Le Diable au corps (Nerciat)/5

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Texte établi par [s. n.],  (p. 81-166).





LE DIABLE AU CORPS.

CINQUIÈME PARTIE.

Nous avons laissé la Marquise et la Comtesse au moment de dîner ; la première indisposée ; ce qui ne veut pas dire mal disposée, car c’est sur-tout dans l’état qui l’a surprise (comme on a vu) qu’elle est le plus tourmentée par son indomptable tempérament. Ce n’est pas chose fort extraordinaire, car il est prouvé que ces douze ou treize époques de l’année seraient, selon la nature, celles des grands besoins, s’il n’était reçu chez les trois-quarts des femmes que l’on n’écoutera point cette nature pendant ces espaces de tems réputés de disgrace. — N’a-t-on pas les yeux ternes, cernés ? le teint fouetté ? la peau moins fraîche ? les levres violaces ? la transpiration et l’haleine n’ont-elles pas quelquefois un soupçon d’odeur fétide ? Si les Dames les plus pénétrées de leurs avantages, les plus aveuglées par leur amour-propre, sont forcées de s’appercevoir elles-mêmes de tout cela, risqueront-elles de mettre à l’épreuve de ces imperfections momentanées l’amour, ou les desirs de certains hommes trop délicats, ou trop faiblement inspirés, et qui, très-injustement, feraient retraite ! Non certainement : l’ambition de plaire et le besoin d’avoir son crochet bien garni, donnent des lumieres plus sûres, et prescrivent une conduite plus prudente. On s’impose donc pour l’ordinaire, malgré le cri du tempérament, une courageuse abstinence pendant ces jours critiques. La Marquise n’est pourtant pas une femme comme une autre ; sera-t-elle capable de cette abstinence spéculative ? ou cédera-t-elle à l’effervescense de son sang ? c’est ce qu’il faudra voir. — Comme ces Dames traversaient, pour se rendre à la salle à manger, une piece dont les croisées sont ouvertes, elles voient le Suisse parlant à quelqu’un à la portiere d’un carrosse arrêté devant la porte cochere qui leur fait face. Elles sont vues en même-tems : alors,

LE TRÉFONCIER, (le même qui a présenté Belamour)
dit très-haut au Suisse :

— C’est assez menti, camarade. Les voilà. —

(En même-tems il se fait ouvrir la portiere par ses gens, et s’élance dans la cour. Le Suisse, malgré son inflexibilité connue, ne peut s’opposer à cette brusque entrée : d’ailleurs sa maîtresse présente n’a pas l’air de désaprouver, et,

LA COMTESSE, avec un geste empressé,
dit à haute-voix :

— Oui, oui : c’est bien comme cela. Venez, Comte : arrivez. —

(Pendant qu’il donne quelques ordres à son cocher, elle ajoute :) —


Il n’est pas malheureux que nous ayons un visage masculin. Qu’en pensez-vous, Marquise ?

LA MARQUISE.

J’en suis fort aise, puisque cela paraît vous faire plaisir.

LA COMTESSE.

J’aime le Tréfoncier ; il a de l’esprit comme un lutin, quand il veut ; et sa bizarrerie ordinaire m’amuse au possible.

LA MARQUISE, froidement.

Je le goûte assez.

                  — (D’où vient cette sécheresse, et l’air mécontent qu’elle a ? — C’est qu’il sera nécessairement parlé de Belamour ; des fredaines de la veille : et que tout cela devait être, du moins jusqu’à nouvel ordre, un secret pour la Comtesse. Maintenant elle va tout savoir.)

LE TRÉFONCIER, leur baisant la main.

Bonjour, déesses !

— (À la Marquise.)


Si c’est pour ne point me donner à dîner que vous me faisiez si vigoureusement rembarrer par votre Suisse, il faudra bien que j’aille me pourvoir ailleurs ; je suis cependant un peu comme Sancho-Pança, sujet à me fixer où je sens la marmite ; vous alliez vous mettre à table : par charité, faites-moi donner un couvert.

LA MARQUISE, riant.

Ne dirait-on pas qu’il a peur d’être renvoyé ! Je ne ferais pas un trait de cette noirceur à la Comtesse ; elle s’est extasiée de plaisir quand elle vous a vu.

LA COMTESSE.

Une bonne hypocrite de ma connaissance a mieux caché son jeu. — (Ils entrent dans la salle et se mettent à table. Comme il s’agit d’abord de manger, et qu’on a des gens autour de soi, la conversation ne peut rien avoir de bien intéressant. Les nouvelles courantes, vraies ou fausses ; les ridicules de deux ou trois individus ; et l’anatomie critique de la derniere nouveauté théatrale, voilà les sujets d’un entretien commun, décousu, jusqu’à ce qu’enfin, le fruit servi, la livrée se retire.) — Alors :

LE TRÉFONCIER.

Eh bien, ma chere Marquise ? comment vous arrangez-vous de mon drôle d’hier ? Prévoyez-vous qu’il puisse vous convenir ?

LA MARQUISE.

Je vous croyais certain que je le garde ? Il suffit qu’il vienne de votre part…

                  (Ce compliment est fait avec une nuance d’aigreur.)

LE TRÉFONCIER, avec une politesse chargée.

Cela est infiniment honnête. Mais, comme c’est un peu plus pour soi-même que pour ses amis qu’on prend du monde à son service, le point essentiel est que vous soyiez satisfaite. —

(Il sourit avec malice.)
LA COMTESSE.

On n’aurait qu’à ne pas l’être de mon cher Cascaret… de Belamour, voulais-je dire…

(Sourire malin dirigé vers le Comte.)
LE TRÉFONCIER, feignant l’étonnement.

Belamour ? Hector, apparemment ?

LA COMTESSE, du même ton de persiflage.

Eh non : c’est Belamour. — Hector, je ne sais ce que c’est ?

LE TRÉFONCIER.

C’est un nom propre aussi. — Mais Belamour se montre beaucoup mieux, et je conçois en effet qu’on n’est pas ainsi baptisé pour être mis dès le lendemain à la porte.

LA COMTESSE, s’indiquant.

En tout cas, qu’on l’y mette, il ne restera pas long-tems sur le pavé. —

                  (En même-tems elle surprend de l’embarras et de la rougeur sur la physionomie de la Marquise ; elle ne peut donc retenir une extrême envie de rire, à laquelle il serait peut-être plus poli de résister. Elle éclate : le Tréfoncier en fait autant. — Pendant un moment (fort court) la Marquise est très-piquée de cet excès de gaieté qui la mystifie. Cependant, en femme de bon sens, elle prend son parti sur l’heure, et dit :)

LA MARQUISE.

Vous riez là, tous les deux, sans vous entendre assez. Soyez un peu mieux au fait : cela deviendra bien plus gai. Comte ? vous savez, ce que vous vîtes hier ?

