétré au sein d’une arrière-loge occultiste. Bien mieux, M. Rosen, que ses frères ont berné dans des proportions fantastiques, croit que la doctrine de la haute maçonnerie, loin d’être la déification de Satan, est le naturalisme matérialiste. Il fait prêcher par Albert Pike lui-même que « le vrai Dieu, c’est la raison pure dans la nature » ; or, Albert Pike, le grand organisateur du luciférianisme dans les arrière-loges, n’a jamais écrit, jamais ! pareille sentence. Il trouvait même que l’expression « grand architecte de l’univers » était trop vague et devait être abandonnée dès le grade de Rose-Croix ; il a officiellement proposé au Grand-Orient de France, à l’époque des premières discussions sur cette formule, d’adopter celle-ci : « Dei Optimi Maximi ad Gloriam », c’est-à-dire : « À la gloire du Dieu le meilleur et le plus grand », phrase luciférienne qui est d’une clarté remarquable. Et ce pauvre M. Rosen prend Albert Pike pour un athée !…

Voici, en effet, quelle est la situation de M. Rosen dans la franc-maçonnerie : malgré sa radiation par une loge ; on le reçoit encore, — je veux dire, les frères servants, le reçoivent, — quand il se présente au local du Gland-Orient de France ou du Suprême Conseil, pour se procurer des renseignements, des imprimés maçonniques quelconques. Les frères servants ont l’ordre de lui faire bon accueil et de feindre d’ignorer sa radiation ; et alors c’est à qui lui passera des renseignements de la plus haute fantaisie. C’est ainsi qu’on lui a fabriqué une prétendue réception de Garibaldi au 33e degré à Palerme, le 5 avril 1860, avec un discours adressé censément par le grand-maître Anghera audit Garibaldi pour lui donner l’instruction secrète, pour lui révéler les secrets de ce grade ; et M. Rosen a bien ingénument publié ce discours fabriqué tout exprès pour lui par des frères fumistes, ignorant ce point qui a son importance : c’est qu’à l’époque (avril 1860) où il fait recevoir Garibaldi au 33e degré, celui-ci n’avait pas grand chose à apprendre en fait de maçonnerie, attendu qu’il avait reçu déjà non seulement les grades philosophiques, mais même tous les grades cabalistiques des dernières arrière-loges jusqu’au 92e degré inclusivement, attendu qu’à cette époque même il était, depuis plusieurs années, le souverain grand-maitre et grand hiérophante du Rite de Memphis pour tous les pays du globe, et que, par conséquent, Anghera avait plutôt à apprendre quelque chose par Garibaldi que d’avoir à lui enseigner le moindre secret.

Dans son premier livre de révélations, M. Rosen cite, à plusieurs reprises, un ouvrage maçonnique d’Albert-Georges Mackey, où il puise toutes sortes d’arguments en faveur de la thèse qu’il soutient. Il donne ces extraits, et chaque fois il met en note au bas de la page : « Tiré du Lexicon of Freemasonry, par Albert-Georges Mackey, grand secrétaire du Suprême Conseil de la Juridiction Sud des États-Unis. » M. Rosen fait au moins vingt citations de cet ouvrage. Or, le Lexicon of Freemasonry existe bien ; mais il n’est pas d’Albert-Georges Mackey, qui, au surplus, n’a jamais écrit une ligne de publication maçonnique quelconque, et qui n’a jamais été grand secrétaire du Suprême Conseil de la Juridiction Sud des États-Unis. M. Rosen s’en est rapporté au frère servant, à qui il avait glissé la pièce, en le priant de lui copier quelques extraits de cet ouvrage maçonnique qui est à la bibliothèque du Suprême Conseil de Paris ; le frère servant a empoché l’argent de M. Rosen, et l’archiviste du Rite Écossais s’est fait une douce joie de mystifier son frère 33e avec l’anneau. Si M. Rosen avait seulement vu la première page du Lexicon of Freemasonry, il aurait su que cet important ouvrage maçonnique a pour auteur, non pas l’ingénieur Albert-Georges Mackey, mais son oncle le docteur Gallatin Mackey, que j’ai eu l’avantage de connaître personnellement à Charleston, environ trois mois avant sa mort.

Tout ce qui précède prouve que la franc-maçonnerie, quand elle y a intérêt, dupe et berne même des adeptes à qui elle a confié le 33e degré ; qu’elle se sert d’eux, tandis qu’ils s’imaginent se servir d’elle ; qu’elle leur laisse ignorer ce qu’elle juge qu’ils ne doivent pas savoir ; et cela prouve aussi que, lorsqu’on entreprend, ayant été franc-maçon, de publier des révélations sur la franc-maçonnerie, il faut, afin de ne commettre aucun impair, être bien sûr d’abord d’avoir été partout, et ensuite ne livrer à la publicité, en fait de documents, que ceux dont on a tenu soi-même les originaux entre les mains : car les copies faites par d’autres, même chèrement payées, sont souvent fort infidèles, les chefs de la haute maçonnerie ne communiquant exclusivement que ce qu’ils ont décidé devoir ne plus être gardé secret.

Cela dit, je rappelle à mes lecteurs que le critérium infaillible au moyen duquel ils reconnaîtront si tel ex-franc-maçon a été un vrai initié, consiste à l’interroger sur l’existence du palladisme, des sœurs maçonnes et des ultionnistes. S’il ignore, c’est que, pendant son passage dans la secte, il a fait partie de la catégorie des nigauds et des dupés. S’il nie carrément, au lieu de dire simplement qu’il ne sait pas, alors méfiez—vous ; votre ex-franc-maçon n’est pas aussi démissionnaire qu’il le prétend ; il joue encore un rôle ; il capte votre confiance, en vous faisant croire qu’il abomine ses anciens collègues trois-points ; il est encore avec eux, et c’est vous qu’il trompe ; il sert les autres contre vous, en ayant l’air de vous donner des gages de son retour au bien ; c’est un pseudo-faux-frère ; méfiez-vous, cette espèce-là est encore la plus dangereuse de toutes.


À partir de maintenant je ne vais plus suivre l’ordre chronologique dans mon récit.

La première partie de cet ouvrage devait être nécessairement comme je l’ai écrite, c’est-à-dire un compte rendu d’exploration ; il s’agissait de donner au lecteur un aperçu du satanisme contemporain ; il fallait lui faire partager toutes mes surprises, dans l’ordre même où elles se sont présentées à moi. Il était indispensable de montrer telle quelle cette succession de circonstances providentielles qui m’ont permis d’aller droit au luciférianisme maçonnique sans perdre mon temps aux bagatelles de la porte.

On aura remarqué comme tout s’est merveilleusement enchaîné dans ce qui m’est arrivé ; et cela prouve bien à quel point sont fous ceux qui croient que dans la vie il est des événements qui sont l’effet du hasard. Tout est, au contraire, admirablement combiné, réglé par Dieu, soit qu’il ordonne, soit qu’il laisse faire. Nous n’avons pas, certes, à nous attribuer le mérite de nos œuvres ; soyons modestes, et reconnaissons qu’entre les mains du tout-puissant Créateur de toutes choses, nous sommes de simples et fragiles instruments.

Si les francs-maçons lucifériens y réfléchissaient, ils verraient, par le seul examen de mon cas, combien grande est leur erreur. Ils s’imaginent que la divinité est double et que Lucifer est l’égal d’Adonaï. Or, il est certain que tout, dans mon aventure, prouve l’impuissance de Satan contre Dieu, notre Dieu, à nous chrétiens, le seul et unique Dieu. Satan apparaît dans l’aréopage palladique de Calcutta ; il triomphe en se montrant ainsi à ses adorateurs, et son apparition coûte la vie au frère Georges Shekleton ; voilà une âme damnée pour lui, c’est probable. Mais, d’autre part, Carbuccia est terrifié de ce qu’il a vu ; il en devient malade ; l’ancien athée se prend à réfléchir, et c’est à un médecin catholique qu’il vient faire ses confidences. Ce catholique ne savait rien de ces horreurs, de ces infamies, bien que le Saint-Siège et les évêques les aient depuis longtemps dénoncées ; ainsi, voilà un témoin oculaire et auriculaire qui va surgir, et ce témoin sera un médecin ! C’est ce que faisait si justement ressortir M. le chanoine Anger-Billards, écrivant naguère ceci à mon sujet, dans l’Avant-Garde de l’Ouest : « En fait de diableries, les médecins sont les derniers à croire ; mais, quand ils y croient, on peut marcher après eux, l’histoire est bâtie à chaux et à sable. »

Je n’ai nullement à m’enorgueillir de ce que j’ai fait ni de ce que je ferai encore pour démasquer entièrement la secte infernale, pour lui arracher son dernier voile. Un autre que moi aurait pu être choisi, et certainement de mille fois plus dignes ne manquaient pas. Il ne fallait ni un avocat, ni un journaliste, ni tout autre homme incompétent ; il fallait un médecin. Sans aucun doute, les médecins catholiques sont nombreux. Pourquoi est-ce moi plutôt qu’un autre qui ai été marqué dans le livre du Destin pour effectuer cette formidable enquête et en livrer les résultats à l’indignation publique ? Cela est le côté mystérieux de mon histoire, la chose que je m’explique le moins ; car, lorsque je descends en moi-même, je vois combien peu je vaux. Mais je n’ai pas à approfondir ce point ; je constate, et je m’incline devant la volonté de mon Dieu.

Donc, Satan s’illusionnait, le jour où il apparaissait triomphant à ses fidèles de Calcutta. Cette rodomontade de l’archange déchu a amené, comme conséquence plus ou moins directe, la découverte, cette fois dûment et complètement constatée, de tout le spiritisme luciférien et maçonnique ; or, découvrir le mal et le montrer avant qu’il ait eu le temps d’achever sa néfaste besogne, c’est le vaincre, c’est le paralyser, c’est l’empêcher d’aboutir à ses fins.

En outre, avec quelle rapidité étonnante j’ai pu arriver à l’antre même du Maudit !… Chaque fois que j’y songe, je demeure confondu.

Voici Pessina, d’abord, qui me délivre mon premier passe-port ; là, en réalité, l’événement a été des plus simples ; avec cinq cents francs, n’importe qui peut en obtenir autant ; il suffit d’être pris pour un zélé cabaliste et de ne pas marchander les métaux ; c’est une question de tarif. Mais la suite de mon aventure est surprenante. Qui dit hasard dit sottise ; on ne peut concevoir rien de plus absurde que le hasard. Et il faut reconnaître, au contraire, que le hasard serait d’une intelligence hors ligne, m’ayant fait pénétrer du premier coup chez les Fakirs lucifériens de Ceylan, à raison de la nécessité où ils se trouvaient, d’après leur rite, d’avoir recours à un médecin, et à un médecin qui fût en même temps membre d’une société secrète anti-chrétienne.

Le sâta de Galle, reconnaissant, me donne un lingam ailé, pour que je puisse pénétrer dans tous les temples secrets du Fakirisme indien. Tout se lie, dès lors ; mon enquête marche comme au moyen d’un engrenage. Le temple Mac-Benac, en dehors de Pondichéry, sur le territoire anglais, m’est ouvert, grâce à la rencontre inattendue d’un adepte, qui se prend d’un grand enthousiasme pour moi, et aussi par l’effet du lingam du sâta cynghalais ; la, je fais la connaissance de John Campbell, le chef des maçons du district de Bahour ; et je prends, sans me compromettre, l’habitude du feu. Je puis parler alors en homme qui a vu. Hobbs et Cresponi, à Calcutta, me font un excellent accueil, comme à un frère qui sait déjà bien des choses ; je réussis même à me conquérir Walder, et me voilà affilié au Palladium. N’oublions pas que, si Walder et Cresponi viennent à Calcutta, où je dois me lier avec eux, c’est qu’ils y sont envoyés par le diable, et moi, c’est pour pouvoir combattre Satan que je viens ; n’est-il pas clair comme le jour qu’en tout ceci Satan n’a su mettre que les mauvaises cartes dans son jeu ?… Comme il ment à ses adeptes, Lucifer, lorsqu’il leur affirme qu’il est l’égal de Dieu !… Que suis-je, moi ? Un atome imperceptible, et me voici lancé dans les jambes du colosse infernal pour le culbuter. Il ne peut donc que ce que Dieu veut bien tolérer, dans la mystérieuse sagesse de ses desseins impénétrables ; il ne peut rien par lui-même, Satan, puisqu’il n’a pas su seulement flairer en moi l’ennemi !…

Singapore et Shang-Haï me donnent la trempe suprême. Quand on a traversé, en catholique croyant et résolu, la San-ho-hoeï, on peut désormais tout affronter.

Or, ainsi que je viens de le dire, le moment est venu, à présent, d’abandonner l’ordre chronologique. Je n’ai pas seulement à présenter au public les résultats d’une enquête complète. J’ai tenu à démontrer, d’abord, que j’ai été en mesure de tout voir, de pénétrer partout ; je crois qu’à cet égard la preuve est faite. L’important est, maintenant, puisque je possède complètement tout le satanisme, puisque rien de la haute maçonnerie ne m’a été caché, l’important, dis-je, est de disséquer avec méthode messire Lucifer.

Les dates de mes visites à tel ou tel Directoire, à tel ou tel Suprême Conseil ou Grand-Orient, ne sont plus que des choses secondaires. Nous allons donc examiner les œuvres du satanisme contemporain, en les classant comme ferait un professeur, c’est-à-dire en divisant et subdivisant, conformément à l’ordre naturel des catégories de faits, et non d’après les époques de leur constatation.

Tout d’abord, il faut faire connaître l’organisation, le fonctionnement de la haute maçonnerie, celle qui, directement ou indirectement, tient tous les rites dans ses mains.

En premier lieu, je parlerai de Charleston, le centre du satanisme universel, et d’Albert Pike, le grand organisateur du palladisme.

Je suis allé deux fois à Charleston. La première, c’était en mars 1881. De Shang-Haï, j’étais rentré à Marseille, où j’arrivai dans la seconde huitaine de janvier. Après avoir raconté, sous le sceau du secret, au brave abbé Laugier, mon unique confident, une partie des abominations dont j’avais été le témoin (je ne lui dis pas tout, de crainte de trop l’épouvanter et pour ne pas avoir à lutter de nouveau contre son amitié), je demandai si la Compagnie et j’obtins un congé de trois mois et demi, afin de reprendre mon bateau à son retour. En réalité, j’avais à ma disposition un temps plus long. Je m’étais reposé trois bonnes semaines. Mon congé me menait jusqu’au 15 mai, époque du retour de mon bateau ; mais, à ce moment-là, il y avait encore vingt-huit jours à compter entre son arrivée et son nouveau départ, soit jusqu’à la seconde huitaine de juin. J’avais donc tout mon temps à moi pour pousser ma pointe en Amérique, en pouvant même prendre un bon repos suffisant de deux ou trois semaines avant de réembarquer pour la Chine.

Le jour même où mon bateau partait avec mon remplaçant, en direction de Shang-Haï, je prenais le train pour Paris, où je m’arrêtai sept jours. Le 17 ou le 18 février, je ne me rappelle plus au juste, j’étais au Havre, comme passager, à bord du transatlantique qui levait l’ancre pour New-York. Le 10 mars, j’arrivais à Charleston.


Charleston, la Venise américaine ! C’est, du moins, l’impression que produit la cité carolinienne, vue de la rade. Elle est pittoresquement située au confluent des deux rivières Ashley et Cooper, qui s’unissent pour former un vaste port de deux milles de large, communiquant avec l’Atlantique. La ville a ainsi la forme, l’apparence d’une péninsule. D’autre part, le sol étant très bas, les clochers des églises et les monuments publics semblent émerger de la mer.

La fondation de Charleston remonte à 1680 et est due à une colonie de protestants français. Maintenant, la ville compte 55,000 habitants.

L’édifice le plus remarquable aujourd’hui est la Nouvelle-Douane, vrai palais de marbre blanc, dans le style roman-corinthien. Il faut noter aussi la prison des nègres ; car la Rome luciférienne est, en même temps, la métropole sacrée de l’esclavage.

C’est au Sugar-House que se tenait le marché aux esclaves, à l’époque où le trafic de la chair humaine se faisait publiquement : dans cette espèce de caverne ou dans ces catacombes, à l’air infect, humide et malsain, des hommes étaient enchaînés et pourrissaient pendant des mois, des années ; mais ces hommes étaient des nègres, et la pitié des Caroliniens n’est pas faite pour la race africaine. La moindre infraction, un retard de quelques minutes dans les rues après le couvre-feu, les amenait à Sugar-House, où ils étaient condamnés à recevoir de vingt-cinq à cent coups de fouet.

Jean-Jacques Ampère, dans sa Promenade en Amérique, qui date de 1855, écrivait ceci :

« Je viens de voir en plein jour, sur une place publique de Charleston, vendre à l’encan une famille de noirs. Elle était sur un tombereau, entassée, comme pour le supplice, et le tombereau était surmonté d’un drapeau rouge. Les nègres et les négresses avaient l’air indifférent, comme le public qui les regardait. Les acheteurs s’approchaient, retournaient la marchandise, regardaient les dents, etc. »

Il est arrivé même aux Caroliniens de brûler des nègres à petit feu, notamment en 1803 ; le fait est certifié. C’est dire si les gens de cette contrée sont naturellement cruels !…

Depuis l’époque dont parle Ampère, c’est-à-dire depuis quarante ans bientôt, Charleston a modifié son aspect, s’est embellie ; mais le caractère, le tempérament, les mœurs des habitants n’ont pas changé.

Lors de la terrible guerre civile, dite de la Sécession, qui déchira pendant quatre ans les États-Unis et coûta 600,000 victimes aux deux partis, ce fut Charleston qui donna le signal de la révolte contre la patrie. Je dirai tout à l’heure quel rôle abominable joua Albert Pike dans cette lutte fratricide. La question des esclaves fut, on le sait, le motif de cette révolte des États qui, faisant cause commune avec Charleston et la Caroline du Sud, entreprirent de sortir de l’Union nationale, attendu que, depuis la mort de John Brown, les partisans de l’abolition de l’esclavage devenaient majorité dans le pays.

Le port de Charleston est bien défendu par le fort Moultrie, dans l’île Sullivan, le fort Sumter, dans l’île Morris, et les forts Castle-Pinckney et Ripley. C’est dans le fort Sumter que le général Anderson, qui commandait en 1860 au nom du gouvernement fédéral, se retira avec sa petite garnison, lorsque les Caroliniens se révoltèrent le 20 décembre ; bombardé par les habitants, il fut obligé de capituler le 13 avril 1861, et dès lors Charleston fut occupée par l’armée sécessionniste jusqu’au 17 février 1865, jour où le général franc-maçon Beauregard, qui avait pris parti pour les esclavagistes, dut l’évacuer.

Parmi les monuments actuels de la ville, il faut citer encore l’Hôtel-de-Ville, qui est, ma foi, un édifice imposant, avec son double escalier de marbre par lequel on y monte, et l’église protestante de Saint-Michel (appartenant à la secte des épiscopaux), dont la haute et belle tour s’aperçoit de loin en mer et offre une vue magnifique sur le pays.

Mais ce qui est surtout remarquable, c’est l’aspect général, qui, sans être positivement enchanteur, est loin d’être déplaisant. Les maisons, pour la plupart en brique, et quelques-unes en brique et pierre mêlées, comme à Toulouse, sont coquettes, entourées d’arbres, parées de plantes grimpantes et de fleurs ; ce qui frappe, au premier coup d’œil en arrivant, c’est cette végétation à moitié tropicale et d’une richesse inouïe. Les rues sont larges, droites, bordées d’arbres vigoureux, splendides. De la Battery, qui est la promenade populaire, on a une vue très étendue sur la rade, et cette promenade est entourée de villas charmantes, belles résidences particulières, dont un certain nombre sont somptueuses. Puis, c’est le pont de fer sur l’Ashley, qui donne accès aux superbes plantations dont les deux rives de cette rivière sont couvertes.

De l’animation, il n’en manque pas à Charleston ; elle est la principale ville commerciale de la Caroline du Sud, il ne faut pas l’oublier. Son commerce avec les États-Unis, les Indes occidentales et l’Europe, atteint annuellement cent millions pour l’importation et trois cent millions pour l’exportation. Les marchés et le Market-Hall offrent, à l’étranger, sous le rapport du mouvement, une des vues les plus caractéristiques que l’on puisse rencontrer. Mais, je le répète, si animée que soit la ville, l’impression qui vous en reste, lorsque vous la quittez, n’est pas celle-là ; c’est l’aspect de la nature verdoyante et fleurie qui domine tout dans votre esprit. Vous partez en songeant au jardin de West-Point, à tous ces squares, que l’on compare forcément aux rachitiques jardins publics de la ville de Paris, dont nos bons badauds boulevardiers qui n’ont rien vu sont si fiers.

Tenez, prenons, par exemple, le cimetière de Charleston. Tout le monde sait ce que c’est qu’un campo-santo italien ; ceux de Milan, de Gênes, de Pise, surtout, sont renommés ; ces froids asiles de la mort sont de vrais musées où l’on circule, entre les rangées de tombes, plein d’admiration pour les sculpteurs italiens qui ont prodigué là des statues, dont beaucoup sont des chefs-d’œuvre. Eh bien, à Charleston, une promenade au cimetière porte, non plus à l’admiration, mais à une douce rêverie, sans les moindres idées tristes ; on s’abandonne à l’incohérence des pensées, comme lorsqu’on parcourt les allées d’un parc sans but aucun, et les préoccupations, si l’on en a, disparaissent, s’évanouissent. Oh ! ce cimetière aux grands arbres toujours verts, aux belles fleurs blanches des magnolias embaumant l’odeur la plus suave, je ne l’oublierai jamais ! C’est, certainement, le plus beau cimetière qui existe aux États-Unis, et peut-être dans le monde entier…

Le siège du Suprême Directoire Dogmatique, le Vatican de la franc-maçonnerie universelle, dont je donne le plan (voir page 297), n’a rien de remarquable extérieurement. C’est un large édifice, à proportions vastes, mais voilà tout ; c’est de la bâtisse sans originalité, dont l’architecte semble avoir cherché, mais en vain, à produire quelque chose d’un peu fantasque ou fantastique, si vous préférez ; en un mot, c’est du raté. Je parle du local actuel, bien entendu, lequel forme l’angle des rues King et Went Worth. L’édifice d’aujourd’hui n’existait pas, lors de mon premier voyage ; le Suprême Directoire Dogmatique ne s’y est installé que vers la fin de 1883. L’immeuble a coûté 22,000 dollars (soit 110,000 francs), avant de subir sa transformation extérieure et surtout intérieure et tous ses embellissements maçonniques. Sans parler des œuvres d’art, tableaux et statues dont un certain nombre sont du plus haut prix, l’immeuble lui-même vaut à cette heure très facilement le double et peut-être même le triple de ce qu’il a coûté ; la bibliothèque, à elle seule, est assurée pour 110,000 dollars (soit 200,000 francs).

Le plan que je donne est d’une exactitude rigoureuse, au point de vue de la disposition et des proportions des divers temples, parvis, salles, galeries, cabinets et locaux essentiellement maçonniques ; mais, pour l’avoir d’une exactitude absolue dans sa totalité, il faut prolonger sur le côté une série de pièces réservées à l’administration, comme à la partie face ; c’est-à-dire que la partie de l’immeuble non affectée au culte maçonnique forme comme une équerre entourant le reste, sur les deux rues dont l’édifice forme l’angle.

Ce plan est celui qui avait été dressé par le docteur Gallatin Mackey, avant l’achat de l’immeuble. Lui ayant laissé comprendre que j’admirais ses ingénieuses dispositions, il me permit de le copier. Du reste, Albert Pike approuva ce plan, et l’architecte dut s’y conformer après la mort du docteur Mackey ; car le cher homme ne vit pas l’exécution du plan qu’il avait rêvé.

Il faut aussi, pour avoir l’état des lieux complètement exact, transporter derrière l’édifice même la maison qui sert à masquer l’entrée des sœurs. Elle n’est pas à côté, comme on la voit sur le plan tracé par le docteur Mackey ; elle est sur le derrière et communique avec le parvis de l’Adoption par un couloir latéral, passant au sous-sol sous la galerie Sainte-Hypathie, puis tournant à gauche, et se terminant par un escalier, que les sœurs ont à gravir pour parvenir à leur temple, tandis que les frères (du moins ceux qui le peuvent en vertu de leur grade) y viennent de plein pied par le parvis du 1er  tuilage, qui est à gauche de la galerie des Statues.

Du reste, je reviendrai, dans un instant, sur tous les détails de cet Important édifice, vers lequel tous les lucifériens du monde entier dirigent constamment leur pensée ; car c’est là, dans la salle triangulaire aux murailles d’une extrême épaisseur, c’est là, dans cette salle appelée le Sanctum Regnum et devant le Baphomet original, c’est là que Satan en personne paraît une fois par semaine, à heure fixe, le vendredi.

Pour l’instant, le lecteur attend avec impatience que je lui présente Albert Pike. Je vais donc m’occuper de l’anti-pape, d’abord, et de l’organisation créée par lui, ensuite ; ce n’est qu’après que j’expliquerai l’immeuble et l’usage de ses principales salles.


Le jour où je vis Albert Pike pour la première fois, c’était donc le 10 mars 1881. J’étais allé faire d’abord la connaissance du docteur Gallatin Mackey, mon confrère en médecine, dont la résidence était fixée à Charleston, tandis que le chef suprême habitait Washington. Nous allâmes attendre celui-ci à la gare.

Il arriva, accompagné de sa fille, mademoiselle Liliana Pike. Nous étions plus de cinquante personnes au débarcadère. C’est là que je connus Sophie Walder, dite Sophia, alors dans sa dix-huitième année à peine ; en l’absence de son père, qui était encore en Europe, elle habitait chez le frère Jonathan Chambers, qui n’était pas encore membre du Sérénissime Grand Collège, mais à qui la première place vacante était promise. Il y avait aussi le frère Henri Buist qui se prit d’une belle amitié pour moi et qui d’ailleurs, question de satanisme à part, était un parfait gentleman : Henri Buist est bien connu du Suprême Conseil de Paris ; c’est lui qui fut chargé, par Albert Pike, en 1884, d’une importante mission en Europe, et qui réconcilie le Suprême Conseil de France avec le Suprême Directoire Dogmatique ; car il y avait eu une brouille légère à propos d’un corps maçonnique que Pike avait constitué aux îles Sandwich et qu’Emmanuel Arago ne voulait pas reconnaître. Henri Buist et moi, nous avons donc été bons camarades ; je lui étais sympathique, et, comme homme privé, il ne me déplaisait pas ; il est mort aux États-Unis, en juillet 1887, et je ne serais pas étonné qu’à sa dernière heure il ait eu, mentalement au moins, un retour au vrai Dieu ; car, d’après bien des paroles qui lui échappèrent dans nos conversations, je crus comprendre qu’il n’était pas absolument convaincu de la divinité du grand esprit de lumière. Quoiqu’il en soit, les relations avec lui m’étaient précieuses, vu qu’il était le grand chancelier du Suprême-Directoire Dogmatique et que par conséquent, il en savait long.

Indépendamment de sa fille, Albert Pike nous arriva flanqué de Samuel Shofield et John Wilson, qui étaient ses deux assistants spéciaux au Grand Directoire de Washington, et de Frederick Weber, un des personnages les plus importants de la haute maçonnerie avec le docteur Gallatin Mackey et Henri Buist. À peine Weber fut-il descendu du train, que Sophia, aimable, empressée, l’accapara, pour lui faire les honneurs de Charleston, qu’il connaissait cependant aussi bien qu’elle ; toute la journée, elle papillonna autour de lui, au point que le pauvre Jonathan Chambers, presque délaissé, en avait un air piteux. Mais n’oublions pas de dire que Frederick Weber était le grand trésorier non-seulement du Suprême Conseil du rite écossais pour la Juridiction Sud des États-Unis, mais aussi du Suprême Directoire Dogmatique ; c’est lui qui avait la clef de la caisse centrale de la franc-maçonnerie universelle ; et il importe de noter aussi que cette diablesse de Sophie, si fanatique qu’elle soit dans son surnaturalisme luciférien, n’en est pas moins, et cela depuis son adolescence, une artiste incomparable en l’art d’attirer à elle les métaux ; ce n’est pas une femme, c’est un aimant.

Par contre, la froideur avec laquelle Sophie Walder et Liliana Pike se serrèrent la main ne m’échappa pas ; j’en fus frappé ; les deux demoiselles étaient loin de sympathiser. Mademoiselle Pike, qui n’était pas de la première jeunesse, et qui avait largement franchi le cap de la trentaine, si même elle n’approchait pas de ses quarante ans, était-elle, astre à son déclin ou éclipsé, jalouse de l’autre, la précoce luciférienne, fêtée par tous comme une déesse, alors dans tout l’éclat de son infernale beauté ? Je pose ce point d’interrogation, et je ne le fais suivre d’aucune réponse. J’ai constaté l’antipathie des deux femmes ; quant à la cause, je l’ignore ; sur ce point, ni l’une ni l’autre ne m’ont jamais fait de confidences.

Quant à Albert Pike, il embrassa Sophie sur le front, paternellement.

Le docteur Gallatin Mackey me présenta au chef suprême ; je ne lui étais pas inconnu ; Hobbs, Walder et Cresponi lui avaient déjà écrit à mon sujet.

Par exemple, quelle chaleureuse étreinte fut celle de Pike et du doc teur Mackey ! Les deux vieillards se jetèrent dans les bras l’un de l’autre, comme deux frères qui ne se seraient pas vus depuis vingt ans ; et cependant, Albert Pike venait à Charleston régulièrement une fois par mois.

Je viens d’appeler vieillards le chef suprême de la haute maçonnerie et son premier lieutenant ; en effet, en mars 1881, Albert Pike avait soixante-douze ans, et Gallatin Mackey, soixante-quatorze ; mais, tous deux, ils étaient verts et robustes. Pour le docteur Mackey, un gaillard à la solide charpente, taillé en hercule, rien ne faisait prévoir sa fin prochaine ; il est mort, en paisible villégiature, le 20 juin de cette même année, à Fortress-Monroë. Albert Pike, lui, devait fournir encore dix pleines années de la plus active existence.

Certes, comme pape du Satanisme, on ne pouvait trouver mieux, et Adriano Lemmi, qui essaie aujourd’hui de prendre la prépondérance dans la franc-maçonnerie universelle, n’a pas, il s’en faut de beaucoup, la superbe prestance du dernier souverain pontife luciférien de Charleston.

De haute taille, d’un corps droit, inflexible malgré les années accumulées, Albert Pike, avec sa grande barbe, ses longs cheveux blancs, ses yeux vifs pleins de flamme, m’apparut comme un patriarche des temps anciens, mais un patriarche dont on lisait, sur le front soucieux et dans le regard fanatique, le caractère si reconnaissable du sacerdoce maudit, cette expression étrange qui ne trompe pas l’observateur et qui est la marque distinctive des damnés. Je donne ci-contre son portrait authentique, d’après photographie, entouré des portraits des dix membres du Sérénissime Grand Collège au 1er  mars 1891.

En tant qu’homme, une vivante énigme. Je ne sache pas quelqu’un ayant réuni en soi autant de contrastes. Ainsi, cet homme, qui, toute sa vie durant, ne cessa de décolérer contre le catholicisme, contre Dieu, cet homme, qui avait le diable au corps, — et c’est bien ici le cas d’employer cette expression, — cet enragé impie avait, en même temps, des goûts que, chez tout autre, on considérerait comme le témoignage d’une placidité parfaite de conscience. Je citerai, notamment, sa prédilection pour les oiseaux, qui tournait vraiment à la manie. Sa maison, à Washington, n’était pas un domicile humain, mais une véritable volière : partout des cages, proprettes, bien entretenues, lui assurant la compagnie constante de cent volatiles divers, au gazouillement desquels notre Albert Pike se délectait ; sans oublier que bon nombre de ces oiseaux, serins hollandais, petites perruches naines dites inséparables, rossignols du Japon, étaient familiers, obtenaient, au moment des repas, l’ouverture de leurs cages, pour venir voleter dans la salle à manger, aux fenêtres munies d’un grillage fin ; ce qui était bien agréable pour les invités, vous voyez ça d’ici !

À côté de sa collection d’oiseaux, je mentionnerai sa collection de pipes. L’une de ces pipes a obtenu à l’exposition de Paris (1878) un prix à cause de ses proportions exceptionnelles et du travail admirable de l’artiste qui l’a sculptée ; c’est une écume de mer de premier ordre, une magnésite d’une pureté inouïe, incomparable ; elle a coûté mille francs aux amis qui se cotisèrent pour offrir à l’anti-pape ce superbe cadeau.

Un autre trait caractéristique d’Albert Pike, un petit détail qui montre bien l’infatuation du personnage, au fond très vaniteux, très convaincu qu’il était sur notre globe le premier parmi les hommes, tout simplement, c’est le soin avec lequel il conservait ses plumes, après s’en être servi ; au lieu de les jeter, il les mettait précieusement dans un grand tiroir ; il en avait ainsi plus de 10,000. À ses yeux, ces plumes qu’il avait touchées, qui avaient aligné sur le papier ses pensées de mage, de pontife, étaient devenues des objets sacrés. En somme, il connaissait bien son monde d’adeptes lucifériens, tous plus exaltés les uns que les autres ; car, aujourd’hui ceux-ci se disputent ces fameuses plumes comme de vraies reliques ; le frère Samuel Grey, de Philadelphie, a payé 500 dollars (soit 2,500 francs) la plume dont Albert Pike se servit le 1er  août 1884, pour écrire une sorte de manifeste qui prétendait être la réfutation de l’encyclique Humanum Genus.

Mais ce qui classe vraiment hors de pair l’individu, c’est son activité qui semble dépasser les forces humaines. Il ne faut pas perdre de vue qu’il était à la fois grand-maître du Directoire Central de Washington et grand-commandeur du Suprême Conseil de Charleston, en même temps que souverain pontife de la franc-maçonnerie universelle. Sa fonction suprême d’anti-pape dogmatisant ne lui faisait négliger ni la direction et l’administration du rite écossais dans la partie sud des États-Unis, ni la centralisation de toute la correspondance spéciale des arrière-loges des divers rites établis dans toute l’Amérique du Nord ; ce qui constituait trois genres de travaux parfaitement distincts. Il est vrai qu’à Charleston, siège du Sérénissime Grand Collège, il était suppléé par le président des dix ou vice-président des onze, pour parler plus exactement ; c’était le docteur Gallatin Mackey, à l’époque de mon premier voyage. Mais la distance ne l’empêchait pas d’aller à Charleston présider le Sérénissime Grand Collège, une fois par mois, et, en réalité, plus souvent deux fois qu’une. Or, savez-vous bien qu’il y a 610 milles en chemin de fer de Washington à Charleston, soit de 150 à 160 lieues ? Il est bon de dire que, pour les Américains, les voyages à toute vapeur font partie de la vie courante, et que les trains ordinaires, aux États-Unis, marchent avec l’allure de nos rapides. Il n’en est pas moins vrai que, jusqu’à l’âge de quatre-vingt-deux ans, Albert Pike effectuait sans la moindre fatigue, d’une manière réglée, des voyages de sept à huit heures pour l’aller et autant pour le retour, et cela, je le répète, constamment, une fois, deux fois par mois, avec la même aisance qu’un abonné de notre compagnie de l’Ouest, habitant Saint-Germain ou Versailles et venant quotidiennement à Paris pour ses affaires.

Il ne descendait pas à l’hôtel, mais chez le lieutenant grand-commandeur de son Suprême Conseil de Charleston, au domicile duquel il avait deux chambres, avant l’installation confortable et intérieurement somptueuse du grand local maçonnique actuel ; depuis 1884 jusqu’à sa mort, il eut là un appartement réservé, dont les fenêtres donnaient sur la rue Wentworth.

Lors de ma première venue en la Rome luciférienne, le docteur Mackey me joignit au groupe de frères qu’il invita à dîner chez lui, ce soir-là, avant d’aller tous au temple du Suprême Directoire Dogmatique. À table, mon amphitryon me plaça à côté de Sophie Walder, à qui j’eus ainsi l’occasion de parler beaucoup de son père, et dès lors la connaissance fut liée entre nous deux.

Récemment, Mlle  Walder s’est livrée à une sortie intempestive tout à fait en dehors de ses habitudes, pour m’injurier publiquement ; ce qui prouve que la seule nouvelle de mes révélations sur le spiritisme luciférien a jeté dans un vif émoi le monde des occultistes. Mlle  Walder m’a accusé de trahir le secret professionnel, en abusant de confidences surprises par le médecin à sa malade, dit-elle, sous prétexte que j’ai eu l’occasion de la soigner, et elle veut bien reconnaître que je l’ai guérie. À cela je n’ai qu’un mot à répondre : dans cette publication, il ne s’agit nullement de secrets d’une malade, en tant que femme et que malade ; je dirai donc tout ce que j’ai à dire, sans me laisser intimider par les menaces, d’où qu’elles puissent venir[1]

Je reviens au dîner du 10 mars 1881, chez le docteur Gallatin Mackey, à Charleston. Le festin fut vif et animé ; ce qui fut absorbé, tant en solides qu’en liquides, par mes Américains, est inimaginable. Au dessert, Sophie Walder, — ce n’est pas un secret de malade que je vais révéler, — nous déclama, de sa voix bien timbrée, l’Hymne à Vénus, dont l’auteur est le vénéré Albert Pike ; et j’ajoute que la jeune fille, qui est une diseuse hors ligne, m’étonna au plus haut point par son talent pouvant rivaliser avec celui de nos meilleures comédiennes. Êtes-vous contente, Sophia ?…


C’est Boston qui a eu le triste honneur de voir naître Albert Pike ; celui qui devait devenir le chef suprême des francs-maçons y naquit le 29 décembre 1809, d’une famille de condition modeste.

N’ayant pas réussi dans leurs affaires, ses parents, sans sortir du Massachusetts, quittèrent Boston, tandis qu’il était encore enfant, et s’en furent s’établir à Newburyport, petite ville à qui ses pécheurs de morue ont fait une certaine réputation. Malgré leurs difficultés pécuniaires, ils réussirent, néanmoins, à l’aide de protections et avec le concours d’amis, à faire entrer le jeune Albert au célèbre collège fondé par John Harvard, aux environs de Boston, et nommé l’Harvard-Collège, qui est la maison d’éducation la plus ancienne et la plus complète des États-Unis.

Albert Pike reçut donc une instruction solide, mais qui ne fut pas poussée jusqu’au bout. À vingt ans, il obtint le grade de maître-ès-arts (1829), et il s’arrêta là. Interrompant ses études, il rejoignit sa famille à Newburyport et s’y installa comme professeur de grammaire dans une institution primaire. Peu après, il passa à Fairhaven, toujours dans le Massachusetts, où il continua à exercer son état de pédagogue.

Tout-à-coup, en 1831, la passion des voyages le prend, et le voilà partant pour le sud et l’ouest, quittant les États-Unis, allant à Santa-Fé, à New-Mexico, parcourant à pied d’énormes distances, explorant les régions sauvages qui avoisinent les Montagnes Rocheuses.

En 1832, il remplit, pendant quelques mois, les fonctions de clerc dans une étude d’avocat à Santa-Fé, aujourd’hui chef-lieu du gouvernement territorial du Nouveau-Mexique, et alors centre commercial d’une immense province mexicaine. Mais il ne pouvait pas tenir en place ; sa nature aventureuse lui interdisait le repos.

En septembre de cette mémé année, c’est-à-dire une fois la saison des pluies bien terminée, il se joint à quarante-cinq excursionnistes, qui avaient pris pour programme l’exploration de la rivière Pécos ; puis, allant encore plus loin, en décembre, la petite troupe dont il faisait partie remontait à la source du Rio-Brazos, et de là allait jusqu’à Fort-Smith, et voilà ainsi Pike arrivant dans l’Arkansas.

Dans cette route, il avait traversé de nombreux territoires indiens et s’était lié avec plusieurs tribus de Peaux-Rouges, notamment avec les Cherokees ; toute sa vie, au surplus, il entretint des relations avec les sauvages ; eux et lui sympathisaient. Que l’on ne croie pas que j’exagère en donnant ce détail ; je fournirai plus loin des preuves, et je citerai des faits, qui, pour n’être pas connus en Europe, n’en sont pas moins historiques.

L’itinéraire de ce long voyage, si périlleux, si accidenté, est très curieux à étudier. Dans la seconde partie de l’excursion, alors que nos touristes suivaient la ligne des Montagnes Rocheuses, se dirigeant de Santa-Fé vers le nord par la région des pics espagnols, le jeune Albert entraîna ses compagnons à l’ascension d’un des plus hauts sommets du Colorado. L’entreprise était extrêmement dangereuse ; mais Pike et ses amis en vinrent à bout, tout de même. Cette montagne fait partie, à la pointe extrême sud, d’une petite chaîne que contourne l’Arkansas, à l’endroit même où la grande rivière reçoit son premier affluent ; elle est prodigieusement escarpée, et son altitude est de 3,935 mètres, c’est-à-dire 875 mètres de moins que le Mont-Blanc (4,810 m.), et 1,050 mètres de plus que le Pic du Midi d’Ossau (2,885 m.), pour parler des sommets des Alpes et des Pyrénées les plus connus du lecteur français.