LE TRÉFONCIER, surpris.

Allez-vous l’avouer ?

LA MARQUISE.

J’y suis décidée, pour vous ôter le plaisir d’en faire un sujet de raillerie. Eh bien, chacun a ses visions, comme vous allez l’apprendre. — Demandez à Madame ce qu’aurait pu voir ce matin une personne, qui, au lieu d’aller bien loin écrire une lettre, serait demeurée derriere la porte de mon cabinet de toilette, l’œil au guet à certain petit trou bien perfide, exprès ménagé pour servir la curiosité.

LA COMTESSE, au comble de l’étonnement.

Ah, diablesse !

LA MARQUISE, d’un
ton victorieux, mais amical.

Ah, triple luronne ! pour ne rien dire de plus.

LE TRÉFONCIER.

Un moment : je n’y suis pas, moi : si c’est là vous éclaircir, Mesdames…

LA COMTESSE, riant.

Voici le fin mot, mon cher. — Je suis la sotte dans toute cette affaire : Mons Belamour m’a rouée, et Madame se fiche de moi.

LE TRÉFONCIER.

Fort bien : je commence à comprendre quelque chose. Les faits à présent ?

LA COMTESSE.

Les voici.

                  (Naturellement franche, et ne conservant depuis long-tems aucune pudeur, elle se confesse avec une gaieté polissonne de tout ce qui s’est passé le matin entre elle et Belamour. C’est en ne se ménageant nullement ; en appuyant sur le complet ridicule de ses méprises, et de la peine qu’elle a prise, sans un fort grand succès, pour échauffer le coiffeur ; c’est, en un mot, en se sacrifiant dans son récit vif et plaisant qu’elle désarme ses antagonistes.)


— J’ai fini : si chacun s’exécutait d’aussi bonne grace que moi, j’apprendrais sans doute de jolies choses à mon tour ! — Ah, Belamour ! ah, Me. la Marquise ! — Quand j’y réfléchis… je jouais un charmant rôle, en vérité !

LA MARQUISE, lui tendant la main.

Celui d’amie, pourtant ; car, sur le chapitre du cœur, je n’ai pas le plus petit tort à te reprocher.

LA COMTESSE.

Bien m’en a pris, ma foi. — Cependant, si j’avais pu te savoir aux aguets, comme je me serais égayée ! Pour sûr, Madame l’espionne, je t’aurais dégoûtée à jamais d’écouter aux portes… Et ce petit patelin ; en apparence tout confit en beaux sentimens, en respect, comme il me jouait ! — D’honneur, je ne sais où j’avais l’esprit quand j’ai souffert qu’après m’avoir enfilée, il se soit retiré sans avoir réalisé. — N’est-ce pas être ratée, Comte ?

LE TRÉFONCIER, sentencieusement.

Hippocrate dit oui… mais, Galien dit non.

LA COMTESSE.

Que je sache au plus juste à quoi m’en tenir sur cet article. —

(À la Marquise.)


N’est-il pas vrai, mon cœur, que ce matin il t’avait déja…

LA MARQUISE., interrompt.

Mis des papillotes ? — Oui.

LA COMTESSE.

Et le boute-joie, combien de fois, Madame ?… Ne plaisantons point : là, franchement, combien ?

LA MARQUISE, souriant.

Deux fois, je crois.

LE TRÉFONCIER.

Je crois est admirable.

LA COMTESSE.

Et, hier ?

LA MARQUISE, au Tréfoncier

Elle est comique ! Il faut qu’elle sache tout !

LE TRÉFONCIER.

Pourquoi non ! — Allons : hier, combien de fois croyez-vous ? Je suis très-sûr d’une fois-double. J’ai eu l’honneur de voir cela.

LA MARQUISE, gaiement.

Eh bien… une toute petite avec.

LE TRÉFONCIER.

La franchise me gagne. Notez, une toute petite aussi, dont il avait eu la complaisance de me gratifier ; que je lui devais, et dont Madame,

(en montrant la Marquise)


est témoin que je me suis bien loyalement acquitté…

LA MARQUISE, lui donnant
un coup de poing.

Voulez-vous bien vous taire, abominable bandit !

LA COMTESSE, avec exclamation.

Triple, quadruple, centuple sotte que j’étais ! Il a eu la fausseté, le petit gueux, de me persuader qu’il n’y avait pas la moindre intelligence entre elle et lui ! Et j’avais la bonté de le plaindre ; car je le supposais amoureux et timide ! On ne fait pas des écoles de cette force-là !

LE TRÉFONCIER, qui a eu l’air de réfléchir.

Oui sept. — Pendant ces belles réflexions, je viens de calculer, moi, que le sieur Belamour a fait, depuis hier après-midi, sept politesses de bon compte, y compris le gargarisme que M.me la Comtesse a trouvé bon de se faire administrer. — Allons, cela est honnête, et…

(Se levant.)


Je prononce.

(Il prend un ton comiquement grave.)


D’une part, mon protégé n’a point offensé Madame en évitant la consommation du viol qu’elle avait insidieusement entrepris ; d’une autre part, les attraits de la charmante Comtesse ne sont point compromis : la loi qui ne peut, ne doit, décide nettement le cas. Sur ce, je mets les parties hors de cour, dépens compensés…

(Ils sont tous trois debout.)
LA COMTESSE, avec une menace badine.

Vous pourriez bien les payer, Monsieur l’arbitre.

LE TRÉFONCIER, lui donnant la main.

Tope : j’accepte le défi… —

                  (Il tend l’autre main à la Marquise, et l’on passe dans un sallon contigu où le café est servi aussi-tôt. Pendant qu’on le prend, une lettre, adressée à la Comtesse, survient. — C’est la réponse à ce qu’elle a écrit avant dîner.)

LA COMTESSE, chiffonnant le
billet après avoir lu.

À la bonne heure. —

(À la Marquise.)


Partie remise, ma chere.

LA MARQUISE.

Celle de ce soir ?

LA COMTESSE.

Oui.

LA MARQUISE.

Ah, tant mieux ! — À quand, maintenant ?

LA COMTESSE.

On n’en sait plus rien. Les personnages sont, dit-on, des Messieurs du haut-vol, qui se font présenter demain à Versailles. Ils se répandront ensuite dans Paris, et la Couplet croit, à vue de pays, que tout cela nous rejettera bien à la huitaine…

LE TRÉFONCIER.

Qui présentera-t-on à Versailles, s’il vous plaît ? Cela m’intéresse.

LA COMTESSE.

Je serais bien embarrassée de vous le dire au juste. Étrangers, et très-nouvelles connaissances de la Couplet : ne m’en demandez, pas davantage.

LE TRÉFONCIER.

Ou je me trompe fort, ou ce sont deux miens cousins. Ils songeaient en effet à se lancer. C’est demain le jour du corps diplomatique. Ils suivront apparemment leur Ministre. Je leur ai fait faire connaissance, hier, avec la très-nécessaire amie Couplet ; il paraît que je n’ai pas perdu mes peines. Mais, ce que ces relations peuvent avoir de commun avec vous, ma chere Comtesse, c’est ce qui passe encore les bornes de mon faible entendement.

LA MARQUISE.

N’allez-vous pas faire l’enfance de le lui dire ?

LA COMTESSE.

Je n’ai pas de secrets pour mes véritables amis.

— (Le Comte lui baise la main.)


Sachez, mon cher, que vos nobles cousins (si c’est d’eux qu’il s’agit) avaient le projet de faire cette nuit de grandes prouesses chez la vénérable, et que nous devions,

(Montrant la Marquise)


elle et moi, tenir tête à ces Messieurs, en façon de filles pourtant, car nous ne voulions pas être connues…

LE TRÉFONCIER.

Eh qui diable, au bordel, avec l’air que vous savez prendre, irait deviner que vous êtes des femmes comme il faut !

LA MARQUISE.

Ce que dit là Monsieur ne me paraît pas bien net. Qu’en pensez-vous, ma chere ? Son propos a bien à peu près la valeur d’une impertinence !

LA COMTESSE.

Taisez-vous, esprit de travers, je le prends au contraire, moi, pour un très-joli compliment.

LE TRÉFONCIER.

Et je suis une bête, ou c’en était un que je vous faisais ; c’était du moins mon intention. Mais, laissons ce pointillage, et parlons raisonnablement : le taux-bond que vous font ces Messieurs vous dérange sans doute ?

LA COMTESSE.

Primo, cela ; secondo : ce qui ne pouvait pas manquer de nous déranger bien davantage, c’est que Madame est invalide aujourd’hui.

LE TRÉFONCIER, examinant.

Eh parbleu, oui ! Comment n’avais-je pas fait attention à cela, moi qui ne m’y trompe jamais.

— (De plus près en regardant les yeux.) —


Voilà bien le petit arc-en-ciel[1].

                  (Il sourit avec l’air d’imaginer quelque chose d’amusant.)

LA MARQUISE.

De quoi Monsieur s’occupe-t-il si gaiement ?

LE TRÉFONCIER, rêveur.

Je vais vous le dire tout-à-l’heure.

LA MARQUISE, à la Comtesse.

Votre projet avorté, je reste ici tout le jour.

LA COMTESSE, soupirant.

Et je n’ai rien de mieux à faire que de vous y tenir compagnie…

LE TRÉFONCIER.

Cela ne sera pas ainsi… Attendez.

(Il se promene assez vîte par le sallon et paraît fort méditatif. — Puis il s’arrête, fait des gestes très-bouffons et se remet à marcher, en riant.)

LA MARQUISE.

Que de simagrées !

LE TRÉFONCIER, avec un geste imposant.

Chut…

(Après un dernier tour.) —


C’est cela.


(Il vient s’asseoir auprès de la Marquise et lui dit :) —


Prêtez-moi votre pouls, Madame.

LA MARQUISE.

À quoi bon, je vous prie ?

LE TRÉFONCIER, lui posant
le bras sur sa culotte.

Donnez, et laissez-vous faire. —

                  (Quand il a bien pris l’attitude d’un médecin qui consulte la fievre, il dit à la Comtesse :)


Savez-vous que sans ce contretems, vous vous seriez considérablement amusées ce soir ? —

(Le pouls de la Marquise bat plus vîte.)
LA COMTESSE.

Je me préparais à faire des merveilles ; et ces Messieurs auraient trouvé à qui parler.

LE TRÉFONCIER, jettant sur
la Marquise un regard badin.

Bon.

LA MARQUISE, à son amie.

Dites-moi ce que cet histrionnage peut signifier !

LE TRÉFONCIER, tâtant le pouls.

Il y a des femmes qui, dans l’état où Madame se trouve, ont une aversion complette pour tout amusement libertin…

(À la Marquise.)


Très-bien.

LA COMTESSE.

Où diable va-t-il se jetter maintenant !

LE TRÉFONCIER, tâtant le pouls.

Dans la morale apparemment… C’est une belle chose que la morale !

(Le pouls se ralentit.)
LA MARQUISE.

Elle me donne des vapeurs.

LE TRÉFONCIER, tâtant le pouls.

Quand je dis la morale… celle d’Epicure, par exemple… ou de l’Arétin, encore mieux. —

(À la Marquise.)


À merveilles. —

(C’est que le pouls a recommencé de battre vîte.)

LA COMTESSE.

Le cher Comte devient fou, pour le coup.

LE TRÉFONCIER, souriant.

Pas tant, pas tant.

LA MARQUISE, au Tréfoncier.

Quand vous plaira-t-il enfin de me laisser libre ? Votre main est brûlante.

LE TRÉFONCIER, d’un ton galant.

La vôtre, fripponne, est bien plus échauffante encore.

(Il l’a imperceptiblement attirée assez loin, le long de la cuisse, pour qu’elle puisse sentir très-distinctement certain battement fort expressif, qui se fait chez lui. Le pouls va pour lors un train du diable. La Marquise, l’œil ardent, le visage coloré, retire vîte sa main après avoir donné gaiement une tape sur l’endroit où il y a du mouvement.)

LA COMTESSE.

Quelle comédie jouez-vous donc ici ? — Sans gêne, mes bons amis. Si vous avez quelque chose de bien particulier à vous dire…

(Elle leur
ouvre la porte du boudoir.)
LA MARQUISE, avec un
peu de minauderie.

Êtes-vous folle, d’avoir des idées de cette nature ! Dans l’état où je suis !… Quel homme un peu délicat oserait…

LE TRÉFONCIER, se leve et
rit. — Après avoir fait un tour de sallon, il chante :


Le charme est fait. —


                  (Puis il s’évente avec son chapeau, et fait d’autres singeries, dont ces Dames rient de bon cœur. Il revient enfin s’asseoir entre elles deux.)

— Maintenant, charmantes, écoutez-moi : Nous passerons la soirée ensemble : mais ce sera, si vous le trouvez bon, dans ma petite maison des Boulevards.

LA COMTESSE.

Et pour nous proposer cette partie il fallait tant de préliminaires !

LE TRÉFONCIER.

Laissez-moi vous parler. —

(À la Marquise.)


Tout en folâtrant, ma reine, je voulais, avant de risquer aucune proposition, savoir, au juste, si dans le cas où vous êtes, l’abstinence est le régime qui vous convient. Si j’en avais fait tout plattement la question, vous n’auriez pas manqué de dire : « Oui, je ne veux rien ; il ne me faut rien ; c’est une horreur ». J’aurais contredit ; l’entêtement pour lors s’en serait mêlé ; et, au lieu de vous déterminer à quelque chose d’agréable, je vous aurais donné de l’humeur : au diable, mon projet. — Plus prudent, je suis allé tout de suite aux véritables informations ; j’ai interrogé le tempérament lui-même, au lieu duquel, autrement, la raison, ou le préjugé aurait à coup sûr répondu par quelque mensonge.