Du haut de cette montagne du Colorado, placée en belvédère gigantesque du côté de la plaine, de ce sommet vertigineux que le futur chef de la franc-maçonnerie universelle escalade le premier parmi les explorateurs ayant laissé un nom dans l’histoire, l’œil découvre un panorama superbe sur les savanes, la vue s’étend à une distance incalculable. Le jeune Albert donna son nom à cette montagne, et lorsque plus tard la célébrité vint à l’homme, ses compatriotes confirmèrent la dénomination : aujourd’hui, sur toutes les cartes d’Amérique éditées aux États-Unis, ce sommet important des Montagnes Rocheuses est désigné sous le nom de « Mont de Pike ». Quelque jour, peut-être, ce sera un lieu de pèlerinage pour les lucifériens du Nouveau-Monde.

À Fort-Smith, le jeune Albert Pike s’arrêta enfin et se refit maître d’école. Mais la pédagogie ne lui plaisait décidément pas, non plus que le séjour dans une si petite ville. Aussi, dès le milieu de 1833, vient-il s’établir d’une façon plus sérieuse à Little-Rock, capitale de l’état d’Arkansas, qui ne faisait pas encore partie de la confédération des États-Unis.

Là, il reprend ses études, il fait son droit, ouvre un cabinet de consultations, devient avocat ; en même temps, il crée un journal, avec les fonds d’un ami qui professe pour lui le plus bel enthousiasme. Dans ce journal, l’Arkansas-Advocate, il traite les questions les plus diverses : politique, droit, administration. Il y publie le récit de ses aventures, récit que, l’année suivante (1834), un éditeur de Boston met en volume, en l’accompagnant d’une carte descriptive des pays parcourus par l’auteur. Ce n’est pas tout ; Albert Pike est encore poète, et ses premières poésies paraissent d’abord dans son journal.

Dès lors, la popularité lui vient ; sa petite feuille était pour lui une réclame permanente, le faisant connaître en dehors même de la région. Il a de la chaleur dans le discours ; les affaires qui lui sont confiées sont nombreuses. Il a presque exclusivement la clientèle des Indiens, dont il est le conseil lors de la vente de leurs biens au gouvernement fédéral. Ses poésies lui valent l’admiration de ses compatriotes, prompts à s’emballer, comme l’on sait. C’est à Little-Rock qu’il se marie (1834). Élu membre de diverses assemblées délibérantes, tant de la ville que de l’état, il est chargé de réviser les statuts de l’Arkansas.

Maintenant, il est déjà riche ; il vend la propriété de son journal (1836). Sa renommée traverse l’Atlantique, mais est désormais solidement établie aux États-Unis. Le Blackwood’s Magazine sollicite et obtient sa collaboration (1839). Les journaux de Philadelphie, de Boston, de New-York, se disputent ses vers.

C’est à cette époque qu’il fit paraître son poème Ariel, aujourd’hui introuvable, et que Sopbie Walder sait par cœur ; il l’écrivit, m’a-t-elle raconté, au milieu des savanes où il aimait à se perdre, pendant que son cheval paissait à ses côtés. Il composa aussi, dans ce temps-là, un roman indien, dont Sophia possède le manuscrit original ; ce roman décrit les mœurs des Peaux-Rouges (Comanches), des Navajos, et la vie mexicaine, à l’époque primitive des incursions espagnoles ; la grande-maîtresse palladiste se propose d’en publier une traduction française. Elle assure que c’est très beau ; mais j’avoue humblement que le peu qu’elle m’en a fait lire ne m’a guère intéressé. De son Ariel je n’ai pas besoin de dire que c’est un poème absolument satanique ; personne n’ignore qu’Ariel est le nom d’un des démons les plus en faveur auprès des cabalistes ; comme on le voit par la, Albert Pike était un luciférien précoce, et le mauvais ange, dont les Moabites firent une de leurs principales idoles, apparaissait à ses yeux comme un génie bienfaisant, auquel un culte était dû.

Quand je viens de dire : « apparaissait à ses yeux », je ne me suis pas servi de cette expression à la légère. Ariel est, en effet, le premier démon qui se soit manifesté à Albert Pike, s’il faut en croire son Livre des révélations, ouvrage des plus étranges, qui n’a jamais été imprimé, et dont le manuscrit, coté et paraphé à chaque page par une signature de diable, est conservé précieusement aux archives centrales du Rite Palladique, à Charleston. De cette Bible Satanique il n’existe qu’une vingtaine de copies complètes, aux mains seules des plus hauts initiés.

C’est en 1836 que l’Arkansas fut admis dans la confédération des États-Unis ; il va sans dire qu’Albert Pike fut un des négociateurs de cette importante annexion. Il était alors un personnage politique considérable, bien qu’il n’eût encore que vingt-sept ans. De 1840 à 1845, il exerça les hautes fonctions de rapporteur de la Cour Suprême de l’Arkansas ; tous ses rapports ont été publiés par ses soins.

Sur ces entrefaites, survinrent des événements, dont Pike sut profiter pour se mettre de plus en plus en évidence.

Le Texas, qui jusqu’en 1835 avait été une province du Mexique, s’était, en cette année-là, révolté contre le gouvernement de cette république ; sous la conduite du général Houston, les troupes provinciales du Texas avaient battu le président mexicain Santa-Anna et son armée ; et le Texas, alors, pays considérable, puisqu’il a, en superficie, 160,000 kilomètres carrés de plus que la France[2], s’était constitué en république indépendante.

Or, en 1845, James Folk (appartenant au parti démocrate et esclavagiste) étant président des États-Unis, le Texas demanda à entrer dans la puissante confédération. L’année précédente, l’Orégon s’était détaché du Mexique et avait été l’occasion d’un conflit entre la grande république Américaine et l’Angleterre. L’annexion du Texas mit le feu aux poudres, et une guerre terrible éclata. Le Mexique rappela Santa-Anna qui vivait réfugié à la Havane et le nomma généralissime de ses armées pour soutenir la lutte contre les États-Unis. Mais ce fut en vain ; malgré des prodiges de valeur, Santa-Anna fut vaincu à plusieurs reprises. L’Angleterre et les États-Unis se partagèrent l’Orégon (1846). D’autre part, les Mexicains furent écrasés à la sanglante bataille de Saltillo ; le général américain Scott leur prit la Vera-Cruz ; Albert Pike, qui se distingua dans la grande journée de Buena-Vista (23 février 1847), où il commandait la cavalerie de l’Arkansas, reçut la reddition de Mapimi ; Santa-Anna fut défait à Jalapa ; Puebla et Mexico tombèrent aux mains de l’armée des États-Unis. Finalement, Santa-Anna que ses concitoyens avaient investi de la dictature et qui avait transféré le siège du gouvernement à Queretaro, dut céder et signer une paix désastreuse pour sa patrie (2 février 1848). Le Texas était définitivement reconnu comme appartenant aux États-Unis ; en outre, la province mexicaine dont la ville principale était Santa-Fé, laquelle province devint l’état territorial du Nouveau-Mexique, et d’autre part, la Californie, dont San-Francisco était le chef-lieu, entraient également dans la confédération. Cette guerre, ou Albert Pike avait brillé, il est juste de le reconnaître, valait donc aux États-Unis trois immenses provinces. Une annexion pareille était tellement exorbitante, que les Américains, quoique vainqueurs, payèrent aux Mexicains une indemnité de dix millions de dollars. Mais les Yankees savaient ce qu’ils faisaient en s’attribuant, même à ce prix, la Californie ; leurs explorateurs, tels que Pike et autres, les avaient renseignés depuis longtemps sur la valeur du pays. Peu après l’annexion, se révélaient les découvertes des fameuses mines d’or le long du Sacramento et du San-Joaquin.

On conçoit sans peine que, depuis cette guerre où il prit une part glorieuse, Albert Pike ne fit que grandir en considération parmi ses compatriotes.

Je m’étonnerai aucun de mes lecteurs en disant que le personnage qui nous occupe en ce moment était entré de bonne heure dans la franc-maçonnerie ; c’est à Little-Rock qu’il s’y affilia, dès son arrivée dans cette ville, c’est-à-dire à vingt-quatre ans. La Grande Loge de l’Arkansas a été fondée en 1821 et compte aujourd’hui 432 loges sous son obédience. C’est un pasteur protestant, le révérend Léonidas Polk parent de James Polk et l’un des chefs du parti esclavagiste, qui donna à Albert Pike l’initiation ; le pasteur protestant et le précoce luciférien s’étaient compris.

La guerre de la Sécession est trop connue pour que j’en retrace les épisodes. Je dirai seulement le rôle qu’y jouèrent Albert Pike et la franc-maçonnerie ; il ne fut guère à leur honneur.

Abraham Lincoln, candidat du parti qui réclamait l’abolition de l’esclavage, avait été élu président de la grande république américaine (1860) ; il en résulta une vive agitation dans les états du sud, où le parti esclavagiste avait l’immense majorité. La révolte, je l’ai rappelé plus haut, commença à Charleston, ville où siégeait et où siège encore le Suprême Conseil du Rite Écossais pour la juridiction sud des États-Unis. La Caroline du Sud, le Mississipi, la Floride, l’Alabama, la Géorgie, la Louisiane, le Texas, l’Arkansas, la Caroline du Nord, le Tennessee, la Virginie, le Kentucky et une partie du Missouri se séparèrent de l’Union, pour former une confédération nouvelle où l’esclavage serait maintenu (12 avril 1861).

La franc-maçonnerie, dans cette horrible guerre civile, la franc-maçonnerie qui proclame si haut qu’elle veut émanciper l’humanité, se prononça carrément pour les esclavagistes, en cette circonstance solennelle.

Depuis deux ans, Albert Pike, qui avait fait son chemin dans la secte, occupait les fonctions de souverain commandeur grand-maître du Suprême Conseil de Charleston, bien qu’il ne demeurât pas dans cette ville ; il avait alors conservé son domicile à Little-Rock, mais s’était créé un pied-à-terre à Washington. Et, à ce propos, disons que la date exacte de son élection n’est pas très nettement fixée. Il n’était pas présent à Charleston, quand elle eut lieu : ce fut Gallatin Mackey qui proposa son nom aux suffrages des membres du Suprême Conseil, et aucun candidat ne lui fut opposé ; le jour du scrutin, le conclave maçonnique n’était pas au complet ; on vota néanmoins, mais le vote ne rassembla que le tiers des voix nécessaires. Le scrutin resta donc ouvert, comme en permanence, et de temps en temps un des grands électeurs venait ajouter son suffrage à ceux de ses collègues. Pike fut élu à l’unanimité ; seulement, il fallut huit jours au moins pour l’opération, et, pour comble de ridicule, le docteur Mackey ne songea à dépouiller le vote que cinq jours après encore. Il s’ensuit que le Suprême Conseil de Charleston n’a jamais pu préciser la date de l’élection d’Albert Pike. Il y a choisir entre ces trois interprétations : 6 janvier 1859, jour du vote ; 14 ou 15 janvier, jour non précis où le dernier membre du Suprême Conseil vint déposer son suffrage dans l’urne ; 19 janvier, jour où Gallatin Mackey se décida à songer qu’il était temps de vérifier le résultat du scrutin, pour le proclamer ensuite à la première occasion. L’élection était si sûre, le candidat unique si indiscuté, que les choses s’étaient passées un peu trop à la bonne franquette.

Donc, quand éclata la guerre civile, le grand-maître Albert Pike et tout le Suprême Conseil de Charleston se déclarèrent en faveur des partisans du maintien de l’esclavage.

À la tête des fédéraux, c’est-à-dire des abolitionnistes et partisans du maintien à tout prix de l’union intégrale des états, se signalèrent les généraux Scott, Mac-Clellan, Mac-Dowell, Burnside, Pope, Butler, Banks, Rosencrantz, Sherman, Hooker, Meade, Thomas, Sheridan, Terry, Sommer et Grant, ainsi que les commodores Dupont et Foote. Du côté des confédérés, c’est-à-dire des esclavagistes voulant la séparation d’avec les états du Nord, les chefs les plus en vedette dans cette lutte terrible de quatre ans, furent les généraux Beauregard, Price, Jackson, Lee, Van Dorn, Bragg, Longstreets, Ewell, Hardee, Albert Pike, Carley, Hood, Lowell, Léonidas Polk, Brekenrige et Johnston. C’est surtout à Grant que revient la part la plus grande des succès décisifs obtenus par les unionistes, pendant les deux dernières années. Les séparatistes, eux, remportèrent aussi de nombreux avantages, d’abord, alors que Jackson fut leur généralissime, — il périt, en revenant de la bataille de Chancellorsville, le 3 mai 1863, mortellement blessé par un de ses propres soldats qui l’avait pris pour un abolitionniste, — et ensuite, avec Lee, qui fut le héros du parti par l’audace et la vigueur de ses opérations.

La guerre fut faite avec une véritable sauvagerie de la part des confédérés séparatistes. Comme ils n’avaient presque pas de marine, leur président, Jefferson Davis, délivra des lettres de marque à tous les corsaires qui voulurent profiter de ces tragiques événements pour en augmenter l’horreur, en se livrant au banditisme, en capturant et pillant les navires marchands appartenant à des armateurs des états du Nord.

Léonidas Folk, qui était pasteur protestant dans l’Arkansas en 1833, époque où il initia Albert Pike a la franc-maçonnerie, et qui en 1841 avait été nommé évêque de la Louisiane, se déclara, dès le début du conflit, hautement pour la séparation et pour le maintien de l’esclavage ; et, à raison de ce qu’il avait été sous-lieutenant d’artillerie avant d’exercer le ministère sacerdotal, il reprit le service militaire pour combattre sa patrie ; on vit alors cet évêque franc-maçon, improvisé général, mis à la tête du 2e corps d’armée des confédérés. Il envahit le Kentucky. Il prit part à la terrible bataille de Chickamanga (20 septembre 1863), où les séparatistes vainquirent les unionistes, à celle de Chattanooga (5 mai 1864), où ceux-ci, par contre, triomphèrent, et trouva la mort au milieu de la mêlée, après avoir fait un épouvantable carnage. Ainsi finit le digne parrain maçonnique d’Albert Pike.

On sait que ces combats de la guerre de la Sécession sont au nombre des plus sanglants dans l’histoire du monde : plusieurs batailles durèrent jour et nuit sans interruption ; on en cite qui durèrent jusqu’à sept jours, tant l’acharnement était grand des deux côtés.

Personne n’ignore, non plus, que les esclavagistes ne reculèrent pas devant le crime, lorsqu’ils se virent définitivement vaincus par les abolitionnistes.

Le général Lee, accablé par les forces de Grant, avait fait, mais en vain, un suprême effort à Burkesville, le 5 avril 1865, et le 7 il déposait les armes, acceptant une capitulation honorable que lui offrait le commandant en chef des armées fédérales. Les confédérés, dans leur rage, voulurent alors venger leurs échecs par l’assassinat même du président de la République.

Un acteur franc-maçon, du nom de John-Wilkes Booth, fut désigné dans les arrière-loges pour être le meurtrier. Le 14 avril, le président Lincoln s’était rendu au théâtre de Ford, à Washington, avec sa femme et deux amis ; on y jouait Our American Cousin. Au milieu du second acte, Booth parvint à s’introduire dans la loge occupée par Lincoln et le tua d’un coup de pistolet ; puis, écartant d’un coup de poignard un des amis du président, M. Rathburn, il sauta hors de la loge sur la scène du théâtre, en criant : « Sic semper tyrannis ! le Sud est vengé ! » Au milieu de la stupéfaction générale, il parvint à s’échapper et s’enfuit sur un cheval que les frères du Rite Écossais lui avaient tenu prêt.

Au même moment, un autre ultionniste frappait de cinq coups de poignard le secrétaire d’État de la République, M. Seward, qui était malade dans son lit.

Booth se sauva dans le Maryland ; mais, s’étant cassé la jambe en tombant de cheval, il s’arrêta pour se faire panser chez un chirurgien, le docteur Mudd, puis continua sa route. Cependant, sa piste était suivie ; on le trouva renfermé dans la grange d’une ferme ; et, comme il refusait d’en ouvrir la porte, ou introduisit par les fissures de la paille enflammée qui produisit un incendie. Finalement, il fut tué par une balle, au moment où il s’apprêtait à sortir, le pistolet au poing. Son cadavre, transporté à l’arsenal voisin sur le Potomac, disparut la nuit suivante, sans qu’on ait jamais pu savoir par qui ni comment il avait été enlevé.

Dans l’odieuse secte, le frère John-Wilkes Booth est considéré comme un martyr ; quant à ses restes, ils reposeraient secrètement à Charleston, au siège du Suprême Directoire Dogmatique, dans un mausolée souterrain situé au-dessous du Labyrinthe Sacré, si je m’en rapporte à un mot qui échappa à Jonathan Chambers dans une de ses conversations avec moi. Mais, ceci m’ayant été dit lors de mon dernier voyage à Charleston et tandis que Chambers me raccompagnait à la gare, je n’ai pas eu la possibilité de vérifier.

En ce qui concerne Albert Pike, voici quel fut son rôle pendant la guerre de la Sécession :

En dehors de son action maçonnique comme grand-maître du Suprême Conseil du Rite Écossais pour la juridiction sud, il opéra comme militaire et reçut un commandement bien digne de lui. Le gouvernement insurrectionnel lui confia la mission d’organiser et de diriger des régiments de sauvages.

Oui, il fut le général en chef des Peaux-Rouges, fanatisés par lui et déchaînés contre les partisans de l’abolition de l’esclavage. — Vous croyez peut-être que j’invente ? — Eh bien, je vais préciser.

Les esclavagistes, dans leur fureur fratricide, ne reculèrent devant aucun moyen de succès. Albert Pike était en relations suivies avec toutes les tribus, même anthropophages, du territoire indien, voisin de l’Arkansas ; il leur disait couramment qu’eux et lui adoraient les mêmes esprits, quoique sous des noms différents, et il vivait ainsi avec ces peuplades dans un état d’intimité parfaite. Chickasaws, Comanches, Creeks, Cherokees, Miamis, Osages, Kansas, Choctaws, il les connaissait tous, et pour eux tous il était « le visage-pâle fidèle ami et grand protecteur ».

Les Choctaws, qui ne sont pas moins de 18,000 aujourd’hui encore, et les Cherokees, pas moins de 15,000, sont, si l’on peut s’exprimer ainsi, les moins sauvages parmi ces tribus ; ils cultivent la terre, et avant la guerre ils employaient des esclaves. Quant aux autres, principalement les Chickasaws et les Comanches, ils s’intitulent « les rois des prairies » et ne vivent que de rapines et de pillage ; établis par milliers d’un total inconnu, échappant à toute statistique, promenant leur vie errante à travers les immenses plaines qui s’étendent du Rio-Grande jusqu’à l’Arkansas et au Kansas, et même jusqu’au Missouri, cavaliers habiles, terribles bandits des savanes, ils sont des guerriers intrépides et des voleurs adroits ; ils adorent le soleil, dont ils portent l’image au cou et sur leur bouclier. Aussi, répondirent-ils avec empressement à l’appel de leur grand ami Albert Pike : une telle guerre était, pour eux, une occasion exceptionnelle de razzias formidables, sans aucun frein opposé à leurs cruels instincts.

Le gouvernement insurrectionnel nomma donc Pike commissaire indien, chargé de négocier avec les plus puissantes tribus sauvages une levée générale de leurs guerriers ; pour organiser cette armée de tirailleurs d’un nouveau genre, il fut créé gouverneur des territoires occupés par les Peaux-Rouges ; et, une fois ces hordes réunies et placées sous son commandement, il eut le titre de brigadier-général de tous les régiments indiens.

Il est facile de comprendre maintenant ce qui se passa : ce ne fut plus la guerre, ce fut une orgie de meurtres. L’armée indienne, commandée par le général Albert Pike, eut sa réputation promptement faite ; elle scalpait les ennemis sur le champ de bataille (absolument authentique, historique). Des atrocités sans nom furent commises par les troupes de Pike, dans les diverses rencontres avec les fédéraux. Le scandale fut si grand, notamment à la bataille de Pea-Ridge (7 mars 1862), où le général Pike conduisit en personne ses régiments de Comanches, Cherokees, etc., que les puissances étrangères s’émurent, et, sur les représentations de l’Angleterre qui menaça d’intervenir au nom des droits de l’humanité, le gouvernement séparatiste, présidé par Jefferson Davis, fut obligé de dissoudre ses troupes auxiliaires indiennes. Ceci, je le répète, c’est de l’histoire ; personne n’ignore, aux États-Unis, ce que je viens de rapporter.

Voilà donc, envisagée au point de vue maçonnique, la guerre de la Sécession ; voilà quelle fut l’action, quels furent les exploits des francs-maçons esclavagistes et de leur chef.

Il semble qu’après l’insurrection tant de crimes auraient dû recevoir leur châtiment. Sur le premier moment, le gouvernement fédéral eut, en effet, la pensée qu’il devait punir. Mais tout céda devant les grandes considérations politiques : le pays était fatigué, les populations réclamaient de part et d’autre l’apaisement ; une amnistie générale fut proclamée ; le procès commencé contre Jefferson Davis et autres instigateurs ou complices d’assassinats fut abandonné. Bien plus, Albert Pike, l’ex-commandant en chef de l’armée des Peaux-Rouges, fut maintenu dans son grade de général, à titre honoraire.

Pendant un an encore après la guerre, Pike exerça les fonctions de juge à la Cour Suprême de l’état d’Arkansas. Puis, il quitta définitivement Little-Rock, et, pour se rapprocher davantage de Charleston, siège du Suprême Conseil dont il était le grand-maître, il s’établit à Memphis, dans le Tennessee.

Memphis avait alors 25,000 habitants. Les francs-maçons y pullulaient. Le nom seul donné à cette ville américaine indique clairement que ses fondateurs étaient de vrais initiés. Cependant, les loges, avant son arrivée, pratiquaient toutes le rite de Royale-Arche et étaient sous l’obédience de la Grande Loge de Nashville, fondée en 1813. Albert Pike constitua à Memphis un atelier d’écossisme ordinaire et un aréopage spécialement voué au spiritisme, qu’il nomma le « Nouveau Serapeum ».

Par le chemin de fer, il se rendait, quand il voulait, à Charleston, où résidait en permanence son lieutenant Gallatin Mackey, le véritable administrateur du Suprême Conseil.

Il ne serait pas mauvais peut-être de dire ici quelques mots de l’homme qui a si longtemps secondé le grand chef occulte de la franc-maçonnerie universelle. Tous les renseignements que j’ai recueillis sur lui, je les tiens de Cresponi et des Walder.

Gallatin Mackey est né à Charleston le 11 mars 1807, et il est mort à Fortress-Montroë le 20 juin 1881. C’est au collège de la Caroline du Sud qu’il a pris ses grades de médecin ; celui de docteur lui fut conféré en 1832. Il exerça, toute sa vie, dans sa ville natale. Cependant, à partir de 1844, il se consacra plus exclusivement à l’étude des sciences occultes. Sa marotte consistait à s’imaginer que l’âme de Jacques Molay avait émigré en lui, sous prétexte qu’il était né le jour même où le grand maitre des Templiers subit, quatre cent quatre-vingt treize ans auparavant, son supplice, — son martyre, disent les francs-maçons. — Je vais dire depuis quand il eut cette idée et par qui elle lui fut suggérée.

Voici ce que le docteur Mackey racontait, d’après ce qui lui avait été dit plus tard par ses parents, affirmait-il :

À l’âge d’un an, au premier anniversaire de sa naissance, c’est-à-dire le 11 mars 1808, il se mit à prononcer un mot, un seul, mot incompréhensible pour ceux qui l’entendirent, mais sur lequel ils ne purent se méprendre, attendu qu’il ne cessa de le répéter pendant tout le cours de la journée.

D’après sa prononciation, ce mot était celui-ci : Mura. L’enfant ne fit que dire, du matin au soir : — Mura ! mura ! mura !

Personne, autour de lui, ne comprit ce qu’il voulait ; mais chacun demeura frappé de cette bizarrerie, d’autant plus que l’enfant criait ce mot étrange comme avec des éclats d’une joie extrême.

Lorsqu’il eut achevé sa onzième année, soit le 11 mars 1818, le jeune Gallatin fut, tout à coup, pris de faiblesse, dans la journée. Il tomba assoupi, d’abord ; son corps prit une immobilité complète, puis une effrayante rigidité ; ou le crut mort ; le cœur ne battait plus. Au bout d’une heure seulement, il revint à lui ; en se réveillant, il expliqua qu’il lui avait semblé que son âme l’abandonnait.

Ce phénomène se renouvela, dès lors, régulièrement, chaque année, le 11 mars.

En 1848, à l’issue de la guerre du Mexique, le docteur Mackey se lia intimement avec Albert Pike. Or, comme un jour il racontait à l’auteur d’Ariel ce qui vient d’être dit, celui-ci lui déclara que ce devait être là le signe de quelque grande chose et qu’il consulterait à ce sujet un de ses esprits familiers.

Le lendemain, Pike disait à Gallatin Mackey :

— Mon cher ami, vous êtes prédestiné. Vous possédez en vous l’âme de l’illustre et saint martyr Jacques Molay, et c’est elle qui vous anime ; cela ne fait pas l’ombre d’un doute pour moi…

C’est ainsi que Mackey crut dès lors à cette métempsychose.

Et Albert Pike ajouta :

— Le mot qui a paru incompréhensible à vos parents et que vous n’avez cessé de répéter, à l’âge d’un an, c’est-à-dire inconsciemment, dans la journée du 11 mars 1808, c’est « Murat »… À ce moment-là, sans le savoir, vous prophétisiez, ou, pour parler plus exactement, c’est le sublime martyr des rois et des prêtres qui s’exprimait par votre bouche enfantine… En effet, ce même jour-là, 11 mars 1808, bien loin de nous, de l’autre côté de l’Atlantique, le frère Joachim Muret, un des plus hauts chefs français de notre sainte franc-maçonnerie, Murat, que notre Dieu avait marqué pour être peu après l’instaurateur et le grand-maître du Rite Écossais à Naples, le frère Murat, dis-je, entrait alors en Espagne pour affranchir ce pays de la tyrannie sacerdotale… Oui, cher ami, vos lèvres d’enfant proclamaient cet événement, cet acte de salut ; car c’est cette année-là même qui a vu l’abolition de l’odieuse Inquisition dans la péninsule ibérique, son dernier refuge !… Quant à cette sorte de léthargie d’une heure, qui vous prend chaque année à cette même date du 11 mars et que votre science médicale n’a jamais pu parvenir à expliquer, l’esprit de lumière que j’ai consulté m’a répondu que nous en aurions ensemble l’explication, à Charleston, au prochain anniversaire du martyre, à la vengeance éternelle duquel nous nous sommes voués !…

Quel était ce nouveau mystère ?… Je le dirai plus loin ; car ne l’oublions pas, je me suis trouvé, moi aussi, à Charleston, un jour de 11 mars. Mais je ne dois pas anticiper ; pour le moment, il ne me faut pas sortir des limites d’une biographie.

Revenons à la liaison intime d’Albert Pike et de Gallatin Mackey.

Dès ce moment, le docteur, déjà bien disposé par ses premières études de l’occultisme, se lança à corps perdu dans le spiritisme luciférien. Il fonda, en 1849, le Southern and Western Masonic Miscellany, dont il fit les frais à lui seul pendant trois ans ; il considérait qu’il accomplissait une œuvre sainte ; il alimentait de toutes ses élucubrations cet organe réservé aux initiés.

Plus tard, sur le conseil de Pike, il rédigea une revue destinée à élargir le cercle de l’action maçonnique ; il s’agissait d’étendre la propagande jusque dans les milieux profanes. Ce fut la Quarterley Rewiew (revue trimestrielle), dont tous les articles étaient écrits avec un art vraiment surprenant. Il fallait ne pas compromettre les grands mystères par des indiscrétions maladroites, tout en s’exprimant assez clairement pour ceux qui savent lire entre les lignes. La belle époque de cette revue fut de 1858 à 1860.

À ce moment-là, Gallatin Mackey s’était tout à fait familiarisé avec les littératures anciennes et celles du moyen âge ; le symbolisme, la cabale, le Talmud et le Zohar n’avaient plus de secret pour lui.

Celui de ses livres qui avait attiré sur lui l’attention d’Albert Pike était le Lexicon of Freemasonry, publié pour la première fois à New-York, en 1845. Cet ouvrage fait autorité dans le monde des sectaires ; il est, aujourd’hui encore, aux États-Unis et en Angleterre, le vade-mecum de tout bon franc-maçon. Un autre ouvrage très important du docteur Mackey est celui qui porte pour titre The Mystic Tie (la chaîne mystique), datant de 1849, édité à Charleston.

J’ai dit plus haut qu’en janvier 1859 Gallatin Mackey se fit l’interprète de tous les grands électeurs du Suprême Conseil de Charleston en proposant l’élévation d’Albert Pike à la souveraine grande-maîtrise. Jusqu’à sa mort, le docteur fut le lieutenant, le second, l’alter ego du chef suprême, sous le titre de grand secrétaire du Suprême Conseil ; leurs deux âmes étaient étroitement unies. Pike, soit qu’il habitat Little-Rock, soit Memphis, soit Washington, dirigeait tout en dernier ressort ; mais il savait qu’il pouvait s’en rapporter entièrement à Mackey pour les diverses questions d’administration du rite et du Suprême Directoire.

Au surplus, ils avaient entre eux, pour toutes les communications urgentes et importantes, une médiation dont j’aurai à parler plus loin et qui sort complètement de l’ordre des choses naturelles. Ils ne disposaient entre eux de messagers sûrs, dévoués jusqu’à la mort, fanatiques jusqu’au crime, que pour le transport de documents de l’un à l’autre ; mais, pour tenir conversation à cent cinquante et deux cents lieues de distance, ils n’avaient nullement à recourir au téléphone. Et, de même, le chef suprême communique, quand il le veut, sans que sa voix ait à passer par aucun fil ou câble électrique, avec le Souverain Directoire Exécutif, à Rome, avec le Souverain Directoire Administratif, à Berlin, et avec les Grands Directoires Centraux de Washington, de Montevideo, de Naples et de Calcutta.

Du docteur Gallatin Mackey, il faut citer encore, en fait d’ouvrages maçonniques fort appréciés des sectaires : son History of Freemasonry in South Carolina (1861) ; le Manual of the Lodge (1862) ; le Masonic Ritualist (1867) ; le Symbolism of Freemasonry (1869) ; l’Encyclopædia of Freemasonry (1874), et le recueil Masonic Parliamentary Law (1875). L’avant-dernier ouvrage est le plus important de tous.

Ces quelques lignes qui précèdent étaient nécessaires, afin que le lecteur sût bien que le F∴ Gallatin Mackey a été aux États-Unis un auteur sacré dans la franc-maçonnerie, exactement comme le fut en France le F∴ Ragon. Ce n’était pas un simple secrétaire d’un comité ; il était réellement et effectivement le bras droit du chef suprême.

Aussi, quand il mourut, Albert Pike prit le deuil et le garda pendant onze mois lunaires.

Tous les journaux américains inféodés à la franc-maçonnerie ont décrit les honneurs funèbres que le général Pike fit rendre à son ami.

Le corps du docteur Mackey fut transporté de Fortress-Monroë à Washington, et, indépendamment de la cérémonie particulière qui eut lieu au temple maçonnique en présence des initiés seuls, une solennité publique fut ordonnée par le grand-maître suprême.

Il choisit pour cela un des temples protestants dont les ministres sont affiliés à la maçonnerie, l’église All-Souls. Le service funèbre fut célébré par le F∴ Shippen, pasteur, qui, son office fait, céda la place au général Albert Pike, comme s’il eût été son supérieur dans la hiérarchie sacerdotale : il l’était, en effet ; mais le public ne pouvait soupçonner dans quelle hiérarchie sacerdotale le révérend Shippen avait à s’incliner devant le grand vieillard à barbe blanche. Celui-ci monta dans la chaire et prononça le panégyrique du défunt, en ne faisant allusion, bien entendu, qu’aux faits de sa vie que le public avait à connaître.

Mais un homme comme Albert Pike ne pouvait s’en tenir à une manifestation ordinaire. Son discours terminé, il descendit de la chaire, vint au milieu de l’église, se plaça devant le catafalque où se trouvait le cercueil de Gallatin Mackey. On lui apporta une grande torche allumée, qu’il s’était fait préparer ; il la prit, et, l’agitant d’une façon mélodramatique, il s’écria sept fois d’une voix forte :

— Frère Gallatin Mackey, nous te pleurons ! nous te conjurons de reparaître !… Entends-tu notre appel ?

Puis, aucune voix n’étant sortie du cercueil, Albert Pike jeta sa torche par terre d’un air accablé, laissa tomber ses bras, et dit avec gravité et mélancolie :

— Hélas ! notre frère Gallatin Mackey ne répond pas à notre appel !…

Cette cérémonie inusitée, qui n’avait jamais eu lieu publiquement dans une église, impressionna vivement les assistants, et l’on en parla longtemps à Washington. Les curieux en trouveront le compte rendu très complet dans le National Republican, journal quotidien de Washington, numéro du 27 juin 1881.

Le rédacteur du compte rendu, qui est évidemment un affilié à la secte, écrit, entre autres choses, ceci : « Juste au moment où le général Pike lançait son appel au défunt, un rayon de soleil frappait le vitrail de l’ouest, traversait la nef, et, éclairant son visage vénérable, lui donnait l’aspect sévère et digne d’un saint des anciens jours ; l’illusion ne fit qu’augmenter, lorsque, d’une voix mélancolique, il constata tristement le silence du docteur Mackey. »


Cette digression sur Gallatin Mackey terminée, je reviens à Albert Pike au moment où nous l’avons laissé, s’établissant à Memphis, dans le Tennessee, en 1866, c’est-à-dire un an après la fin de la guerre de la Sécession.

Là, il exerça, comme dans l’Arkansas, sa profession d’avocat. L’année suivante, il entreprit, comme éditeur, la publication du Memphis Appeal. Puis, en 1868, il vendit ses droits d’éditeur et alla s’établir définitivement à Washington, où il plaida et donna des consultations jusqu’en 1880, époque exacte à laquelle il abandonna la pratique du droit.

C’est en 1866 que se place une curieuse entrevue, ayant marqué comme le point de départ des relations entre Albert Pike et les Walder.

Philéas Walder revenait alors d’une de ses missions faites en Europe pour le compte du mormonisme, et dont la première eut lieu en 1862. J’ai dit que l’ex-pasteur, dès la naissance de sa fille, la prit avec lui[3] ; l’enfant, pourvue d’une bonne nourrice allemande, fut emmenée par son père immédiatement à New-York, où Walder avait un ami dévoué, Jonathan Chambers, qui était en quelque sorte pour lui ce que Mackey était pour Pike. La seule différence est que Pike et Mackey avaient à peu près le même âge, tandis que Chambers, un des disciples de Walder, est bien plus jeune que l’ex-pasteur.

L’enfant fut élevée à New-York dans la famille Chambers, son père étant toujours par monts et par vaux. Mme  Zoé Chambers, aujourd’hui décédée, était une Française ; c’est par elle que la jeune Sophie apprit notre langue.

Or donc, en 1866, Philéas Walder était à New-York, revenant de France, où il avait eu de longs entretiens avec l’ex-abbé Constant, prêtre apostat, bien connu des occultistes sous le nom d’Eliphas Lévi. Il avait à se rendre d’abord à Philadelphie. De son côté, Albert Pike était de passage à New-York, allant pour affaires à Boston, sa ville natale. À cette époque, Pike cherchait à attirer Chambers sous la bannière de l’écossisme ; celui-ci, ainsi que Walder, appartenait alors au rite de Royale Arche, dans les hauts grades, cela va sans dire.

C’est en cette circonstance, chez sir Jonathan Chambers, que Pike et Walder firent connaissance, dans une réunion intime qui comprenait une vingtaine d’amis, tous francs-maçons s’occupant d’occultisme. Il y avait là huit ou neuf Français, de la colonie de New-York.

On était en octobre ; la petite Sophie avait trois ans passés.

Walder et Chambers, qui se livraient à diverses œuvres de magie, tant divinatoire qu’opératoire, aimaient, entre autres exercices, l’un des procédés de Cagliostro, la divination par les cartes blanches.

Voici comment on s’y prend :

Une personne de l’assemblée écrit la question qu’elle veut poser. Les lettres formant la phrase sont inscrites, une à une, sur des cartes blanches ; l’inscription faite, on brouille les cartes, et on remet l’ensemble au mage-devin, au médium. Celui-ci invoque un esprit et brouille de nouveau les cartes, à sept reprises. Si l’esprit n’est pas favorable ou si le devin chargé de donner la réponse n’est pas un bon médium, les cartes ont beau être battues ; elles ne donnent aucune phrase, lorsqu’on les reprend maintenant une à une. Si au contraire l’opération réussit, l’ordre dans lequel se trouvent les cartes brouillées fournit une phrase plus ou moins compréhensible, qui est la réponse désirée. À la fin de la phrase, il y a d’ordinaire un certain nombre de lettres qui ne forment aucun sens apparent. Ces lettres sont considérées comme les initiales d’une phrase en latin, que la perspicacité d’un médium présent doit constituer, séance tenante, et qui nécessairement doit confirmer la réponse en langage clair ; ces lettres restées à la fin sont appelées « lettres muettes ».

Une des règles, aussi, consiste à écrire avec tous les prénoms et les titres, dans la phrase de demande, les noms des personnes qui ont à figurer dans la question.

Au premier abord, il semble que c’est là purement et simplement un jeu de société, et que chacun pourrait s’y livrer sans inconvénient. Ou l’on n’obtiendra que des réponses incohérentes ; ou bien, pour avoir une réponse ayant le sens commun, elle proviendra d’une supercherie, d’un arrangement prémédité, d’un compérage. Même chez les médiums vraiment lucifériens, il y a toujours du charlatanisme mêlé aux prestiges ; les cas où le surnaturel est dégagé de toute jonglerie sont très rares. C’est ainsi que la coupable pratique dont je parle est formellement condamnée par le Saint-Siège, comme toutes les pratiques de Cagliostro, franc-maçon émérite, demi-charlatan et demi-sorcier.

Aussi, je ne me porte nullement garant de l’authenticité du fait que je vais rapporter ici. Y a-t-il eu supercherie ? ou les démons sollicités ce jour-là chez Chambers furent-ils réellement les auteurs des réponses ? Je n’ai pas à me prononcer ; je n’y étais pas. Je consigne uniquement, dans mon récit, ce que les Walder, le père et la fille, racontent à cette occasion ; ce sont eux qui disent que les choses se sont passées ainsi, et que ce n’est pas une anecdote fabriquée après coup. Bon nombre de palladistes américains répètent, d’après la parole d’honneur (!?!) de Chambers, que le fait est rigoureusement vrai. Encore une fois, moi, je n’atteste rien à ce sujet ; même, je ne relate ceci qu’avec une extrême méfiance.

Je prends donc cet incident, d’après la narration même que Chambers m’en a faite.

Walder affirmait, ce jour-là, à Pike que sa fille était un médium de premier ordre, qu’elle était imprégnée de surnaturel, et que, même inconsciemment, elle donnerait toutes les réponses qu’on voudrait, par la méthode de Cagliostro.

La réunion, piquée de curiosité, voulut procéder aussitôt à une expérience. C’était le soir. On prenait le thé. La fillette était depuis longtemps couchée. Mme  Chambers s’en fut la prendre dans son lit et l’apporta encore mal éveillée, habillée d’une façon très impromptu.

On s’occupait alors beaucoup des affaires du Mexique, où Maximilien régnait depuis deux ans, sous la protection de l’armée française qui avait repoussé jusqu’aux confins du pays l’ancien président Juarez.

Un des Français présents inscrivit sur des cartes blanches, à raison d’une lettre par carte, la question suivante :

« Ferdinand-Maximilien-Joseph, archiduc d’Autriche, sera-t-il heureux empereur du Mexique, jusqu’à la fin de sa vie, et laissera-t-il le trône à son fils ? »

Le fils manquait, il est vrai ; mais l’impératrice Charlotte, née en 1840, était dans tout l’éclat de la jeunesse et de l’espérance.

On réveilla tout à fait la petite Sophie, et Philéas Walder lui dit :

— Voyons, ma chérie, fais ta priére.

L’enfant récita une oraison diabolique qu’on lui avait apprise.

Alors, la petite Sophie brouilla les cartes par sept fois, en murmurant à chaque reprise, selon l’enseignement qui lui avait été donné :

Eistibus ! Nantur ! Phaldor !

Ce sont là les noms de trois démons, très en faveur auprès des occultistes. Eistibus est appelé, par eux, le génie de la divination ; Nantur, le génie de l’écriture ; Phaldor, le génie des oracles.