LA COMTESSE.

Eh ! je ne le trouve plus si fou.

LE TRÉFONCIER, à la Marquise.

La liqueur d’un thermomètre près duquel on approche successivement de la glace ou du charbon ardent ne varie pas plus sensiblement que l’a fait votre pouls ingénu selon ce que j’affectais de dire. Au mot plaisir, votre sang a bouilli ; celui de morale a failli le coaguler tout de suite : de quoi, sans être un grand sorcier, j’ai pu conclure que si je proposais pour la soirée quelque récréation un peu gaillarde, loin d’être refusé, je devais au contraire me flatter d’être applaudi, car il est évident que vous avez besoin… je dis, grand besoin d’un bon confortatif-priapique des plus vigoureusement administré : et, comme je vous suis totalement dévoué…

LA COMTESSE, interrompant.

Vous allez terminer cette belle harangue par le passage de la Mer-Rouge.

LE TRÉFONCIER.

Vous n’y êtes pas, ma chere Comtesse. — Sachez que j’ai chez moi le grand Moyse, qui se fait un jeu de pareille traversée. Mieux que cela : mon homme est de ceux qui sont semés ici bas par l’un de ces soins particuliers que prend la Providence de pourvoir aux besoins de tous ; et son goût très-bizarre est de se plonger avec délices dans la pourpre vénérienne.

LA MARQUISE.

Quel conte absurde nous fait-il là !

LE TRÉFONCIER.

Je ne fais point un conte. — Au fait : consentez toutes deux à n’être pour ce soir que des virtuoses, des musiciennes : vous alliez bien être des filles chez la Couplet !

LA COMTESSE.

Trêve aux notes. — Après ?

LE TRÉFONCIER.

Je vous conduis à ma petite maison, et j’ai l’honneur de vous y présenter un philosophe de six pieds, large d’épaules…

(Écartant les mains.)


comme cela ; Bohême de nation, parlant latin comme Cicéron, allemand de même, pas un mot de français, à la vérité.

LA MARQUISE.

Eh bien ! qu’avons-nous besoin de cette statue ?

LE TRÉFONCIER.

C’est votre homme : le Sr. Adolph, fort penseur, savant, un peu pédant, très-systématique, mais vigoureux comme Samson, et luxurieux comme le fondateur des Carmes, s’est fourré dans l’esprit que le moment de la chaleur des femmes…

LA COMTESSE, interrompant.

Chaleur !

LE TRÉFONCIER.

Je vous demande bien pardon, Mesdames ; mais c’est son mot. Il ne fait pas, à cet égard, de différence entre les humains et les brutes.

LA COMTESSE.

Galant Monsieur, en vérité !

LE TRÉFONCIER.

Qu’il ait tort ou raison, son avis, vous disais-je, est que ce moment est le cri de la Nature ; que, dans tout autre, ce sublime acte est abus, brigandage, effet de la dépravation du caractere et de la corruption des mœurs.

LA MARQUISE.

Certes, cet homme est l’unique fou de son espece.

LE TRÉFONCIER.

Un trait de sa façon achèvera de vous le faire connaître. — L’autre jour mon philosophe, qui a, pour sentir une femme comme il la lui faut, le nez du meilleur chien-d’arrêt, ne vous happe-t-il pas ma charmante Zinga…

LA COMTESSE.

Qui ? Zinga ?

LE TRÉFONCIER, avec feu.

Ma jolie, ma chere, ma délicieuse Négresse, dont le corps a le noir, le dur et le poli de l’ébene.

LA COMTESSE, impatientée.

En voilà beaucoup trop. Passez.

LE TRÉFONCIER.

Il vous l’empoigne donc ; et crac : la pauvre enfant, moins en état de se sauver d’un Adolph que la perdrix des serres d’un épervier, succombe et ne songe pas même à crier… — Cependant, écrivant dans une piece contiguë, j’entends un baccanal du diable, car le Sire n’est pas mignon dans ses allures. Je crois que quelqu’un a fait une chûte et s’est brisé les os. J’accours charitablement… Que vois-je ! mes tendres amours violés ! l’ami de la Nature se démenant sur eux, comme un energumene ! Me voit-il ? me répond-il ? s’ôte-t-il ? Non : il cogne comme un charpentier : il disloque le meuble : il mord Zinga, souffle, beugle et se dissout enfin dans un long débordement. Ce n’est qu’après tout cela qu’il me fait enfin l’honneur de me remarquer, et… — C’est la Nature, Monseigneur, (me crie-t-il, l’œil étincellant, la bouche écumante ; mais toujours planté là.) Puis, derechef à sa besogne, de s’ébattre comme un perdu. J’avais beau gémir sur le sort de la pauvrette ainsi concassée ; j’avais beau voir d’un œil dolent, un canapé superbe qu’une double impureté m’abîmait, car, par malheur, le centre du combat portait à crud sur l’étoffe… Essayerai-je de débusquer l’enragé limeur ! Hélas ! moi, chétif, j’entreprendrais avec plus de succès de remuer l’enclume de Poliphême. Que faire ? maudire le systême naturel, plier les épaules et tourner les talons.

LA COMTESSE.

Vous auriez, tout aussi bien fait de ne point vous trouver là.

LE TRÉFONCIER.

Baste : ces drôleries sont toujours amusantes à voir. — Pourvu toutefois qu’il n’ait pas engrossé mes délices ; car il est prolifique comme un lapin ; il fait des enfans à l’univers, et quand on lui jette la pierre, il est transporté de joie, lui, et va, criant : « Bon, tant mieux, c’est la Nature. » À vingt volées de coups de bâton, au moins, que ses hauts-faits lui ont valu, son unique réponse a été : « Frappez, fort ; j’ai bien fait, je l’ai voulu, j’ai accompli la volonté de Dieu, j’ai payé la dette de l’homme. »

LA COMTESSE, riant.

Ô le plaisant original !

LE TRÉFONCIER.