Les cartes ayant été suffisamment brouillées, Walder les prit des mains de l’enfant et les étala sur la table, dans l’ordre nouveau où elles se trouvaient. Le mélange des lettres de la question donnait la réponse que voici :

« Il accepte couronne ; fait malheureux. Le sang du Mexique lui sera dit funeste. Il périra, fusillé dans Queretaro, mais reviendra exhumé. »

Il restait huit lettres muettes, I, J, 1, H, D, H, J, D, que Philéas Walder, séance tenante, expliqua ainsi : « Insidiis Jactatus, Inermis, Homicidiâ Die, Hostium Jure Deletur », c’est-à-dire : « Roulant désarmé d’embûche en embûche, il est anéanti, en un jour homicide, par ses ennemis devenus ses juges. »

Une contre-épreuve fut demandée. Le frère François Maurel, ami de Pike et venu avec lui pour la première fois chez Chambers, prit un nouveau jeu de cartes blanches et y inscrivit, lettre par lettre, sa question :

« Marie-Charlotte-Amélie-Auguste-Victoire-Clémentine de Saxe Cobourg-Gotha, fille du roi des Belges, mariée à Ferdinand-Maximilien-Joseph, archiduc d’Autriche, empereur du Mexique, sera-t-elle heureuse sur le trône ? »

La petite Sophie brouilla sept fois ces cartes, comme elle avait fait pour les premières, et à sept reprises, elle dit :

Eistibus ! Nantur ! Phaldor !

L’ordre dans lequel elle rendit les cartes à son père, donna cette réponse :

« Livrée aux catastrophes, elle doit marcher d’orage en orage. Elle doit, avant Maximilien immolé sur le mur, revenir tôt du Mexique en Autriche. Malheureuse ! Si digne de pitié ! Accablée d’une folie de désespoir ! Le cœur brisé ! »

Il restait cinq lettres muettes, H, C, F, G, H, que Philéas Walder interpréta ainsi : « Heu ! Coronâ Fractâ, Gemens Hebescit », c’est-à-dire : « Hélas ! inclinée gémissante sur sa couronne brisée, sa raison s’obscurcit. »

Cinq mois après, les revers commençaient pour Maximilien, à la suite du retrait des troupes françaises (réembarquement de Bazaine et de son armée, le 12 mars 1867), et, le 19 juin de la même année, l’infortuné empereur du Mexique était jugé par les juaristes et fusillé à Queretaro, tandis que l’impératrice Charlotte, qui avait regagné l’Autriche avant le drame, devenait folle pour le restant de ses jours.

Je le répète, il ne faut pas exagérer la portée de cette historiette, qui probablement a été inventée en 1868, ou bien plus tard, encore, par les Walder et leurs amis ; leur intérêt a été de l’accréditer, pour faire croire que Sophia avait émerveillé Albert Pike dès l’âge de trois ans. Mais, que cet incident soit vrai ou imaginaire, ce qui est certain, c’est que l’ex-pasteur et le souverain grand-maître du Suprême Conseil de Charleston ont fait connaissance chez Jonathan Chambers, en octobre 1866, à New-York. Toutefois, Albert Pike ne réussit pas, à cette époque, à les amener à l’écossisme. À cette époque, d’autre part, le palladisme ou Rite Palladique Réformé Nouveau n’était pas encore fondé. Walder était tout à sa propagande du mormonisme ; ce n’est qu’en 1873 qu’il abandonna le Rite de Royale-Arche et vint joindre ses efforts à ceux d’Albert Pike.


Dans l’ordre des faits graves, bien autrement graves que les exercices de divination par les cartes blanches, il y a lieu de citer les circonstances qui ont accompagné la fondation du Rite Palladique. Tous les détails qui y sont relatifs seront fournis dans la partie de cet ouvrage, consacrée à la Théurgie elle-même. Pour l’instant, je me contente de donner la date de cette fondation : le 20 septembre 1870. La haute maçonnerie s’est donc définitivement constituée avec un chef dogmatique, un suprême grand directeur, un souverain pontife luciférien, le jour même où l’usurpateur piémontais s’emparait de Rome et proclamait l’abolition du pouvoir temporel des Papes. Et, lorsque le moment sera venu de retracer complètement ce qui se passa ce jour-là à Charleston, le lecteur verra qu’il n’y a pas eu la une simple coïncidence ; il y a eu plus qu’un plan prémédité, il y a en intervention directe de Satan de la façon la plus certaine, et ce que j’aurai à dire là-dessus confirmera pleinement le récit fait à Cresponi par le docteur Timoteo Riboli au sujet de l’apparition du roi des enfers à Milan, au mois de juillet, précédant ce double événement : à Rome, suppression du pouvoir temporel des Papes ; à Charleston, création d’une papauté maçonnique, nomination d’un souverain pontife luciférien.

Le Palladisme a été fondé et est mis en œuvre pour préparer le règne de l’Ante-Christ ; voilà la vérité qu’il faut que tout le monde sache, voilà ce qu’il était temps de dire bien haut.

Il ne faudrait pas confondre, cependant, le Palladisme lui-même, qui est le spiritisme luciférien maçonnique, avec tous les rouages qui constituent le fonctionnement de la haute maçonnerie. Le Palladisme est le culte de Satan dans les arrière-loges d’un rite spécial superposé à tous les rites ; c’est un culte, une religion. La haute maçonnerie est une administration suprême, comportant une organisation développée au-delà même du Palladisme : certes, les chefs secrets se concertent et acceptent une direction supérieure unique, afin que les coups portent mieux ; mais il est, parmi les chefs les mieux obéis, des hommes qui ne sont pas lucifériens. De ce nombre est le F∴ Findel, qui joue un rôle très important en Allemagne et en Europe, qui est soumis à Charleston pour le bien commun de la cause, mais qui n’est pas, à proprement parler, un palladiste dans le vrai sens du mot. Il sait tout, et il cachera aux profanes les choses mêmes qu’il n’approuve pas. Fidèle à la discipline, il suit une marche parallèle vers le but poursuivi par tous les sectaires : l’anéantissement de la religion catholique romaine. Au surplus, je consacrerai quelques pages au F∴ Findel, qui est, dans la maçonnerie, une personnalité vraiment à part.

Dans les Inspecteurs Généraux en mission permanente, qui correspondent directement avec Charleston, il en est un certain nombre, ainsi que parmi les Inspectrices Générales, dont le pouvoir central se sert, sans qu’ils soient (ou qu’elles soient) pour cela affiliés au Palladium. Ce sont des adeptes, pourvus de hauts grades dans la maçonnerie ordinaire, ayant droit d’entrée dans toutes les loges et arrière-loges, sauf dans les triangles palladiques ; leurs bons offices sont appréciés, parce qu’ils sont toujours en mesure de fournir des renseignements intéressants. Seulement, les recruteurs de la Ré-Théurgie Optimate, ayant constaté que leur esprit n’est pas porté vers le luciférianisme, mais plutôt vers l’athéisme ou la libre-pensée sceptique, ne contrecarrent pas leurs idées sur ce point, ne cherchent pas à les attirer aux derniers mystères de la philosophie gnostique, et les utilisent dans leur sphère d’action, afin de ne se priver d’aucun de ces auxiliaires précieux.

Par contre, on compte, — mais à titre tout à fait exceptionnel, — quelques palladistes recrutés en dehors de la franc-maçonnerie ordinaire. C’est à ceux-ci que Carbuccia faisait allusion, lorsqu’il me disait : « Les Ré-Théurgistes Optimates appartiennent presque tous à la franc-maçonnerie ». Cette catégorie fort restreinte comporte des spirites, qui, par le commerce des esprits fréquemment évoqués, en sont venus d’eux-mêmes à ne plus se faire illusion sur le caractère diabolique des phénomènes surnaturels dont ils sont les témoins, et qui, en proie à une perversion totale des idées, s’endurcissent dans leurs coupables pratiques et deviennent peu à peu lucifériens, au lieu de se convertir. Le Palladisme se les attache donc, eux aussi, quand il les rencontre ; et ceux-ci, comme on pense bien, n’ont pas besoin d’être envoyés dans les loges, puisque leur éducation satanique se trouve avoir été toute faite en dehors de l’engrenage de la maçonnerie.

En fondant le Rite Palladique Réformé Nouveau, le général Pike n’a pas créé l’occultisme maçonnique ; il existait avant le 20 septembre 1870 ; l’histoire tout entière de la secte le prouve, depuis Anderson et Désaguliers, qui l’instituèrent à Londres en 1717, jusqu’à Ragon, mort en 1862. Weishaupt, Swedenborg, Lessing, Frédéric Il de Prusse, Mesmer, Pernety, Cagliostro, Martinez Pasqualis et son disciple Saint-Martin, Francia (le dictateur du Paraguay), lord Palmerston, le général Contreras, Mazzini, et tant d’autres francs-maçons de marque se livraient aux pratiques occultistes, travaillaient au grand-œuvre de la cabale. Mais les arrière-loges opéraient isolément, sans organisation commune, sans autre direction que celle des rituels de théurgie de Swedenborg, de Saint-Martin, de Laffon-Landébat, du vicomte de La Jonquiére, etc. ; en un mot, les maçons initiés à l’hermétisme, sans suivre aucune loi générale, dispersés en diverses écoles, n’étaient pas groupés ni organisés au point de vue international. Ce groupement, c’est Albert Pike qui en a été le créateur. Voilà son œuvre, à moins que ce ne soit, comme il est permis de le croire, l’œuvre de Satan en personne, jugeant le moment venu de mettre lui-même la main à la pâte.

Et tandis que Pike posait les bases du Palladisme à Charleston, Mazzini, d’accord avec lui, organisait à Rome, où il accourut au lendemain de l’entrée des troupes piémontaises, la centralisation de l’action politique. Le premier reconnut le second comme Chef d’Action politique, et ainsi fut institué le Souverain Directoire Exécutif, ayant son siège dans la Ville-Éternelle, en face du Vatican. Le second reconnut le luciférien américain comme Souverain Pontife de la Maçonnerie Universelle, et ainsi fut institué le Suprême Directoire Dogmatique, ayant son siège à Charleston, où se trouvait en dépôt le Palladium des Templiers.

Deux ans après, fut instituée à Berlin, sous le nom de Souverain Directoire Administratif, une troisième centralisation, celle-ci impersonnelle, fonctionnant au moyen d’un comité constamment renouvelé. Les membres de ce Directoire sont au nombre de sept, pris à tour de rôle dans les Suprêmes Conseils, Grands Campements, Grands Orients et Grandes Loges des divers pays, et agissent en vertu de leur mandat pendant trois mois seulement[4]. Le fonctionnement a lieu par un roulement établi d’une façon ingénieuse : chacun des rites existant sur le globe sauf pourtant le Rite Palladique, envoie, à tour de rôle, à Berlin, deux de ses membres des degrés supérieurs, pris tantôt dans un pays, tantôt dans un autre, mais toujours pris dans un pays autre que l’Allemagne, et cela de mois en mois pour renouveler sans cesse le comité ; par contre, l’Allemagne n’a droit qu’à un membre dans le Directoire de Berlin ; mais, en tant que pays, elle ne subit pas de tour de rôle, et son représentant ne varie que d’après les rites.

Je citerai, comme exemple, le roulement de l’année 1892 :


Janvier. — Deux représentants du Suprême Conseil de Hongrie ; deux représentants du Suprême Conseil du Brésil ; deux représentants de la Grande Loge de l’Australie du Sud ; un représentant de la Grande Loge royale l’Amitié de Prusse.

Février. — Deux représentants du Suprême Conseil du Brésil ; deux représentants de la Grande Loge de l’Australie du Sud ; deux représentants du Suprême Conseil du Canada ; un représentant de la Grande Loge royale l’Amitié de Prusse.

Mars. — Deux représentants de la Grande Loge de l’Australie du Sud ; deux représentants du Suprême Conseil du Canada ; deux représentants du Grand Orient national d’Espagne ; un représentant de la Grande Loge le Soleil de Bavière.

Avril. — Deux représentants du Suprême Conseil du Canada ; deux représentants du Grand Orient national d’Espagne ; deux représentants du Grand Campement templier de l’Indo-Chine anglaise (Singapore) ; un représentant de la Grande Loge le Soleil de Bavière.

Mai. — Deux représentants du Grand Orient national d’Espagne ; deux représentants du Grand Campement templier de l’Indo-Chine anglaise (Singapore) ; deux représentants du Suprême Conseil de la République Argentine ; un représentant de la Grande Loge le Soleil de Bavière.

Juin. — Deux représentants du Grand Campement templier de l’Indo-Chine anglaise (Singapore) ; deux représentants du Suprême Conseil de la République Argentine ; deux représentants du Suprême Conseil de France ; un représentant de la Grande Loge nationale de Saxe.

Juillet. — Deux représentants du Suprême Conseil de la République Argentine ; deux représentants du Suprême Conseil de France ; deux représentants de la Grande Loge de l’Illinois (Chicago) ; un représentant de la Grande Loge nationale de Saxe.

Août. — Deux représentants du Suprême Conseil de France ; deux représentants de la Grande Loge de l’Illinois (Chicago) ; deux représentants du Grand Orient national d’Haïti ; un représentant de la Grande Loge nationale de Saxe.

Septembre. — Deux représentants de la Grande Loge de l’Illinois (Chicago) ; deux représentants du Grand Orient national d’Haïti ; deux représentants du Suprême Conseil d’Angleterre ; un représentant de la Grande Loge aux Trois Globes de Prusse.

Octobre. — Deux représentants du Grand Orient national d’Haïti ; deux représentants du Suprême Conseil d’Angleterre ; deux représentants de la Grande Loge de la Nouvelle-Galles du Sud (Sydney) ; un représentant de la Grande Loge aux Trois Globes de Prusse.

Novembre. — Deux représentants du Suprême Conseil d’Angleterre ; deux représentants de la Grande Loge de la Nouvelle-Galles du Sud (Sydney) ; deux représentants du Suprême Conseil du Mexique ; un représentant de la Grande Loge aux Trois Globes de Prusse.

Décembre. — Deux représentants de la Grande Loge de la Nouvelle-Galles du Sud (Sydney) ; deux représentants du Suprême Conseil du Mexique ; deux représentants du Suprême Conseil d’Italie ; un représentant de la Grande Loge l’Union Éclectique (Francfort-sur-le-Main).


Par ce roulement, à l’exception du Palladium Réforme Nouveau, tous les rites, et chacun avec son pouvoir central de chaque pays, passent au Souverain Directoire Administratif et ont constamment l’œil ouvert sur la situation générale de l’association internationale et universelle. Tout est ainsi réglé d’un commun accord ; l’entente est absolue entre les diverses puissances maçonniques.

En outre, deux délégués spéciaux sont attachés, d’une façon permanente, au Directoire de Berlin : l’un, délégué aux finances ; l’autre, à la propagande. Il n’est pas nécessaire qu’ils résident à Berlin ; il suffit qu’ils habitent l’Allemagne et soient dans une position assez indépendante pour pouvoir se rendre immédiatement au siège du Directoire, chaque fois que cela est nécessaire.

En effet, le délégué à la propagande est chargé, non pas d’imprimer et de faire distribuer des brochures ou des journaux maçonniques, comme on pourrait le croire d’après son titre. Son rôle est celui d’un rapporteur, investi de la confiance du Suprême Chef Dogmatique, de Charleston, et du Chef d’Action politique, de Rome. Comme tel, il reçoit mensuellement, par un émissaire secret de Berlin, le dossier de toutes les propositions qui ont été formulées au Souverain Directoire Administratif relativement aux moyens jugés utiles pour propager les principes de l’association soit d’une manière générale dans le monde entier, soit d’une façon plus spéciale dans tel ou tel pays.

Ces propositions d’abord discutées, par exemple, au mois de janvier, il les examine, il coordonne les avis divers qui ont été émis, et du tout il dresse, dans le courant de février, un rapport, sur lequel votent, au mois de mars, les sept membres du Directoire qui se trouvent à ce moment-là en fonctions à Berlin. Sur ces sept membres, grâce au système de roulement expliqué ci-dessus, il y en a toujours au moins deux qui faisaient partie du Directoire lors du dépôt des propositions et qui peuvent fournir aux nouveaux venus des explications complémentaires, en cas de besoin.

Les propositions ne peuvent passer au dossier du délégué-rapporteur, institué par les chefs suprêmes de Charleston et de Rome, que si elles ont obtenu un vote favorable de cinq voix sur sept, et elles ne sont adoptées définitivement, au deuxième mois qui suit, que si elles réunissent l’unanimité des suffrages.

Ce n’est pas tout : si, lors du premier vote de la mise au dossier du délégué-rapporteur, il y a, sur une proposition, deux opposants, ou même un seul opposant, le rapporteur, dans son mois d’examen, en réfère au Chef d’Action politique, à Rome ; si celui-ci désapprouve la proposition, c’est-à-dire s’il joint son opposition à celle de la minorité, le dépôt du rapport est ajourné, et le Suprême Chef Dogmatique est aussitôt saisi de la question ; dans ce cas, soit qu’il approuve, soit qu’il désapprouve, c’est son opinion qui prévaut.

En d’autres termes, une proposition qui rencontre quelque peu d’opposition au Directoire de Berlin, et qui n’est pas approuvée ensuite par le chef de Rome, est tranchée souverainement par le chef de Charleston ; la franc-maçonnerie tout entière n’a plus qu’à s’incliner.

Quant au délégué aux finances, c’est aussi un examinateur et un rapporteur. Il n’a pas de mouvement de caisse ; il ne s’agit nullement d’une centralisation de fonds entre ses mains. Son rôle consiste, avec l’aide de frères comptables sous ses ordres, à dresser les bilans généraux de l’ordre, comme le ferait un expert assermenté.

L’argent lui-même, il ne le manie pas, puisque chaque pouvoir maçonnique de n’importe quel rite dispose de ses recettes comme il l’entend, cela dans chaque pays, sauf les prélèvements convenus au profit de la direction suprême qui doit les employer uniquement pour les affaires d’intérêt universel ; mais ce délégué, nommé d’un commun accord par les deux chefs de Rome et de Charleston, passe en revue tous les chiffres, dresse les tableaux qui les résument, rite par rite et pays par pays, et enfin rédige un rapport en triple exemplaire : un pour le Souverain Directoire Administratif, un pour le Souverain Directoire Exécutif, un pour le Suprême Directoire Dogmatique.

Dans ce rapport, il fait ses observations d’homme compétent pour signaler les améliorations à apporter, s’il y a lieu, dans la gestion des finances de tel ou tel pouvoir maçonnique, de tel rite et de tel pays ; il donne des conseils pour un meilleur emploi des fonds, quand il lui paraît qu’on a eu tort d’exagérer telles ou telles dépenses, ou qu’on a négligé tel ou tel mode de recettes. Il est donc surtout un expert apportant ses conseils aux divers pouvoirs de chaque rite et présentant en même temps aux chefs suprêmes l’état annuel de la situation générale.

Par commodité, le délégué aux finances a toujours été choisi parmi les frères haut-gradés habitant Berlin ; mais, aux termes du décret d’Albert Pike instituant le Souverain Directoire Administratif, cette condition de domicile dans la capitale prussienne n’est pas indispensable.

En ce qui concerne les membres dudit Directoire, délégués par chaque pouvoir maçonnique à tour de rôle, ils sont désignés au moins cent-vingt jours à l’avance, et ainsi ils prennent leurs mesures afin de simuler, au moment voulu, un voyage d’agrément ou un congé quelconque, quand ils vont en réalité s’occuper des hautes affaires de l’association.

J’ai dit, — et le lecteur l’aura certainement remarqué, — que le Rite Palladique n’a pas son tour dans le roulement par lequel est établi le fonctionnement du Souverain Directoire Administratif ; et c’est bien là ce qui prouve, une fois de plus, que le Palladisme est superposé à tous les autres rites. Il est la religion luciférienne ; en fait d’administration, il n’a à s’occuper que de celle de ses triangles, qui ont un budget à part. Il est la véritable puissance cachée, que seuls les parfaits initiés, les vrais élus doivent connaître ; il n’a donc pas à se dévoiler même dans ce comité permanent qui est la plus haute expression de la puissance administrative de la grande association internationale. Il ne faut pas perdre de vue que, dans le nombre des puissances maçonniques de plusieurs pays, se trouvent des Grandes Loges Symboliques, c’est-à-dire des fédérations d’ateliers où l’on ne dépasse pas le grade de Maître (3e degré) ; ces Grandes Loges-là, comme les autres, ont le droit d’envoyer, de temps en temps, leurs deux délégués à Berlin ; or, ces fédérations, ayant supprimé les hauts grades pour leurs adeptes, doivent forcément être tenues dans l’ignorance la plus complète de l’existence du Palladisme ; les chefs suprêmes de Charleston et de Rome leur sont représentés tout uniment comme des frères très zélés et très actifs, que l’on se fait un devoir de consulter à raison de leur expérience personnelle, mais voilà tout.

Enfin, les Palladistes n’ont pas besoin d’être officiellement à Berlin, dans le Souverain Directoire Administratif, puisqu’ils savent ce qui s’y passe aussi bien et même mieux que les adeptes de la maçonnerie ordinaire : la plupart des membres de Suprêmes Conseils, Grands Campements, Grands Orients, sont des leurs ; en outre, toute proposition ou délibération quelque peu importante est communiquée à Charleston et à Rome, ce qui revient à dire aux chefs du Palladium.


Par cette organisation, due à son initiative, Albert Pike était arrivé à tenir toute la franc-maçonnerie dans sa main ; les dissidents, qui échappèrent à son action directe, étaient en nombre infiniment restreint, et encore réussissait-il à les gouverner indirectement et à leur insu par l’intermédiaire de certains de leurs chefs de groupe, avec qui il se tenait en correspondance d’une façon régulière.

Dès l’instant qu’un frère ou une sœur lui était signalé comme exerçant une prépondérance quelconque dans les ateliers de n’importe quel rite, il savait se l’attacher, même sans l’enrôler sous la bannière palladique, si l’adepte n’avait pas des tendances lucifériennes. J’ai cité tout à l’heure le F∴ Findel, qu’il eut pour collaborateur dévoué, bien que celui-ci ne partageait pas sa manière de voir au point de vue de la divinité : Findel est un de ces rêveurs pour qui l’Être Suprême est indéfinissable et vague, à la fois rien et tout ; mais Findel est un érudit, un piocheur infatigable, un remueur d’hommes, un ennemi acharné du catholicisme, et une notable fraction de la maçonnerie allemande gravite autour de lui. C’est pourquoi Pike n’a eu garde de négliger un tel auxiliaire, et c’est ainsi que Findel est le délégué à la propagande, depuis la création du Souverain Directoire Administratif.

Un autre maçon éminent, mais non luciférien, avec qui Albert Pike sut se tenir dans les meilleurs termes, toujours à raison des services qu’il en attendait, ce fut Alberto Mario, de Rome. Celui-ci, athée déclaré, était le principal chef des socialistes italiens ; très actif, lui aussi, il avait la faveur des foules. Mais il n’était pas homme à se courber sous l’autorité de Lemmi, qu’au fond il méprisait. Pike réussit à s’attacher directement Alberto Mario, qui devint ainsi un simple pantin dont il faisait jouer les ficelles ; car Mario, laissant toute question de dogme de côté, n’entreprenait rien d’important sans consulter le grand vieillard de Charleston.

Au-dessous des deux Souverains Directoires (l’Exécutif, à Rome, et l’Administratif, à Berlin), viennent les Grands Directoires Centraux afférents aux diverses parties du monde. Il y en a un pour l’Amérique du Nord, un pour l’Amérique du Sud, un pour l’Europe, et un pour l’Asie et l’Océanie ; il y a aussi un Sous-Directoire Central pour l’Afrique.

Ces Directoires ont un fonctionnement des plus simples ; ce sont des bureaux enregistreurs. Ils ont à leur tête des frères des hauts grades, investis de la confiance des chefs suprêmes de l’ordre, et ils centralisant tout ce qui émane des Suprêmes Conseils, Grands Campements, Grands Orients et Grandes Loges de leur ressort. Ils ne dépendent pas du Souverain Directoire Administratif de Berlin, comme beaucoup l’ont cru et le croient encore, mais bien, au contraire, du Chef d’Action politique, de Rome, et du Suprême Chef Dogmatique, de Charleston. Ils transmettent à ceux-ci tous les renseignements de nature à les intéresser. Il est vrai que les membres intermittents du Directoire Administratif de Berlin peuvent les consulter à l’occasion, quand il s’agit de se prononcer sur un cas plus ou moins douteux qui leur est soumis. C’est donc par ces Directoires Centraux que les deux grands chefs sont tenus au courant de tout ; ce qui n’empêche pas les Suprêmes Conseils, Grands Orients, etc., de s’adresser directement à Rome et à Charleston, quand ils le désirent.

D’autre part, de même que tout afflue aux Grands Directoires Centraux, de même tout en reflue, toute mesure générale importante passe par leur intermédiaire. Il suffit au Suprême Chef Dogmatique d’envoyer cinq émissaires à Washington, à Montevideo, à Naples, à Calcutta et à Port-Louis, pour mettre en mouvement la franc-maçonnerie du monde entier, en vue de tel ou tel résultat à obtenir. Le Chef d’Action politique peut, lui aussi, se servir de l’intermédiaire des Grands Directoires Centraux pour donner un mot d’ordre ; mais auparavant il doit en référer à Charleston et avoir l’assentiment du Suprême Chef Dogmatique.

Enfin, les Grands Directoires Centraux possèdent, cela est aisé à comprendre, des archives de premier ordre. Ici éclate encore la prédominance du Rite Palladique Réformé Nouveau : tout maçon qui possède l’affiliation à ce rite a droit à la communication de tous les documents, statistiques, rituels, etc., des autres rites ; au contraire, le grand-maître d’une Grande Loge, non affilié au Palladium, ne reçoit communication que de ce qui concerne son rite dans les divers pays, et de ce qui a trait aux autres rites il n’a rien à connaître.

Il faut comprendre encore dans l’organisation de la haute maçonnerie, ou, pour mieux dire, parmi ses rouages, diverses associations particulières dont les membres appartiennent à des rites quelconques. Tels sont la Masonic Veteran Association, le Lessingbund, l’ordre des Chevaliers du Temple, l’ordre des Chevaliers Défenseurs de la Maçonnerie Universelle. Le rite oriental de Memphis et Misraïm mérite aussi une mention à part : si ses loges sont peu nombreuses, considérées par pays, leur ensemble n’en a pas moins une certaine importance ; mais ce qu’il y a lieu de noter, c’est que ce rite est tenu en haute estime à Charleston, attendu qu’il pratique un grand nombre de grades cabalistiques ; un initié de Memphis et Misraïm a quatre-vingt-dix-neuf chances sur cent d’être appelé au Palladisme par les hiérarques recruteurs.

Quant aux Old-Fellows, ils se livrent à toutes les œuvres de théurgie, ainsi que les frères de la San-ho-hoeï ; ils fonctionnent séparément, les uns au Canada, les autres en Chine, et sont en correspondance régulière avec le Suprême Directoire Dogmatique. La San-ho-hoeï seule traite avec Charleston sur le pied d’égalité.

Ce n’est pas tout encore. L’activité prodigieuse d’Albert Pike a constitué des Inspecteurs Généraux et des Inspectrices Générales en mission permanente, agissant isolément et qui correspondent directement avec le pouvoir suprême central. Là aussi, il n’y a pas exclusivement que des lucifériens. La tactique d’Albert Pike consistait à écarter autant que possible de la direction des loges et arrières-loges les athées, les libres-penseurs sceptiques et les spiritualistes à idées vagues ; mais, quand un de ces athées et autres maçons non lucifériens parvenait, par son habileté personnelle, à se créer une influence maçonnique réelle, le grand-maître de Charleston, loin de le dédaigner, réussissait toujours à se l’attacher, sous prétexte de marche parallèle à suivre vers le but commun. Aussi, ne faudra-t-il pas s’étonner de trouver, dans la liste des Inspecteurs Généraux et Inspectrices Générales que je donnerai plus loin, des noms de personnes qui n’appartiennent pas au Palladium Réformé Nouveau. Les palladistes, je les montre spécialement, au cours de cet ouvrage, au fur et à mesure que j’ai à m’occuper d’eux personnellement. Ma liste ne sera donc pas une liste particulière de lucifériens ; il importe que ceci soit bien compris : je la publierai uniquement pour montrer de la façon la plus claire tous les rouages de la haute maçonnerie en ces temps-ci.


Maintenant, après avoir fait connaître Albert Pike dans son œuvre d’organisation générale, il me faut le présenter au lecteur comme chef du Suprême Conseil du Rite Écossais pour la juridiction sud des États-Unis ; car c’est là ce qui confond l’imagination, on se demande comment cet homme pouvait avoir la tête aux questions secondaires, même aux questions de détail, tandis qu’une vie ordinaire suffirait à peine à la direction universelle de la secte. Certes, il n’est qu’une façon de s’expliquer cette chose prodigieuse : c’est que le Suprême Directoire Dogmatique n’est pas une œuvre humaine, mais un simple instrument agissant sous l’inspiration directe du démon.

Albert Pike menait de front les affaires de la maçonnerie universelle, grâce à la coopération zélée des palladistes et aux dévouements qu’il rencontrait même en dehors de ceux-ci, et les affaires particulières du Rite Écossais. Ceci va être prouvé par une relation authentique.

Le 20 octobre 1884, Albert Pike, parlant comme grand-maître du Rite Écossais pour la juridiction sud des États-Unis, rendait compte, aux membres du Suprême Conseil de Charleston, de ses dernières pérégrinations à travers l’immense territoire de la république. N’oublions pas que l’homme était alors un vieillard de soixante-quinze ans, et voyons le chemin qu’il a parcouru et ce qu’il a fait au cours de cette tournée générale.

Voici en quels termes il s’exprime :

« — Je vous dirai, d’abord, mes très illustres frères, un mot d’un petit voyage préliminaire de l’automne 1882. Je partis seul de chez moi vers la fin d’octobre, le 30, pour retourner à Washington le 29 décembre. Dans ces deux mois, j’ai visité tour à tour Charleston, Savannah, Augusta, Athènes, Atlanta, Macon, Montgomery, Saint-Louis et Louisville.

« L’hiver passé à Washington, je repartis au printemps, c’est-à-dire le 1er  avril 1883. Cette fois, notre cher trésorier général, l’excellent frère Webber, voulut bien m’accompagner. Notre absence devant être assez prolongée, nous nous en remettions de grand cœur à nos très illustres frères maçons émérites, membres de notre Sérénissime Grand Collège, qui étaient certes capables et dignes de nous suppléer. Nous emportions, au surplus, l’Arcula Mystica, afin d’être en mesure de correspondre toujours à notre volonté avec notre lieutenant grand commandeur, avec notre grand secrétaire et avec les Directoires.

« Nous visitâmes Richmond, Chattanoga ; nous revîmes notre chère Memphis ; de là, nous descendîmes à Jackson, puis à la Nouvelle-Orléans, où nous nous procurâmes quelque repos. Partout, nous visitions nos frères. Nous primes ensuite le chemin de fer du Pacifique, et, après une courte station à Franklin, nous pénétrâmes dans le Texas. Dans cet état, je fondai un atelier de perfection[5] à El-Paso. Nous traversâmes, sans nous arrêter, le Nouveau-Mexique. Dans l’Arizona, je fondai un autre atelier de perfection à Tuckson.

« Alors, nous arrivâmes en Californie. Le frère Webber m’accompagna encore de San-Francisco à San-José et m’assista dans les travaux que j’eus à accomplir. À San-José, nous nous séparâmes, et j’eus avec moi le frère Caswell, très dévoué, jusqu’à Suisun. Mon intention était de voir en sa compagnie divers autres centres californiens ; mais il avait contracté divers engagements auxquels il ne pouvait se soustraire. Force lui fut de se séparer de moi à son tour. Néanmoins, avec le gracieux et zélé concours du frère Lawson, je fis plusieurs excursions dans la région d’Oakland. Là, je trouvai grand nombre de profanes ardents à recevoir la lumière. Je leur conférai les grades symboliques, et je leur donnai des constitutions. Il y eut un grand enthousiasme. La semence a été jetée en un excellent terrain ; car, après les délais obligatoires, ces nouveaux frères ont vu leurs loges servir de noyau à des chapitres, puis à des conseils de Kadosch, et le Grand Consistoire de Californie m’a vivement remercié d’avoir provoqué tant d’adhésions. Aujourd’hui, ces corps maçonniques sont admirablement organisés sur tous les points et aussi florissants que les autres corps placés sous l’obédience de notre Suprême Conseil.

« J’oubliais de dire que, secondé à merveille par les frères Caswell et Lawson, j’avais pu conférer également les premiers grades à de très nombreux Allemands de San-Francisco ; et, comme conséquence, j’organisai un atelier de perfection travaillant dans l’idiome germanique. Ces excellents frères acceptèrent tous mes conseils ; je constituai leurs cadres hiérarchiques, à leur grande satisfaction.

« Par contre, dans le reste de la Californie, le zèle pour notre rite laisse fort à désirer. Autrefois, nous avions des ateliers de perfection à Stockton, à Sacramento et à Marysville ; nos frères se piquaient mutuellement d’amour-propre pour parvenir aux derniers mystères. Malheureusement, ces villes sont d’une population flottante, et, en outre, la mortalité y sévit beaucoup. Il en est résulté que, par suite des changements de résidence et des décès, grand nombre d’ateliers se sont mis en sommeil. Ce fut le cas, notamment, des loges de perfection Petama et Eureka, en qui nous avions fondé de grandes espérances.

« Le frère Lawson, après que j’eus traversé la Californie dans toute sa longueur, me quitta, et je poursuivis seul ma route, entrant dans l’Orégon, où j’ai eu la joie de constater la pleine activité des loges de Portland. Oui, très illustres frères, j’ai éprouvé à Portland de bien douces satisfactions. Je reçus en cette ville un important message du Grand Campement des îles Sandwich ; en outre, je fus émerveillé de la grâce et de la fine intelligence de nos sœurs écossaises de perfection, qui n’ont pas moins de cinq bosquets à Portland, tous assidûment fréquentés par des frères appartenant à la meilleure société.

« Une autre agréable surprise m’attendait : un heureux hasard me faisait me trouver dans cette ville, au moment où notre cher et illustre frère Chambers y arrivait, débarquant du paquebot qui le ramenait de Chine. J’appris ainsi que ce frère, qui s’est toujours acquitté avec un tact parfait de toutes les missions à lui confiées, avait vu, selon nos instructions, à Pékin même, le très illustre, très puissant et très sage frère Chua-kim-phan, souverain grand-maître de l’ordre de la San-ho-hoeï. Le frère Chambers a été ainsi à même de se rendre compte des mesures prises pour entraver la propagande romaine dans ce pays privilégié, qui fut toujours l’objet des faveurs de notre Dieu. Des mesures sérieuses et efficaces ont été prises, sur les instances du frère Chua-kim-phan, et le gouvernement, à qui nos vigilants frères de la San-ho-hoeï ont ouvert une fois de plus les yeux, ne négligera rien désormais pour empêcher de s’accroître cette propagande maudite. À ce propos, nous recommandons à ceux de nos frères qui auraient à se rendre à Pékin, l’hôtel Vradsi, tenu par un de nos frères.

« Mais, ce que vous apprendrez avec la plus légitime allégresse, c’est que, grâce à l’influence du frère Chua-kim-phan, notre cher frère Chambers a été reçu, exception des plus rares, au palais de l’empereur et a eu une audience de S. M. Kouang-Su, dont il a rapporté une excellente impression. Le jeune empereur, qui a treize ans à peine, est d’une intelligence des plus remarquables et d’une vive sagacité ; il s’est intéressé aux paroles que le frère Chambers lui a adressées, lui faisant l’éloge de nos rites et de l’œuvre de progrès que nous poursuivons ; le frère Chambers, toujours bien avisé, comme vous savez, lui a offert alors les insignes de notre 33e degré, dont il avait au soin de se munir, et S. M. Kouang-Su a daigné les accepter. Nous pouvons donc compter sur la protection du gouvernement céleste. Je proclame aussi, très illustres frères, que notre cher frère Chambers a bien mérité de la franc-maçonnerie. »

Albert Pike s’interrompit, et une septuple salve d’applaudissements célébra les mérites de Jonathan Chambers.

Puis, le grand-maitre reprit :

« — Le cher frère Chambers, qui avait à se rendre dans l’Utah, prit congé de moi à Portland. Moi, je continuai à remonter vers le nord. Je visitai Olympia, Seatle, Port-Townsend et Port-Gamble, ainsi que plusieurs autres villes du territoire de Washington. Après quoi, je parcourus la région comprise entre Portland et Helena, dans le Montana, parmi les splendides vallées de la Chaîne de la Cascade. Partout, je trouvai nos vaillants pionniers de la rénovation morale, heureux de me voir, fêté par tous ces braves gens dont je réchauffai le zèle et à qui je prodiguai les encouragements. Ah ! très illustres frères, elles sont grandes, les consolations que l’on reçoit lorsqu’on est guidé par l’amour du bien ! C’est par des voyages de ce genre qu’un grand-maître donne le souffle vital aux corps maçonniques qui ne demandent qu’à bien fonctionner, et si tous les officiers des divers Suprêmes Conseils imitaient cet exemple que j’ai tenu à leur donner en un temps où mes jours sont comptés, où j’approche de la tombe, si les jeunes comprenaient qu’il faut aller et venir sans cesse, se montrer infatigable, eh bien, nous aurions bientôt conquis le monde.

« Poursuivant ma route par le Northern-Pacific, j’entrai dans l’Idaho, où je fus reçu à Boise-City par les dévoués frères Higby et Bucker. Dans ce pays tout neuf, ah ! combien les affaires sont actives ! l’agriculture donne des résultats surprenants dans ces fertiles vallées ; aussi, partout, l’accroissement de la population y est rapide. Là encore, j’ai constitué un atelier de perfection, et j’ai eu le plaisir de présider un bosquet de nos sœurs écossaises, à la loge d’adoption Urania, de Boise-City. La bienvenue me fut souhaitée au bosquet par l’aimable sœur Decamp, dont la précocité m’a ravi.

« Le Northern-Pacific me transporta ensuite dans le Dacota, où j’ai donné l’initiation à grand nombre de colons, ainsi qu’à plusieurs chefs Sioux, dont les tribus belliqueuses sont toujours fières de leur indépendance. Et ici j’adresse mes félicitations aux révèrends pasteurs, nos frères, qui facilitent singulièrement notre œuvre ; c’est par eux que ces braves Indiens comprennent que, loin de combattre leurs croyances, nous, francs-maçons, c’est-à-dire apôtres de la tolérance, nous nous unissons de cœur avec eux pour adorer la même divinité. Aussi, les Indiens, qu’il faut instruire, mais non détourner de leur opinion, au fond très exacte, sur la personnalité de l’Être Suprême, seront toujours pour nous de précieux auxiliaires.

« Je profitai de ma présence dans ces contrées pour faire une excursion aux sources du Mississipi, sur les plateaux des Hautes-Terres, et de là je descendis jusqu’à Saint-Paul. J’avais donc vu, au cours de ce voyage, les deux extrémités du grand fleuve, puisqu’une de mes premières stations avait été à la Nouvelle-Orléans. J’ai gardé le meilleur souvenir de mon passage à Saint-Paul. La Grande Loge du Minnesota, avec laquelle notre Suprême Conseil entretient les rapports les plus fraternels, m’envoya en délégation, au Shermun-House où j’étais descendu, les frères Burth, Fergus Low, Crocker, et les sœurs Shaw et Mary Hebbard. Cette Grande Loge, dont la fondation date seulement de 1853, a déjà sous son obédience 207 loges, dont 59 loges androgynes. Les membres du comité de l’Historical Society de Saint-Paul, dont plusieurs comptent au nombre de nos frères, me reçurent aussi avec les plus respectueux égards ; mais ce sont là des marques de déférence dont je reporte à notre institution tout l’honneur ; car il ne faut jamais oublier que les hommes ne sont rien et que ce sont les principes par eux représentés qui sont tout.

« Dans l’état d’Iowa, j’ai visité Burlington, Sioux-City, où nos frères indiens ont une loge de perfection, et surtout Davenport, dont la Grande Loge compte sous son obédience plus de 500 loges, sur le total desquelles 113 sont androgynes ; et je vous prie de croire que nos sœurs de l’Iowa ne sont pas, dans les États-Unis, les moins zélées à nos mystères. Je passai une délicieuse soirée au bosquet Eva-Augusta que préside avec tant de distinction la sœur Gilliford, une grande-maîtresse qu’on peut donner comme modèle à toutes nos sœurs écossaises. L’ordre des chevaliers du Temple a poussé, dans cet état, de profondes racines : le frère Isaac Payne, admirablement secondé par les frères Walz et Barbier, a donné à la maçonnerie occulte de cette région son véritable caractère ; aussi, l’institution est, à Davenport, vraiment bénie de notre Dieu.