Puisqu’il vous amuse, je vais vous en dire encore une de sa façon. — Il était en Suisse, où l’on se pique de mœurs, et où la bonhommie du personnage (car d’ailleurs on n’est pas plus honnête homme) le faisait jouir de quelque considération. Reçu par-tout, il se mit à prêcher à la sourdine sa singuliere croyance : or, comme son énorme Docteur et lui valent, solidairement, un fort éloquent orateur, il parvint à convaincre cinq ou six pucelles du pays de Vaud, assez formées pour pouvoir raisonner et apprécier les avantages de son systême ; elles userent donc du bénefice des prétendus jours de la Nature, et pas une ne manqua, en conséquence de la dette de l’homme acquittée, d’accomplir, à plein ventre, la volonté de Dieu. — Scandale affreux ; enquêtes criminelles ; pauvres diablesses ignominieusement traduites au consistoire[2], emprisonnées, rasées, diffamées. — L’apôtre Adolph (bien entendu) poursuivi, décrété ; chaudement servi pourtant par quelques personnes de poids, ennemies du fanatisme consistorial et regardant notre homme plutôt comme un fou qu’il fallait envier ou plaindre, que comme un suborneur qu’on devait exterminer. — Bref : il est banni. — Croyez-vous que tout ce vacarme, et le danger qu’il a couru le désabuse et le mette enfin à l’unisson de la société ? — Point du tout : loin de s’attrister sur lui-même et sur le sort de ses infortunées prosélytes, il bénit le Ciel pour elles et pour soi ; soutient qu’ils ont fait, l’un portant l’autre, choses très-agréables à Dieu : et, comme, toute morale cessante, il est un fort joyeux compere, il prétend que, cheminant le long du lac, à pied, son sac sur le dos, il chantait en pensant à ses fécondes Vaudoises : Il faut seconder la nature, puisqu’elle nous fait la loi.

LA COMTESSE.

Voilà qui est bien : mais par quelle aventure cet étrange personnage se trouve-t-il maintenant sous votre main ?

LE TRÉFONCIER.

Parce que c’est un des plus habiles musiciens que Prague ait produit : que je suis, comme vous savez, fou de musique, et qu’un amateur de mes amis a cru me faire un cadeau sans prix en m’adressant Adolph. Je suis tout de bon enchanté de me l’être attaché, pourvu néanmoins qu’il me laisse ma charmante Zinga tranquille. Je ne suis pas jaloux, car je lui abandonnerais volontiers le reste de mon petit sérail[3] ; mais une taille comme celle de Zinga est quelque chose de si parfait et de si rare… Oh ! qu’elle s’en soit tirée cette fois sans accomplir la volonté de Dieu, je vous jure bien qu’il ne la ratrappera plus, j’y mettrai bon ordre.

LA COMTESSE.

Nous verrons donc ce soir ce chef-d’œuvre africain ?

LE TRÉFONCIER.

Si cela peut vous amuser, pourquoi pas, et même tout mon petit monde. — Ce n’est pourtant pas à cela que j’aurais le projet de vous engager. Je comptais que nous ferions simplement de la musique. Je viens de tout arranger dans ma tête pour cela. Vous avez, l’une et l’autre plus de talent qu’il n’en faut pour qu’Adolph vous croie de la balle : il faut même que cela soit ; autrement, il serait mal à son aise, et nous n’en tirerions bon parti, ni pour le concert, ni pour le reste de ce que j’ai imaginé. Se croyant, au contraire, avec ses égales ; enchanté d’en voir de si différentes de celles avec lesquelles il a coutume de se rencontrer, il goûtera ce bonheur avec son enthousiasme ordinaire : il brûlera de l’ambition de briller et de paraître aimable : il sera charmant.

LA MARQUISE.

Mais je suis furieusement rouillée !

LE TRÉFONCIER.

Eh bien, on vous limera.

LA MARQUISE, lui courant sus.

Extravagant ! ce n’est pas de balivernes qu’on vous parle. — Je veux dire que je n’ai pas chanté depuis six semaines ; et que d’ailleurs aujourd’hui… la circonstance…

LE TRÉFONCIER.

Je vous tiens quitte pour deux airs à votre choix… Tout ce que vous voudrez de facile.

LA MARQUISE.

À la bonne heure.

LE TRÉFONCIER.

Je ne demande non plus à la chere Comtesse que deux morceaux de clavecin que nous lui accompagnerons.

LA COMTESSE.

Votre très-humble servante. Je ne mets jamais les doigts que sur un Forte. — Primò.

LE TRÉFONCIER.

Aussi n’ai-je point d’autre instrument aux Boulevards. Vous voilà bien attrapée.

LA COMTESSE.

Secondò, je veux Zamor pour m’accompagner. À cette condition, je vous promets une sonate de mon cher Borcherini, et ce que vous voudrez de quelque autre.

LE TRÉFONCIER.

De mon cher Clementi, donc ?

LA COMTESSE.

Accordé.

LE TRÉFONCIER, avec malice.

Et c’est Mr. Zamor, ce grand Negre qu’on vous connaît, qui…

LA COMTESSE, interrompant.

Oui, Monsieur, qui… qui fait certes tout au moins aussi bien avec moi sa partie que peut la faire avec vous l’incomparable Zinga…

LE TRÉFONCIER.

À cela nul doute. La pauvre petite hélas ! ne sait que mettre les instrumens d’accord. — Je me rends donc et mets l’archet bas devant l’illustre Zamor.

LA COMTESSE.

Vous en savez, sans contredit, autant que lui ; mais tout est affaire d’habitude.

LA MARQUISE.

Et votre Adolph, enfin, que fera-t-il ?

LE TRÉFONCIER.

Il vous ravira sur la harpe : il donnera du cor, et vous croirez, entendre une excellente flûte. Il improvisera sur le forte-piano, et vous jouirez du talent d’Apollon lui-même. C’est une richesse ! une chaleur ! une singularité ! — Vous aurez infiniment de plaisir. — Point de souper : nous mangerons des drogues sans nous mettre à table, et nous boirons du punch, du bischoff.

LA COMTESSE.

Du punch, je sais ce que c’est, et je l’aime ; quant au bischoff, je n’ai pas l’honneur de le connaître.

LE TRÉFONCIER.

Excellente connaissance à faire, mes amies ; ce sera le cher Adolph qui aura l’avantage de vous le présenter…

LA COMTESSE.

À la Marquise, si vous voulez : moi, je ne veux rien de cet homme-là que par les oreilles.

LE TRÉFONCIER, à la Marquise.

Le pouls maintenant.

                  (Il le tâte, et le trouve dans un état d’agitation voisin de la fievre.)


Bon comme cela.

LA MARQUISE.

Vous nous avez dit au sujet de votre protégé des folies de l’autre monde, et la seule chose convenable, que vous avez comme exprès oubliée, c’est de nous dire un mot de son physique ?

LE TRÉFONCIER.

J’attendais, d’honneur, qu’il vous plût de m’interroger à ce sujet.

LA MARQUISE, avec intérêt.

Eh bien ?

LE TRÉFONCIER.

L’Hercule de Farnese avec un visage dans le goût des nobles études de l’Argiliere ou de Rigaud. Des dents superbes.

LA COMTESSE.

Holà, Comte ! je me dédis. —

(À la Marquise.)


Tu me le prêteras un peu, ma chere ?

(À l’oreille.)