« Le Missouri m’attendait avec impatience, mon arrivée prochaine ayant été annoncée par le frère David Gould. La rue Washington était pleine de frères et de sœurs, aux abords du Lindell-Hôtel, où les excellents maçons de Saint-Louis, par une touchante prévenance, m’avaient fait réserver un appartement, décoré pour la circonstance des plus charmants symboles de nos divins mystères. Vous savez tous, très illustres frères, que la Grande Loge du Missouri, fondée à Saint-Louis, en 1821, dirige 497 loges du rite d’York, sans compter les ateliers dont les sœurs mopses sont le plus bel ornement. Mais ce qu’il est bon de vous apprendre, c’est que ce vaste régime, admirablement organisé, pratique les divers rites androgynes, sans distinction, même le Rite Moabite, qui a rencontré une si vive opposition aux États-Unis, lorsque notre très illustre et parfait frère John Taylor, son créateur, voulut lui faire franchir les frontières de l’Utah.

« À Saint-Louis, nous, abordâmes donc les travaux du grand-œuvre, et par la sœur Ingersoll, qui est un médium de premier ordre, nous avons eu des révélations étonnantes. Nous eûmes une tenue palladique solennelle que je présidai, assisté du frère Friedman et de la sœur Warhnburn. Sans endormir la sœur Ingersoll, nous la pénétrâmes de l’esprit Ariel lui-même ; mais Ariel, s’emparant d’elle, s’adjoignit trois cent vingt-neuf génies du feu. La séance fut dès lors merveilleuse. La sœur Ingersoll, soulevée dans l’espace, plana sur l’assemblée ; et, ses vêtements brusquement dévorés par une flamme sans foyer qui l’enveloppa et ne lui fit aucune brûlure, elle nous apparut à l’état de vérité, durant plus de dix minutes. Voltigeant au-dessus de nos têtes, comme si elle était portée par un nuage invisible ou soutenue par les esprits bienfaisants, elle répondit à toutes les questions que nous lui posâmes ; nous eûmes ainsi les plus fraîches nouvelles de notre très illustre et bien-aimé frère Adriano Lemmi. Puis, Astaroth en personne se montra, volant auprès de la sœur Ingersoll et la tenant par la main ; il souffla sur elle, et ses vêtements, renaissant du néant, la parèrent à nouveau. Enfin, Astaroth disparut, et notre sœur médium retomba doucement sur un fauteuil, où, la tête renversée en arrière, elle expira Ariel et les trois cent vingt-neuf esprits qui l’avaient accompagné. Nous avons bien compté, en effet, trois cent trente expirations en tout, à l’issue de cette expérience, si parfaitement réussie.

« Du Missouri, je passai dans le Kentucky, de Saint-Louis à Louisville, regagnant à grandes journées Washington ; car il me tardait d’être rentré chez moi. N’importe, je me devais à nos frères du Kentucky, et, en particulier, à ceux du comté de Jefferson, ou notre cher Rite Écossais compte tant d’adeptes, vivant dans les meilleurs termes, du reste, avec les frères de la Grande Loge. Je dus me rendre d’abord à notre Consistoire, dont je constatai la prospérité admirable. Le frère Scrutow est un administrateur, aux capacités de qui on ne saurait trop rendre hommage ; grâce à lui, l’écossisme gagne de jour en jour toutes les classes de la population. Autour de lui, les frères Natban Pixly, Elkin, Jack Strauss, Ulysse Kolb-Gérard et Mac-Brash fécondent l’œuvre dont je jetai la semence, il y a quelque trente ans.

« L’écossisme, bien compris à Louisville, a préparé le terrain au palladisme, qui s’y développe dans les meilleures conditions ; si bien que, pour ne parler que du comté de Jefferson, nous avons déjà plus de 1,500 frères de l’obédience de la Grande Loge du Kentucky qui font partie de nos triangles ; quant aux sœurs du rite anglais, les trois cinquièmes nous sont acquises. Je noterai, comme méritant un tribut d’éloges de notre Suprême Conseil, les sœurs Ellen Gerbel, Marchesi, Worms-Mayer, Décugis, Moore, Malcolm et Andréa Rappaport.

« Ces sept sœurs, dont je viens de citer les noms, ont amené aux travaux du grand-œuvre plus de deux cents frères, sur lesquels les premières lumières données n’avaient produit aucun heureux effet et dont l’esprit avait besoin d’un stimulant pour deviner ce qui ne doit pas se dire. À cet égard, la sœur Andréa Rappaport est douée des dons divins à un degré véritablement exceptionnel ; elle n’a pas son égale, dans tout le Kentucky, pour ouvrir à notre Dieu une intelligence jusqu’alors fermée ; d’un mot, d’un regard, elle communique la lumière aux plus aveugles.

« Je n’ai pas besoin de vous dire quel accueil m’attendait à notre Consistoire écossais de Louisville. Ce qui m’a touché le plus, ce qui m’a profondément attendri, c’est le spectacle de nos frères du rite anglais fraternisant avec nos affiliés, dans une soirée qui eut lieu au temple de la Grande Loge et qui ne s’effacera jamais de ma mémoire. Ce sont nos sœurs, nos chères et aimables sœurs, qui ont créé ce lien d’intimité, de cordialité entre les deux rites ; et vraiment, quand on-voit nos écossaises de perfection parées de toutes leurs grâces, distribuant sans compter la douce charité de leurs sourires, on ne s’étonne plus de voir fusionner le Royal-Arche et l’Écossisme dans ces fêtes de l’union et de l’amitié maçonniques.

« Enfin, le 30 septembre, j’étais rentré chez moi à Washington ; ce grand voyage avait duré exactement six mois, et j’avais parcouru en tout 14,410 milles.

« C’est à cette propagande invincible, je le dis avec un juste orgueil, que notre Suprême Conseil a pu enregistrer, depuis la session précédente, la création de quarante-cinq nouveaux corps maçonniques, dont voici le détail : un Consistoire, sept Aréopages de Kadosch, quinze Chapitres de Rose-Croix, seize Loges de Perfection, et huit ateliers de sœurs écossaises. Nous n’avons pas à mentionner ici les nouveaux triangles constitués ; mais, par contre, à cette nomenclature, nous devons ajouter une Loge de Perfection, qui était depuis cinq ans tombée en sommeil et que nous avons rendue à la vie maçonnique.

« D’autre part, nos trois Grands Consistoires écossais de la Louisiane, du Kentucky et de la Californie gouvernent à cette heure soixante-quatre ateliers, dont treize androgynes.

« Nous ne tiendrons pas compte, pour le moment, des loges en sommeil, dont tout cependant fait présager le prochain réveil. Nous nous bornerons à constater ensemble, mes très illustres frères, que notre Suprême Conseil étend sa juridiction immédiate sur deux cent dix-sept commanderies maçonniques : trois Grands Consistoires, sept Consistoires particuliers, dix-neuf Aréopages de Kadosch, trente-quatre Chapitres de Rose-Croix, trente-deux Loges de Perfection, et soixante-douze Loges Symboliques avec autant d’annexes de sœurs écossaises. En ajoutant à ce total les soixante-quatre ateliers placés sous la dépendance spéciale des trois Grands Consistoires, nous avons un ensemble de deux cent quatre-vingt-un corps maçonniques en plein exercice, et aux destinées desquels nous avons, très illustres frères, l’honneur de présider. »

Après avoir donné lecture de cette relation, Albert Pike se livra à quelques attaques contre un certain frère Foulhouze, qu’il détestait profondément, celui-ci ayant essayé de lui susciter une concurrence. Je passe cette diatribe qui n’offre aucun intérêt. Puis, il fit une rapide allusion à un désaccord survenu entre le Suprême Conseil de Suisse et le Suprême Conseil d’Irlande. « Nous avons écrit, dit-il, au frère Eugène Dulon, à Vevey, pour qu’il avise de nos volontés ses frères du Suprême Conseil de Suisse ; ceux-ci devront s’incliner et accorder une réparation au Suprême Conseil d’Irlande, sous peine de nous voir rompre nos rapports avec eux, extrémité à laquelle je ne me résoudrai, quant à moi, qu’avec le plus vif chagrin. J’espère donc que le Suprême Conseil de Suisse réfléchira et ne voudra pas s’exposer à se voir retranché de la communion maçonnique. »

Il termina par la série habituelle des lieux communs sur les liens de sympathie et de cordiale amitié que la franc-maçonnerie établit entre des hommes étrangers les uns aux autres par leur nationalité et leurs coutumes. Et il conclut ainsi :

« Les vivants, même absents, coopèrent à notre œuvre par l’harmonie des idées communes. Les morts ? non seulement ils ont leur place dans notre souvenir, mais encore vous savez comment ils continuent à agir au milieu de nous. Les encouragements qui résultent de ce concours nous préservent de toute défaillance, de toute hésitation, et nous stimulent pour actionner énergiquement les mesures requises par les intérêts de l’Ordre. Nous aurons bien le temps de nous reposer, lorsque nous ne serons plus en état de travailler ; quant à nous dérober jamais devant le devoir, quant à répudier n’importe quelle responsabilité légitime, ce sont là des éventualités qui ne sauraient trouver place dans la vie d’un honnête homme ! »

Cette péroraison, dit le procès-verbal, fut applaudie frénétiquement.

Sur la proposition du grand orateur, la haute assemblée vota que le texte de cette relation, c’est-à-dire le manuscrit du grand-maître, serait déposé aux archives ; qu’une transcription intégrale en serait faite sur le Livre d’Or du Suprême Conseil ; et qu’au surplus le grand secrétaire recevait mandat de rédiger un compte rendu analytique, que le grand-maître reverrait et contresignerait, et qui passerait dans le Bulletin officiel du Suprême Conseil de Charleston.

Ainsi, il fut fait. Le compte rendu analytique de ce grand voyage d’Albert Pike a paru, — très affaibli, cela va sans dire, puisqu’il s’agissait d’une publication imprimée, pouvant tomber entre des mains profanes, — dans la livraison complémentaire du mois de novembre 1884, du Bulletin officiel du Suprême Conseil des États-Unis d’Amérique (juridiction Sud). La transcription intégrale sur le Livre d’Or, certifiée conforme au manuscrit original par le grand secrétaire et le grand chancelier, a été faite et existe au Registre XCII, tenant les pages 73 à 88 ; ce registre correspond au second semestre de 1884, l’année maçonnique commençant au mois de mars.

Au surplus, voici l’état exact des registres composant le Livre d’Or du Suprême Conseil de Charleston (archives du Rite Écossais) :

Le Registre n° I comprend les années 1801 à 1805, le Suprême Conseil de Charleston ayant été fondé le 31 mai 1801 ; le n° II, les années 1806 à 1808 ; le n° III, 1809 à 1812 ; le n° IV, 1813 à 1815 ; le n° V, 1816 à 1818 ; les nos VI, VII, VIII, chacun deux années, de 1819 à 1824 ; le n° IX, l’année 1825 et le premier trimestre de 1826 ; le n° X est consacré exceptionnellement aux trois autres trimestres de 1826, et cette extension inusitée provient de ce que le dit Registre n° X contient toute l’affaire de la condamnation secrète, de l’enlèvement, de la séquestration, des supplices et de l’assassinat final du frère William Morgan, journaliste de New-York, qui avait publié pour le public profane les principaux rituels maçonniques de cette époque. Les registres nos XI, XII, XIII et XIV sont consacrés chacun à deux années, de 1827 à 1834. À partir de 1835 jusqu’en 1856, les affaires du Suprême Conseil deviennent plus importantes, les procès-verbaux sont plus nombreux et plus longs, les transcriptions de documents se multiplient ; aussi, chaque année à son registre spécial, soit du n° XV au n° XXXVI. En 1857, le docteur Gallatin Mackey est chargé de la tenue du Livre d’Or, et le Suprême Conseil entre dans la vie la plus active. De cette époque jusqu’à nos jours, il y a un registre par semestre : le n° XXXVII allant de mars à fin août 1857 ; le n° XXXVIII, allant de septembre 1857 à fin février 1858 ; et ainsi de suite. Le registre du Livre d’Or en cours de rédaction, au moment où j’écris ces lignes (mars 1893), est donc le Registre CIX.

Je demande pardon au lecteur de lui donner ces détails ; les explications, portant sur des numéros, des années et des chiffres, sont toujours arides ; mais on reconnaîtra qu’elles sont indispensables.

Si le gouvernement des États-Unis veut édifier, une bonne fois, le monde entier sur certaines pratiques de la franc-maçonnerie, il n’a qu’à faire opérer une saisie aux archives du Suprême Directoire Dogmatique, à Charleston. Au besoin, que le chief-justice de la haute cour fédérale se fasse remettre seulement le Registre n° X du Livre d’Or du Rite Écossais (juridiction Sud), et il verra tout au long l’affaire Morgan. Je n’expose personne à être pendu ni à aller s’asseoir dans le fauteuil à électricité foudroyante, puisque tous les bourreaux du malheureux journaliste révélateur sont morts et enterrés depuis longtemps. Par conséquent, toute la presse, même la presse maçonnique, devrait faire chorus avec moi et réclamer l’exhibition du Registre n° X. Car, enfin, je suis loin de dire que tous les francs-maçons sont des scélérats. Je reconnais volontiers que quatre-vingt-quinze sur cent sont de très bonne foi, et que, s’ils n’éprouvent aucune sympathie pour le catholicisme, du moins ils sont naïvement convaincus que pour combattre l’Église leurs chefs se bornent à une simple propagande par la parole et par l’imprimé. Il y a, même parmi les Inspecteurs Généraux et les Inspectrices Générales en mission permanente, des aveugles qui ne voient pas le rôle qu’on leur fait jouer, des gens qui ne tueraient pas une mouche, des Ratons, en un mot, qui tireront éternellement les marrons du feu pour les Bertrands. Eh bien, tous ceux-là ont le droit, autant que nous catholiques, de savoir ce qui se passe dans ces réunions où on ne les laisse pas entrer sous prétexte qu’ils ne sont pas encore mûrs ; on les berne, en les dupe, le Saint-Siège et les évêques le leur crient sur tous les tons. Voilà une occasion, enfin, de savoir officiellement un peu à quoi s’en tenir.

Je dis, moi, qu’il existe, au Suprême Conseil de Charleston (archives du Rite Écossais), un Registre n° X du Livre d’Or, se rapportant en grande partie à l’année 1826 depuis le 1er  juin. Je dis que ce registre contient le dossier complet d’un des plus abominables crimes qui aient été commis sur le globe. Je dis que cette procédure commence à la page 27, finit à la page 345, et est intitulée : « Procédure extraordinaire suivie sur la plainte de la Loge le Rameau d’Olivier, de Batavia (New-York), et après l’avis d’urgence donné par le Parfait Conseil de Rochester. » Je dis qu’il y a là toute l’histoire d’un infortuné qui a été enlevé et séquestré, qui a comparu devant des assassins se qualifiant juges, qui a été torturé pendant deux jours et trois nuits, puis assassiné. Je dis que tous les rapports, tous les procès-verbaux sont là. Voilà des documents qu’il serait intéressant de reproduire et qui fermeraient à jamais la bouche aux calomniateurs qui osent parler de l’Inquisition !

Mais je ne veux pas m’écarter plus longtemps de mon sujet. Revenons à la relation authentique du voyage d’Albert Pike en 1883, raconté et écrit par lui-même, le 20 octobre 1884.

J’ai tenu à citer ce voyage pour donner un exemple de l’activité prodigieuse de cet homme. Je demande si l’on trouverait sur terre beaucoup de vieillards comme celui-ci, accomplissant en six mois, à l’âge de soixante-quatorze ans, une tournée donnant un parcours total de 14,410 milles ; on peut, d’ailleurs, contrôler sur une carte des États-Unis l’exactitude du calcul du grand-maître. Or, le mille employé pour le calcul des distances dans l’Amérique Septentrionale n’est autre que le mille anglais, équivalant à 1,609 mètres. Prenez, je vous prie, une plume, et faites une multiplication ; vous constaterez que le chemin d’Albert Pike représente 23,185 kilomètres, en négligeant les fractions. Maintenant, si vous voulez mieux vous rendre compte encore de la valeur de cette série de déplacements successifs, considérez que, par chemin de fer, la distance de Paris à Marseille est de 863 kilomètres (compagnie P.-L.-M.), et celle de Paris au Havre, de 228 kilomètres (compagnie de l’Ouest) ; la traversée entière de la France par chemin de fer, en ligne presque droite, du nord au midi, donne donc 1,091 kilomètres. D’où il suit que, dans ces six mois de 1883, ce vieillard infatigable a effectué, sur le territoire des États-Unis, un voyage circulaire représentant plus de vingt-et-une fois le trajet du Havre à Marseille.


Maintenant que j’ai fait connaître Albert Pike, que j’ai raconté sa vie aussi complètement que le permet le cadre restreint de cette publication, que j’ai expliqué en quoi consiste l’organisation de la haute maçonnerie, il me reste à donner le tableau de cette organisation à une période récente. Je choisis le tableau dressé par Albert Pike le 1er  mars 1891, c’est-à-dire quelques semaines avant sa mort. Le Suprême Chef Dogmatique dressait, chaque année a cette date, un tableau semblable, et il en adressait une copie à chaque Directoire ; soit, en tout, un original et six copies authentiques. C’est un de ces documents que j’ai eu entre les mains et que j’ai eu tout le loisir de recopier à mon tour.

Bien entendu, je n’ai pas été en relation personnelle avec tous les frères et toutes les sœurs figurant dans cette liste ; aussi, si une erreur s’était glissée par hasard dans l’orthographe de quelques noms, je ne serais pas en mesure de la rectifier. Je me borne donc, je tiens à le dire, à reproduire purement et simplement cette nomenclature telle quelle.

Je répète aussi, pour éviter toute fausse interprétation, que ce n’est point là le tableau des lucifériens de la franc-maçonnerie, à proprement parler. Sauf le frère Findel, de Leipsig, tous les membres des Directoires sont affiliés au Palladisme, sont lucifériens militants. Quant aux Inspecteurs Généraux et aux Inspectrices Générales, ils sont loin de pratiquer tous le satanisme maçonnique ; il en est, parmi eux, qui ne soupçonnent même pas l’existence du Rite Palladique et qui le servent à leur insu, se considérant comme très honorés d’avoir attiré l’attention du patriarche de Charleston et d’avoir la faveur spéciale d’être en correspondance directe avec lui. Mais cette liste n’en est pas moins intéressante ; car elle comprend tous les adeptes qui exercent une influence réelle dans la franc-maçonnerie du monde entier. Quant à ceux qui, dans le nombre, sont lucifériens, on voit que je les nomme au fur et à mesure que j’ai à parler d’une séance palladique à laquelle j’ai assisté ; par conséquent, j’en nommerai encore beaucoup, d’ici à la fin de mon récit.

Voici donc l’organisation de la haute maçonnerie au 1er  mars 1891 :


I
Suprême Directoire Dogmatique

Siège : Charleston.

Souverain Pontife de la Maçonnerie Universelle : général Albert Pike.

Sérénissime Grand Collège des Maçons Émérites. — Membres ad vitam : Albert-Georges Mackey ; Jonathan Chambers ; William Upton ; Josiah Essex ; Robert Crowell ; Macdonald Bates ; Philéas Walder ; Goldsborough Bruff ; William Ireland ; Richard Thompson.



Souverain Directoire Exécutif

Siège : Rome.

Souverain Chef d’Action politique : Adriano Lemmi.

Lieutenants Grands Assistants : Pirro Aporti ; Luigi Revello ; Ettore Ferrari.

Souverain Directoire Administratif

Siège : Berlin.

Souverain Délégué aux Finances : Bleichroeder.

Souverain Délégué à la Propagande : J.-G. Findel (à Leipzig).

Grand Directoire Central pour l’Amérique du Nord

Siège : Washington.

Souverain Directeur : général Albert Pike.

Souverain Directeur-Adjoint : Macdonald Dates.

Grand Directoire Central pour l’Amérique du Sud

Siège : Montevideo.

Souverain Directeur : Carlos de Castro.

Souverain Directeur-Adjoint : docteur Cristobal Salvanachi.

Grand Directoire Central pour l’Europe

Siège : Naples.

Souverain Directeur : Giovanni Bovio.

Souverain Directeur-Adjoint : Tomaso Cresponi.

Grand Directoire Central pour l’Asie et l’Océanie

Siège : Calcutta.

Souverain Directeur : Frederick Hobbs.

Souverain Directeur-Adjoint : Lazarus Owen-Crowe.

Souverain Sous-Directeur Correspondant pour l’Océanie : lord Carrington, à Sydney (Australie).

Sous-Directoire pour l’Afrique
Correspondant directement avec le Souverain Directoire Dogmatique

Siège : Port-Louis (île Maurice).

Souverain Sous-Directeur : Horace de Cayla.

II
Masonic Veteran Association

Siège : Charleston.

Souverain Grand-Maître : Philéas Walder.

Lessing-Bund

Siège : Leipzig.

Souverain Grand-Maître  : J.-G. Findel.

Ordre oriental de Memphis et Misraïm

Siège : Naples.

Souverain Grand-Maître : Giambattista Pessina.

Ordre des Chevaliers du Temple (section américaine))

Siège : Philadelphie.

Souverain Grand-Maître : Samuel Grey.

Ordre des Chevaliers du Temple (section anglaise)

Siège : Londres.

Souverain Grand-Maître : comte de Lathom.

Ordre des Chevaliers Défenseurs de la Maçonnerie Universelle

Siège : Paris.

Souverain Grand-Maître : Osselin.

Ordre des Druides

Siège : Berlin.

Souverain Grand-Maître : Hugo Bauer.

Ordre des Mopses du Parfait Silence

Siège : Berlin.

Souveraine Grande-Maîtresse : Mlle  Dorothée Schultz.

Ordre de la Rose Mystique

Siège : Milan.

Souveraine Grande-Maîtresse : Mme  Bianca Poggi.

Ordre des Chevaliers et Chevalières du Devoir

Siège : Rio-de-Janeiro.

Souverain Grand-Maître : Joaquin da Costa.

Souveraine Grande-Maîtresse : Mlle  Emilia de Baños.

Ordre Saint-Jean Saint-André

Siège : Buenos-Aires.

Souverain Grand-Maître : Anibal Pereyra.

Ordre d’Isie et Osiris

Siège : Mexico.

Souverain Grand-Maître : Ramon Gonzalez.

Souveraine Grande-Maîtresse : Mlle  Manuela Carrion.

Ordre des Moabites

Siège : Salt-Lake-City (États-Unis d’Amérique).

Souverain Grand-Maître : John Taylor.

Ordre des Odd-Fellows

Siège : Hamilton (Canada).

Souverain Grand-Maître : James Scott.

Ordre de la San-ho-hoeï

Siège : Pékin.

Souverain Grand-Maître : Chua-kim-phan.

III
Inspecteurs Généraux et Inspectrices Générales
en mission permanente
ayant la correspondance directe avec le Suprême Directoire Dogmatique
EUROPE

Pour les relations spéciales d’Angleterre : Hugh-David Sandeman, à Londres ; — d’Écosse : Lindsay Mackersy, William Officer, à Edimbourg ; — d’lrlande : Robert-William Shekleton, esquire, à Dublin.

Pour les relations générales du royaume britannique : capitaine Nathaniel Philips, colonel Clerke-Skadwell, Mme  Alice Booth, à Londres ; colonel sir A.-C. Campbell, comte de Haddington, comte de Rosslyn, Charles Dalrymple, baronet, Mlle  Noémi Turner, à Édimbourg ; John Yarker, à Withington (Manchester) ; comte de Baudon, John-Fitz-Henry Jownshend, à Dublin.

Pour les relations spéciales de France : Esprit-Eugène Hubert, J.-C. Colfavru, Louis Amiable, Severiano de Heredia, Paul Viguier, Georges Level, Charles Floquet, docteur Henri Thulié, Margaine, Jablochkoff (ingénieur), Armand Lévy, docteur Giard, docteur Enclauss, Jean Laborde, Francolier, Simon Weill, Laroque, Dide, J.-P. Drouet, Décembre, docteur Ch.-Félix Frebault, Mlle  Claire de Brucq, Mme  Ratazi, Mme  Thomas-Verdy, Mme  Héloïse Bel, Mme  Vve Martinez de Llopis, à Paris ; Josserand, au Mans ; Cahen, à Lyon ; Étienne Bertrand, Édouard Crépy, à Lille ; Alfred Fleury, à Rouen ; major Desmons, à Dunkerque ; Guillaume, à Bordeaux ; Fernand Lagarrigue, à Béziers ; F.-Ant. Brun, à Nice ; Ernest Brémond, Jumelin, à Marseille ; Ad. Doué, à Toulon.

Pour les relations générales d’Angleterre, France et Allemagne : docteur Cornelius Herz, à Paris (domicile attitré).

Pour les relations spéciales de Prusse : major Rabe, docteur Fredericks, Hugo Bauër, Mlle  Augusta Hoffmann, Mme  Fréderique Becker, à Berlin ; — de Saxe : docteur Welte, à Dresde ; — de Bavière : Albert Redlich, à Bayreuth ; Mlle  Judith Fulda, à Munich ; — de Wurtemberg : Otto Muller, Mlle  Rachel Marx, à Stuttgart ; — de Hambourg : Bokelmann,Mme  Vve Schmidt, à Hambourg ; — de Hesse : Ph. Brand, à Mayence ; Karl Nies, à Worms ; — de Francfort-sur-le-Mein : Alexandre Knoblauch, à Francfort.

Pour les relations générales de l’empire d’Allemagne : Karl-August Bouché[6], Bruckner, Gustave Gravenstein, Mlle  Dorothée Schultz, à Berlin ; docteur Bitter, à Iéna ; S. Lucius, à Leipzig.

Pour les relations spéciales d’Alsace-Lorraine : A.-S. Bernheim, Mme  Lia Grünberg, à Strasbourg ; Léon Grobb, à Metz.

Pour les relations spéciales de Belgique : comte Eugène Goblet d’Alviella, E. Vinck, Geerst, Gustave Jottrand, à Bruxelles.

Pour les relations spéciales de Suisse : Louis Ruchonnet, à Berne ; Marc Stutz, à Genéve.

Pour les relations générales de France et Suisse : Emmanuel Arago, à Berne (domicile attitré).

Pour les relations générales de France, Suisse et Belgique : Mlle  Sophie Walder, à Genève (domicile attitré).

Pour les relations spéciales d’Espagne : don Miguel Morayta y Sagrario, caballero de Puga, don Eduardo Contreras, don Ruiz Vargas, doña Rosario de Acuna, à Madrid ; don Antonio Gomez, à Séville ; don Pablo Ferrer, don Jnan Partagas y Palay, à Barcelone ; don Jaime Balanzo, don José Macalis, à Cadix ; don Diego Pelaëz, à Valence ; don Eusebio Morata, à Malaga.

Pour les relations spéciales de Portugal : Joaô Costa, Angusto Craveiro, major Oliveira-Garçao Campello d’Andrade, à Lisbonne ; Filippe-Cardoso da Matte, à Porto.

Pour les relations générales d’Espagne et Portngal : doña Elvire viuda Ocaña, à Madrid (domicile attitré).

Pour les relations spéciales d’Italie : Achille Ballori, Bernardo Razzetti, Ginseppe Fogliano, général Giacomo Sani, Mme  Paola Crivelli, à Rome ; Egidio Maïocchi, Mme  Fulvia Belluschi, à Naples ; Flaminio Sacerdoti, Mlle  Rébecca Corradi, à Milan ; Pietro Dossena, Giovanni Ceconni, à Turin ; Felice Biffi, à Gênes ; Guide Pagano, à Florence ; Giosué Carducci, à Bologne ; Ercole Bignami, à Venise ; Emanuele Corlatti, Mlle  Francesca Pisoni, à Palerme (Sicile).

Pour les relations générales de France et Italie : Mlle  Claire de Brucq, à Paris et à Milan ; Mlle  G.-Lidia Ansaldi, à Rome et à Lyon.

Ponrles relations Spéciales de Hollande : J.-P. Vaillant, avocat, général Kromhont, major du génie, à La Haye ; Mans Geesteranns, à Loosduinen.

Pour les relations spéciales du Danemark ; Oëllgaard-Nielsen Rasmus, à Copenhague.

Pour les relations spéciales de Suède et Norwège : Martin Hugo, Gustaf Kjellberg, Mlle  Edwige Ullströnn, à Stockholm.

Pour les relations spéciales du grand-duché du Luxembourg : Joseph Junck (chef de gare), à Luxembourg.

Pour les relations spéciales d’Autriche : Edmund Wurz, Rudolf Mayer, à Vienne ; — de Hongrie : Adalbert Bela de Majlath, Antoine Schneider, Maurice Gelléri, Mlle  Owida Elzner, à Budapest ; — de Bohème : Julius Handschke, à Prague.

Pour les relations générales d’Autriche-Hongrie : Antoine de Berecz, à Budapest.

Pour les relations spéciales de Roumanie : colonel Jean Dimitresco, Moscou Ascher, à Bucharest ; Anatole Magrin, à Constantza ; J.-B. Screm, à Braïla ; Isaac Graff, à Jassy ; Mikaïl-Gregoriady de Bonacchi, à Galatz.

Pour les relations spéciales de Grèce : Nicolas Damaschinos, à Athènes.

Pour les relations spéciales de Turquie : Constantin Spendoni, Dieron Yousouffian, Mirza Mohsin Khan, à Constantinople.

Pour les relations générales d’Europe et d’Asie : docteur… Bataille.

ASIE

Pour les relations spéciales de l’Asie-Mineure : Hadji Papazian effendi, à Smyrne ; — d’Arménie : Tahdadjian-Oglou, à Erzeroum ; — de Mésopotamie : Youssef Chalhoub, à Bagdad ; — de Syrie : Nicolas Haggiar, à Alep ; Georges Sursock, Mme  Vve Sélim Abdallah, à Beyrouth ; Habib Shakal, Mlle  Noémi Cohen, à Jérusalem.

Pour les relations générales de l’Asie Ottomane : Michel Schilizzi, à Smyrne (domicile attitré).

Pour les relations spéciales de Chine : Samuel Clarke, à Pékin ; Adam Fuller, à Fou-tchéou ; Ollia-Boon, à Kou-lan-sou ; Sassoon, à Kiu-kiang ; Osborne, à Nan-king ; William Craig, John Butterfield, à Shang-haï ; Elias Mackenzie, Georges Brandt, Claudius Debernard, David Turnbull, à Canton ; Tchio-hing, à Hang-kow ; William Bradley, à Shing-king ; Wadman, à Wen-tchéou ; Gibb-Morris, à Tien-tsin ; Gregor Milisch, à Llassa.

Pour les relations générales de Chine : David Brown, à Hong-kong (domicile attitré) ; Mlle  Eva Dodd, à Shang-haï.

Pour les relations spéciales de Corée : Hoon-kim-Lum, à Séoul.

Pour les relations spéciales du Japon : Kiyomidzu, à Yedo ; Kantaro Tsukamoto, à Nagasaki ; Rokusayemon Kurabayaki, à Neegat ; Rinnosuke Oyama-Kato, à Osaka ; Salomon dit Holmès, à Simoda ; Toyoji Saïto, à Yamanashi ; Lucas Heicht, Zinpeï Kawade, à Yokohama.

Pour les relations spéciales de Goa : Manoel Salvado, à Nova-Goa.

Pour les relations spéciales de Macao : Sebastiaô Guimaraès, à Macao.

Pour les relations spéciales de Perse : Robert Crawford, à Téhéran ; Rosenthal, à Tauris.

Pour les relations générales de Perse : Karl Bütow, à Mesched et Ispahan.

Pour les relations spéciales de Siam : Virgile Bertin, Chow-soa-seng, à Bangkok ; Lucius Ziegler, à Battambang.

Pour les relations spéciales du Bengale : John Stewart, Archibald Fergusson, E.-E. Peppé, Albert Bruce, Ezechiel Stapleton, Max Cooper, Mlle  Fanny Fitzpatrick, Mme  Vve Chapman, Mlle  Amani Soojun Churn Khellwan, à Calcutta ; Paulon junior, à Allahabad ; Toussaint Méritan, à Agra ; Sumer Mull, à Amritsar ; Jonathan Nephew, à Bareilly ; Mikaël Borg, Giovanni Saccone, à Benarès ; Austin Crooke, à Bevelgunge ; Bindoo Nursing Herehelhunum rajah, à Dacca ; Syud Madhub Bahadoor, à Cawapore ; William Griffith, John Peerbux, à Delhi ; Hogg, à Gowhatte ; Samjee Roopa Sahib, à Gwalior ; Kaloorem Hoormusjee Dose, James Gordon, à Lahore ; J.-N.-Robert Wallace, à Lucknow ; Isidore Cahn, à Mirzapour ; John Burke, à Mourchidabad ; major Palmer, à Nagpoor ; Thomas Maclean, à Patna ; Baboo Misser Koonja Lall, à Rampur ; Daniel Bamford, à Rawalpindi.

Pour les relations spéciales de Madras : Georges Lynch, Edward Talbot, Mme  Ellen Manlove, à Madras ; Camille Simpson, à Mazulipatam ; John Campbell, à Bahour ; Edmund Spence, à Tellicherry.

Pour les relations spéciales de Bombay : Samuel Grippe, Robinson Burnett, Mme  Vve  Charles Watson, à Bombay : Mahomed Serang, à Ahmedabad ; Arnold Rapp, à Baroda ; William Hayes, à Broach ; Arthur Andrews, à Haiderabad ; Benjamin Truman, à Karatchi ; Ibrahim Cassim Saïb, à Pouna ; Daniel Taylor Powell, à Surat.

Pour les relations spéciales de Ceylan : Elias Bush, à Colombo ; Megraj Shomee Hangrabaree Sein, à Pointe-de-Galle.

Pour les relations spéciales de Malacca et la région : Oswald Cox, à Georgetown ; Salomon Lumley, à Malacca ; Francis Parkinson, Nathan Spencer, Mme  Vve  Vandriel, à Singapore.

Pour les relations spéciales de la Birmanie anglaise : Rapp, à Akyab ; Josiah Simons, à Rangoun ; Mlle  Fatime Mansour, à Promé ; Edward Brandt, à Moulmein.

Pour les relations spéciales d’Arabie : Hadji Ali Esmaïljee, à Aden.

Pour les relations générales des colonies anglaises d’Asie : révérend Toby Croksonn, à Calcutta (domicile attitré) et à Singapore.

Pour les relations spéciales de l’Indo-Chine française et du Cambodge : W. Johnston, à Saigon.

Pour les relations spéciales du Tonkin : Karl Rheiner, à Hanoï.

AFRIQUE

Pour les relations spéciales d’Égypte : Gérasimos Poggio, avocat, Abraham Tilche, Nicolas Giorgiadis, Spiridion Palli, Selim Fadel Bakos, Mme  Salyha-Djémilé Papazian, à Alexandrie ; Mirza Nedjelf Ali Khan, Zacharie Dickson, Elias Menassa, au Caire ; Cholau, à Port-Saïd ; Ismaïl ben Assan, à Bab-el-Halk, près Choubrah ; Cyprien Kuczewski, à Ismaïlia.

Pour les relations spéciales de la Tripolitaine et les relations générales d’Égypte : Giovanni Grosseto, à Tripoli (domicile attitré).

Pour les relations spéciales de Tunisie : docteur Cassanello, à Tunis.

Pour les relations spéciales d’Algérie : Besançon, pasteur protestant, à Constantine ; Aumerat, à Mustapha, près d’Alger ; Floréal Matthieu, à Oran.

Pour les relations spéciales du Maroc : docteur de Cholewa-Chudzinski, à Tanger.

Pour les relations spéciales de Sierra-Leone : John Rabbits, à Freetown.

Pour les relations spéciales de la Côte-d’Or : Henry Allen, à Cape Coast-Castle.

Pour les relations spéciales de Lagos : James Oastler, à Lagos.

Pour les relations spéciales du Cap : Thomas Epps, à Capetown ; Taylor Blume, à Port-Élisabeth.

Pour les relations spéciales de Natal : Benjamin Turner, à Durban.

Pour les relations spéciales de l’Île-Maurice : Edgar Mayer, Philippe Édouard Virlenx, James Smith, Georges Pastourel, à Port-Louis.

Pour les relations spéciales du Congo : Kuster, à Banane ; Alibert (ou Aubert), à Libreville.

Pour les relations spéciales du Sénégal : J. Brandon, à Saint-Louis.

Pour les relations spéciales de Madagascar : Pochard (précédemment à Port-Louis, de l’Île-Maurice).

Pour les relations spéciales de la Réunion : Romuald Klein, à Saint-Denis ; Roger Picard, à Saint-Pierre.

Pour les relations spéciales de l’Ouganda : Richard Crummack, à Roubaga.

Pour les relations spéciales du Transwaal : Isaac Payne, à Prétoria.

Pour les relations spéciales du Zanzibar : Ralph Lavington, à Zanzibar.

Pour les relations spéciales de Libéria : C.-T.-O. King, à Monrovia.

AMÉRIQUE DU NORD

Pour les relations spéciales du Canada et de toute la région anglaise. — Haut-Canada : Richard Webb, Hugh Murray, à Hamilton ; Francis Clayton, à Toronto ; — Bas-Canada : Alfred Olsson, à Québec ; Lionel Bourke, Mlle  Emma Willis, à Montréal ; — Colombie Britannique : Jonas Balfour, à Victoria ; — Nouveau Brunswick : Albert Upton, à Saint-John ; — Nouvelle Écosse : Arthur Oliver ; — Île du Prince Édouard : David Plunkett, à Charlottetown ; — Manitoba : Matthew Rogerson, à Winnipeg.

Pour les relations générales du Dominion-of-Canada : Mme  Alice Fit-Gérald, à Montréal et Ottawa (Canada), et à Rochester (États-Unis).

Pour les relations spéciales des États-Unis : — Alabama : Mac Mullen, à Montgomery ; — Arizona : John Clapham, à Tuscon ; — Arkansas : Valentine Price, à Little-Rock ; — Californie : Wilhelm Hertzog, à San-Francisco ; — Colorado : Archibald Raffety, à Denver ; — Colombie : Marcus Attenborough, à Washington ; — Connecticut : Douglas Prescott, à Hartford ; — Dakota : Benjamin Pratt, à Sioux-Falls ; — Delaware : Maurice Quilter, à Wilmington ; — Floride : Dennis Russell, à Jacksonville ; — Géorgie : Albert Kesterton, à Mâcon ; — Idaho : Edmund Lee, à Boise-City ; — Illinois : Lothar Fritsche, Henry Morton, Mlle  Victoria Burnstall, à Chicago ; — Indiana : Walter Stocken, à Indianapolis ; — Territoire indien : révérend Peter Young, à Atoka ; — Iowa : Robinson Farlow, Mme  Vve  Gilliford, à Davenport ; — Kansas : August König, à Topeka ; — Kentucky : Adam Fielding, Mlle  Diana Vaughan, Mlle  Andréa Rappaport, à Louisville ; — Louisiane : Achille-Régulus Morel, Bruno Koppen, Georges Wyburn, Mme  Dolorès Artigas, à la Nouvelle-Orléans ; — Maine : Francis Carden, à Portland ; — Maryland : James Fenard, Otto Casparius, Jacobo Castaneda, Timothy Bayldon, Mlle  Béatrix Oldrey, à Baltimore ; — Massachusetts : Henry Palmer, Frederick Rowney, Sereno Nicleerson, Mme  Vve  Palfreman, à Boston ; — Michigan : Joshua Bennett, à Détroit ; — Minnesota : Heinrich Schaëfer, Fergus Low, Mlle  Mary Hebbard, à Saint-Paul ; - Mississippi : Illius Ockenden, Mlle  Zélie Worms-Mayer, à Jackson ; — Missouri : David Gould, Alex. Friedman, Georges Colman, Francis Lee, Luke Frisby, Mlle  Nelly Warhnburn, Mlle  Arabella Forbes, à Saint-Louis ; — Montana : Loreto Carmona, à Helena ; — Nebraska : James Cawell, à Lincoln ; — Nevada : Matthew Little, à Virginia-City ; — New-Hampshire : Osmund Huntly, à Manchester ; — New-Jersey : Theodor Schulze, à Trenton ; — New-York : James Fraser, Robert Lidington, Thomas Bartleet, William Crosthwaite, Anthony Marce, Morris Spear, Joaquin Llagostera, Otto-Julius Bucher, Daniel Proust, Mme  Lucy Ingram, Mlle  Lélia Coverley, Mlle  Betsy Weldon, à New-York ; — Nouveau Mexique : Ramon Garibay, à Las-Cruces ; — Ohio : Clear Robertson, Bernhard Haseltine, Herman Jacobi, Georges-W. Stacy, Mlle  Maud Hackett, à Cincinnati ; — Orégon : Henry Beadle, à Portland ; — Pensylvanie : Anthony Socker, Beriah Elt, Jack Arnheim, Alexander Graveson, Mlle  Alix Mortimer, Mme  Leonor Bradshaw, à Philadelphie ; — Rhode-Island : J.-B. Martinengo, à Providence ; — Tennessee : William Maberly, Lorenz Eischhorn, à Nashville ; — Texas : Francis Buchaman, à Houston ; — Utah : Otto Glaserfeld, à Salt-Lake-City ; — Vermont : Jonathan Hughesdon, à Burlington ; — Virginie : David Newton, à Richmond ; — Territoire de Washington : Alexander Snewin, à Olympia ; — West-Virginia : John Reinhardt, à Wheeling ; — Wisconsin : Daniel Redfern, à Milwaukee ; — Wyoming : Mac-Gregor Terry, à Evanston.

Pour les relations générales des États-Unis : Laurence, John Ehlers, Mlle  Jane Whiteheads, à New-York ; Rudolph Schumann, Mlle  Virginia Huggins, à Philadelphie ; Albert Shrimpton, Mme  Cecil Leetham, à Baltimore ; Thomas Francklin, Mlle  Clelia Folk, à Boston ; Robert Miéville, Mlle  Ellen Phillips, à la Nouvelle-Orléans ; Mme  Dalila Böttcher, à Cincinnati (dom. att.).

Pour les relations spéciales du Mexique : Ermilo Canton, Mariano Escobedo, Mlle  Carmen de la Fuente, à Mexico ; Ignacio Camarena, Mlle  Maria-Elvire Ocampo, à Guadalajara ; Angel Abarca, à Puebla ; Porfirio Valdés, à Santa-Fé-de-Guanejuato ; Agustin Quintana, à Mérida ; Vicente Camacho, à San-Luis-de-Potosi ; Placido Collantes, à Queretaro ; José-Maria Manjarez, à Oajaca.

Pour les relations générales du Mexique : Sostenes Roche, Ramon Gonzalez, Mme  Rafaela Palacios, Mlle  Manuela Carrion, à Mexico.

AMÉRIQUE CENTRALE

Pour les relations spéciales de Cuba, Colon et Porto-Rico : José-Fernandez Pellon, Benito Riera, Eugenio Amadis, Mlle  Manuela Bustillos, à la Havane ; Gutierrez Aguirre, à Santiago-de-Cuba ; Antonio Ruiz, à Mayaguez ; Adrien Duffaut, à San-Juan de Porto-Rico.

Pour les relations générales des colonies espagnoles : don Ignacio-Zuazo marquis d’Almeiras, à la Havane (domicile attitré).

Pour les relations spéciales de Haïti : Auguste Héraux, Scipion Bonnet, Mme  Cornélie Poussel, à Port-au-Prince ; général Fabre, aux Cayes ; Massillon Lauture, à Jacmel.

Pour les relations générales de Haïti : Fénélon Duplessis, à Port-au-Prince ; général Thébaut, à Jacmel.

Pour les relations spéciales de Saint-Domingue : Lucas Gibbes, Eugenio de Marchena, à Saint-Domingue.

Pour les relations spéciales du Guatemala : Felix Matos, Ponciano, à Guatemala.

Pour les relations spéciales du Honduras : Ambrosio Lopez, à Comayagua.

Pour les relations spéciales du San-Salvador : Norberto Aguirre, à San-Salvador.

Pour les relations spéciales du Nicaragua : Cayetano Muñoz, à Nicaragua.

Pour les relations spéciales de Costa-Rica : A. Osborne, à San-José.

Pour les relations générales des cinq républiques du Centre-Amérique : Nanne, à Guatemala (dom. att.) ; Manuel Bouille, à San-José de Costa-Rica.

Pour les relations générales des Antilles anglaises ; John Clarke, à Kingstown, Jamaïque (domicile attitré).

Pour les relations spéciales de la Martinique : Franck-Émile Barentzen, Albert Pairault, à Saint-Pierre ; — de la Guadeloupe : Régis Deumié, à Pointe-à-Pitre ; Aimé Martin, à Basse-Terre.

Pour les relations générales des Antilles françaises : Napoléon Ferret, à la Pointe-à-Pître.

Pour les relations générales des Antilles danoises : Elias de Léon, Auguste Walloë, à Saint-Thomas.

AMÉRIQUE DU SUD

Pour les relations spéciales de la Colombie : Damaso Zapata, à Sante-Fé-de-Bogota.

Pour les relations spéciales du Bolivar : Octavio Baéna, à Carthagène.

Pour les relations spéciales du Venezuela : docteur Vicente Amengual, J.-M. Medina, à Caracas.

Pour les relations spéciales de l’Équateur : Ramon Véga, à Guayaquil.

Pour les relations générales des quatre états ci-dessus, formant l’ancienne Colombie : général Joaquim Crespo, président de la république du Venezuela.

Pour les relations spéciales de la Guyane anglaise : Samuel Canning, à Georgetown.

Pour les relations spéciales de la Guyane hollandaise : Civilis Smulders, à Paramaribo.

Pour les relations spéciales de la Guyane française : Émile Darredeau, Théodore-Ludomir Poupon, à Cayenne.

Pour les relations spéciales du Brésil : — Rio-de-Janeiro : docteur Henrique Valladarès, Benedicto Teixeira, Louis Chapot-Prévost, Nicolao Machado, Mme Maria-Leonor Pareira, à Rio-de-Janeiro ; — Alagoas : Candido Jacobina, à Maceio ; — Amazonas : Gonçalvez Jamiaro, à Manaos ; -— Bahia : Pedro Freitas, Marcello Peixao, Mlle Olympia da Costa, à Sao-Salvador-Bahia ; Deodoro Papoula, à Cachoeira ; — Céara : Leopoldo Trapaga, à Céara ; — Matto-Grosso : Luiz Villar, à Cuyara ; — Minas-Geraes : Belchior Bastos, à Ouroreto, Evaristo Barboza, à Juiz-de-Fora ; — Espirito-Santo : Affonso Irmao, à Victoria ; — Goyaz : Jorge Mattao, à Goyaz ; —- Maranaho : Jeronymo da Boa ; — Grao-Para : Carlos Soares, à Belem ; — Parahyba : Isidor de Faria, à Parahyba ; — Parana : Joaquim Pinheiro, à Coritiba ; — Piauhy : Aleixo de Souza, à Teresina ; — Pernambuco : Manoel da Gama, Luciano Carvalho, Mlle Barbara Pazos, à Pernambuco ; — Rio-Grande-do-Norte : Napoléao Guimaraes, à Natal ; — Santa-Catharina : Deodato Campello, à Desterro ; — Sao-Paulo : José-Baptista Olivieira, à Sao-Paulo ; Alvaro Coïmbra, à Campinas ; Albino Maviaro, à Santos ; — Sac-Pedro de Rio-Grande-do-Sul : Thomaz Campinos, à Porto-A1egre ; Giosia Carneiro, à Pelotas ; — Sergipe : Octacilio Barcellos, à Aracaju.

Pour les relations générales du Brésil : Antonio-Joaquim de Macedo Soares, {Mme Francisca Sampaio, Mlle Emilia de Banos, à Rio-de-Janeiro.

Pour les relations spéciales du Pérou : Arturo-Ego Aguirre, José-Maria Garcia, Francisco-Javier Mariategui, Mlle Rosa Navarrete, à Lima ; Cristoval Denegris, à Callao ; Guzman Ramirez, à Arequipa.

Pour les relations générales du Pérou : Eduardo Lavergne, à Lima.

Pour les relations spéciales de Bolivie : Augel Urioste, à La Paz ; Pablo Velasco, à Cochabamba.

Pour les relations spéciales du Chili : Julio Villanueva, José-Miguel Faéz, Mlle  Juanita Donoso, à Valparaiso ; Valdo Pizarro, Mme  Felicia Altamiro, à Santiago ; Pablo-Rafael Diaz, à Concepcion.

Pour les relations générales du Chili : Benito Alamos Gonzalez, à Valparaiso (domicile attitré) ; docteur Ninanor Rojas, à Santiago.

Pour les relations spéciales de l’Uruguay : José de la Hanty, Andrès Catillo, Miguel Jurriol, Jean-Baptiste Moiriat, Mlle Teresa Helguerra, à Montevideo ; Enrique Rosadas, à Guadalupe ; Jaime Llobet, à Colonia ; Bartolo Sampaïo, à Paysandu ; Eugenio Lopez, à Tacuarembo ; Mme Cipriana Britos, à Treinta-y-Trés.

Pour les relations générales de l’Uruguay : Enrique Maciel, Charles-Henri Honoré (ingénieur), Mlle Mercedès Barrios (domicile attitré), à Montevideo.

Pour les relations spéciales du Paraguay : Giuseppe Ferrari, à Asuncion.

Pour les relations spéciales de la République Argentine : Juan-Gonzalez Cané, Michel Bernard, Jean-Eloi Goffre, Girolamo Boggio, Vicente Cabral, Fernandez Blanco, Mlle Susana Olmedo, à Buenos-Aires ; Santiago Casavalle, à La Plata ; Llorente Gomes, à Chivilcoy ; Porfirio Rodriguez, à Cordoba ; Agustin Penaloza, à Corrientes ; Flavio Fonseca, à Parana ; Jacopo Bisoni, à Mendoza ; Garcia Valdez, à San-Juan-de-la-Frontera ; Eliséo Villalonga, à Rosario de Santa-Fé ; Domingo de Paz, à Tucuman.

Pour les relations générales de la République Argentine : Otto Recke, à Buenos-Aires (domicile attitré).

Pour les relations générales de l’Uruguay et de la République Argentine : Mlle Romula Sanchez, à Buenos-Aires et à Montevideo.

OCÉANIE

Pour les relations spéciales de Java : Martinus van Groen, a Batavia ; C.-H. Anstermühle, à Samarang ; Danuel van Cleei, Soerahaya ; Joost Vigelius, à Probolingo.

Pour les relations spéciales de Sumatra : Jones Schyfelen, à Padang.

Pour les relations spéciales de Bornéo : Wilhelm Roosehoom, à Bandjermasin.

Pour les relations spéciales des Célèbes : Sartorius Groothols, à Makasser.

Pour les relations spéciales des Moluques : Ludoph Moens, à Amboine.

Pour les relations spéciales des Philippines : Gregorio Albaran, à Manille.

Pour les relations générales de Malaisie : révérend Hirsch, à Batavia (d. att.).

Pour les relations spéciales de la Nouvelle-Galles du Sud : Arthur Bray, Henri Spiers, Mlle Fanny Stevenson (dite miss Dorothy), à Sydney.

Pour les relations spéciales de Victoria : T.-H. Lempriere, Matthew Twining, Georges Kershaw, John Lush, Mlle Nelly Grindlay, à Melbourne ; Robert Wattson, à Ballarat.

Pour les relations spéciales de l’Australie du Sud : J.-H. Cuningham, David Sotheby, à Adélaïde.

Pour les relations spéciales de Queensland : Francis Howard, à Brisbane.

Pour les relations spéciales de la Nouvelle-Zélande : W.-B. Hudson, à Wellington ; James Pearce, à Auckland ; Robert Stout, à Dunedin.

Pour les relations générales des colonies anglaises en Océanie : comte de Kintore, à Adélaïde (Australie) ; Mgr Newill, évêque protestant de la Nouvelle-Zélande, à Dunedin (domicile attitré).

Pour les relations spéciales de la Nouvelle-Calédonie : capitaine J.-F. Maximin Boscans, à Nouméa.

Pour les relations spéciales de Taïti : Isidore Weill, à Papeete.

Pour les relations spéciales des îles Sandwich : William Davey, John Barker, Opfergelt, à Honolulu.

Il n’est nul besoin de faire suivre ce tableau du moindre commentaire. Les lecteurs qui s’intéressent à un ouvrage du genre de celui-ci constituent un public d’élite, et, bien que mes révélations soient publiées dans la forme qui pénètre le plus facilement parmi les masses populaires, je sais, par les innombrables lettres de félicitations et d’encouragement qui me sont adressées, que ma campagne est surtout suivie par les hommes d’étude, par les catholiques déjà au courant des questions maçonniques. Bien des choses qui, jusqu’à présent, avaient été seulement soupçonnées, sont maintenant élucidées. Aussi, je n’ai point à insister à propos de ce tableau, dont la publication démasque tous les rouages de la haute maçonnerie. Il ne faut donc pas se contenter de le lire, il faut le relire ; les hommes d’étude n’y manqueront pas, et un examen approfondi leur donnera la clef de bien des mystères, sans que j’aie à entrer dans des explications à ce sujet.

D’ailleurs, j’ai hâte d’en finir avec Charleston, et pourtant il me reste beaucoup à dire.

Lorsque je me trouvai pour la première fois dans la Rome luciférienne, — ce jour du 10 mars 1881, — je ne savais pas alors sur Albert Pike tout ce que je viens de rapporter. Comme témoin du palladisme, je n’avais recueilli encore des renseignements sûrs que relativement à ce qui se passe en Asie, et même, sur les faits et gestes du Directoire de Calcutta et de ses dépendances, je ne savais pas tout. Quant au Suprême Chef Dogmatique, je connaissais son existence ; mais j’ignorais l’étendue de son action, et surtout je n’avais pas scruté le diabolisme de ses manœuvres.

J’attendais donc avec impatience, chez Gallatin Mackey, la fin du dîner et des toasts et déclamations qu’arrosait le champagne. Enfin, nous nous rendîmes au temple. Mais j’eus une déception. La soirée se passa à la salle du Triangle, où quelques Kadosch du rite écossais furent reçus Kadosch du Palladium ; on avait réservé à Pike l’honneur de les initier. Certes, l’initiation au premier degré masculin palladique est curieuse ; mais le compte-rendu de cette séance ne serait qu’une reproduction de rituel ; ce n’est pas ici qu’il convient de produire des documents de cette espèce.

Je me bornerai à mentionner un petit incident.

Au cours de l’interrogatoire des récipiendaires, l’un d’entre eux, faisant connaître ses sentiments, déclara avec emphase qu’il éprouvait une très vive sympathie à l’égard de Satan ; car, dit-il, Satan était indignement calomnié par les prêtres.

Là-dessus, Albert Pike interrompit le récipiendaire et le gourmanda assez durement sur le choix de ses expressions. Satan était un mot catholique, dont un vrai palladiste ne devait jamais se servir ; Satan, c’était le diable, et il fallait dire Lucifer, qui n’est pas le diable. Bref, mon Pike s’emballa dans un discours, qui me parut plein de distinctions subtiles, et je crois fort que le récipiendaire n’y comprit rien. Finalement, celui-ci eut sa réception ajournée, pour avoir dit « Satan » au lieu de « Lucifer » ; il fut confié à un Mage Élu, chargé de parfaire son instruction, attendu qu’on l’avait jugé dans de bonnes dispositions et digne d’être admis dans un triangle, sitôt qu’il aurait compris la différence entre Lucifer et Satan.

La séance, passablement longue, fut coupée par une récréation, au cours de laquelle je bavardai dans les pas-perdus avec Chambers, Webber et Sophia. Chambers s’offrit à me faire visiter le lendemain les curiosités de l’immeuble. Nous primes rendez-vous pour l’après-midi.

Le matin, je me levai de bonne heure, et j’allai, par la ville, respirer le bon air, tout en inspectant les monuments. Pourtant, j’en eus vite assez, de cette inspection. J’éprouvai je ne sais quel besoin de rêverie ; je pris les quais qui bordent l’Ashley, pour marcher maintenant au hasard le long de la rivière, en m’abandonnant au caprice des idées diverses qui se heurtaient, s’entrechoquaient dans mon cerveau. Je m’applaudis sais, en moi-même, de l’heureux succès de mon entreprise. Le suprême grand-maître ne m’avait pas vu de mauvais œil ; bien mieux, comme ma patente de Hiérarque m’avait été délivrée par Philéas Walder dans des conditions régulières, il est vrai, mais qui ne se présentent pas souvent, Albert Pike avait consacré mon admission en apposant sa signature et son sceau à côté de la signature et du sceau du père de Sophia.

Je songeais à tout cela, à Calcutta, à Singapore, à Shang-Haï ; je demandais mentalement au ciel de me continuer sa protection ; j’escomptai l’avenir, supputant ce que j’avais encore à faire pour conduire ma mission à bonne fin. Il pouvait être environ neuf heures ; bientôt, dans ma promenade, j’allais sortir de la cité.

Tout-à-coup, j’entendis derrière moi une voix de jeune fille, qui disait :

— Docteur !… Hé ! docteur !… N’allez donc pas si vite, ou l’on ne pourra plus vous rejoindre !…

Je me retournai, et je vis Mlle  Walder, arrivant essoufflée. Je m’arrêtai, je la saluai. Elle était seule, et je n’en fus nullement surpris, connaissant les mœurs américaines : dans ce pays, les jeunes miss vont où elles veulent, sans être jamais accompagnées, si cela leur convient ; c’est là l’éducation protestante.

En quelques instants, Mlle  Walder fut auprès de moi. Elle me donna, sans façon, une grande poignée de main. Nous avions dîné la veille, chez Mackey, à côté l’un de l’autre ; nous étions donc de vieux amis, à présent ; et voilà, ce n’était pas plus compliqué que ça.

Alors, sans me laisser le temps d’ouvrir la bouche, elle m’expliqua, avec sa volubilité extraordinaire qui a toujours stupéfait ses auditeurs, que, elle, en petite femme très perspicace, elle avait deviné que ma pensée serait d’aller voir la ville de bon matin, et que, irrésistiblement, je serais poussé à venir ensuite soit du côté du port, soit du côté de l’Ashley. En réfléchissant, elle s’était dit qu’un voyageur comme moi, n’étant pas homme de commerce, n’irait pas au port, et que la rivière, et l’Ashley de préférence à l’autre, la rivière Cooper, m’attirerait davantage… l’Ashley, à cause de ses bords riants, enchanteurs.

— Je suis venue, conclut-elle ; j’étais sûre de vous rencontrer par ici… C’est drôle, j’ai été prise de la fantaisie de venir « vagabonder » avec vous ; et moi, je fais tout ce qui me passe par la tête !… Vous ne m’en voulez pas, docteur ?… Non, n’est-ce pas ?… Si je vous gêne, je m’en retourne tout de suite… Allons, je vois que je ne vous gêne…

Je n’avais pas eu le temps de placer un mot, et ma physionomie, sans exprimer une contrariété, évidemment, devait témoigner du moins un ahurissement profond.

Lorsque la demoiselle s’interrompit, je répondis une banalité ; mais je n’avais pas prononcé dix mots, qu’elle ouvrait de nouveau ses écluses pour laisser s’échapper les flots de son verbiage :

— Ah ! comme je suis contente de vous voir, et d’être là, nous deux, pour causer, sans être entendus de personne !… Je vis deux fois, quand je parle à un ami qui vient d’Europe… Père est heureux, lui ; il va souvent là-bas ; il est tout le temps en voyage, comme vous… Moi, on me laisse ici ; je m’ennuie bien, allez… Charleston, oui, c’est gentil ; mais c’est toujours la même chose !… Oh ! si j’étais homme, je ferais comme vous ; je me mettrais dans la marine ; je voyagerais d’une extrémité du monde à l’autre… Être aujourd’hui ici, demain là bien loin, après-demain ailleurs plus loin encore, voilà la vie, la vraie vie !… Je voudrais bien être à votre place… Aller et venir, toujours, sans cesse, sans répit, c’est mon rêve, et je ne comprends pas autrement le bonheur… Les gens qui sont constamment fixés dans la même ville, dans la même rue, dans la même maison, permettez-moi de dire le mot, docteur, ce sont des mollusques… Oh ! l’activité ! le changement ! le renouveau continuel !… Oui, je voudrais être vous…

Je l’écoutais.

Puis, brusquement :

— Voyons, me dit-elle, donnez-moi votre bras…

Je la laissai faire. Je me demandais si, dans cette tête, il n’y avait pas un grain de folie. Mais non, Sophie Walder n’est point folle. Elle a de ces moments où sa nature est exubérante. Je ne disais rien, j’étudiais.

Nous causâmes. Elle en revenait toujours à ses idées de voyages. Elle me raconta qu’étant née en Europe elle n’y était retournée qu’une fois, en 1874. Son père s’était, en 1873, rallié au Rite Écossais et au Palladisme. Albert Pike, voyant en lui un lieutenant sur lequel il pouvait compter, lui avait immédiatement donné place dans son Sérénissime Grand Collège et l’avait chargé d’importantes missions. Ayant à faire une tournée générale en Europe, Walder avait emmené sa fille, cette fois-là ; elle avait onze ans. Sophie se rappelait surtout l’excellent accueil qu’elle avait reçu à Lausanne.


UNE LOUVETONNE LUCIFÉRIENNE


sophie walder, à l’age de onze ans, est présentée par son père aux officiers dignitaires du suprême conseil de suisse, siégeant au temple maçonnique de lausanne (1874).
Personnages représentés ci-dessus : 1. — Jules Besançon, souverain commandeur grand-maître. — 2. Antoine Amberny, lieutenant grand-commandeur. — 3. Jules Duchesne, grand chancelier. — 4. Louis Ruchonnet, grand orateur. — 5. Eugène Dulon, grand trésorier général. — 6. Henri Paschoud, grand capitaine des gardes. — 7. Eugène Baud, grand maître des cérémonies. — 8. Philéas Walder, délégué du Suprême Directoire Dogmatique, de Charleston. — 9. Sophie Walder, louvetonne palladique.

Elle me donna des détails. Les officiers dignitaires du Suprême Conseil de Suisse s’étaient réunis, tous les sept, et Walder l’avait présentée. Il avait annoncé au grand-maître Besançon et à ses collègues que de grandes destinées étaient réservées à sa fille.

— Oui, c’est ainsi, me narrait la jeune miss avec un air de conviction absolue ; père dit que j’ai été choisie par notre Dieu. Je suis la tige prédestinée. Je serai mère, à trente-trois ans, d’une fille, qui, elle-même, à trente-trois ans, mettra au monde une autre fille. Il y aura ainsi une succession de filles, nées de moi, qui seront mères à trente-trois ans. Cela est marqué, d’une manière irrévocable, dans le livre du destin, et la dernière de ces filles de ma descendance sera la mère de l’Ante-Christ…

Encore une fois, je me demandai si Mlle  Walder ne divaguait pas. Elle parlait, les dents serrées, me pressant le bras avec force, et je la sentais frissonner.

— Ah ! docteur, disait-elle, quelle gloire ! Que de femmes m’envieraient si elles savaient que dans ma descendance directe naîtra celui qui changera à jamais la face du monde !… Père assure, et il ne se trompe pas sur ces choses, que le nombre des papes d’Adonaï est limité, et qu’il n’y aura pas, pour voir le dernier d’entre eux, de nombreuses générations issues de moi… Alors, les maleachs seront impuissants, et le règne du Dieu Bon commencera pour le bonheur général de l’humanité !…

J’étais stupéfait d’entendre un pareil langage ; cependant, je ne laissais rien paraître de ma surprise. Je me remis même promptement de ma stupéfaction, et j’eus l’air de m’intéresser sérieusement à ce qu’elle me racontait. Du reste, je voyais de nouveaux horizons s’ouvrir pour mon enquête. Je savais que, bien que jeune fille, Mlle  Walder connaissait à fond les sciences occultes ; d’après quelques mots échappés à son père, j’avais compris qu’elle était déjà quelque peu praticienne, ne se bornant pas à la théorie ; ce qu’elle venait de me dire m’en apportait la confirmation. Je n’eus garde de laisser échapper une telle occasion de me renseigner.

Je lui exposai ce que j’avais déjà vu, et je feignis d’être quelque peu contrarié de n’avoir pas encore aperçu un des génies du feu en personne.

— Oh ! vous avez le temps d’en voir, me dit-elle simplement, comme s’il s’agissait de la chose la plus naturelle du monde. Il n’y a pas huit jours, Chambers, Mackey et moi, nous avons évoqué l’Ante-Christ, précisément, et nous nous sommes entretenus plus d’un quart d’heure avec lui…

— L’Ante-Christ ! interrompis-je ; il existe donc déjà ?…

— Cette question ! mais il a existé de tout temps… C’est un des esprits de lumière ayant haut rang à la cour du royaume divin. Kobal, Asmodée et lui marchent de pair.

D’après ses explications, l’Ante-Christ serait un des démons qui président aux œuvres de nécromancie. C’est lui qui est désigné pour venir sur terre, quand le culte d’Adonaï sera près de son écroulement. Il s’incarnera dans un mâle qui naîtra sous l’avant-dernier pape, le jour même du couronnement de celui-ci, et trente-trois années s’écouleront entre le moment de sa naissance et celui où il remplira le monde d’admiration ; alors, la Papauté sera a jamais abolie, la religion chrétienne détruite, et, par des prodiges surpassant tout ce que l’on peut imaginer, l’Ante-Christ préparera le règne de Lucifer sur notre globe. En attendant, ce démon habite les enfers, le royaume du feu divin et éternel, selon l’expression des palladistes. Quand il apparaît en présence de Sophia, l’Ante-Christ s’incline respectueusement devant elle et lui donne le titre de « Sainte Mère » ; ce dont elle est très flattée.

Au surplus, Mlle  Walder connaît sur le bout de doigt tout son royaume du feu divin. J’appris d’elle, ce jour-là, le nombre exact des démons, et j’eus quelques aperçus précis de la monarchie infernale, organisée en hiérarchies et en légions. La jeune luciférienne se faisait un plaisir de m’instruire ; peut-être aussi, parlait-elle si volontiers par orgueil de me montrer sa science de parfaite occultiste.

À son dire, Lucifer, qui est l’autre Dieu, a immédiatement au-dessous de lui trois souverains, Baal-Zéboub, Astaroth et Moloch, et une souveraine, Astarté, laquelle serait la femme d’Astaroth et est la démone qui, dans les temps anciens, s’est fait adorer en Asie sous divers noms, notamment à Babylone sous le nom de déesse Mylitta. Viennent ensuite soixante-douze chefs, démons ou démones, qui, suivant leur importance, commandent à plus ou moins de légions ; ce sont là les hauts degrés de la hiérarchie des enfers. Chacun de ces chefs a ses titres spéciaux, ses dignités. Tout est organisé en véritable cour. Quiconque a lu les Écritures saintes connaît l’existence de Dagon, démon fort réputé ; dans les procès de sorcellerie, on voit souvent revenir, d’autre part, le nom de Béhémoth, un démon qui s’attaque de préférence aux religieuses, et qui, dans l’affaire de Loudun, posséda sœur Jeanne des Anges. Mais qui donc sait que Dagon, à la cour satanique, porte le titre de grand-pannetier de Lucifer, et Béhémoth le titre de grand-échanson ?… Pour moi, je l’ignorais jusqu’alors. J’ignorais même l’existence du démon Suchor-Benoth, qui, selon les lucifériens, serait le gardien-chef des succubes...

Plus tard, lorsque nous nous rencontrâmes de nouveau, en Europe, Mlle  Walder et moi, notre connaissance devint plus intime ; nous avons souvent passé ensemble de longues journées, où elle se plaisait à me professer son enseignement diabolique. C’est ce qui me permettra de donner, dans un chapitre spécial, les détails les plus complets sur ces questions.

Pour l’instant, je me contente de résumer notre conversation à Charleston. Sophia m’apprit donc alors que les légions infernales sont au nombre de 6,666, et que chaque légion se compose de 6,666 démons ou démones. Ces légions, groupées en divers corps d’armée qui sont commandés par les 72 chefs (diables ou diablesses des hauts degrés de la hiérarchie), ont chacune un chef particulier, exerçant un commandement analogue à celui de colonel, mais compris dans l’effectif de la légion. Les légions donnent donc un total de 44,435,556 démons et démones. Les hauts degrés de la hiérarchie comportent, je viens de le dire, 4 souverains, dont une souveraine, et 72 chefs ; soit 77, en comptant Lucifer au sommet. Ce nombre de 77 est, on le remarquera, le produit du chiffre cabalistique 11 multiplié par le chiffre luciférien 7. Total général : 44,435,633 esprits infernaux.

Je ne pouvais, sans frémir intérieurement, regarder cette jeune fille, qui, depuis sa plus tendre enfance, était en rapport avec les mauvais esprits ; je me disais que tout l’enfer devait passer en elle. Et cependant, elle était là, câline, souriante, enjouée, s’appuyant amicalement sur mon bras ; n’importe, elle m’effrayait. Quand, par moments, sa main se posait sur la mienne, il me semblait qu’elle me brûlait.

Je lui fis part de ce que m’avait affirmé son père, savoir qu’elle avait le don de se fluidifier et qu’elle passait, comme un courant d’électricité, à travers un mur.

— En effet, me répondit-elle, mais je n’aime pas me livrer à cette œuvre-là. Chaque fois, j’en ai pour plusieurs jours à être malade, à garder le lit, tant je suis épuisée par la spiritualisation… C’est là une sorte de physique occultiste qui me tuerait ; aussi, je n’en abuse pas, car il faut que je vive… À tout je préfère mes serpents ; je vous les montrerai. Je suis déjà bien familiarisée avec eux, jamais ils ne m’ont piquée. Dans un an, j’en ferai ce que je voudrai… En ce moment, je cherche le crotale, en qui je dois faire pénétrer l’esprit des oracles. Il faut qu’il ait exactement sept pieds de long (2 mètres 268 millimètres) au moment où je le découvrirai, qu’il soit d’un vert brunâtre à reflets dorés, et que ses losanges soient bordés de jaune d’or. Lorsque je l’aurai, Phaldor vivra en lui, et alors ma mission commencera…

Elle poussa un gros soupir.

— Quand donc pourrai-je retourner en Europe ?… Je sens que l’Europe m’appelle, a besoin de moi… Belphégor, qui est le chef des esprits du feu spécialement délégués par le Dieu Bon pour la protection de nos initiés en France, Belphégor l’a dit à père ; il faut que j’aille là-bas… C’est il y a quelques semaines à peine que père a constitué à Paris le premier triangle palladique, le 21 janvier de cette année… Il a eu bien de la peine à réunir les éléments épars de la vraie théurgie, dans votre pays, qui est fort arriéré. Enfin, aujourd’hui la Loge-Mère est fondée, et Belphégor, dux des génies de France, est heureux… Que j’aille en Europe, et il sera complètement satisfait…

Sous prétexte de m’intéresser à sa santé, je lui demandai si elle n’avait jamais eu de maladie grave.

— Je me porte généralement très bien, me répondit-elle ; mais, l’année dernière, vers la fin de novembre, j’ai failli mourir.

Je sus ainsi qu’à l’époque même où je me trouvais à Shang-Haï, dans les circonstances que j’ai racontées, Mlle  Walder, à Charleston, avait eu un érysipèle du cuir chevelu, grave, qui menaçait de prendre les méninges, et alors c’était la mort ; mais Gallatin Mackey, lui ayant donné ses soins, l’avait promptement guérie.

Elle revint encore une fois à ses rêves de voyage ; c’était chez elle une obsession. Malgré tout ce qu’elle faisait et tout ce qu’on lui faisait faire à Charleston, elle se considérait comme inactive. Et puis, elle connaissait les principaux chefs de l’Amérique et de l’Asie ; mais elle n’avait vu que rarement et très peu quelques-uns de ceux d’Europe. Les Européens, en général, ont l’horreur des grands déplacements, tout au contraire des Américains, qui traversent à tout propos l’Atlantique ou le Pacifique. Ainsi, Lemmi n’était jamais venu à Charleston.

— Vous allez retourner là-bas, me disait-elle ; vous irez en Italie, à Rome… Vous verrez Adriano Lemmi… Vous m’écrirez vos impressions, n’est-ce pas ? Vous me direz comment il est, comment il parle, ses tics, ses manies… J’ai hâte de le connaître de près… Surtout, il faut que vous me promettiez d’aller à Bologne ; vous ne me refuserez pas cela… Je vous demande, là, comme une amie, de vous rendre auprès de Carducci ; j’y tiens beaucoup… Vous lui répéterez ce que je vais vous dire, que j’ai pour lui la plus grande admiration ; mais de cela, je vous en prie, ne laissez jamais échapper un mot devant le Maître, devant Albert Pike… Il m’en voudrait…

Je l’écoutai, fort intrigué.

— Vous savez, cela, c’est entre nous, continua-t-elle. Je comprends à quel sentiment le Maître obéit, lorsqu’il défend de donner au Dieu-Bon un autre nom que celui de Lucifer ; mais je trouve qu’il est des cas où il faut savoir tolérer l’autre appellation, par exemple, lorsqu’un poète juge que le nom de Satan frappera mieux les esprits… Dans nos réunions rituelles, ne disons jamais Satan, soit ; quant à laisser ce nom dans les poésies bien inspirées, bien enflammées du grand souffle divin, comme celles de Carducci, cela n’a pas d’importance… Imaginez-vous que Lemmi et le Maître ont été sur le point de se fâcher à propos de l’Hymne à Satan. En Italie, on le récite, même dans nos banquets ; mais, partout ailleurs, le Maître l’a proscrit… Eh bien, vous direz à Carducci que je le sais par cœur, son hymne superbe ; je l’ai appris en cachette…

Et, brusquement, me quittant le bras :

— Connaissez-vous l’italien ? me demanda-t-elle.

— Assez pour le comprendre et le parler un peu.

— Alors, je vais vous dire l’hymne de Carducci… Vous voulez bien, n’est-ce pas ?… Je suis dans une si grande joie, quand mes lèvres profèrent ces strophes immortelles !…

Nous longions l’Ashley. Nous étions seuls, en pleine campagne, maintenant.

— Écoutez, frère, me dit-elle.

Et la voilà partie en pleine déclamation, l’œil brillant de lueurs étranges, le geste défiant le ciel.

Je crois utile de reproduire ici, dans son texte original (en note), l’hymne luciférien, qui est aujourd’hui comme le grand psaume adopté à la fois par les initiés de la théurgie et ceux de la goétie, hymne récité à toutes les fêtes des hauts grades maçonniques. La traduction française que voici est celle de Mlle  Walder, chez qui je l’ai copiée.


HYMNE À SATAN[7]

1. À toi, Principe immense de l’être, matière et esprit, raison et sens ;

2. Pendant que dans les coupes le vin scintille, comme l’âme brille au fond de la prunelle ;

3. Pendant que sourient la terre et le soleil, en échangeant des paroles d’amour,

4. Et que court un frémissement de secret hyménée, venant des monts, et que palpite la plaine féconde ;

5. Vers toi s’élance mon vers hardi ; je t’invoque, ô Satan, roi du festin.

6. Arrière ton goupillon, prêtre, et ta psalmodie ! Non, prêtre, Satan ne retourne pas en arrière !

7. Vois : la rouille ronge l’épée mystique de Michel, et le fidèle

8. archange, déplumé, dégringole dans le vide. La foudre s’est glacée dans la main de Jéhovah.

9. Pâtes météores, planètes éteintes, les anges tombent comme pluie, du haut des firmaments.

10. Dans la matière qui jamais ne se repose, roi des phénomènes, roi des formes,

11. Satan seul vit. C’est lui qui règne dans la lueur tremblante d’un œil noir,

12. Soit que, languissant, il se dérobe et résiste, soit que, vif et humide, il provoque et presse.

13. C’est lui qui brille dans le joyeux sang des grappes, par qui la prompte gaité ne languit pas,

14. Qui restaure la vie fugitive, qui repousse la douleur, qui met l’amour au cœur.

15. C’est toi, ô Satan, qui respires dans mon vers, quand il s’échappe de mon sein, défiant le dieu

16. des pontifes coupables, des rois sanglants ; et, comme d’un coup de foudre, tu ébranles les âmes.

17. Grâce à toi, vécurent Agramant, Adonis, Astarté, animant le marbre des sculpteurs, la toile des peintres et le papier des poètes.

18. Au temps où les brises sereines de l’Ionie burent la Vénus Anadiomène,

19. Vers toi frémirent les arbres du Liban, lorsque ressuscita l’amant de la douce Cypris :

20. Vers toi s’élancérent les danses et les chœurs, vers toi les candides et virginales amours,

21. À travers les palmiers odoriférants de l’Idumée, où blanchissant les écumes cypriennes.

22. Qu’importe que la barbare fureur nazaréenne des agapes du rite obscène

23. ait brûlé tes temples avec la torche sacrée, et jeté par terre, éparses, les statues d’Argos ?

24. La plèbe, au souvenir reconnaissant, t’a recueilli, exilé, parmi les dieux lares, dans ses chaumières.

25. Alors, remplissant un sein de femme palpitant, inspirée ardente et aimante,

26. Tu suscitas la sorcière, pâle d’une éternelle angoisse, la vouant à secourir la nature malade.

27. C’est toi qui, à l’œil immobile de l’alchimiste, au regard du Mage indomptable,

28. Au delà des grilles du cloître engourdi, révélas les éblouissants cieux nouveaux.

29. Te fuyant jusque dans les choses, le moine triste se cacha au fond de la Thébaïde.

30. Ô âme égarée de ton chemin, Satan est bienveillant ; voici Héloïse.

31. En vain tu te macères dans l’âpre cilice ; le vers de Maron et de Flaccus te poursuit de son murmure,

32. À travers la plainte et le chant funèbre de David ; et, formes delphiques, surgissant à côté de toi,

33. Formes roses au milieu de l’horrible compagnie noire, se glisse Lycoris, se glisse Glycère.

34. Alors, d’autres images, d’un âge plus beau, se peuple la cellule sans sommeil.

35. Lui, avec les pages de Tite-Live, il réveille les ardents tribuns, les consuls, les foules frémissantes,

36. Il les réveille ; et, exalté d’orgueil italien, il te chasse, ô moine, sur le Capitole.

37. Et vous, que le bûcher furieux ne put étouffer, voix fatidiques, Wikleff et Huss,

38. Confiez à la brise votre cri vigilant : le siècle se renouvelle, les temps sont accomplis.

39. Voilà que déjà tremblent mitres et couronnes ; du cloître même, sort grondante la rébellion,

40. Qui combat et prêche sous la robe du frère Jérome Savonarole.

41. Martin Luther a jeté bas le froc : rejette tes chaînes, pensée humaine,

42. Pour briller et fulgurer, ceinte de flammes ; matière, relève-toi ; Satan a vaincu.

43. Bel et horrible monstre, il se déchaîne, il parcourt les océans, il parcourt la terre ;

44. Éclatant et fumeux comme les volcans, il franchit les monts, il dévore les plaines,

45. Il vole par-dessus les abîmes ; puis, il se cache dans des autres inconnus, à travers les routes profondes ;

46. Et il en sort ; et indompté, de rivage en rivage, comme du sein d’un tourbillon, il pousse son cri ;

47. Comme du sein d’un tourbillon, son souffle s’épand : il passe, ô peuples, Satan le Grand.

48. Il passe, bienfaisant, de pays en pays, sur son char de feu que rien ne peut arrêter.

49. Salut, ô Satan, ô rébellion, ô force vengeresse de la raison !

50. Que montent sacrés vers toi notre encens et nos vœux ! Tu as vaincu le Jéhovah des prêtres !


J’avais écouté cette longue déclamation, sans interrompre la diseuse, la regardant, ma foi, fort interdit. La stupéfaction était le sentiment qui dominait chez moi ; je marchais vraiment de surprise en surprise. Je sentais en moi-même queMlle  Walder ne jouait pas pour moi une comédie ; au grade où j’étais parvenu, on peut tout entendre, et elle me savait hiérarque. J’étais donc abasourdi, en constatant les résultats d’une éducation satanique complète. Rien n’était plus étrange, — je dirai même : rien n’était plus sinistre, — que le fanatisme sauvage de cette jeune fille de dix-huit ans, me déclamant l’hymne infernal de Carducci[8], et appuyant avec exaltation sur le dernier distique : « Satan, tu as vaincu le Jéhovah des prêtres ! »


Rien n’était plus étrange, — je dirai même : rien n’était plus sinistre, — que le fanatisme sauvage de cette jeune fille de dix-huit ans, me déclamant l’hymne infernal de Carducci, et appuyant avec exaltation sur le dernier distique : « Satan, tu as vaincu le Jéhovah des prêtres ! »

Nous continuâmes notre promenade. Maintenant, nous avions repris le chemin de Charleston, et Mlle  Walder faisait de plus belle les frais de la conversation. Dans ce tête-à-tête de deux heures avec la soi-disant bisaïeule de l’Ante-Christ, j’en ai plus appris que dans dix séances de triangle palladique. À onze heures, nous étions de retour en ville ; je raccompagnai Sophia jusqu’à la porte de Jonathan Chambers.

L’après-midi, Chambers, tenant sa promesse, vint me prendre chez le docteur Mackey, où je lui avais donné rendez-vous, et me fit visiter les curiosités du temple. Ces curiosités se trouvant réunies dans l’immeuble actuel, j’en ferai la description dans quelques instants, en parlant du nouveau local.

Gallatin Mackey me montra chez lui l’Arcula Mystica (le coffret mystique), dont il n’existe au monde que sept exemplaires : à Charleston, à Rome, à Berlin, à Washington, à Montevideo, à Naples et à Calcutta.