Et moi je te prêterai Zamor.

LE TRÉFONCIER, qui n’a pu entendre.

Quelque méchanceté ?

LA MARQUISE, souriant.

Bien au contraire : mais elle est d’une folie !…

(La Marquise va, en minaudant, se regarder dans une glace : en même-tems le Tréfoncier sort pour donner à ses gens quelques ordres relatifs au projet dont on s’est entretenu.)





LA COMTESSE.

On aura beau dire, il n’y a pas de Français plus aimable que cet Allemand-là.

LA MARQUISE, avec feu.

Aussi l’aime-je à la folie.

LA COMTESSE.

Peste ! Madame la Marquise ? quel transport à présent ! vous ne mettiez, pas, un instant avant le dîner, cette extrême chaleur à faire son éloge.

LA MARQUISE.

Que veux-tu, mon cœur. — La musique, Adolph, le punch, le bischoff, Zamor… il n’en faut pas tant pour monter une pauvre tête comme la mienne.

LA COMTESSE, riant.

Mon Zamor en est aussi !

LA MARQUISE, riant.

Ne me l’as-tu pas offert ?

LA COMTESSE, riant.

Je ne m’en dédis pas. — Et Belamour pendant ce tems-là ?

LA MARQUISE, avec distraction.

Ah, ah ! ce pauvre garçon… il prendra du repos ; cela est bien juste ?

LA COMTESSE, avec une menace badine.

Ah, friponne ! ose croire que tu vaux mieux que moi !…





LE TRÉFONCIER, rentrant.

Tout sera prêt dans deux petites heures. En attendant, un brelan pourrait-il vous amuser ?

LA COMTESSE.

J’y pensais.

LA MARQUISE.

Nous ne saurions mieux faire.

(Le Tréfoncier sonne : on demande ce qu’il faut. — Au jeu, ces Dames ne s’oublient point ; mais le Comte, quoique la partie soit chere, ne sort pas de son caractere enjoué et polisson. Il joue, peut-être exprès, avec assez de négligence pour qu’on lui gagne environ vingt louis, dont il s’acquitte de la meilleure grace du monde ; protestant encore, avec une tournure tout-à-fait galante, que le jeu l’a considérablement amusé.





Le Tréfoncier, lorsqu’il est question de se rendre à sa maison des Boulevards, propose à ces Dames de se servir de sa voiture, afin que ses gens les conduisent, tandis que dans l’une des leurs, il fera vîte une course indispensable. Elles se prêtent à cet arrangement, et s’en vont. À peine sont-elles hors de l’hôtel, qu’il va trouver Philippine et Nicole dans leur appartement, et leur dit : « de se tenir prêtes à venir peut-être rejoindre dans la soirée leur maîtresse quelque part où elles lui seront nécessaires ». — Ces Demoiselles s’engagent à attendre l’ordre sans s’éloigner. — Assuré d’elles, le Tréfoncier court à la demeure de ses cousins ; ils sont en ville ; mais, au moyen des renseignemens qu’on lui donne, il les suit à la piste, et les déterre enfin chez un fameux bijoutier où ils font des emplettes. Malgré le projet qu’ont ces étrangers d’aller, delà, voir juger une piece nouvelle, et de rentrer ensuite chez eux pour se reposer, devant avoir le lendemain une journée fatigante, le Tréfoncier les séduit et les détermine à lui donner plutôt cette soirée ; un concert dont il vante les agrémens, valant bien sans doute une comédie dont rien n’est moins sûr que le succès. — Au reste, il promet à ces Messieurs de les laisser libres à minuit, s’ils le jugent à propos. — À cette condition, ils acceptent, et le Tréfoncier, de peur qu’ils ne s’échappent, les emmene sur-le-champ avec lui. — Pour lors il se fait mener par eux, et renvoie la voiture aux femmes de la Marquise, avec un mot d’écrit au crayon, qui les avertit plus positivement « de se laisser conduire dans « une heure par le porteur du billet. » — Toutes ces dispositions faites, le Prélat, avec ses parens, vole à la petite maison, où la Marquise et son amie ont été reçues par Adolph avec tout l’empressement imaginable, son patron l’ayant prévenu du mérite musical de ces virtuoses supposées, et leur charmante figure ayant ajouté à cette avantageuse opinion. Il n’a pas été bien facile au bon Adolph, ignorant notre langue et peu versé dans nos belles manieres, d’exprimer tout ce que la précieuse apparition de ces Dames lui fait éprouver ; mais du moins il s’est assez bien tiré d’affaire pour qu’elles soient fort contentes de lui ; sa vraiment belle figure a fait le reste. Il est déja fort goûté, et les deux friponnes, par leurs mines, par de petits mots, se sont déja dit une infinité de folies à son sujet. — Pendant la course du Tréfoncier avec ses cousins, le premier a eu le tems de leur faire, sur le compte de la Marquise et de son amie, un roman… — « Ce sont, mes amis, des actrices distinguées d’une grande ville de province (leur a-t-il dit.) Il faudra que vous les traitiez d’abord avec quelques égards ; mais je vous conseille de brusquer ensuite les choses, et je crois pouvoir vous assurer d’avance que vous tirerez fort bon parti des dispositions favorables où je viendrai, sans doute, à bout de les mettre. Vous savez que l’état des planches[4] ne comporte pas une inexpugnable chasteté ? — Outre les personnes qui m’attendent chez moi, deux autres surviendront probablement, inférieures en talens, il faut l’avouer ; mais qui ne le cedent gueres aux premieres en fait de charmes. » — Enfin, pour que l’étiquette ne puisse rien gâter, ces Messieurs, qui, par bonheur, sont dans un négligé dénué de toute marque de distinction, sont priés de garder tout-à-fait l’incognito et de se mêler aux concertans, comme s’ils étaient du métier eux-mêmes. Ils sont, en effet, très-propres à soutenir ce petit déguisement ; presque tous les Allemands bien élevés, faisant, dès leur enfance, une étude sérieuse de la musique, et manquant rarement d’y faire des progrès. Or, ces Messieurs sont réellement fort habiles. — En Allemagne, une proposition telle que celle du Tréfoncier, souffrirait, sans doute, de grandes difficultés, les nobles de haut parage n’y descendant pas volontiers de leurs échasses ; mais, à Paris, ne faut-il pas se mettre au courant, et apprendre à se dégourmer à propos ! — C’est donc sur le pied d’enfans de Gérésol que ces Messieurs vont être présentés. — Pour que toute la petite mystification que le Tréfoncier se propose puisse avoir son plein effet, il faudra bien qu’il trouve encore le moment de prévenir la Comtesse et la Marquise à l’oreille, que Nicole et Philippine paraîtront incessamment, et qu’il convient qu’elles soient accueillies comme des égales ; cette fantaisie du Prélat étonnera bien un peu les fausses musiciennes ; mais elles ont trop de bon esprit pour ne pas sentir qu’il est incapable de vouloir les mortifier, et pour ne pas attendre l’événement avant de lui savoir mauvais gré de les confondre de la sorte avec des soubrettes. — Il se réserve de dicter en particulier les rôles à celles-ci, quand elles se montreront. — Lecteur, ce long, mais nécessaire préambule, doit vous avoir assez ennuyé pour qu’une description de la délicieuse maison du Tréfoncier vous fît peut-être tomber le livre des mains ? Je vous l’épargne donc, pourvu que vous veuilliez bien vous figurer l’élégance la plus complette, la plus variée ; et les ressources les plus singulieres, les plus recherchées pour les plaisirs de toutes especes auxquels ce mystérieux séjour est consacré. — Le moment où commence le dialogue qui suit, est celui où le Prélat introduit, sous les noms de Georges Müller, et de Frédéric Schmitz, le comte Georges de K… et le baron Frédéric de W