C’est un coffret qui ressemble extérieurement à une cave à liqueurs. Un bouton à ressort fait ouvrir à deux battants un des côtés, tandis que le couvercle se soulève. On a alors à découvert un très curieux appareil. Au milieu se dresse une embouchure de porte-voix en argent, qu’on prendrait au premier coup d’œil pour un pavillon de trompette ou de cor de chasse, mais beaucoup plus petit, bien entendu. À gauche, est un petit câble en fils d’argent tordus, dont une extrémité est fixée à l’appareil, et l’autre extrémité aboutit à une sorte de clochette, qu’on s’applique à l’oreille et par où arrive la voix de la personne avec qui on se met en communication, comme aux téléphones d’aujourd’hui. À droite, est un crapaud, toujours en argent, gueule ouverte. Tout autour de l’embouchure du porte-voix, sont sept petites statuettes en or, debout, chacun sur un petit piédestal séparé, en argent, représentant symboliquement les sept vertus cardinales de l’échelle palladique.

Chacune des sept statuettes désigne, en même temps, un des Directoires. La statuette Ignis (feu sacré, zèle divin), caractérise le Suprême Directoire Dogmatique de Charleston ; Ratio (la raison qui doit triompher de la superstition), le Souverain Directoire Exécutif de Rome ; Labor (le travail), le Souverain Directoire Administratif de Berlin ; Ubertas (la fécondité), Caritas (la charité maçonnique), Emancipatio (l’émancipation de l’humanité, secouant le joug de tous les despotismes) et Félicitas (le bonheur par la pratique de la vertu) caractérisent les quatre Grands Directoires Centraux de Washington, Montevideo, Naples et Calcutta.

Pour tout dire en un mot, l’Arcula Mystica n’est pas autre chose qu’un téléphone diabolique.

Lorsque le Suprême Chef Dogmatique veut se mettre en communication, par exemple avec le Chef d’Action politique, il appuie son doigt sur la statuette Ignis et sur la statuette Ratio ; celles-ci s’enfoncent alors dans leur petit piédestal, ne laissant en saillie que la tête. Au même instant, à Rome, dans le cabinet où Lemmi a son Arcula Mystica, un fort sifflement s’entend. Lemmi ouvre son coffret et voit la statuette Ignis enfoncée, tandis que de la gueule du crapaud sortent de petites flammes inoffensives. Il sait ainsi que le Souverain Pontife de Charleston désire lui parler. Il enfonce la statuette Ratio de son coffret. Dès lors, la conversation s’engage entre les deux chefs, chacun émettant la voix dans l’embouchure décrite ci-dessus, tout en tenant à son oreille la clochette d’argent.

Si, au moment de la demande de communication, Lemmi n’est pas chez lui, il éprouve la sensation de sept exhalations de souffle chaud sur son visage ; il sait ce que cela veut dire. Si, par exemple, il a besoin d’une heure de temps pour être disponible ou rendu à son domicile, il dit à voix basse : « Dans une heure seulement, je serai prêt. » Et le crapaud du coffret de Charleston, qui, lui aussi, vomit des petites flammes pendant toute la durée de la communication, dit à voix haute et intelligible : « Dans une heure ! dans une heure ! dans une heure ! »

À la fin de la communication, chacun des chefs qui se sont parlé par cette voie remet en place les petites statuettes d’or, en les tirant par la tête.

Tout souverain grand-maître de Directoire emporte avec lui son Arcula Mystica, quand il voyage ; ce coffret est en dépôt entre ses mains à titre personnel. Pour le Directoire Administratif de Berlin, l’Arcula est confiée au souverain délégué aux finances.

Je dois le dire, je n’ai jamais vu fonctionner cet appareil ; les chefs qui le possèdent s’en servent hors la présence de tout témoin. Mais j’ai vu, en 1881, l’Arcula du docteur Mackey, et plus tard, celle d’Albert Pike, celle de Lemmi, et celle de Hobbs, qui depuis cinq ans est devenu le souverain grand-maître du Directoire pour l’Asie et l’Océanie ; en outre, le frère Hobbs n’a fait aucune difficulté pour m’expliquer le fonctionnement du coffret diabolique, et son explication confirmait celle que je tenais de Gallatin Mackey. Peut-on supposer que ces gens-là aient chez eux, pour ne pas s’en servir, cet instrument magique dont le caractère luciférien est indiscutable, ou que ce soit là entre leurs mains un meuble quelconque tout naturel, un objet simplement bizarre et de pure fantaisie ?

D’autre part, j’ai eu connaissance d’une légende qui a cours chez les occultistes américains, et que je dois noter au passage. Je me fais un scrupule de tout relater ; mais les faits dont je n’ai pas eu l’occasion de contrôler l’exactitude, je les donne pour ce qu’ils peuvent valoir. D’après la légende en question, très répandue aux États-Unis, le suprême grand maitre Albert Pike avait à sa disposition un démon domestique, de l’ordre inférieur, qui paraissait dès qu’il l’évoquait chez lui, et à qui il confiait le soin de transporter, en quelques secondes, où il fallait, les documents de la plus extrême importance. Pour ces évocations, faites dans son cabinet de travail, à Washington, Pike se revêtait du costume de Mage Élu ; armé de l’épée magique, il traçait sur le plancher un cercle, en prononçant certaines paroles d’un rituel de cabale ; la trace circulaire se couvrait aussitôt de minuscules flammes blanches ; le diablotin, mis par Lucifer à son service, une sorte de gnome nain et difforme, agrémenté d’une très longue queue, prenait le pli cacheté que Pike lui tendait, et, disparaissant instantanément, l’emportait pour le déposer illico a son adresse, fallût-il aller aux antipodes.


D’après une légende très répandue chez les occultistes américains, Albert Pike avait à sa disposition un démon domestique, de l’ordre inférieur, qui paraissait dès qu’il l’évoquait chez lui, et à qui il confiait le soin de transporter, en quelques secondes, où il fallait, les documents de la plus extrême importance.

Évidemment, il est nécessaire de dégager la mémoire d’Albert Pike de grand nombre de récits sinon totalement imaginaires, du moins fortement exagérés. Mais, avec un homme de cette espèce, ou ne sait jamais à quoi s’en tenir au juste. Sa réputation d’occultiste avait franchi les portes des loges et des arrière-loges. Les indifférents eux-mêmes, ceux qui ne sont ni pour ni contre la franc-maçonnerie, savaient, par ouï-dire, qu’il se livrait à des pratiques lucifériennes. Cette renommée était telle que lorsqu’on parle de Pike à n’importe qui, aux États-Unis, on est sûr d’avoir, aujourd’hui encore, cette réponse ; « Le général Pike ? oui, je sais ; vous voulez dire le magicien de Charleston, le grand-prêtre d’une religion secrète où l’on adore le diable ? » Sur ce point, il n’y a chez personne aucune hésitation ; la pratique du satanisme par Albert Pike est de notoriété publique de l’autre côté de l’Océan.


Me voici arrivé maintenant à la description que j’ai promise du célèbre immeuble maçonnique, qui est, sur notre globe, le Vatican de Lucifer. Il s’agit du grand temple des rues King et Wentworth, de Charleston, dont le docteur Gallatin Mackey traça le plan, mais qu’il ne vit pas construire. Comme grand-secrétaire du Suprême Directoire Dogmatique et vice-président du Sérénissime Grand Collège, il fut remplacé, à l’inauguration (1883), par son neveu, l’ingénieur Albert-Georges Mackey, qui lui avait succédé en ces qualités dès le lendemain de sa mort, et qui devait plus tard, à la mort d’Albert Pike (2 avril 1891), être un des trois lieutenants entre qui fut partagée la succession maçonnique de l’organisateur du Palladisme ; c’est, en effet, Georges Mackey qui est aujourd’hui le souverain grand-maître du Palladium Réforme Nouveau et le Suprême Chef Dogmatique de la franc-maçonnerie universelle, tâche que les frères haut gradés déclarent trop lourde pour ses épaules, bien que cependant on ne lui ait pas donné, par surcroît, la succession de Pike au Directoire Central de Washington ni au Suprême Conseil du Rite Écossais (juridiction sud des États-Unis).

Pour saisir toute la portée des explications que je vais donner maintenant, le lecteur voudra bien remettre sous ses yeux le plan qui figure plus haut (page 297), en tenant compte des premières observations que j’ai faites (pages 318-319).

Une fois qu’on a franchi le vestibule d’entrée, qui, par des portes ménagées à droite et à gauche, donne accès dans les locaux réservés à l’administration et au logement des frères servants, on pénètre, par la grande porte du fond, seule ouverte aux affiliés, dans une vaste galerie de plus de 50 mètres de long sur 5 de large, nommée Galerie des Statues ou encore Galerie des Maçons Émérites. Là sont, en grand nombre, dans des niches disposées au milieu d’une double colonnade, les statues des francs-maçons les plus célèbres, ou, pour mieux dire, les plus tenus en haute estime dans la secte. Beaucoup de niches sont encore vides ; dans l’une d’elles sera placée prochainement la statue d’Albert Pike. La hauteur de cette galerie est celle d’un rez-de-chaussée ordinaire et d’un entresol : c’est là, du reste, la hauteur de toutes les pièces figurant à cet étage dans la partie intérieure de l’immeuble, réservée aux réunions et au culte maçonniques.

Pendant la journée, la grande porte d’entrée de la galerie est fermée à clef. Le soir, il n’en est pas de même ; mais trois frères servants se tiennent en permanence dans la galerie, aux places indiquées sur le plan. Ces frères ont la charge d’indiquer aux initiés qui se présentent le chemin qu’ils doivent prendre pour se rendre à la salle où ils ont affaire ; en d’autres termes, ils veillent ainsi, en se faisant montrer les planches de convocation, à ce que les frères de grades inférieurs n’aillent pas où il ne leur est point permis d’aller.

Deux grands escaliers, à droite et à gauche, conduisent de cette galerie à l’étage supérieur ; les marches, larges et douces à monter, sont en beau marbre blanc et recouvertes d’un chemin en tapis très moëlleux. Sous chacun de ces escaliers se trouve un vestiaire, tenu par un frère servant.

À côté des deux grands escaliers et à chacune des extrémités de la galerie des Statues, il y a une porte, garnie de cuir frappé, qu’il suffit de pousser pour pénétrer dans une antichambre, de 36 mètres carrés de superficie, appelée Parvis du Premier Tuilage. C’est là, en effet, que l’arrivant, s’il n’est pas connu personnellement du gardien de ce parvis, subit un premier examen pour faire constater son affiliation et son grade ; ce qu’il fait en répondant à certaines questions d’ordre et en montrant ses diplôme, patente, bref et autres papiers maçonniques. Il en est de même, du reste, dans tous les temples de la secte, en n’importe quel pays du globe.

Il y a quelques années encore, on n’avait, pour pénétrer, qu’à donner les mots de passe et les réponses aux principales questions d’ordre ; mais, depuis 1886, il n’en est plus ainsi. À la suite des révélations de M. Léo Taxil qui jetèrent un vrai désarroi dans les loges, surtout en Europe, les chefs, émus de ce que cet auteur publia exactement et complètement tous les mots de passe, mots sacrés, questions d’ordre avec leurs réponses, pour chaque grade des divers rites (sauf le palladique) pratiqués en France, ordonnèrent que l’exhibition des papiers authentiques ne serait plus négligée désormais ; il faut même prouver maintenant que l’on est maçon actif, en montrant la feuille personnelle qui est délivrée à chaque frère par sa loge et sur laquelle le trésorier constate que l’on est en règle pour le paiement des cotisations.

La partie intérieure, qui seule nous intéresse dans l’immeuble, a deux ailes, reliées l’une à l’autre au fond par un corps de bâtiment, au centre duquel se trouve l’inaccessible « Sanctum Regnum ». Toute la partie de droite est consacrée aux salles, parvis, magasins et cabinets de réflexion du Rite Écossais, tandis que le Rite Palladique est maître de la partie de gauche, avec quelques salles réservées aux sœurs écossaises qui n’ont pas été encore initiées au Palladium. Au milieu de l’immeuble, une construction spéciale est bâtie, n’ayant que 4 mètres 50 de hauteur au-dessus du niveau du rez-de-chaussée ; c’est le Labyrinthe Sacré, dont je donnerai tout à l’heure la description particulière. D’autre part, les diverses salles du rez-de-chaussée des corps de bâtiment qui entourent cette construction relativement basse ont, ainsi que les galeries et parvis qui les desservent, 7 mètres de hauteur ; cette différence de hauteur est utilisée pour donner l’aération et le jour nécessaires, les galeries et parvis du pourtour ayant toute leur partie supérieure vitrée, avec de nombreux vasistas. Grâce à cette disposition, on ne peut, du dehors, rien voir, rien soupçonner de ce qui se passe dans les temples du local, lesquels sont ainsi parfaitement aérés, et, pour les séances de jour, éclairés à merveille, sans qu’il soit besoin d’user du gaz ou de la lumière électrique, sauf au « Sanctum Regnum », à la salle de l’Aréopage et à celle du Grand-Triangle.

De l’un des deux parvis du premier tuilage, dont la porte ne s’ouvre qu’aux frères de Charleston bien connus ou aux visiteurs ayant justifié leur droit d’entrée, on a accès dans l’aile droite par une longue galerie, un peu moins large que celle des Statues, et qui est appelée Galerie Saint-Jacques ou encore Galerie des Frères. Là se tient aussi un nouveau frère servant, dont la mission est d’arrêter au passage l’Apprenti, le Compagnon ou le Maître, qui, se trompant de porte, se dirigerait vers le fond où ne peuvent aller que les membres des Chapitres et autres haut-gradés. Un siège, sur un petit socle élevé de deux marches, marque la place du servant de garde ; mais, d’ordinaire, il va et vient dans la galerie, prêt à fournir tous renseignements aux visiteurs. Ce servant ne tuile pas.

La galerie Saint-Jacques est ornée de nombreux tableaux maçonniques. On remarque surtout, au milieu du mur de droite et en face du siège du servant, un superbe tableau, à couleurs très vives, représentant le supplice de Jacques Molay, dans une attitude de martyr, sur son bûcher, levant les yeux au ciel, d’où un petit génie ailé descend, tenant une couronne ; cette peinture est due au F∴ Walz, de Davenport.

En entrant dans la galerie Saint-Jacques, on rencontre, immédiatement à droite, une porte s’ouvrant sous une simple poussée, et l’on est alors dans le parvis du Temple des Grades Symboliques. Les jours de tenue, la porte du temple est gardée soit par un membre de la loge qui a séance, soit par un servant. Dans le parvis, signalons la table supportant le Livre de Présence ; c’est sur ce registre que s’inscrivent, en signant, tous les frères qui désirent assister à la tenue, y ayant droit ; les membres de l’atelier signent sur la page de droite, et les visiteurs sur la page de gauche. Une table et un registre semblables sont dans tous les parvis précédant une salle quelconque affectée aux réunions rituelles ; je m’abstiendrai donc de répéter chaque fois cette explication.

Le Temple des Grades Symboliques, à Charleston, forme une belle salle ayant 260 mètres carrés de superficie, soit 20 mètres de long sur 13 de large. Elle est ornée dans le style égyptien, mais moins somptueusement que le grand temple de la loge les Amis Philanthropes de Bruxelles, qui est du même style et qui est la plus belle salle maçonnique d’Europe. Dans ce premier temple se tiennent les séances des trois premiers grades du Rite Écossais ; l’administration du rite loue la salle, à jours fixes, aux diverses loges de la ville, et les tentures et accessoires varient suivant que les frères travaillent à tel ou tel degré.

Le parvis des Grades Symboliques a encore deux portes s’ouvrant sur deux endroits, où sont installés, sous forme de grands placards, les magasins contenant les tentures et autres accessoires pour la décoration rituelle du temple, aux trois premiers degrés écossais. Il y a là aussi les cabinets de réflexion où l’on enferme les récipiendaires. Ici, le local est divisé en deux étages, ces cabinets et magasins n’ayant pas besoin d’une grande hauteur de plafond. Un petit escalier (en fer forgé) en spirale, placé dans un angle du premier magasin, permet d’accéder aux cabinets de l’étage supérieur.

Au fond de la galerie Saint-Jacques, on remarque trois portes. Entre elles, dans la galerie, se tient, les jours ou soirs de tenue, un frère haut gradé, membre de la Masonic Veteran Association ; il veille à ce que les frères qui se présentent ne pénètrent que là où ils ont le droit d’aller. Par la porte de droite, on entre au Chapitre des Rose-Croix. D’abord, c’est le parvis, où un second frère haut-gradé procède à un nouveau tuilage des visiteurs. Ensuite, c’est la Chambre Verte, de 54 mètres carrés de superficie seulement : on n’y tient pas séance, à proprement parler ; c’est là que le président du Chapitre, entouré des officiers dignitaires, confère d’un seul coup les grades allant du 4e au 17e degré aux frères dispensés du stage et désignés pour passer directement du grade du Maître (3e degré) à celui de Rose-Croix (18e degré) ; le Très-Sage ou président du Chapitre leur explique, d’après un discours imprimé dans un rituel qu’il lit, le sens, mais très approximativement, des quatorze degrés qu’ils franchissent d’un saut. Enfin, par le parvis, on entre dans la Chambre Noire qui communique elle-même avec la Chambre Rouge deux salles ayant chacune 130 mètres carrés de superficie ; là ne pénètrent que les frères pourvus au moins des dix-huit premiers degrés, et, pour leur initiation, les Chevaliers d’Orient et d’Occident (17e degré) jugés dignes de devenir Rose-Croix. Je ne décrirai pas ces salles, dont la décoration rituelle a été indiquée par tous les auteurs qui ont publié des révélations sur les mystères du Rite Écossais.

La porte située tout à fait au fond de la galerie Saint-Jacques s’ouvre sur le parvis des Kadosch. Ici encore, un frère haut-gradé garde l’entrée de la salle de l’Aréopage, qui est la salle principale des initiés au 30e degré écossais. Ce parvis donne également accès dans le grand magasin des accessoires des hauts grades ; ce magasin est très important. La salle de l’Aréopage, décorée de tentures rouges et d’emblèmes décrits déjà par d’autres auteurs, est, à Charleston, un peu plus grande que les salles de tenue des Rose-Croix. Avec le Sanctuaire de la Sagesse, qui sert uniquement aux initiations au 30e degré, c’est la seule salle réservée aux Kadosch qui soit située au rez-de-chaussée ; les autres salles nécessaires pour les mystères de ce grade sont au sous-sol, et l’on y arrive par un escalier tournant dans une cage d’environ 12 mètres carrés, à l’endroit désigné ainsi sur le plan : « Accès des souterrains. »

La troisième porte du fond de la galerie Saint-Jacques, porte à gauche, s’ouvre sur le parvis du Suprême Conseil, où pénètrent uniquement les initiés supérieurs pourvus du 33e degré, le plus haut grade du Rite Écossais, et les frères d’autres rites, pourvus d’un degré correspondant et admis tout a fait exceptionnellement comme visiteurs, dans certaines tenues solennelles. À la tenue du 11 mars, dont sont exclus les 33es reçus avec l’anneau, à qui on la laisse ignorer, l’entrée n’est donnée, en ce qui concerne les visiteurs d’autres rites, qu’à ceux qui ont l’initiation luciférienne ; en outre, ce jour-là, les privilégiés arrivent par l’aile gauche de l’immeuble, et l’entrée par le fond de la galerie Saint-Jacques est fermée à clef ; de telle sorte qu’un 33e avec l’anneau qui s’aventurerait par là trouverait porte de bois et ne saurait même pas qu’il y a séance.

Le Temple du Suprême Conseil est une magnifique salle, très richement décorée, avec d’éclatantes dorures au plafond, dans les frises et sur les colonnes d’ornement ; la tenture est de velours rouge superbe, où des squelettes, têtes et os de mort sont brodés. Quatre candélabres en argent massif, artistement sculptés, sont dans cette salle, non pour l’éclairage qui est fait à l’électricité, mais en vertu des prescriptions de la liturgie maçonnique : un, à l’orient, est à 5 branches ; un autre, à l’occident, 3 branches ; un troisième, au nord, 1 branche ; le quatrième, au midi, 2 branches. Ainsi est formé le nombre 5312, qui figure maçonniquement l’année de l’abolition de l’ordre des Templiers, prononcée par le pape Clément V. Ce nombre est celui qui est rappelé, en toute occasion, dans n’importe quel Suprême Conseil. Pour entrer, par exemple, après avoir subi le tuilage d’un couvreur haut-gradé, on frappe à la porte onze coups, espacés en quatre séries : 5 coups, 3 coups, 1 coup et 2 coups. La batterie d’acclamation, en séance, s’effectue de même, par un applaudissement en onze coups pareillement espacés.

Mais ce qui distingue le temple du Suprême Conseil de Charleston, c’est une colonne de granit rouge, entourée d’ornements funèbres, haute d’un mètre trente centimètres (piédestal compris) et d’un diamètre de trente-cinq centimètres, supportant un plateau également de granit rouge, sur lequel est un crâne, que les sectaires appellent la Relique de saint Jacques et qu’ils disent être le crâne de Jacques Molay. C’est bien là la tête de mort dont l’abbé Laugier avait entendu parler, la tête de mort qui, une fois par an, à jour fixe, parle et vomit des flammes.

Les francs-maçons, du moins ceux qui sont dans le secret des hauts grades, prétendent que le corps de Jacques Molay ne fut pas entièrement consume par le bûcher. Sitôt que le martyr, disent-ils, eut été étouffé par l’épaisse fumée des bois résineux, le bourreau, qui avait été gagné secrètement à prix d’or, ralentit l’ardeur du feu, et les flammes ne terminèrent pas leur œuvre de destruction ; la tête du grand-maître n’eut que les cheveux et les chairs brûlés ; elle put être, sans peine, détachée du tronc et fut remise, sans calcination de l’ossature, à des mains « pieuses ». Cette soustraction du crâne, habilement opérée, ne fut pas constatée. La relique du martyr, transportée en Écosse, avec le Baphomet, y demeura jusqu’en 1801, époque à laquelle le juif cabaliste Isaac Long vint aux États-Unis et créa le Suprême Conseil de Charleston (31 mai), au 33° latitude nord. Si le Baphomet original ou Palladium et le crâne de Jacques Molay sont à Charleston, c’est donc grâce à Isaac Long, disent les maçons émérites.

En ce qui concerne le Baphomet original, je suis assez perplexe, et j’hésite à me prononcer ; on n’a, au surplus, aucun moyen de contrôle. Mais, pour ce qui est de la relique, je déclare que je ne suis pas du tout convaincu. Là-dessus, je m’expliquerai plus longuement ailleurs, en rapportant tout ce que ce crâne suspect débita en ma présence, le 11 mars 1881 ; les réponses que fit la tête de mort, soi-disant de Jacques Molay, relativement à ce qui se passe aux enfers, ont leur place marquée dans mon chapitre sur la nécromancie moderne ; elles ont été étranges et méritent une relation complète. Quant à l’authenticité du crâne lui-même, je dois dire que mes bonnes et sérieuses études en science anthro pologique m’ont empêché d’être dupe et que j’ai vu la supercherie au premier coup d’œil. Le crâne qui est à Charleston n’est pas celui d’un Européen ; cela, je l’affirme hautement ; les initiés aux derniers mystères sont, sur ce point, mystifiés par quelqu’un, qui n’est pas Isaac Long.

En effet, reprenons les faits dans leur ordre chronologique ; et ici je m’adresse à mes ex-frères en Lucifer, qui sont des aveugles incurables, si mon raisonnement ne contribue pas à les éclairer.

Comment peut-on admettre, leur dirai-je, que le crâne en question, censément apporté à Charleston par Isaac Long, soit demeuré quarante-huit années sans produire aucune de ces manifestations surnaturelles qui le signalent aujourd’hui ?… Eh quoi ! il a fallu les confidences de Gallatin Mackey à Albert Pike, à l’issue de la guerre du Mexique, pour que ce crâne fasse tout à coup parler de lui !

En 1848, le docteur Mackey fait part à Pike de sa léthargie annuelle d’une heure le jour du 11 mars. Pike consulte un de ses génies familiers, et celui-ci lui annonce que l’année suivante, c’est-à-dire le 11 mars 1849, on aura à Charleston la solution de l’énigme. Sur ces entrefaites, Gallatin Mackey découvre un coffre ayant appartenu à Isaac Long et qu’on n’avait jamais songé à ouvrir (!!!). Il brise le coffre, sa clef étant perdue, et il est tout surpris d’y trouver un crâne soigneusement empaqueté, sans autre explication qu’un bout de parchemin où sont inscrites ces trois lettres : J. B. M. Il ne sait ce que cela veut dire.

Au jour fixé, Pike ne manque pas de se trouver au rendez-vous convenu. Alors, brusquement, dans la salle du Suprême Conseil, le docteur Mackey tombe en état léthargique ; il semble frappé de mort subite, et, à l’instant même, le crâne qui se trouvait là, — pourquoi ? c’est ce qu’on néglige de dire, — se met à vomir des flammes et à parler. Il informe les personnes présentes, qui ne lui demandaient rien, qu’il est la relique du grand-maître des Templiers, Jacobus Burgundus Molay, et voilà expliqué le J.-B.-M. du parchemin. Cette manifestation surnaturelle dure une heure, au bout de laquelle Gallatin Mackey reprend ses sens, et le crâne cesse d’émettre son feu diabolique et redevient muet.

Depuis lors, chaque année, le phénomène se renouvelle le 11 mars, même depuis la mort de Mackey. Tant que le docteur vécut, il eut annuellement son heure de léthargie subite, tandis que le crâne parlait et flamboyait. Aujourd’hui, les maçons lucifériens sont convaincus qu’il y a quelque part sur le globe un individu mâle, né le 20 juin 1881, en qui est passée l’âme de Jacques Molay et qui, régulièrement, cesse de vivre pendant une heure, le 11 mars ; cet individu, ils ne l’ont pas encore trouvé, mais ils le cherchent avec persévérance.

Cette manifestation surnaturelle du crâne de Charleston confirme ce que j’ai dit plus haut : même dans les cas extraordinaires qui déconcertent la science humaine, il y a toujours ou presque toujours du charlatanisme mêlé aux prestiges ; rien n’est plus rare que les faits où le surnaturel est dégagé de toute jonglerie.

Pour ce qui est du phénomène lui-même, je reconnais admissible la croyance à l’absence de supercherie. J’ai été témoin de la léthargie de Gallatin Mackey ; j’ai entendu le crâne parler, répondre pendant une heure environ à toutes les questions qui lui ont été posées ; j’ai vu les flammes qu’il lançait par les cavités du nez et des yeux, et qui ne sortaient certes pas de la colonne de granit, soigneusement examinée par moi. N’importe, je doute encore sur ce point, et je me demande parfois si je n’ai pas été illusionné par une opération de physique naturelle, exécutée avec une habileté parfaite ; mais, là-dessus, je ne vais pas au delà du doute personnel, résultant d’une impression de mon esprit porté à la critique, tandis que, sur la question même de la tête de mort servant à ce prestige, je n’ai aucune hésitation, et j’affirme, sans craindre de me tromper, que ce n’est point là le crâne de Jacques Molay.


Revenons maintenant à la galerie des Statues, qui va nous servir de point de départ pour visiter le côté gauche de la partie intérieure de l’immeuble.

Ici encore, les frères autorisés et passer sont arrêtés un moment par un premier tuilage, qu’il leur faut subir dans un parvis situé à gauche de l’un des deux grands escaliers. De ce côté, la consigne est encore plus sévère qu’à droite. Il ne suffit pas de prouver qu’on possédé tel ou tel grade, qu’on est membre actif et cotisant d’une Loge, d’un Chapitre ou même d’un Aréopage ; il faut montrer, en outre, une lettre d’invitation personnelle à l’une des réunions qui ont lieu dans l’aile gauche ; il faut, devant le tuileur, mettre sa signature au bas de cette lettre, et le tuileur compare ladite signature avec celle ne varietur dont votre diplôme a été contresigné par vous le jour où ce document vous a été délivré.

Si vous appartenez à un atelier androgyne de Charleston, soit au rite d’Adoption écossaise, soit au Rite Palladique, c’est le secrétaire de votre atelier qui vous transmet, par une main sûre, la planche d’invitation à votre domicile. Si vous êtes visiteur étranger, c’est vous-même qui, étant allé vous informer au préalable auprès du secrétaire général du Palladium, avez appris le jour et l’heure des tenues androgynes, et le secrétaire général vous a remis en mains propres la lettre indispensable d’invitation ; par conséquent, les palladistes et les affiliés des quelques autres rites lucifériens sont seuls à pouvoir pénétrer dans ces réunions, qui sont ainsi ignorées d’un très grand nombre de frères.

On a publié déjà des rituels de maçonnerie androgyne ; mais cette organisation spéciale n’a pas encore été bien expliquée. Je fournirai, dans cet ouvrage, les renseignements les plus complets à ce sujet. On verra combien le système du fonctionnement est ingénieux, comment on donne le change aux francs-maçons eux-mêmes, à ceux qui ne doivent pas tout savoir, et cela si bien que certains membres d’une loge masculine qui s’est annexé une loge de femmes sont à mille lieues de soupçonner l’existence de cette annexe. Sans en dire plus long pour le moment, il est bon de faire savoir tout d’abord que les ateliers d’Adoption ne se visitent pas entre eux dans les degrés inférieurs ; ce n’est qu’au grade de Sublime Écossaise (5e degré) qu’une sœur est admise en visiteuse dans un Aréopage androgyne autre que le sien. Quant aux frères appartenant à un atelier où maçons et maçonnes travaillent ensemble, il leur faut, pour pouvoir aller dans n’importe quel Aréopage de Sublimes Écossaises, être pourvus au moins du 32e degré de l’écossisme (Prince du Royal-Secret) ou du grade correspondant dans un autre rite, et avoir été reçus sans l’anneau, bien entendu. Par contre, dans le Palladisme et chez les Old-Fellows, tous les ateliers donnent à leurs membres, tant sœurs que frères, le droit de visite réciproque.

L’aile gauche de l’immeuble maçonnique de Charleston est donc bien gardée. En premier lieu, les trois servants en permanence dans la galerie des Statues connaissent tous les frères de la ville et savent ceux qui ignorent l’existence des ateliers androgynes ; ils ont vite fait de diriger ceux-ci vers l’aile droite. Si, par aventure, un de ces initiés incomplets se montrait intrigué de voir des frères de sa connaissance pénétrer dans le parvis du premier tuilage à gauche et demandait quelle séance a lieu de ce côté-là, la réponse est toute prête, pour dépister le curieux. Ce sont des frères convoqués à une tenue de comité secret et qui sont juges dans une affaire d’honneur ; ou bien il y a une réunion particulière de certains membres pour régler une question de propagande au point de vue financier ; ou encore, une salle de ce côté-là a été louée exceptionnellement à une société non-maçonnique qui donne une fête de famille et qui a invité des frères, non comme francs-maçons, mais comme amis personnels du président ou de quelqu’un des membres de la dite société ; et mille autres bonnes raisons de cet acabit. Les vrais initiés confirment l’explication, saluent le frère laissé dans l’ignorance de ces mystères, et pénètrent dans l’aile gauche, avec l’air ennuyé de gens qui vont remplir une corvée assommante.

Quant aux visiteurs étrangers à Charleston, ils sont les premiers à se renseigner sur le chemin à prendre, auprès des servants de la galerie des Statues, et s’ils sont des initiés incomplets, ils ne se doutent absolument de rien. Ces trois servants, qui sont affiliés au Palladium, ont vite vu, du reste, par un simple geste imperceptible, si le visiteur étranger qui se présente est luciférien ou non.

Tout ce qui vient d’être dit a trait à l’entrée des frères. Pour ce qui est de l’entrée des sœurs, c’est une autre affaire. Dans son projet, Gallatin Mackey avait eu l’idée de ménager cette entrée par une maison à côté même de l’immeuble et ayant l’aspect d’une habitation privée. Albert Pike a préféré acheter une maison située plus loin et derrière l’hôtel maçonnique. La communication est établie par le sous-sol. Les sœurs ont à suivre un corridor qui les conduit au-dessous de l’emplacement désigné dans le plan sous la rubrique : Magasin et cabinets, à côté du parvis de l’Adoption ; là, elles trouvent un escalier par où elles montent au rez-de-chaussée[9]. C’est donc au parvis de l’Adoption que frères et sœurs se rencontrent. Ce parvis est exactement de même dimension que celui des Grades Symboliques. Un magasin sert à remiser les tentures et accessoires ; et, comme de l’autre côté de l’immeuble, cette partie est divisée en deux étages, desservis par un escalier en spirale, en fer forgé. Il y a là aussi, des cabinets de réflexion.

Le temple de l’Adoption a la même superficie que celui des Grades Symboliques. Sa décoration est à la romaine, genre Pompéï. Cette salle sert aux tenues de tous les grades féminins, depuis l’Apprentie jusqu’à la Sublime Écossaise ; les servants n’ont qu’à changer les tentures et à disposer la salle conformément aux prescriptions rituelles, selon que l’on a à travailler à tel ou tel degré.

Parlons à présent, de la Galerie Sainte-Hypathie ou Galerie des Sœurs, qui fait le pendant de la galerie Saint-Jacques, et qui lui est semblable comme longueur et largeur. Elle est décorée de peintures allégoriques ou historiques dans un esprit irréligieux très prononcé. Un tableau, à droite en entrant, est remarquable, je parle au point de vue artistique ; il a le défaut de ne pas être placé dans son jour ; il représente Samson aux pieds de Dalila ; le peintre est le F∴ Stephenson, de Philadelphie. Le tableau principal, cloué au mur de gauche et au milieu, est signé : « G. Courbet, la Tour de Peilz, 1875 ». Cette toile représente la sédition populaire qui eut lieu, en 415, à Alexandrie, et qui coûta la vie à Hypathie, fille de l’astronome Théon, femme qui était, dit-on, un prodige de science. L’artiste, de son pinceau d’une brutalité voulue, recherchée, montre Hypathie au moment où, ayant été arrachée de sa chaise à porteurs, elle fut traînée par la multitude jusqu’à la grande église nommée Césaréon, et où, dépouillée de ses vêtements, elle fut tuée à coups de pots cassés et de tuiles : dans le tableau, les assassins sont excités par un groupe de prêtres, à la tête desquels le peintre a mis l’évêque d’Alexandrie, saint Cyrille. On sait aussi qu’elle était une fervente adepte de cet école néo-platonicienne, que nos occultistes revendiquent comme ayant donné à ses initiés secrets la lumière luciférienne, à la fin des temps anciens et aux premières années du moyen-âge. Aussi les lucifériens placent-ils cette femme au nombre de leurs martyrs.

Dans la galerie Sainte-Hypathie déambule un servant, dont le rôle est d’arrêter au passage les frères admis au temple de l’Adoption, mais non aux mystères palladiques, et qui se dirigeaient par erreur vers les salles du fond de la galerie. À l’extrémité, il y a, en outre, les soirs de tenue, un haut-gradé, membre de la Masonic Vétéran Association, préposé à la garde des trois portes du fond.

Les maçonnes écossaises d’Adoption, si elles ne sont pas en même temps affiliées au Palladium, n’ont pas à venir dans cette galerie ; elles ont à la traverser isolément dans une circonstance unique : c’est lorsque, au cours d’une de leurs initiations, elles sont conduites au Sanctuaire de la Vérité, où l’on exige d’elles un sacrifice qu’il est inutile de préciser.

Le fond de la galerie Sainte-Hypathie donne, par trois portes, accès dans les salles réservées au Palladisme, chacune ayant son parvis où se tient, pour un nouveau tuilage et pour la remise des lettres d’invitation, un frère haut-gradé et luciférien.

La plus grande des trois salles est celle du Triangle, qui sert indistinctement aux initiations de Kadosch du Palladium et d’Élue Palladique, ainsi qu’aux réunions ordinaires des frères et sœurs qui ont fait le premier pas décisif vers le culte de Lucifer divinisé. Dans cette salle du Triangle, exactement de la même superficie que le Temple de l’adoption ce qui attire l’œil, c’est une grande échelle à sept échelons, appelée l’Échelle Lumineuse Palladique, appliquée contre la muraille du midi.

Personne ne peut plus ignorer aujourd’hui, vu les divulgations de nombreux auteurs antimaçonniques, que, au grade de Kadosch, dans tous les rites ordinaires, il y a aussi une échelle à sept échelons qui joue un certain rôle. On la fait gravir au récipiendaire, en lui disant, au fur et à mesure qu’il monte, sept mots hébreux inscrits sur les échelons et dont on lui donne une explication assez obscure. Ces mots hébreux qui sont : « Tsedaka, Schor-Laban, Mathok, Elmounah, Amal-Sagghi, Sabbal, et Gemoul-Binah-Tebouna », sont remplacés, sur l’échelle palladique, par sept mots latins, présentés comme étant les noms des sept vertus cardinales ; et ces mots sont ceux-ci, dans l’ordre suivant, en partant de l’échelon inférieur : « Labor, Ubertas, Caritas, Ignis, Felicitas, Emancipatio, Ratio. » Les deux montants de l’échelle portent en outre, les mots : « Æquilibrium, Æquitas », et à la base ainsi qu’au sommet les lettres A et E. Enfin, la lettre V est répétée quatre fois, en métal découpé, autour de l’échelle.

Le récipiendaire monte à l’échelle, tandis que le président du Triangle prononce, d’une voix grave et solennelle, les sept mots, qui constituent la clef du secret palladique ; lorsqu’il est parvenu au dernier échelon, on le prie de se retourner vers l’assistance, et, perché là-haut, il écoute l’explication que voici :


« 1° Le travail a pour conséquence la fécondité. La charité zélée produit dans l’âme le feu sacré. Le vrai bonheur sera, lorsque l’émancipation aura été donnée à l’humanité par la raison.

« 2° Travail, fécondité, charité, feu, bonheur, émancipation, raison, sont les sept rayons lumineux que le Dieu-Bon projette sur le monde terrestre.

« 3° À la base et au sommet du monde terrestre, sont l’homme et la femme, personnifiés dans A et E, soit Adam et Ève, indispensables l’un à l’autre. Aussi l’humanité vit-elle dans un cercle sans fin par la pratique de l’enseignement divin, qui est la salutation de l’homme à la femme : Ave, Eva, Ave.

« 4° L’édifice de l’humanité, dont les sept dons du Dieu-Bon consacrent le triomphe, a sa stabilité assurée par l’harmonie des forces matérielles et morales ; c’est-à-dire qu’au matériel la pondération des forces contraires donne l’équilibre, loi suprême de l’univers, et qu’au moral l’harmonie salutaire réside dans la justice, l’équité.

« 5° L’Étre Suprême étant le principe des sept dons de la divinité à l’humanité, le nom même du Dieu-Bon est formé par la réunion des principes de ces sept dons. »


Ici, je prie le lecteur de vouloir bien se livrer à une simple constatation ; en prenant les initiales (les principes) des sept mots inscrits l’un après l’autre sur chaque échelon, et en les suivant dans leur ordre ascensionnel, il trouvera, formé par ces sept initiales, le mot : L. U. C. I. F. E. R., « le nom même du Dieu-Bon », d’après les propres termes du rituel. Est-ce assez clair ?

En face de l’échelle lumineuse, c’est-à-dire au milieu de la muraille du nord, on voit un grand tableau donnant la représentation gnostique de la divinité double  ; cette peinture est du F∴ Macdonald Bates, de Washington.


représentation gnostique de la divinité double
Le dessin ci-dessus est la reproduction exacte d’un tableau peint par le F∴ Macdonald Bates, et figurant dans le Temple des Kadosch du Palladium et des Élues palladiques (ou salle du Triangle), à Charleston. Ce tableau a été reproduit plus ou moins fidèlement dans divers rituels de magie ou de maçonnerie occulte.

Dans le parvis du Triangle, se trouve une porte ouvrant sur un emplacement divisé en deux étages, desservis par un petit escalier en spirale ; c’est la que sont les placards renfermant les accessoires du culte palladique, et il y a là aussi trois petits cabinets de réflexion.

Passons au parvis du Grand Triangle. D’abord, à gauche, un escalier assez large conduit à l’étage supérieur ; de la descend encore un escalier conduisant au sous-sol. Puis, c’est la porte de la salle du Grand Triangle, salle mesurant la même superficie que le Temple rouge des Kadosch, de l’autre côté de l’immeuble, et servant aux réunions des Hiérarques et des Maitresses Templières. La description de cette salle est inutile ; nous avons vu une décoration analogue, à un temple de Singapore, à l’occasion de l’initiation palladique de miss Arabella D*** comme Maîtresse Templière.

Quant à la salle du Parfait Triangle, qui sert aux réunions des Mages Élus, elle est exactement de la même grandeur que le Temple du Suprême Conseil, auquel elle fait pendant dans l’immeuble. Elle se distingue par une profusion extraordinaire de dorures, d’ailleurs d’un fort mauvais goût ; c’est d’un luxe criard. Les tentures sont en belle soie blanche, entrecoupée de minces bandes noires ; aucune broderie d’emblèmes.

Les deux curiosités de cette salle, qui existaient déjà dans l’ancien local et que j’ai vues, par conséquent, dès 1881, sont la Chaise d’or, qui est installée contre le mur à droite en entrant, à quelque distance de l’orient, et l’Urne Palladique , qui est placée au milieu du temple, sur un gros bloc de granit ronge, taillé en cube parfait et d’une hauteur d’un mètre.

Une urne semblable se trouve partout où le Palladium Réformé Nouveau a constitué un atelier de Mages Élus (degré supérieur du rite) ; mais la Chaise d’Or n’existe qu’à Charleston. On l’appelle aussi le Saint-Siège de Baal-Zebouh ou tout simplement le Saint-Siège.


la chaise d’or ou saint-siège de baal-zéboub
au Parfait Triangle des Mages Élus (Charleston).

Voici ce que les lucifériens racontent à ce sujet :

C’était primitivement, disent-ils, un fauteuil de bois massif, en chêne, sculpté, appartenant et Albert Pike ; il était surmonté d’un dôme, orné de draperies en soie bleue constellée d’étoiles d’argent, et tel qu’on le voit dans notre dessin, sauf l’hiéroglyphe qu’on remarque sur le devant et qui n’y figurait pas.

Ce fauteuil de chêne était celui où le grand-maitre de Charleston s’asseyait, lorsqu’il présidait le Suprême Conseil du Rite Écossais.

À l’époque où Pike créa le Rite Palladique Réformé Nouveau, « sous l’inspiration du Dieu-Bon », il rédigea lui-même les rituels des grades de Kadosch du Palladium, d’Élue Palladique, de Hiérarque et de Maîtresse Templière. Quand il en fut au grade de Mage Élu, il ne put parvenir à l’écrire ; chaque fois qu’il s’apprêtait à tracer la première ligne du rituel, sa plume se brisait d’elle-même entre ses doigts, à peine avait-elle touché le papier. Pike changea de papier ; les plumes continuèrent à se bri ser. Il procéda à une grande évocation, dans son cabinet de travail, espérant avoir l’explication de ce mystère, de ce phénomène étrange ; aucun esprit n’apparut, mais une voix lui cria à l’oreille : « Va à Charleston ! »

Il prit le train le soir même et fit à Gallatin Mackey la confidence de ce qui arrivait. Justement, le docteur, qui attendait avec impatience le rituel de Mage Élu, avait fait préparer une salle pour la première tenue à ce haut degré, encore en projet ; et, comme l’honneur de présider cette tenue revenait à Pike, le docteur Mackey avait donné l’ordre de transporter dans la nouvelle salle le grand fauteuil de chêne.

Les deux chefs se rendirent donc au temple maçonnique. S’enfermant eux seuls dans la salle en question, ils implorèrent à genoux le Dieu-Bon lui demandant de les protéger contre les maleachs, à qui Pike attribuait l’impossibilité où il se trouvait d’écrire le cinquième rituel.

Ils n’avaient pas plutôt terminé leur prière, que, levant les yeux et regardant le fauteuil de chêne, ils furent stupéfaits de constater que le bois s’était instantanément transformé en or. En outre, un registre, relié en maroquin grenat avec coins d’acier, était placé sur le fauteuil, et une forte odeur de soufre remplissait la salle. Ils se levèrent, s’approchèrent de la Chaise d’or, où ils remarquèrent gravé en creux l’hiéroglyphe bien connu d’eux et qui est la signature de Belzébuth ; ils prirent le registre et l’ouvrirent.

C’était le rituel de Mage Élu, écrit en belle ronde très lisible, à l’encre verte, par la main du premier lieutenant de Lucifer. Il était rédigé en latin suivi de sept traductions : en anglais, en espagnol, en français, en allemand, en portugais et en hollandais. À la fin, la signature de Baal-Zéboub s’étalait, en or rouge, si éclatante, qu’elle semblait flamboyer et que l’œil en la regardant, éprouvait un éblouissement.

La volonté du Dieu-Bon s’était ainsi manifestée nettement ; il ne fallait pas que le grade de Mage Élu fût composé par un humain, même luciférien inspiré par les esprits du feu.

Mais, ce n’était pas tout ; un autre prestige allait surprendre encore les deux chefs.

Pike et Mackey convoquèrent pour le lendemain cinq de leurs adeptes les plus sûrs, pour constituer avec eux le comité directif du premier Parfait Triangle, leur donner lecture du merveilleux rituel, et se déclarer tous les sept créés dès ce jour Mages Élus. Le Palladisme allait désormais fonctionner ; on était alors en novembre 1870.

Tous les sept furent exacts au rendez-vous ; à l’heure dite, ils s’enfermèrent dans la salle réservée à cette importante réunion. Autour de la Chaise d’or, on avait disposé six sièges.

Albert Pike vint pour s’asseoir dans le fauteuil présidentiel, afin de déclarer la séance ouverte ; mais, à peine était-il assis, qu’il fut violemment projeté en l’air, comme par un ressort d’une grande puissance. Il ne se fit cependant aucun mal.

Les assistants étaient vraiment intrigués ; le grand-maître, morfondu. Il se demandait si le Dieu-Bon ne le jugeait plus digne d’être son vicaire ; en quoi pouvait-il avoir démérité ?… Quoiqu’il en fût, le droit de présidence du premier Parfait Triangle lui était refusé.

Ses six compagnons lui succédèrent dans la Chaise d’Or ; aucun n’y put demeurer assis plus d’une seconde ; un ressort invisible les rejetait l’un après l’autre.

Alors, qui allait donc présider la tenue ?… Telle était la question que tous les sept se posaient, sans pouvoir y répondre.

Soudain, un éclair brilla dans la salle, et les assistants aperçurent Belzébuth en personne, — Baal-Zeboub, pour répéter le nom qui lui est donné en arrière-loge, — assis dans la Chaise d’Or.

Ce fut Baal-Zéboub qui présida. Il était nécessaire que les adeptes appelés à recevoir le grade de Mage Élu fussent initiés par l’enfer lui-même. Le rituel diabolique était, comme tous les autres rituels, rédigé dans la note impersonnelle, et il était impossible de deviner que le président d’une séance d’initiation en Parfait Triangle serait un esprit du feu, spécialement délégué par Lucifer.

Du reste, il en est toujours ainsi, aujourd’hui encore. Partout où un Parfait Triangle existe, un démon apparaît chaque fois qu’il y a lieu de procéder à une initiation ; c’est lui qui interroge le récipiendaire, qui reçoit son serment et qui l’embrasse sur les lèvres. À Charleston, c’est Belzébuth qui opère.

La légende de la Chaise d’Or n’est racontée qu’aux Hiérarques : son récit les prévient, d’une façon indirecte, du cérémonial satanique qui les attend au dernier degré du Palladium. Il est aussi bon nombre de Maîtresses Templières, qui sont au courant de ce mystère des Parfaits Triangles ; ce sont les endiablées, les filles en état de possession permanente, celles qui seules assistent, dans le sanctuaire d’Eva, à une manifestation infernale, que je décrirai tout à l’heure.

La Chaise d’Or est donc montrée aux visiteurs étrangers, parvenus au moins au grade de Hiérarque. On peut la remuer, la changer de place, la transporter : elle est inoffensive ; mais il ne faut pas s’y asseoir. Je l’ai vue, je m’y suis assis, et, comme les autres, j’ai été projeté à un mètre cinquante ou deux mètres en l’air. J’ai examiné le siège : il est réellement en or massif, et il n’y a là absolument aucun ressort. On cite un frère palladiste de Chicago qui, avant de s’asseoir dans la Chaise d’Or, et croyant à un truc électrique habilement dissimulé, eut soin de revêtir un pantalon de soie qu’il s’était fait faire exprès et qui était, au surplus, doublé en caoutchouc : en punition de sa méfiance, il fut projeté à la hauteur du plafond de la salle, contre lequel il se blessa à la tête, et, en retombant, il se cassa une jambe. Depuis ce temps, quand on voit arriver dans un triangle un frère affligé d’une claudication, on se dit, entre haut-gradés palladistes, en manière de plaisanterie et en faisant allusion au boiteux : « Il a dû s’asseoir en pantalon de soie dans la Chaise d’Or. »


l’urne palladique
L’urne palladique, dont le dessin est ci-dessus, très exactement reproduit, est en usage uniquement pour les votes importants en Parfait Triangle, c’est-à-dire dans la réunion des Mages Élus. L’urne modèle est à Charleston. — 1. Côté faisant face à l’entrée du temple. — 2. Côté à gauche en entrant. — 3. Côté à droite en entrant. — 4. Côté faisant face à l’estrade ou orient du temple.

Quant à l’Urne Palladique, le dessin qu’on a vu plus haut est très complet ; mais des explications sont indispensables.

Cette urne est en bois du Brésil, laqué ; les peintures sont nettes et de couleur vive. Elle sert aux votes importants en Parfait Triangle. La partie supérieure (qui est remplie de chiffres), percée d’une fente pour introduire les bulletins, adhère au sommet du corps de la boîte, et ce sommet forme une plaque blanche, qui s’enlève, lorsque le moment est venu de reconnaître le résultat des suffrages.

Le côté de l’urne, faisant face à l’entrée du temple, offre à la vue, comme sujet, un double triangle, formé d’un triangle blanc sur un triangle noir, et cet ensemble est un des symboles lucifériens du dogme de la divinité double. Le triangle blanc figure le Dieu-Bon, Lucifer, et le triangle noir figure le Dieu-Mauvais, Adonaï. Dans le triangle blanc sont groupés une tête d’aigle, une tête humaine aux cheveux épars, une tête de taureau et une tête de lion. L’aigle porte un diadème impérial dont la base est une couronne de fer ; c’est là un emblème figurant Lucifer et sa puissance suprême. La tête humaine, ou paraissant humaine, est le visage de Baal-Zéboub, tel qu’il apparaît aux lucifériens ; il a toujours les cheveux en coup de vent, épars, le plus souvent même hérissés. Baal-Zéboub est le premier lieutenant de Lucifer, le généralissime de ses légions diaboliques, l’annonciateur du prétendu Dieu-Bon ; aussi, quoique au-dessous de l’aigle, il est placé au-dessus du taureau et du lion. Le taureau, animal puissant et grand reproducteur de son espèce, est l’emblème figurant Astaroth, un des génies souverains du royaume du feu, le grand démon de l’impudicité. Le lion, roi des carnassiers, est l’emblème figurant Moloch, autre génie souverain du royaume du feu et l’égal d’Astaroth, mais, lui, grand démon des vengeances cruelles ; c’est lui que les ultionnistes lucifériens invoquent, quand une mission de meurtre leur est donnée. Des ailes s’enchevêtrent dans les deux triangles noir et blanc, pour indiquer que les esprits du feu et les maleachs se transportent où ils veulent, d’un monde à un autre, avec la rapidité de la pensée. Le triangle noir est supposé rempli par le Dieu-Mauvais et ses trois souverains maléachs ; mais ceux-ci, au dire des lucifériens, sont les chefs du royaume des ténèbres, et on ne les voit pas. On lit deux inscriptions : Nekam Adonaï, en haut, et Gloria in excelsis, en bas. Ces inscriptions se traduisent ainsi : « Vengeance (contre toi), Adonaï ! » et : « Gloire (à toi, Lucifer) au plus haut des cieux ! »

Le côté de l’urne, faisant face au mur de droite en entrant, est divisé en 81 cases ; dans chacune d’elles il y a une lettre. Cet assemblage de lettres paraît, au premier coup d’œil, un tohu-bohu incompréhensible. La lecture en est, cependant, très facile, à la condition de savoir qu’il faut commencer par la première case du bas, à gauche, prendre ensuite la case au-dessus, puis celle à droite, en suivant toujours de gauche à droite en travers et de haut en bas ; la plus grande ligne, la diagonale, part donc de la première case de gauche en haut et va se terminer à la dernière case de droite en bas ; à partir de cette ligne, les lignes parallèles à la diagonale vont en diminuant de longueur, et la fin de la lecture est ainsi la lettre de la dernière case de droite en haut. Ce carré divisé en 81 cases (9 fois 9) donne la réunion des mots de passe et mots sacrés de chacun des grades du Rite Palladique. En lisant dans l’ordre convenu, on trouve, en effet : Caïn, Jésus, Bethlemitus, Maledictus, Lazare, etc.

Au surplus, l’Urne Palladique va me donner l’occasion d’indiquer une bonne fois ces mots de passe et mots sacrés.

Grade de Kadosch du Palladium (1er  degré masculin). — Mot de passe : Caïn. Mot sacré : Jésus Bethlemitus Maledictus. (Ici, à la demande du tuileur, vous dites le premier mot ; il vous répond le deuxième, et vous répliquez en disant le troisième mot.)

Grade d’Élue Palladique (1er  degré féminin). — Mot de passe : Lazare. Mot sacré : Mirzam.

Grade de Hiérarque (2e degré masculin). — Mot de passe : Ult. Mot sacré : Baph.

Grade de Maîtresse Templière (2e degré féminin). — Mot de passe : Baal-Zéboub. Mot sacré : Lucifer.

Grade de Mage Élu (3e degré masculin et dernier degré). — Mot de passe : Tiphereth. Mot sacré : Ensoph.

Le côté de l’urne, faisant face au mur de gauche en entrant, est remarquable par un X énorme, noir. Cet X représente le mystère qui assure, disent les lucifériens, la perpétuité de l’espèce humaine, envers et contre Adonaï, ennemi de l’humanité qu’il a condamnée à disparaître par la mort, laquelle est son œuvre, tandis que Lucifer, au contraire, préside à la vie. Cet X mystérieux est également nommé croix de saint André, mais nullement en souvenir du martyre de l’apôtre du Christ, comme bien on pense ; saint André, aux yeux des occultistes du Palladisme, et, en général, aux yeux de tous les occultistes, c’est l’homme (andros) dans le sens de la virilité ; saint André signifie donc « virilité sainte ». Aux quatre angles de cette face carrée de l’urne, on voit les lettres de l’inscription clouée sur la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ ; mais nous savons déjà comment les lucifériens, et même tous les francs-maçons à partir du grade de Rose-Croix, interprètent les quatre lettres I, N, R, I. Elles sont, disent-ils, les initiales de la formule qui contient un des grands secrets de la vie éternelle donnée par le grand architecte et l’univers : « Igne Natura Renovatur Integra: la nature tout entière se régénère (se renouvelle) par le feu. » On voit encore ici l’alpha et l’oméga, c’est-à-dire : le Dieu-Bon est le commencement et la fin de toutes choses. On remarque un poignard d’un côté, un calice de l’autre ; ceci est pour rappeler aux adeptes que la profanation de l’Eucharistie est une loi : le poignard, qui sert à transpercer l’hostie ; le calice, qui, volé à un missionnaire ou acheté à un apostat, doit être un calice consacré ayant appartenu à un prêtre catholique, et qui sert aux plus ignobles sacrilèges. En opposition l’un à l’autre, on voit deux mots, bizarrement disposés et composés des quatre mêmes lettres : Amor et Roma, les lettres étant retournées à volonté ; ces mots symbolisent les deux religions en lutte l’une contre l’autre. Amor, c’est la religion luciférienne, la religion de l’amour ; Roma (inverse d’Amor), c’est la religion adonaïte, la religion de la haine, personnifiée dans Rome, la Rome papale. Enfin, aux quatre côtés de cette face carrée de l’urne, on lit le rappel des noms des quatre côtés d’un temple maçonnique, soit en tenue d’atelier masculin, soit en tenue d’atelier androgyne ; c’est-à-dire, chez les frères maçons : Orient (fond de la salle), Occident (côté de l’entrée), Midi (côté droit en entrant), Nord (côté gauche) ; et chez les sœurs maçonnes : climat d’Asie, climat d’Europe, climat d’Afrique et climat d’Amérique, correspondant aux noms des points cardinaux en suivant l’ordre indiqué ci-dessus.

Le côté de l’urne, faisant face à l’estrade ou orient du temple, est peu compliqué comme peinture. À droite et à gauche sont les deux colonnes emblématiques de la franc-maçonnerie, trop connues déjà pour qu’il soit utile que j’explique leur symbolisme ici ; d’autres auteurs ont fourni cette explication vraiment scabreuse ; un divulgateur a même donné le sens des trois grenades entr’ouvertes, qui sont au sommet de chaque colonne. Ma plume, je l’avoue, ne saurait aller jusque-là. Pour démasquer le satanisme et lui arracher ses voiles, je suis toujours prêt ; mais l’obscénité m’arrête : c’est là une latrine à laquelle je préfère laisser son couvercle. Entre les deux colonnes, on voit un personnage, la main droite en l’air, index tendu, et la main gauche tenant une épée, dirigée contre un serpent foulé aux pieds. Ce personnage, c’est Belzébuth, dit Baal-Zéboub, et le serpent, c’est… je vous le donne en mille à deviner… c’est saint Michel ! Ce groupe représente le futur règne, qui sera établi par l’Ante-Christ, et qui sera, disent les lucifériens, le triomphe définitif du Dieu-Bon. Alors, tandis que l’Ante-Christ détruira la religion adonaïte sur terre, Baal-Zéboub, généralissime des légions de la lumière et du feu, remportera la grande, décisive et éternelle victoire sur les légions des ténèbres et de l’eau. Mikaël, généralissime des armées d’Adonaï, subira une défaite terrible, irrémédiable ; en désespoir de cause, il se glissera dans le corps d’un monstrueux serpent amphibie, qui surgira du sein des océans et essaiera, en un suprême effort, d’envelopper Baal-Zéboub dans ses replis pour l’entraîner au fond des abîmes. Mais Baal-Zéboub écrasera l’ennemi, résistant pour la dernière fois. Ce sera là l’éclatante revanche de Lucifer. C’est pourquoi Baal-Zéboub, les cheveux hérissée (c’est son signe distinctif, ou du moins l’un de ses plus fréquents), est représenté domptant et écrasant le serpent amphibie Mikaël, tandis que son geste de la main droite annonce l’arrivée glorieuse, proclamé le règne bienheureux de Lucifer, vrai Dieu-Bon, et crie à l’humanité, désormais affranchie pour toujours, que les esprits adonaïtes, les maleachs, sont enfin réduits à l’impuissance. Il parait que cet événement, ce sont les lucifériens qui l’affirment, est, depuis le commencement des siècles, écrit dans les étoiles. Enfin, les lettres J, B, M, qui ont tant de significations, comme on sait, figurent sur ce côté de l’urne ; mais, dans le Palladisme, leur sens n’est plus Jakin-Bohaz-Mahabone seulement, ni même Jacques Bourguignon Molay ; elles signifient, en outre : Jesus Bethlemitus Maledictus.

Pour en terminer avec l’Urne Palladique, voyons sa partie supérieure. Tout à fait en haut, sont répétés quatre fois les chiffres 1, 3, 1, 2. L’explication banale est celle-ci : le Palladisme comporte 1 série de 3 grades masculins et 1 série de 2 grades féminins. Mais le sens vraiment sérieux est l’inscription de la date d’abolition de l’ordre des Templiers : année 1312. En opposition, vient au-dessous, spécialement encadrée dans le premier côté de l’urne vu en entrant, une date en quatre chiffres dispersés, mais faciles à réunir par un simple coup d’œil : année 1793. Cette date est répétée dans les autres sens possibles, et toujours en croix autour du 5 central, sur les trois autres côtés de la partie supérieure de l’urne ; c’est la date fatidique qui doit se retrouver partout, que les palladistes doivent avoir sans cesse présente à la mémoire, comme date de la première vengeance de l’acte accompli en 1312, acte qu’ils qualifient de crime irrémissible. La royauté, par Philippe-le-Bel, avait été complice de la papauté abolissant l’ordre du Temple, ordonnant le procès du grand-maître Molay et des Templiers, que les palladistes déclarent, dans leurs triangles, être les adeptes purs de la vraie et sainte religion luciférienne au moyen-âge, et de qui ils disent tenir le Baphomet original, leur idole commune, idole essentiellement satanique. La première vengeance s’est donc exercée en 1793 ; la royauté a été frappée en la personne de Louis XVI, décapité le 21 janvier ; c’est pour cela que l’une des deux fêtes annuelles des palladistes a lieu le 21 janvier.

On remarquera que, dans les deuxième, troisième et quatrième côtés de l’urne, les chiffres 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8 et 9, donnent invariablement, comme total par colonne, le nombre 15, quel que soit le sens de l’addition, horizontal, perpendiculaire ou diagonal. Il y a là, prétendent les palladistes, un important mystère ; ce nombre 15 serait appelé à jouer un grand rôle dans les temps qui précéderont la venue de l’Ante-Christ, et ce mystère sera révélé aux initiés lucifériens par Baal-Zéboub lui-même, mais seulement à partir du jour de la naissance de la mère de l’Ante-Christ (29 septembre 1929).

Dans le premier côté de l’urne, les chiffres 1, 7, 9 et 3 sont l’objet d’un encadrement spécial qui les isole des autres chiffres ; la raison de cette particularité est qu’ici ces chiffres ne doivent pas entrer dans la combinaison qui donne le nombre 15 à chaque colonne dans n’importe quel sens. En effet, le nombre 15 ne se trouve que dans les deux colonnes, horizontale et perpendiculaire, qui se croisent au milieu du carré. Mais, par contre, il y a ici, toujours au dire des lucifériens, la clef du grand mystère de l’accomplissement complet de la vengeance. En haut, dominant tout, l’année du crime irrémissible : 1312. Au-dessous, encadrés à part, les quatre chiffres donnant l’année du premier acte de la vengeance, la décapitation de la royauté : 1793. Restent les cinq chiffres disposés en forme de croix, 4, 8, 5, 2 et 6 ; le total donné par l’addition de ces chiffres reproduit, d’une manière cachée, le total donné par l’addition des chiffres de l’année où s’accomplira le second acte de la vengeance, c’est-à-dire l’abolition définitive de la papauté. Et les occultistes lucifériens ajoutent : cette année se trouve dans le siècle prochain.

D’après leurs calculs, ils arrivent à découvrir exactement l’année en question, et voici comment ils opèrent :

D’une part, ils prétendent, en vertu de leurs révélations sataniques, — révélations fausses, je me hâte de le dire, car la science de l’avenir n’appartient pas à Satan, mais à Dieu seul, — ils prétendent que l’Ante-Christ, commencera sa mission à l’âge de trente-trois ans, remplira alors le monde de ses merveilleux prestiges et entamera la lutte décisive contre la religion du Christ ; cette lutte terrestre durera une année, au bout de laquelle la papauté sera à jamais abolie, et alors commencera la grande bataille céleste, qui tiendra trois années pleines, pour se terminer par la victoire éclatante de Lucifer sur Adonaï.

D’autre part, ils déclarent, toujours d’après les mêmes révélations, que l’Ante-Christ naîtra d’une fille, née elle-même trente-trois ans auparavant ; la mère de cette fille aura également pour mère une fille de trente-trois ans ; et ainsi de suite, en remontant, sans qu’il y ait de nombreuses générations dans cette succession de filles-mères prédestinées.

Se basant sur ces données, les occultistes lucifériens considèrent que, dans le siècle prochain, il y aura quatre années dont les chiffres additionnés ont pour total le nombre 25. C’est là le nombre fatidique, puisque 4, 8, 5, 2 et 6, c’est-à-dire les cinq chiffres disposés en forme de croix et trouvés en dehors de 1793, donnent, additionnés, le total 25. Les années

du siècle prochain, dont le total impérieusement requis est 25, sont donc : l’année 1969, l’année 1978, l’année 1987, et l’année 1996.

Or, l’année 1996 est la seule, de ces quatre, qui concorde en même temps, avec les révélations sataniques faites au sujet de l’Ante-Christ et de sa généalogie.

29 septembre 1863, naissance de la bisaïeule de l’Ante-Christ.

Trente-trois ans s’écoulent.

29 septembre 1896, naissance de l’aïeule de l’Ante-Christ.

Trente-trois ans se passent encore.

29 septembre 1999, naissance de la mère de l’Ante-Christ.

Trente-trois ans s’écoulent de nouveau.

29 septembre 1962, naissance de l’Ante-Christ.

Ce jour est aussi celui du couronnement de l’avant-dernier pape.

A trente-trois ans, l’Ante-Christ se révèle au monde, soit le 29 septembre 1995.

C’est le commencement de la lutte terrestre, qui dure un an.

29 septembre 1996, abolition définitive de la papauté, et commencement de la grande bataille céleste, qui dure trois pleines années.

29 septembre 1999, triomphe décisif de Lucifer sur Adonaï, les maleachs commandés par le généralissime Mikaël étant écrasés par les esprits du feu commandés par le généralissime Baal-Zéboub.

Les occultistes lucifériens se disent d’accord avec la prophétie de saint Malachie, laquelle n’assigne que neuf successeurs à Léon XIII, pape actuellement régnant. Seulement, eux, ils ont la prétention de préciser, et, à les entendre, cette série des neuf derniers papes sera terminée exactement le 29 septembre 1996.

Ils ajoutent encore : « Il a été dit, par une voix plus autorisée même que celle du prophète adonaïte Malachie, que ce monde durerait mille ans et plus. Par ce monde, il faut entendre le monde selon le Christ, le règne d’Adonaï. Or, l’année 1999 est la limite extrême du délai caché par l’expression mille ans et plus. Si ce monde devait vivre seulement une année de plus, la voix autorisée aurait dit : deux mille ans. Mais les adonaïtes, obligés de confesser la vérité, ne la disent pas toute : ils trompent leurs fidèles en déclarant que le règne de l’Ante-Christ marquera la fin des temps, et qu’à ce règne, suivi de la fin du monde, succédera le jugement dernier par le Christ ; la vérité vraie, c’est que le règne de l’Ante-Christ marquera, au contraire, le commencement d’une ère nouvelle, celle de l’humanité à jamais heureuse par la religion du Dieu-Lucifer, universellement et à jamais établie. »

Tels sont les impudents mensonges que débitent les chefs du Palladium aux initiés des plus hauts grades.

On voit que, sans que cela paraisse, de nombreuses choses sont écrites sur l’Urne Palladique du temple des Mages Élus.


En ce qui concerne le Vatican luciférien, il ne me reste plus à parler que du Labyrinthe Sacré, des quatre sanctuaires qui lui font angles, et du Sanctum Regnum.

J’ai dit que le Labyrinthe Sacré occupe le centre de l’immeuble et y forme une construction spéciale dont le sommet s’élève seulement à 4 mètres 50 au-dessus du niveau du rez-de-chaussée ; ce sommet est légèrement arrondi.

On parvient au labyrinthe par la galerie des Statues ; la, deux larges portes s’ouvrent, ne donnant exclusivement passage qu’aux membres des hauts-grades ayant l’initiation palladique, ou aux visiteurs étrangers appartenant à l’un des autres rites lucifériens. C’est le grand parvis ou parvis du Labyrinthe Sacré, vaste pièce qui n’a pas moins de 160 mètres de superficie : c’est une magnifique salle des pas-perdus, où se rencontrent, avant les séances, les véritables chefs de la secte, soit ceux qui habitent Charleston, soit les membres des Directoires et les Grands-Inspecteurs Généraux venus dans cette ville au cours de leur voyage.

On est là chez soi, sans avoir à craindre d’être dérangé par des frères de grades inférieurs ou des initiés avec l’anneau. Les présentations ont lieu, on fait connaissance ; ou se donne, de vive voix, des nouvelles de la maçonnerie du monde entier. À l’angle de droite en entrant, sur une grande table autour de laquelle on circule, sont déposés les journaux et bulletins des diverses puissances maçonniques du globe. À l’angle de gauche est établi un buffet, tenu par des servants du Palladium.

Les Maitresses Templières, celles du moins qui ont eu la révélation d’Astarté, sont admises au grand parvis ; elles y parviennent par l’escalier dont l’entrée est marquée par le n° 4 sur le plan, c’est-à-dire qu’elles arrivent par le sous-sol, comme pour se rendre dans les temples de l’aile gauche. Le n° 5 indique également l’entrée d’un escalier conduisant au sous-sol, mais dans une partie isolée du reste et absolument réservée à certaines pratiques du Palladisme, dont quelques-unes sont monstrueuses. Parfois, un des haut-gradés, entré au grand parvis en habit ou en redingote, vous quitte et disparait par l’escalier (n° 5) ; quelque temps après, vous le voyez revenir en costume de Mage Élu, précédé d’un servant palladique ; tous deux traversent solennellement le grand parvis et s’en gagent par la grande porte centrale qui sert d’entrée au labyrinthe. C’est un Mage Élu, un prêtre du prétendu Dieu-Bon, qui va dire la « messe blanche » à l’autel de Lucifer. Il arrive souvent, alors, qu’une des Maîtresses Templières qui sont la demande à remplacer le servant pour assister le Mage Élu dans ses dévotions.

Le labyrinthe lui-même a un diamètre de 50 mètres environ, dans lesquels il faut comprendre l’épaisseur des murailles maîtresses et la largeur du grand couloir circulaire qui entoure le corps de la construction. L’entrée est gardée, extérieurement, par un servant palladique, dans le grand parvis, et intérieurement, par deux membres de la Masonic Veteran Association, dans la vaste galerie de pourtour. Le labyrinthe n’existait pas dans l’ancien immeuble ; c’est une innovation dont Albert Pike et le docteur Mackey eurent l’idée, quoiqu’il paraisse, à vrai dire, que le mérite de l’invention remonte aux Gnostiques des premiers siècles de l’ère chrétienne.

C’est un gros pâté de bâtisse massive, au milieu duquel serpentent des corridors étroits (1 mètre 50 de largeur), aux murs uniformes, enduits de stuc, sans aucune décoration.

On y pénètre par sept portes, chacune ayant à son fronton le nom d’une des vertus cardinales lucifériennes : Porte Labor, Porte Ubertas, Porte Caritas, etc.

La principale utilisation du Labyrinthe Sacré a lieu pour la sélection des Kadosch du Palladium que les chefs décident d’élever au grade de Hiérarque. Une promenade au labyrinthe équivaut, en quelque sorte, à un examen. Lorsqu’on pense que tel Kadosch a enfin bien compris quel est le grand secret, on lui propose, un soir, une promenade au Labyrinthe Sacré. On lui fait faire le tour de la galerie circulaire ; on lui montre les sept portes ; on l’invite à réfléchir de son mieux, en lui disant qu’une de ces portes, une seule, conduit à la vraie lumière : c’est à lui de faire un bon choix avant de s’engager à l’intérieur du dédale.

En jetant un coup d’œil sur le plan, le lecteur se rendra facilement compte de ce qui se passe. Si le Kadosch palladique s’engage par n’importe quelle entrée autre que celle de la Porte Ignis, il erre à travers des corridors qui communiquent les uns avec les autres par des ramifications multipliées ; il aura beau tantôt prendre à droite et tantôt à gauche, revenir sur ses pas, recommencer sa route à l’une quelconque des bifurcations pour reprendre dans un nouveau sens ; quoi qu’il fasse, au lieu de trouver le but de ses recherches (qui doit être le Sanctuaire de la Vraie Lumière), il reviendra fatalement à l’une des six mauvaises portes, après plus ou moins de détours et de temps perdu ; il peut même arriver qu’il sorte précisément par la porte où il est entré. Ces corridors, non seulement constituent un enchevêtrement inextricable, mais encore tantôt montent et tantôt descendent, passent au-dessus et au-dessous les uns des autres, sans que celui qui y circule puisse soupçonner la raison de ces montées et de ces descentes : il est là, livré à lui-même, muni d’une lanterne sourde qui lui permet de constater qu’aucune embûche ne lui est tendue, mais qui lui est insuffisante pour se guider, car il n’a aucun point de repère et voit partout le même mur et la même voûte. Il est bientôt dérouté, désorienté ; et quand il est sorti par une des portes donnant sur la galerie circulaire, il n’a plus le droit de rentrer par une autre porte pour recommencer ses recherches ; l’expérience est terminée.

La bonne entrée, c’est celle de la Porte Ignis. Le corridor, dont le sol incline en légère descente, n’est point long. Au bout de quelques pas, on tourne à gauche, puis à droite, et l’on se trouve en présence d’une porte entièrement dorée, sur laquelle se détache en lettres d’argent la devise : « Quære et invenies. » À peine le néophyte a-t-il posé le pied sur le seuil que la porte dorée s’ouvre d’elle-même, et il n’a plus qu’à pénétrer dans le Sanctuaire de la Vraie Lumière, nommé encore Oratoire ou Sanctuaire des élus du Dieu-Bon.

C’est une chapelle carrée, mesurant sept mètres sur chacun de ses côtés. Au fond, se trouve l’autel de la divinité palladique , autel d’une richesse inouïe. Lucifer, ailes déployées, semble descendre du ciel : de la main droite, il élève un flambeau ; de la gauche, il répand les fruits de la terre, qui s’échappent d’une corne d’abondance. La statue repose uniquement sur le pied droit, qui foule un monstre à triple tête de crocodile. Une des trois têtes du monstre porte un diadème impérial, symbole de la royauté, la tête du milieu est couronnée d’une tiare pontificale, emblème de la papauté ; la troisième tête, tenant une épée dans la gueule, symbolise la tyrannie militaire. Lucifer, orné du cordon et du tablier palladiques, a auprès de lui l’aigle au diadème de fer. L’idole est en or massif, très artistement ciselé ; le dieu est environné de nuages en argent, le tout compris dans un triangle délimité par sept colonnes du plus beau marbre. Tout à fait au fond, on remarque, au sommet, un triangle lumineux et renversé tranchant sur des nuées noires, et d’où jaillissent des éclairs. Au-dessous de l’idole principale et sur la table de l’autel, il y a trois statuettes représentant Belzébuth (au milieu), ayant auprès de lui une sphère terrestre qu’enlace un serpent, Astaroth avec un médaillon où figure une tête de taureau, et Moloch avec un médaillon où figure une tête de lion ; Belzébuth élève la main droite pour montrer Lucifer qui arrive, Astaroth tient une rose et Moloch une hache. Onze colonnettes supportent l’autel. Sur la large épaisseur du marbre formant entablement, on lit ces mots : « Introïbo ad altare Dei Optimi Maximi », qui constituent la première phrase de la messe blanche ou messe luciférienne selon le grand rite.


L’AUTEL DE LUCIFER, au Suprême Directoire Dogmatique de Charleston.

Le néophyte, qui a su choisir la bonne porte, parvient donc au sanctuaire, réfléchit de nouveau, et est désormais fixé sur le secret des secrets ; il est mûr pour devenir Hiérarque, et il a l’avantage d’être initié à Charleston même.

Les autres, ceux qui se sont vainement promenés à travers les dédales du labyrinthe, sont ajournés. On les fait assister, dans le courant du trimestre, à une conférence sur les bienfaits divins du feu éternel ; après quoi, l’expérience est renouvelée. Si cette fois l’un d’eux n’a pas compris encore que la Porte Ignis est la seule conduisant à la vraie lumière, il demeure Kadosch du Palladium et jamais il ne sera promu Hiérarque.

Aux quatre angles du carré qui contient le labyrinthe, il y a tout autant de sanctuaires, servant à des initiations.

Le premier, à droite, est la Chambre infernale des Rose-Croix, déjà décrite par les principaux auteurs qui ont fait des révélations sur la franc-maçonnerie. À Charleston, on y pénètre par le grand parvis ; mais il ne faut pas oublier que les récipiendaires passent par là sans savoir où ils sont, car ils ont la tête recouverte d’un sac dont ils ne sont débarrassés qu’une fois dans la chambre ; cette chambre représente le royaume du feu et permet aux intelligents de comprendre le grand secret. Ici, je dois rappeler que tous les candidats Rose-Croix ne passent pas par la Chambre Infernale ; une sélection est opérée ; les imbéciles, dont on a besoin, mais à qui il ne faut rien dire, gardent tout le temps leur sac sur la tête et sont promenés n’importe où.

La deuxième pièce d’angle du labyrinthe est le Sanctuaire de la Sagesse, également décrit par plusieurs auteurs anti-maçonniques, ceux qui ont eu entre les mains le rituel de Laffon-Landébat, le seul explicite. C’est là que le postulant au 30e degré écossais offre l’encens à Lucifer encore voilé par des emblèmes. On accède à cette pièce par la galerie Saint-Jacques.

La galerie Sainte-Hypathie donne accès aux deux autres pièces d’angle. L’une est le Sanctuaire de la Vérité, qui sert à diverses initiations du Rite d’Adoption, c’est plutôt un boudoir qu’une chapelle, et rien n’y trahit le luciférianisme pur. L’autre est le Sanctuaire Palladique d’Eva, où se trouve un autel dont l’idole représente la mère de l’humanité. C’est là qu’est conduite la Maîtresse Templière sur laquelle les chefs ont fondé quelque grand espoir, celle qui est destinée à jouer un rôle actif ; ce complément d’initiation a lieu trois mois après l’initiation ordinaire, si la sœur habite Charleston, ou lorsqu’elle y vient, si elle est étrangère à la ville. On la laisse en tête-à-tête avec l’idole, après lui avoir recommandé d’adresser à Eva une prière fervente, au gré de son inspiration. Alors, si la Maîtresse Templière est vraiment élue dans le sens secret du mot, c’est-à-dire si elle est médium luciférien, une manifestation diabolique se produit : la statue s’anime, la matière de l’idole disparaît et fait place à un démon, ou plutôt à une démone, Astarté, qui se révèle à l’initiée, lui parle et l’embrasse, comme Baal-Zéboub embrasse le Mage Élu admis au sacerdoce luciférien.

Chacun de ces sanctuaires possède un « sacrarium », sorte de réduit où sont classés, dans des placards, les objets servant au culte.

Enfin, au milieu du bâtiment situé tout à fait au fond de l’immeuble, en un endroit inaccessible et derrière le Labyrinthe Sacré, se trouve le Sanctum Regnum, précédé du parvis interdit à tous (prohibitum pro- pylæum). Dans ce parvis, se tiennent constamment, se relayant, deux membres de la Masonic Veteran Association, choisis parmi les plus dévoués et les plus sûrs de cette phalange d’élite.

Le Sanctum Regnum est un appartement de forme triangulaire, dont les murs sont d’une épaisseur invraisemblable, plus épais même que les murailles maîtresses. Comme si la garde vivante du péristyle ne suffisait pas à en défendre l’entrée, deux portes de fer, toujours fermées, en forment la clôture. Seuls, le suprême chef dogmatique et les dix membres du Sérénissime Grand Collège franchissent ce seuil, lors des tenues. On peut néanmoins y pénétrer en dehors des séances ; mais il faut avoir au moins le grade de Hiérarque et être accompagné dans cette visite par l’un des onze ayant droit de siège nominatif.

On sait que l’organisation du Sérénissime Grand Collège est essentiellement cabalistique ; toutefois, il est important de rappeler ici qu’en séance, les chefs suprêmes ne se connaissent plus par leurs noms d’hommes. Le suprême chef dogmatique est l’Ensoph, et les autres sont les dix Séphiroth. Ainsi, pour prendre la composition du plus haut pouvoir directif de la secte au 1er  mars 1891 : Albert Pike était l’Ensoph ; Georges Mackey, Kether ; Chambers, Khkohma ; William Upton, Binah ; le juif Essex, Khésed ; Crowel, Din ; Macdonald Bates, Tiphereth ; Walder père, Netzakh ; le gros Bruff, Hod ; Ireland, Iesod ; et Richard Thompson, Malkhuth. Quand un des dix assistants du chef suprême est remplacé pour cause de décès ou pour une raison de force majeure, son successeur prend son nom cabalistique : c’est ainsi que Chambers a succédé à Frédérick Webber comme deuxième séphirah (Khokhma), Bates à Thomas Tullock comme sixième séphirah (Tiphereth), etc.

J’ai donc visité le Sanctum Regnum, et je crois ne pas me tromper en affirmant que ceux qui ont mis le pied dans la salle triangulaire de Charleston sont infiniment peu nombreux ; car tous les Hiérarques et Mages Élus n’ont pas l’occasion de faire un voyage aux États-Unis d’Amérique.

Le Baphomet templier (place n° 1 sur le plan) ressemble à celui de Calcutta, dont j’ai donné la reproduction, page 89. Il y a lieu, pourtant. de noter les différences que voici : l’idole de Charleston est plus grossièrement exécutée et présente des caractères de vétusté incontestables, sans que cela prouve néanmoins qu’elle remonte au temps de Jacques Molay ; la tête de boue est d’un aspect de brutalité frappante ; le front est très large, la croix avec rose, au pied de laquelle est le pélican, est l’effet d’une modification récente, puisque le Baphomet templier portait là un caducée, dit-on ; les deux serpents indien et égyptien de droite et de gauche, qu’on remarque à Calcutta, n’existent pas à Charleston ; enfin, la signature de Baal-Zéboub ne figure pas sur le globe terrestre. Par contre, au Baphomet du Sanctum Regnum, le globe s’ouvre et recèle un tabernacle ; c’est dans ce coffre que sont déposés les manuscrits originaux des « livres saints » du satanisme. Il y a là les manuscrits les plus rares d’Albert Pike : Ariel ; Dogme et Morale ; les Hymnes Sacrés ; les Legenda Magistralia ; le Sephar H’Debarim ; la Conduite secrète du Palladisme ; le Ritual of the New and Reformed Palladium (quatre grades sur cinq) ; la Vraie Lumière ; le Livre des Révélations ; le Verbe Suprême. Il y a aussi les livres sacro-saints : le Rituel de Mage Élu, réputé écrit par Baal-Zéboub, et le livre Apadno, qui contient l’histoire prophétique du règne de l’Ante-Christ, au point de vue satanique, et qui serait, s’il fallait en croire les palladistés, de l’écriture de Lucifer lui-même.