LE TRÉFONCIER, d’un ton poli de cour.

Je suis vraiment au désespoir, Mesdames, de m’être fait attendre, mais je voulais vous donner ces Messieurs,

(qu’il nomme)


dignes de jouir de vos talens, et de signaler aussi les leurs devant vous.

(À ses cousins…)


Je ménage la modestie de Mesdames…

(Il forge vîte deux noms
de fantaisie.)


Déja vos yeux les ont jugées, et j’y lis tout le gré que vous me savez maintenant de la petite violence qu’il m’a fallu vous faire pour vous attirer ici.

M. GEORGES.

Nous nous serions mis aux genoux de votre Excellence pour solliciter la faveur dont elle nous fait jouir, s’il nous eût été possible d’en deviner tout le prix. —

                  (Un regard spirituel et tendre du côté de la Marquise.)

LA COMTESSE, a très-bien
saisi cette espece de préférence, et s’adressant à M.
Frédéric d’un air gai :

À vous, Monsieur : car, nécessairement, vous aurez aussi quelque galanterie à nous déclamer ? et le débit de votre harangue (que je vous prie d’amplifier tant soit peu) nous donnera le tems d’improviser un beau remerciement en style académique.

M. FRÉDÉRIC.

Pardon, Madame : je ne suis point orateur ; mais trouvez bon que je pense beaucoup… et me taise. —

                  (La Comtesse a lieu d’être très-flattée de la mine avec laquelle cela vient d’être dit. Elle fait à son laconique interlocuteur un sourire charmant, et se retournant avec vivacité vers son amie, elle lui dit, à l’oreille, quelque fadaise badine qui donne lieu, pour un petit moment, à une de ces pantomimes, dans lesquelles les femmes savent mettre, sans paraître y songer, tant d’art à développer les graces de leurs mouvemens et le jeu de leur physionomie.

Tout s’apprête en un moment pour le concert. M. Georges prend un violon, M. Frédéric prépare une flûte : nombre de musiciens, aux couleurs du Prélat, garnissent de musique les pupitres dont le forte-piano est entouré. L’accord des instrumens est prompt et sans confusion ; car, parmi tous ces symphonistes, il n’y a pas un seul Français ; ergo point de préludes à prétention et hors de propos. Le Tréfoncier, avec un de ses gens, tient le premier violon : M. Georges et le Zamor de la petite Comtesse sont au second : M, Frédéric et un musicien se chargent des parties de flûtes. Adolph est à la basse avec deux autres, donc l’un joue du basson : quintes, cors et contre-basse, rien n’est oublié. L’on exécute, avec goût, chaleur et précision, une superbe symphonie de Hayden. — Pendant ce début, la Comtesse et la Marquise, seules sans occupation, s’entretiennent à voix basse sur le chapitre des nouveaux venus et sur celui d’Adolph. Puis, elles se moquent un peu de la bizarrerie de leur ami, qui donne un concert en regle pour les murs de sa salle. Cette idée est assez naturelle à des Françaises qui, bien qu’aimant la musique et la possédant, ne sont pas assez enthousiasmées de cet art pour sentir que ceux qui en ont la passion, s’occupent peu du spectacle et des applaudissemens ; mais goûtent tout entier le plaisir que leur exécution donnerait à la plus brillante assemblée. Les amies, enfin, se perdent dans le calcul des suites qu’aura cet étrange commencement de fête. La Comtesse dit que tout cela est fort bien, pourvu qu’il n’y en ait pas pour plus d’une heure. — La Marquise lorgne avec agitation le bel Adolph, pour lequel on lui a monté la cervelle, et qui lui paraît, en effet, être la piece-à-choisir de cette coterie musicale. — La Comtesse (qu’on connaît bien) s’intéresse à-la-fois à tous ces nouveaux objets, et sait, en gros, qu’elle ne pourra manquer d’avoir bien du plaisir. Ce pressentiment lui donne une gaieté folle, pour laquelle, même, elle est un peu grondée dès le premier entr’acte de la symphonie, ce qui ne la corrige pas de batifoler et d’agacer la Marquise, plus capable de donner à cette excellente musique une sérieuse attention…

Tous ces détails (m’allez-vous peut-être dire) sont de trop. — Oui, pour vous, mon cher lecteur, si vous êtes de glace et ne connaissez pas l’empire de la musique ; ou si libertin, exclusivement à toute autre inclination, vous êtes incapable de souffrir dans une galerie lascive un seul tableau qui ne vous montre pas les gros objets. Mais si vous croyez au très-réel enchaînement des différentes ivresses dans lesquelles la Nature nous permet d’oublier de tems en tems nos peines, vous comprendrez qu’Apollon et Vénus se donnent la main ; et qu’un bon concert peut être une excellente préparation aux ébats amoureux. Le Tréfoncier, (croyez-moi) savait très-bien ce qu’il faisait en ébauchant par la fraternité musicale l’intime fusion dans laquelle son but était d’entraîner incessamment tous ses inflammables convives. — Je vous épargne cependant le bulletin du concert, où tous les principaux acteurs firent des prodiges ; où la Marquise, malgré sa rouille prétendue et l’indisposition du jour, chanta comme un Ange ; où l’écervelée Comtesse l’égala sur le forte-piano, au grand étonnement d’Adolph qui, d’après son air d’inattention et de caprice, avait faussement imaginé qu’elle ne pouvait avoir qu’un talent médiocre et peu de génie musical. — M. Frédéric joua, sur la flûte, un concerto brillant, en homme du pays[5], et qui, dès son enfance, avait su faire sa cour. — Mais ce fut sur-tout le surnaturel Adolph qui fit des miracles avec sa harpe, et qui réussit à rendre stupide d’admiration même l’infixable petite Comtesse. — Le concert finit comme il avait commencé, par une magnifique symphonie. — Après quoi toute la livrée musicienne fit retraite, et les élus (dont Philippine et Nicole étaient venues augmenter le nombre) passerent dans une piece où brûlaient des parfums délicieux.