Cette idole hideuse, voilà le Palladium de la franc-maçonnerie universelle. C’est devant elle, — ainsi l’attestent les membres du Sérénissime Grand Collège, — que le Dieu-Bon se manifeste en personne, régulièrement une fois par semaine.

Cette apparition fait partie de celles dont je n’ai pas été témoin ; à ce sujet, je ne fais donc que répéter ce qui m’a été déclaré.

Voici, d’après Chambers, comment a lieu cette manifestation :

Les murs du Sanctum Regnum, qui sont sans ornement, mais peints d’une couche uniforme d’un vert extrêmement vif (on en éprouve un vrai malaise de la vue, en entrant), se mettent tout à coup à « suer des flammes ». Une chaleur intense se produit ; mais on n’en est nullement incommodé. Sept craquements sourds se font entendre ; il semble que le sol se déchire formidablement à une lointaine profondeur. Les assistants tombent alors à genoux et baisent le sol. Un souffle chaud et impétueux leur brûle le visage, l’espace d’une seconde à peine. À l’instant même, ils voient Lucifer devant eux, debout, à trois pas en avant du Baphomet.

Il n’apparaît pas sous une forme monstrueuse, mais comme un beau jeune homme d’une trentaine d’années. Des fois, il a des ailes ; d’autres fois, non. Les arcades sourcilières sont généralement contractées.

Aussitôt paru, il impose les mains sur les assistants, qui se sentent embrasés d’un feu mystérieux ; ils en éprouvent une douleur étrange, mêlée de volupté, m’a dit Chambers. Après quoi, il leur dit de s’asseoir ; mais, lui, il demeure debout.

L’entrevue est de durée variable, mais n’excède jamais trente-trois minutes.

Il parle d’une voix brève, par phrases courtes, d’un ton un peu saccadé ; toutefois, le timbre est mélodieux : on dirait une musique charmeuse.

Il m’interroge jamais sur des faits présents ou passés ; mais il lui arrive de demander aux assistants, à l’un après l’autre, de formuler leur opinion sur telle ou telle conjecture. Néanmoins, après avoir fait formuler les avis, il n’en tient aucun compte : il semple qu’il a voulu simplement provoquer des explications. Il dit nettement et carrément ce qu’il faut faire.

Il conclut toujours par des encouragements à ses fidèles ; il les assure du triomphe final de sa cause. Tout cela est dit avec un calme bizarre, dont il ne sort que pour vomir parfois des blasphèmes contre la Vierge Marie ; lorsqu’il met en question la Mère du Christ, il change subitement d’aspect : sa voix tremble, la colère étincelle dans ses yeux, il crispe les poings. Cependant, il parvient à se maîtriser finalement ; il passe la main sur son visage et prend un autre sujet de conversation, sans transition aucune.

Sa disparition est brusque. Henri Buist, qui m’a parlé, lui aussi, de ces manifestations de Lucifer, m’avoua un jour tenir de Webber que celui-ci avait été frappé de la soudaineté inexplicable du départ du dieu des palladistes : Buist en concluait que ce départ inopiné n’était peut-être pas volontaire ; car l’esprit eut souvent une phrase coupée à l’instant même où il s’évanouissait à l’improviste. Je ne sais pas ce que Webber et les autres en pensaient ; mais Buist, en me relatant ce détail, me parut quelque peu impressionné.

Derrière le Sanctum Regnum sont les archives du Rite Écossais (à droite) et celles du Rite Palladique (à gauche) ; l’entrée est par la salle du Suprême Conseil et par celle du temple des Mages Élus.

Je ne m’arrêterai pas à décrire les autres étages de l’immeuble. Il me suffira de dire que, partout, les salles destinées aux initiations et aux tenues des divers grades sont bien disposées et confortablement aménagées. Au premier étage, il faut signaler pourtant l’immense Salle des Fêtes, située exactement au-dessus du temple du Suprême Conseil, de celui des Mages Élus, du Sanctum Regnum et de leurs trois parvis ; cette salle a un très beau parvis au-dessus de celui des Kadosch, mais d’une grandeur double. La Salle des Fêtes, de forme rectangulaire, a 42 mètres de long sur 22 de large, soit, en superficie, 924 mètres carrés ; éclairée à l’électricité, elle offre un aspect féerique. La galerie de l’aile droite se nomme Galerie Saint-Frédéric (il s’agit de Frédéric de Presse) ; celle de l’aile gauche, Galerie Saint-Julien (il s’agit de Julien l’Apostat).

En somme, le Vatican luciférien de Charleston est un splendide immeuble, surtout à l’intérieur, et chaque jour il s’enrichit et s’embellit davantage, grâce aux contributions prélevées par les chefs suprêmes sur le budget des rites maçonniques du monde entier.

Du reste, en Amérique, et principalement aux États-Unis, la secte est très florissante.

On a pu voir, dans un dessin (page 345) le temple maçonnique de Philadelphie, qui a un faux air de superbe et grandiose cathédrale. Cinq années ont été nécessaires à sa construction, laquelle a coûté sept millions et demi de francs (1,500,000 dollars) ; la pose de la première pierre, à laquelle dix mille maçons assistaient, a été effectuée le 24 juin 1868 ; quant à la cérémonie d’inauguration, elle a eu lieu le 29 septembre 1873.

Le temple de Philadelphie, situé entre quatre rues, occupe un terrain de 3,420 mètres carrés. La tour principale, qui est à l’angle de droite, a une superficie de 12 mètres carrés à la base, et sa hauteur totale est de 64 mètres. La façade est en style roman, avec adjonction d’emblèmes maçonniques figurant dans la décoration du monument. Cet édifice magnifique est la propriété de la Grande Loge de Pensylvanie.

La bibliothèque est située au rez-de-chaussée, ainsi que la Salle des Fêtes, les bureaux, le salon des grands officiers, la luxueuse Salle d’Honneur où sont reçus en récréation les visiteurs étrangers de haute marque. Deux escaliers monumentaux donnent la principale communication entre les divers étages. La Salle des Fêtes, qui sert surtout aux banquets, a près de 500 mètres de superficie.

Au premier étage, sont les temples de la Grande Loge, du Grand Chapitre, avec leurs parvis, leurs cabinets, leurs magasins. En outre, chacun des trois grades symboliques y a son temple spécial. Ces pièces ont, en moyenne. 20 mètres de long sur 12 de large et une hauteur de 7 mètres. Le temple de la Grande Loge, le plus grand, a 480 mètres carrés de superficie (soit 16 mètres de largeur et 30 mètres de longueur), et 12 mètres de hauteur. Le temple du Grand Chapitre est de la même largeur ; mais il ne mesure que 24 mètres en longueur.

Il convient de noter aussi le grand hall qui tient le milieu de l’édifice et donne à l’intérieur le jour et la ventilation nécessaires. Le temple du Grand Campement des chevaliers Templiers est au second étage. Indépendamment des salles affectées aux initiations et aux tenues, l’édifice comporte de nombreux appartements où les membres de la secte peuvent se costumer, se rafraîchir et se délasser entre frères et sœurs. Toutes ces pièces, bien aérées, sont chauffées à la vapeur.

À Philadelphie, les francs-maçons ne font pas grand mystère de leur qualité. Ainsi, lors des fêtes du centenaire de l’indépendance des États-Unis, la secte organisa dans la ville une procession solennelle, dont tous les journaux ont rendu compte. Elle eut lieu le 1er  juin, et huit mille chevaliers du Temple, appartenant aux divers Grands Campements américains, y prirent part. Ils se rendirent, avec leurs officiers en tête, de Broad-street au temple maçonnique, et là ils furent passés en revue par le F∴ Knigston, grand-maître de Pensylvanie, entouré des hauts dignitaires. Les journaux rapportent que leur marche fut bien exécutée, et que les diverses évolutions propres à l’exercice des Chevaliers du Temple, telles que formations de croix, de triangles, etc., furent effectuées avec une précision remarquable. Les Chevaliers, ainsi exhibés publiquement par la secte, avaient été choisis parmi les hommes de la plus belle prestance ; ils portaient leur uniforme complet, lequel consiste en tunique et pantalon bleu foncé, bicorne à claque orné de plumes, baudrier blanc, ceinturon d’épée et gants jaunes ; sur les gants et sur la gaine de l’épée figure la croix templière. Cette procession produisit à Philadelphie un grand effet.


procession des chevaliers du temple
devant le Temple maçonnique de Philadelphie, lors des fêtes du centenaire de l’indépendance américaine (1883).

Il faut signaler encore, aux États-Unis, le temple maçonnique de Chicago, bien que cet édifice n’ait aucune élégance. C’est une construction massive, gigantesque, de fort mauvais goût. On dirait des docks, un entrepôt immense. Ce qui fait que cet édifice sort de l’ordinaire, c’est qu’il est la plus haute maison qui existe sur le globe : il y a là vingt-deux étages. Le monument est bâti en pierres et briques, et la carcasse est en fer. Des ascenseurs desservent les innombrables salles réparties à tous les étages. Tous les grades des divers rites pratiqués en Amérique ont là des Temples, entassés les uns sur les autres. Les soirs des fêtes rituelles, la toiture est brillamment éclairée à l’électricité, et de la rue il semble, en levant les yeux au ciel, que l’on aperçoit là-haut une traînée de nébuleuse ; cet effet d’illumination est pittoresque.


Temple maçonnique de Chicago

En Europe, on cite, comme salle maçonnique remarquable, le grand temple de la loge les Amis Philanthropes, de Bruxelles, dont la société civile a été constituée le 30 décembre 1876, au capital de 175,000 francs, par acte passé devant maîtres Édouard Martha et Léon Brouwet, notaires bruxellois, tous deux bons francs-maçons.

Le local est situé rue du Persil et occupe l’emplacement de l’ancienne propriété Ghémar. La construction de cet immeuble maçonnique a coûté plus de 300,000 francs. Pose de la première pierre, le 5 aout 1877 ; inauguration solennelle, le 26 janvier 1879.

Après avoir franchi un passage à porte cochère et gravi un escalier intérieur de sept marches, en débouche sur le premier parvis où donnent les vestiaires, la loge du concierge, l’escalier du premier étage et l’entrée des souterrains. D’une superficie de 56 mètres carrés, ce parvis qui précède le grand temple, est orné des statues, grandeur nature, de Léopold Ier, roi des Belges, et de Verhaegen, un des illustres grands maîtres de l’ordre dans ce pays ; cette dernière statue est du sculpteur F∴ Geefs.

Au-dessus de la porte d’entrée du grand temple, se trouve formulée l’inscription, qui jadis était gravée en hiéroglyphes sacrés sur le fronton du temple de Saïs, consacré à Isis la bonne déesse, et qui est traduite ainsi en français : « Je suis ce qui est, ce qui a été, ce qui sera ; nul mortel n’a soulevé le voile qui me recouvre. »

À côté de l’entrée, est une plaque commémorative, fixée au muret contenant l’inscription suivante (je la reproduis, sans tenir compte des abréviations maçonniques, et ceci, afin d’éviter de multiplier les explications) :


L’an de la Vraie Lumière 5878. le 26e jour du 11e mois,
cet édifice,
construit sur les plans du frère Adolphe Samyn, architecte,
et par les soins
des frères Gustave Jottrand, Ernest Reisse, Léon Pilloy,
Charles Evrard et Henri Van Schoor,
administrateurs de la société civile chargée de cette construction,
a été solennellement inauguré comme
Temple Maçonnique
par la respectable Loge les Amis Philanthropes,
fondée à l’orient de Bruxelles le 17e jour du 12e mois 5797,
et dirigée, en cette cérémonie, par les frères :
Gustave Jottrand, 33e, Vénérable Maître en Chapitre,
Optat Scailquin, 22e, Vénérable Ex-Maître,
Gustave Duchaine, 29e, Premier Surveillant,
Jean-Baptiste Charbo, 16e, Second Surveillant,
Eugène Goblet d’Alviella, 27e, Orateur,
Ernest Baisse, 32e, Secrétaire,
Léon Pilloy, 9e, Trésorier,
Jean-Baptiste Hochsteyn, 33e, Grand Expert,
Édouard Jonniaux, 32e, Économe,
et Amédée Jouvenel, 18e, Couvreur.


Le grand temple, où près de huit cents personnes peuvent prendre place les soirs de tenue ordinaire, a 31 mètres de longueur sur 12 de largeur (ce qui donne 372 mètres carrés comme superficie) et est haut de 11 mètres 40. La salle sert aussi aux agapes et reçoit alors jusqu’à 350 convives, nullement gênés. Trois grands sun-burner de 150 becs, admirablement installés au plafond, fournissent un brillant éclairage, sans provoquer l’incommodité d’une trop forte chaleur. Lors des séances, les frères s’associent dans des fauteuils cannelés, dont la partie du siège se relève automatiquement sitôt qu’on est debout ; c’est d’un vrai confortable ; ces fauteuils sont disposés en plusieurs rangées, tant sur la colonne du midi que sur celle du nord, c’est-à-dire le long des côtés de droite et de gauche de la salle.


le grand temple de la loge les amis philanthropes, à bruxelles
réputé la plus belle salle maçonnique en Europe.

Pour la décoration, l’architecte s’est inspiré des mystères d’Isis combinés avec les exigences de la maçonnerie moderne. Le style de la salle est, par conséquent, égyptien, mais avec des peintures murales dans la note des rites pratiqués aujourd’hui. Douze grandes colonnes latérales, faisant saillie, mais non entièrement dégagées, supportent à droite et à gauche l’entablement et se détachent du mur, qui est d’une teinte brun-clair. L’or est semé à profusion, pour rehausser l’éclat des couleurs vives qui donnent à la salle un aspect gai et plein de fraîcheur. Partout, des symboles maçonniques mêlés a des hiéroglyphes reproduits d’après l’antique ; c’est un méli-mélo bizarre, mais parfaitement réussi ; on sent qu’un sentiment d’artiste, égaré évidemment dans les rêveries des légendes occultes, a présidé à cette riche ornementation, dont l’œil du visiteur est frappé.

Ce qui surprend encore le franc-maçon qui a voyagé et beaucoup vu, c’est la disposition des deux grandes colonnes indispensables qui sont a l’occident, prés de la porte d’entrée. Partout, ces deux colonnes emblématiques (la colonne J et la colonne B) sont appliquées au mur. Ici, au contraire, elles sont à distance de la muraille, s’élevant détachées, dans un isolement majestueux.

Entre les colonnes latérales du nord et du midi, on aperçoit une série de tableaux décoratifs, peints par les frères Janverhass et Delbecque. Ceux du midi (soit à droite en entrant) représentent la légende d’Hiram ; ceux du nord (à gauche), l’histoire de la construction du Temple. À l’orient sont encore deux grandes figures symboliques, l’Architecture et la Philosophie, c’est-à-dire l’ancienne maçonnerie opérative des ouvriers constructeurs, et la maçonnerie nouvelle, dite spéculative, la vraie, celle des sociétés secrètes. On voit aussi à l’orient, sous forme d’appareils lumineux, la lune et le soleil.

La voûte de la salle est bleue, semée d’étoiles. Tout autour, des colonnettes inclinées soutiennent un velarium. Au-dessous règne un autre colonnement, à demi-hauteur des pilastres massifs entre lesquels sont les peintures murales. (Voir le dessin, page 393.) Il en résulte un ensemble qui charme l’œil. Cette salle est vraiment fort coquette, d’une élégance rare ; car la richesse y est de bon goût, nullement criarde.

À côté du grand temple, il y a une salle spécialement affectée aux tenues de Maîtrise, et, par un changement de tentures, aux séances de Rose-Croix. Elle est précédée d’un petit parvis où l’on accède par une porte s’ouvrant dans le grand parvis, au fond, à gauche. Cette salle n’ayant rien de remarquable, je ne la décrirai pas. Elle a environ 150 mètres carrés en superficie et est éclairée par deux sun-burner de 50 becs ; la décoration est aussi de style égyptien. Tout à fait au fond se trouve la pièce réservée à l’initiation des Maîtres, dite Chambre du Milieu.

Au premier étage, musée, bibliothèque, magasin, salle des officiers dignitaires, et appartement réservé aux séances du Grand Orient de Belgique.

Tel est le principal immeuble maçonnique de Bruxelles.

Les locaux de la secte à Paris, à Rome, à Naples, à Madrid, à Londres, ne méritent pas de mention spéciale. J’en parlerai lorsque l’occasion se rencontrera. Je parlerai aussi des temples de Berlin, qui sont plus curieux. Toutefois, sans attendre, je dirai un mot de l’immeuble appartenant à la Grande Loge Aux Trois Globes, inauguré en 1888 et situé à quelques pas de la Spree, au n° 3 de Splittgerbergasse, derrière la Watts-brasse.

À propos des fêtes données à l’occasion de l’inauguration, je dois parler de celle du 5décembre ; organisée par la loge Zür Verschwiegenheit. Les membres de cette loge eurent l’aplomb d’inviter leurs familles : c’est le vénérable, le F∴ Brückner, qui ont cette idée stupéfiante. Les femmes et les filles des francs-maçons berlinois vinrent donc à la soirée, mêlées sans le savoir aux sœurs maçonnes, qui, pour la circonstance, n’avaient pas revêtu leurs tabliers et leurs cordons et étaient censées de simples profanes, invitées également comme parentes ou amies. On dîna joyeusement, on dansa plus joyeusement encore. Le grand-maître de l’ordre des Druides, le F∴ Hugo Bauër, était là, avec ses compères, dont quelques-uns portaient le costume spécial a cette branche de la confrérie ; la S∴ Dorothée Schultz était là aussi, avec sa bande de Mopses dont elle est la grande-maîtresse, mais toutes en toilette de bal, sans le moindre emblème maçonnique. Les sœurs Shieber, Knack, Boschmidt, Karlsteldt et autres chantèrent. Les Druides, ayant pour vis-à-vis les Mopses, exécutèrent le quadrille des épées  ; et les familles rentrèrent charmées, bien convaincues que rien n’est plus innocent que les fêtes de la franc-maçonnerie. Allez donc dire à ces Berlinoises, épouses ou filles des bons maçons de la loge en question, allez leur dire qu’il existe des sœurs maçonnes, des Mopses, des initiées palladistes ; elles vous répondront, certaines de leur fait : « Nous avons été reçues aux réunions de nos maris et de nos papas ; nous connaissons le local des Trois Globes : nous y avons festiné et dansé, en compagnie charmante et des plus convenables. Nous avons vu de près la franc-maçonnerie ; nous savons a quoi nous en tenir. Que l’on débite à d’autres, mais pas à nous, des calomnies à ce sujet ! »


quadrille maçonnique exécuté par des initiés de l’ordre des druides
à la fête d’inauguration du nouveau temple de la Grande Loge aux trois Globes, à Berlin (décembre 1888).


Il est incontestable, — et ceci est un fait qui n’a échappé à aucun investigateur, — que, depuis l’organisation supérieure créée par Albert Pike, la franc-maçonnerie a pris partout un développement extraordinaire. C’est pour cela qu’un important chapitre spécial devait être consacré à cet homme et à son œuvre.

L’œuvre a été colossale ; si formidable, que la mort de Pike (2 avril 1891) rappelle d’une certaine façon celle d’Alexandre. Lorsque le conquérant macédonien fut emporté dans la tombe, il ne se trouva personne, parmi ses généraux, pour le remplacer ; les généraux se partagèrent l’empire. De même, le trépas de Pike a montré l’insuffisance de ses lieutenants, réduits à se diviser son infernale besogne en trois parts distinctes. Il est vrai que Satan veille et les inspire ; le Maudit est toujours à la tête de l’œuvre.

De son vivant, Albert Pike eut, en Amérique, deux adversaires personnels, qui le combattirent vigoureusement. L’un, le général Phelps, n’appartient pas à la franc-maçonnerie ; l’autre, le docteur Gorges, détestait le chef de Charleston par suite d’une rivalité de boutique.

Le général Phelps est un de ces rares protestants que l’esprit de secte n’aveugle pas et à qui il ne reste qu’un pas à faire pour venir à la vérité, c’est-à-dire à la religion catholique. C’est un homme au cœur loyal, qui est, comme beaucoup, à mille lieues de soupçonner le fond diabolique de la haute maçonnerie, qui en ignore les rouages, mais qui considère comme nuisible à sa patrie l’action politique secrète des loges, et qui, se plaçant sur le terrain politique pour la combattre, a maintes fois attaqué la ténébreuse association et le personnage qui la dirigeait alors, le tenant d’instinct pour un être particulièrement néfaste.

Le général Phelps est un des fondateurs et des membres les plus actifs du Parti National (the National Party), association libérale nettement hostile aux loges.

Il y a bientôt dix ans, le 19 décembre 1883, le Parti National eut un congrès à Washington, et voici en quels termes le général Phelps développa les raisons pour lesquelles la franc-maçonnerie doit être antipathique à la démocratie américaine :

« Le contrôle que les loges exercent sur le vote populaire, dit-il, et l’éducation qu’elles répandent dans le peuple ne sont en accord ni avec la constitution des États-Unis, ni avec la religion sur laquelle la constitution est fondée. Ce secret contrôle est, en réalité, le gouvernement du pays. Il dispose des emplois publics et dirige les destinées nationales. Mais il manque du premier élément d’un gouvernement républicain, à savoir la responsabilité des gens en place. Quand le pouvoir gouvernant opère dans le secret et le mystère, il ne peut pas y avoir de vraie responsabilité. La loge est une oligarchie du plus mauvais caractère : elle fait arriver au pouvoir les pires individus choisis dans un cercle restreint de dépravation politique…

« Derrière les partis règne l’organisation secrète des loges, qui n’est qu’un sarcasme impie jeté sur la dignité de la nature humaine, un pou voir occulte, ténébreux, sans scrupule, qui, loin d’appuyer des hommes publics dignes de ce nom, aboutit à faire commettre dans la vie politique les plus viles et les plus ruineuses infamies. »

Dans son livre, les Sociétés secrètes, édité en 1873 à Chicago, le général Phelps avait, en outre, pris directement à partie Albert Pike, dont il rappela, notamment, le rôle particulièrement odieux pendant la guerre de la Sécession.

Encore le général Phelps, tout en attaquant personnellement Pike, se plaçait au point de vue de l’intérêt général. Le docteur Gorgas, lui, était plus un ennemi qu’un adversaire.

Gorgas est un 33e et le souverain grand-commandeur d’un rite écossais dissident, connu en Amérique sous le nom de Rite Cernéau. Cette branche de la maçonnerie universelle ayant refusé de se soumettre à la direction et aux exigences pécuniaires du chef suprême de Charleston, celui-ci excommunia les récalcitrants ; ils tinrent bon contre l’anathème, créèrent à New-York un Suprême Conseil schismatique, et ce fut dès lors une guerre à mort.

Si l’on est curieux d’avoir un spécimen du style d’Albert Pike, lorsqu’il lançait ses foudres contre les rebelles, on lira les passages suivants de sa circulaire du 15 septembre 1887 ; il est facile de voir qu’au fond de cette grande querelle il y a surtout une question de métaux :

« Chacun des groupes du Cernéauisme, écrit Pike, a pour chef un apostat ; chacun a des émissaires qui parcourent le pays, vendant de prétendus grades, pour quelques dollars ; chacun emploie les mêmes procédés honteux, les mêmes moyens vils, méprisables, malhonnêtes, dans le but d’accroître le nombre des adhérents au schisme…

« … Il n’y a jamais eu, dans l’histoire du monde, une imposture à plus méprisables prétentions que ce Cernéauisme bâtard, plus éhontée, issue de motifs plus sordides, plus absolument dénuée de tout droit à la moindre considération, à desseins plus ignobles. Jamais le giron de la Maçonnerie n’a abrité une imposture plus sûre d’attirer sur l’Ordre l’opprobre et le mépris universels.

« Il n’y a jamais eu à aucune époque coquinerie, escroquerie, tromperie, soutenue avec pareille audace, pareille impudence, pareille profusion, pareille persistance dans le mensonge ; car c’est un mensonge continu, inépuisable. Et, même en se prétendant le Cernéauisme, il ment ; car il n’en est qu’un bâtard et un rebut. Le monde n’a jamais vu spectacle plus honteux, plus scandaleux que la conduite, les intrigues, les expédients et les manœuvres dont ses souteneurs écœurent et dégoûtent les amis de la décence.

« Notre Suprême Conseil de Charleston a, par ses publications, fait un exposé complet de cette vile imposture et démontré la bassesse de ses mensonges. Il vous confie ces travaux, très chers et illustres frères, et vous demande de les remettre, spécialement les deux dernières publications officielles, à nos propres frères et à des Maîtres désireux de connaître la vérité, mais aussi à ceux qui, ayant embrassé le Cernéauisme, sont cependant de bons maçons et d’honnêtes gens, incapables de soutenir de parti pris la fraude et l’imposture, en continuant à rester membres d’une organisation illégitime et prétendue maçonnique. Si vous parvenez à convaincre des gens comme ceux-là, leur retraite sera pour l’imposture un coup mortel. Mais ne brûlez pas votre poudre pour la masse des associés : nous n’avons pas besoin d’eux ; qu’ils restent où ils sont !

« À vous maintenant d’accomplir votre part de travail et d’aider efficacement à l’extirpation du Cernéauisme.

« Je vous adjure, au nom du devoir et de l’honneur, de vous évertuer à propager et étendre le vrai Rite Écossais. »

Cette circulaire étant destinée à être lue dans les Loges Symboliques, c’est à dire à être communiquée même aux membres des grades inférieurs, Albert Pike n’y dit pas un mot du Palladisme, qui ne doit être connu que des haut-gradés initiés sans l’anneau.

Quant aux Cernéauistes, ils répliquèrent avec la même violence, accusant Pike d’en vouloir surtout à leur caisse et trouvant que les grades qu’ils conféraient étaient aussi bons que les siens, puisqu’ils procédaient en vertu du même principe.

Mais le côté le plus étrange de cette querelle fut la bataille à coups d’envoûtements. De Baltimore où il a son domicile, à l’Hamilton-Terrace, le docteur Gorgas envoûtait son ennemi, et de Washington le général Pike envoûtait à son tour le médecin de l’Université du Maryland. Ce fut un duel bizarre où les deux antagonistes se jetaient des sorts l’un à l’autre et se protégeaient au moyen de talismans créés par leur fertile imagination ; Gorgas en était arrivé à se frotter le nombril avec de la cendre de crapaud brûlé vif après administration d’une contrefaçon de baptême.

Dans l’intérêt de la vérité, il est juste de reconnaître que ce n’est pas d’un maléfice cernéauiste qu’Albert Pike est mort, mais d’une maladie des plus ordinaires, aggravée par un affaiblissement des forces, très naturel à un âge aussi avancé que le sien.

  1. La lettre à laquelle je fais allusion est du 21 février 1893. C’est un méli-mélo d’impertinences que Sophie Walder a eu l’audace d’adresser à M. l’abbé Mustel, l’éminent et vaillant directeur de la Revue Catholique du diocèse de Coutances, lettre que le digne prêtre avait fort bien le droit de jeter dédaigneusement au panier, mais qu’il a cru devoir publier quand même, parce qu’en somme la forcenée luciférienne, excitée par ses sœurs de Cherbourg, celles-ci furieuses de se croire découvertes et criant avant d’avoir été battues, s’est laissée aller dans son accès de rage à lâcher quelques mots maladroits, qui se retournent aujourd’hui contre elle.
    Dans cette longue épître, qui est un vrai manifeste et qui, coïncidence bizarre à noter, a été décochée par cette main plus diabolique qu’humaine en même temps que le grand-maître italien Adriano Lemmi présidait à Rome un banquet de trois cents francs-maçons (19 février), banquet auquel une place d’honneur était réservée au frère Carducci, l’auteur de l’Hymne à Satan, et où il prononçait un discours des plus violents contre la papauté et en particulier contre Notre Saint Père Léon XIII, — dans cette épître de près de deux cents lignes, Sophie Walder injurie un peu tout le monde, sous prétexte de défendre ses sœurs de Cherbourg dont elle vante la vertu (!), et, au passage, je suis visé par les deux alinéas suivants, que je tiens à relever ici, quoique déjà M. l’abbé Mustel ait bien voulu me permettre d’y répondre dans son excellente revue, — permission dont j’ai été heureux d’user :
    « … Le docteur Bataille, dit Sophia, abuse d’une situation toute particulière. À l’époque où je le croyais mon ami, il me sauva d’une péritonite qui m’emportait. Je lui en eus une vive reconnaissance ; je m’aperçois aujourd’hui que de cette reconnaissance il profita outre mesure. Mais de nous deux quel est l’indigne ? J’en fais juge le public. Je pensais avoir eu un frère qui m’avait arrachée à la mort ; je me trompais ; le médecin était un faux-frère dont l’unique souci était de conserver un sujet qui lui paraissait curieux à étudier. L’espion se faisait sauveur de l’espionnée pour continuer jusqu’au bout son espionnage…
    « … Si dans un excès de gratitude, j’ai eu trop d’amitié pour cet homme, trop de confiance en lui, le blâmable est, non pas moi certes, mais lui, qui a abusé de cette amitié et de cette confiance. Que dans leur conscience se prononcent les impartiaux !… Ils jugeront très sévèrement, j’en suis sûre, cette trahison, d’autant plus ignoble qu’elle est commise par un médecin vis-à-vis d’une malade qu’il a soignée et à qui il a pu arracher insidieusement quelques confidences ; c’est la une violation flagrante du secret professionnel. »
    Sophia s’illusionne étrangement si elle s’imagine qu’elle donnera le change au public. Quand mon ouvrage aura été lu jusqu’au bout, en aura constaté qu’il ne s’agit aucunement de faits secrets du ressort du médecin, de faits appris par le médecin à raison de la maladie de sa cliente ; ce que je dévoile n’a aucun rapport avec cela, et je ne viole nullement le secret professionnel.
    Dans ma réponse publiée par la Revue Catholique de Coutances, j’ai dit que j’étais allé au feu, poitrine découverte ; ce récit, qu’aucune menace ni aucune manœuvre ne me feront interrompre, sera la démonstration de la vérité absolue de mon affirmation très nette. Les Walder, les Lemmi, les Hobbs et tutti quanti savent ou devraient savoir qu’ils ne m’effrayeront pas. Si j’ai risqué ma peau en leur vilaine compagnie et en surmontant bien souvent mon dégoût et mon indignation, ce n’est pas pour me taire aujourd’hui que j’ai vu tout ce que j’ai voulu voir. Quant à la phrase que Sophia a soulignée dans sa lettre à M. l’abbé Mustel, elle constitue un mensonge impudent. Lorsque j’ai donné mes soins a cette malheureuse (1er  juin 1884 et jours suivants), je ne songeais nullement à conserver un sujet ; je faisais simplement mon devoir. Si Sophie Walder n’était une égarée au dernier degré, une possédée à l’état latent, elle comprendrait, au contraire, combien l’intervention divine est manifeste, dans le cas qu’elle cite, son propre cas ; elle réfléchirait que la maladie dont elle fut frappée subitement l’empêcha de commettre le plus odieux des crimes ; aujourd’hui, elle sait que le médecin, qui a été mis alors sur sa route et à qui elle croit devoir sa guérison, était un catholique, un défenseur de ce Dieu infiniment bon qu’elle outrage tous les jours, et elle ne comprend pas ?… Quel aveuglement ! quelle cécité !… Oui, je dirai tout, je raconterai tout. Mais laissez-moi ajouter, pour conclure, Sophia, que vous avez été bien maladroite dans votre sortie absurde et folle contre M. l’abbé Mustel. Bien plus malin que vous est votre collègue Adriano Lemmi, qui fera le mort, lui, ou qui donnera à ses agents secrets le mot d’ordre de faire brutalement tout nier.
  2. La France compte 527,577 kilomètres carrés, y compris la Corse ; la superficie du Texas est de 688,383 kilomètres carrés.
  3. Mlle  Sophie Walder a protesté publiquement, dans une lettre que plusieurs journaux ont reproduite, contre la version qui représente son père comme l’ayant ravie à sa mère, version fort répandue, du reste, et dont je me suis borné à me faire l’écho. À l’en croire, elle aurait été orpheline dès sa naissance, c’est-à-dire que sa mère serait morte en lui donnant le jour.
    Dont acte.
    (Note de l’auteur.)
  4. M. Adolphe Ricoux dit, par erreur : six mois.
  5. Au-dessus des loges symboliques, qui travaillent uniquement aux trois premiers degrés (Apprenti, Compagnon et Maître), se trouvent ce qu’on appelle les loges de perfection, c’est-à-dire les ateliers où les frères choisis comme les plus aptes à découvrir le secret des secrets sont poussés dans la voie des perfectionnements ; ces ateliers de perfection préparent les élus de la première sélection à entrer dans les arrière-loges : chapitres de la Rose-Croix, conseils de Kadosch.
  6. C’est le directeur général des postes du royaume de Prusse.
  7. INNO A SATANA
    1

    A te, de l'essere
    Principio immenso,
    Materia e spirito,
    Ragione e senso;

    2

    Mentre ne' calici
    Il vin scintilla
    Sí come l'anima
    Ne la pupilla;

    3

    Mentre sorridono
    La terra e il sole
    E si ricambiano
    D'amor parole,

    4

    E corre un fremito
    D'imene arcano
    Da' monti e palpita
    Fecondo il piano;

    5

    A te disfrenasi
    Il verso ardito,
    Te invoco, o Satana,
    Re del convito.

    6

    Via l'aspersorio
    Prete, e il tuo metro!
    No, prete, Satana
    Non torna in dietro!

    7

    Vedi: la ruggine
    Rode a Michele
    Il brando mistico,
    Ed il fedele

    8

    Spennato arcangelo
    Cade nel vano.
    Ghiacciato è il fulmine
    A Geova in mano.

    9

    Meteore pallide,
    Pianeti spenti,
    Piovono gli angeli
    Da i firmamenti.

    10

    Ne la materia
    Che mai non dorme,
    Re de i fenomeni,
    Re de le forme,

    11

    Sol vive Satana.
    Ei tien l'impero
    Nel lampo tremulo
    D'un occhio nero,

    12

    O ver che languido
    Sfugga e resista,
    Od acre ed umido
    Pròvochi, insista.

    13

    Brilla de' grappoli
    Nel lieto sangue,
    Per cui la rapida
    Gioia non langue,

    14

    Che la fuggevole
    Vita ristora,
    Che il dolor proroga
    Che amor ne incora.

    15

    Tu spiri, o Satana,
    Nel verso mio,
    Se dal sen rompemi
    Sfidando il dio

    16

    De' rei pontefici,
    De' re crüenti:
    E come fulmine
    Scuoti le menti.

    17

    A te, Agramainio,
    Adone, Astarte,
    E marmi vissero
    E tele e carte,

    18

    Quando le ioniche
    Aure serene
    Beò la Venere
    Anadiomene.

    19

    A te del Libano
    Fremean le piante,
    De l'alma Cipride
    Risorto amante:

    20

    A te ferveano
    Le danze e i cori,
    A te i virginei
    Candidi amori,

    21

    Tra le odorifere
    Palme d'Idume,
    Dove biancheggiano
    Le ciprie spume.

    22

    Che val se barbaro
    Il nazareno
    Furor de l'agapi
    Dal rito osceno

    23

    Con sacra fiaccola
    I templi t'arse
    E i segni argolici
    A terra sparse?

    24

    Te accolse profugo
    Tra gli dèi lari
    La plebe memore
    Ne i casolari.

    25

    Quindi un femineo
    Sen palpitante
    Empiendo, fervido
    Nume ed amante,

    26

    La strega pallida
    D'eterna cura
    Volgi a soccorrere
    L'egra natura.

    27

    Tu a l'occhio immobile
    De l'alchimista,
    Tu de l'indocile
    Mago a la vista,

    28

    Del chiostro torpido
    Oltre i cancelli,
    Riveli i fulgidi
    cieli novelli.

    29

    A la Tebaide
    Te ne le cose
    Fuggendo, il monaco
    Triste s'ascose.

    30

    O dal tuo tramite
    Alma divisa,
    Benigno è Satana;
    Ecco Eloisa.

    31

    In van ti maceri
    Ne l'aspro sacco:
    Il verso ei mormora
    Di Maro e Flacco

    32

    Tra la davidica
    Nenia ed il pianto;
    E, forme delfiche,
    A te da canto,

    33

    Rosee ne l'orrida
    Compagnia nera,
    Mena Licoride,
    Mena Glicera.

    34

    Ma d'altre imagini
    D'età più bella
    Talor si popola
    L'insonne cella.

    35

    Ei, da le pagine
    Di Livio, ardenti
    Tribuni, consoli,
    Turbe frementi

    36

    Sveglia; e fantastico
    D'italo orgoglio
    Te spinge, o monaco,
    Su 'l Campidoglio

    37

    E voi, che il rabido
    Rogo non strusse,
    Voci fatidiche,
    Wicleff ed Husse,

    38

    A l'aura il vigile
    grido mandate:
    S'innova il secolo
    Piena è l'etade.

    39

    E già già tremano
    Mitre e corone:
    Dal chiostro brontola
    La ribellione,

    40

    E pugna e prèdica
    Sotto la stola
    Di fra' Girolamo
    Savonarola.

    41

    Gittò la tonaca
    Martin Lutero:
    Gitta i tuoi vincoli,
    Uman pensiero,

    42

    E splendi e folgora
    Di fiamme cinto;
    Materia, inalzati:
    Satana ha vinto.

    43

    Un bello e orribile
    Mostro si sferra,
    Corre gli oceani,
    Corre la terra:

    44

    Corusco e fumido
    Come i vulcani,
    I monti supera,
    Divora i piani;

    45

    Sorvola i baratri;
    Poi si nasconde
    Per antri incogniti,
    Per vie profonde;

    46

    Ed esce; e indomito
    Di lido in lido
    Come di turbine
    Manda il suo grido,

    47

    Come di turbine
    L'alito spande:
    Ei passa, o popoli,
    Satana il grande.

    48

    Passa benefico
    Di loco in loco
    Su l'infrenabile
    Carro del foco.

    49

    Salute, o Satana,
    O ribellione,
    O forza vindice
    De la ragione!

    50

    Sacri a te salgano
    Gl'incensi e i vóti!
    Hai vinto il Geova
    De i sacerdoti.

  8. En passant, je dois rectifier une erreur commise par deux fois au sujet de l’Hymne à Satan. La première fois, c’est M. Paul Rosen, qui, dans son volume l’Ennemie Sociale reproduit quinze lignes de l’hymne fameux et en attribue la paternité à un F∴ Enotrio Romano, personnage dont j’avoue n’avoir jamais entendu parler. La seconde fois, c’est Mgr Meurin, qui, dans son volume la Franc-Maçonnerie synagogue de Satan, reproduit quatre lignes seulement (strophes 5, 49 et 50) et les attribue à Adriano Lemmi. L’auteur de cette rapsodie sacrilège est bien, je le répète, Giosué Carducci, aujourd’hui sénateur, qui ne me démentira pas. J’ai tenu à donner (voir page 361) son portrait à 27 ans, c’est-à-dire à l’âge où il composa l’hymne satanique. Ce portrait aujourd’hui très rare, je l’ai eu entre les mains, revêtu de sa signature, avec dédicace à une personne que je ne dois pas nommer. Du reste, je parlerai plus longuement de Carducci dans mon chapitre sur la maçonnerie italienne.
  9. Dans un certain nombre de grandes villes, la maçonnerie ne recourt pas à un aussi grand luxe de précautions, et la ruse employée pour détourner les soupçons au sujet des sœurs mérite une mention spéciale ici. On a soin de créer, au siège même du Suprême Conseil, du Grand Orient ou de la Grande Loge, des cours quotidiens pour adultes, hommes et femmes, où les profanes eux-mêmes sont admis ; dans des salles mises à la disposition des frères professeurs et de leur auditoire, on enseigne ainsi, chaque soir, la comptabilité, la sténographie, les règles du savoir-vivre, la géographie présentée sous la forme attrayante de récits de voyages, les principales langues étrangères ; ce sont des cours de conversation, des conférences blanches c’est-à-dire quasi-publiques, qui sont généralement très courues. De cette façon, un grand mouvement de va-et-vient est créé à l’hôtel maçonnique, où pénètrent, se rendant à leurs cours préférés, de nombreux auditeurs des deux sexes ; et ainsi l’entrée d’une dame ou demoiselle n’offre plus rien d’anormal. Seulement, les sœurs maçonnes savent quelle est la salle où il faut qu’elles aillent, et, une fois le seuil de l’immeuble franchi, ce n’est pas au cours d’un professeur qu’elles se rendent.