À peine y a-t-on mis le pied qu’un rideau de taffetas, s’écartant en plis pittoresques, laisse voir, devant une table de bois précieux et dans le goût antique, la jeune Zinga (cette Négresse chérie du Comte) vêtue d’une simarre couleur de feu, bordée d’hermine, et coiffée d’une espece de turban enrichi de plumes et de pierres précieuses[6]. Zamor, retenu par le Tréfoncier, et chargé de seconder dans le service son attrayant compatriote, apporte devant elle une énorme jatte du punch le plus raffiné : elle en remplit, avec beaucoup de graces, des verres que Zamor porte à la ronde. Zinga, tour-à-tour prépare des rasades de ce charmant breuvage, et distribue des ailes de volailles, du filet de gibier et d’autres viandes froides, qui sont à l’un de ses côtés sur une petite table, tandis que, de l’autre, sur une table pareille, il y a des pâtes, des sucreries ; toutes sortes de fruits, de vins et de liqueurs. Les cavaliers ne demandent pas mieux que d’aider la charmante Zinga dans ses fonctions, et marquent bien de l’empressement à servir les Dames : le Prélat donne le ton de la galanterie, de l’enjouement ; et l’exemple de cette familiarité franche qui est un préliminaire indispensable des folies auxquelles tout ceci doit aboutir. — Philippine et Nicole, supposées (par les étrangers) égales de leur maîtresse, et caressées, exprès, par la Marquise, se trouvent tout-à-fait à leur aise : elles se tirent parfaitement d’affaire ; tant il est vrai que les femmes ont, sur-le-champ, dans les circonstances qui leur sont le moins familieres, ce talent de la scene et de l’imitation qui équivaut chez elles à l’habitude, sans laquelle notre sexe[7] représente assez gauchement. — Au punch, succede le bischoff que le Tréfoncier avait promis, boisson naturellement irritante, mais que le rusé Prélat avoit eu la malice de faire préparer de maniere qu’il fût difficile, aux Dames sur-tout, d’en goûter impunément : toutes y sont prises et sentent dès la seconde libation leur sang dans un état d’effervescence dont il n’est gueres possible que tous ces connaisseurs ne soient bientôt au fait. — Comme tout est réciproque de part et d’autre, et que les cavaliers ne ressentent pas moins les effets du filtre stimulant, on s’électrise mutuellement à tel point, que la moindre étincelle doit occasionner à l’instant le plus terrible incendie. C’était à qui jeterait le gant, lorsque Zamor, qui venait de disparaître, rentre avec un paquet assez volumineux, mais léger, qu’il dépose, en souriant, au milieu de la salle. La petite Comtesse, curieuse à l’excès, court défaire l’enveloppe ; elle trouve des chemises de toile d’Hollande de la derniere finesse, des pantalons de soie blanche, des peignoirs de gaze à l’usage des femmes, des écharpes de taffetas variées, mais deux à deux de la même couleur[8]





LE TRÉFONCIER.

Je crois inutile, mes chers enfans, de vous expliquer quelle a été mon intention quand j’ai fait apporter tout cela ?

LA COMTESSE, avec vivacité.

Je vous dispense pour ma part, de tout commentaire. Vous souhaitez qu’on se mette en habit de combat ? Eh bien, je vais paraître dans mon uniforme.

                  (Elle commence de se déshabiller avec une extrême précipitation.)

LE TRÉFONCIER, transporté.

Vous êtes bien le plus charmant petit être…

LA COMTESSE, avec espiéglerie.

Et vous, pour un homme d’esprit, vous êtes bien le plus grand imbécille… Imaginiez-vous donc que nous allions, comme un quadrille d’opéra, nous affubler symmétriquement de cette draperie[9] ? Il n’est qu’un costume pour le plaisir, Monsieur… et m’y voilà.


(Sa chemise tombe à ses pieds : elle est nue comme la vérité.)

Cette saillie divertit fort la joyeuse bande. — Cependant, voyant qu’on ne se dispose pas assez généralement à suivre son exemple :

LA COMTESSE, ajoute d’un
ton impératif et fâché :

Allez donc, vous autres… Eh, foutre ! allez donc ! —

                  (En même-tems elle a débraillé M. Frédéric, arraché le fichu de la Marquise, et fait sauter deux boutons de la culotte d’Adolph. —)


Pendant ce tems-là, le Tréfoncier dépouille Philippine : Zamor rend le même service à Nicole : Adolph, enhardi, et dont le trait polisson de la Comtesse a mis en évidence le superbe braquemart (sur lequel la Marquise fixe un regard des plus expressifs,) Adolph fait aussi le valet-de-chambre, et s’acquitte beaucoup moins bien de cet office, que la Marquise elle-même qui le sert à son tour. Rien ne serait aussi piquant qu’un tableau bien fait de semblable toilette, où les mains de chaque individu sont occupées à mettre nud celui qui lui fait face. — La Comtesse n’a pas même gardé sur sa tête le peigne qui soutenait son énorme chignon : elle fait flotter ses longs cheveux dorés sur ses reins d’un blanc de neige, et sur ses fesses, si complaisantes, dont elle est si fiere. Le Tréfoncier, voyant qu’à l’écart Mr. Georges hésite de faire un peu de violence à Zinga, qui n’ose se laisser déshabiller sans le consentement exprès de son maître ; celui-ci, dis-je, encourage, d’un coup de tête, ce couple trop lent, et dit : — Oui : cela doit être ainsi, Zinga, je le veux. — Mais, d’un coup-d’œil furtif vers son parent, le jeune homme semble lui dire qu’il ne se sent pas fort tenté des noirs attraits de la favorite, et qu’il ne compte point la garder pour son lot. Ce dédain, que le Tréfoncier, (si prévenu pour sa Négresse) regarde comme un manque de goût, excite son humeur ; il ne peut s’empêcher de dire en haussant les épaules : — « Maître sot ! si tu pouvais savoir… » — Cependant, la bonne Zinga, loin de prendre en mauvaise part un outrage qu’elle ne mérite gueres, met une vivacité charmante à déshabiller le dédaigneux cousin : quand elle en est à la culotte, elle se hâte de prendre et de flatter l’instrument du plaisir ; elle y porte la bouche, et le presse ensuite contre son sein. Cette insigne preuve de bon cœur et de tempérament touche au vif l’inflammable Comtesse, qui, quittant un moment le cousin Frédéric auquel elle s’était attachée, court à Zinga, la prend entre ses bras, lui donne la langue, acheve de la mettre nue, parcourt, touche, baise tout, et lui rend avec usure ce qu’elle vient de donner à l’homme au blanc préjugé. — Déja tout le monde est sous les armes, dans le sens où l’entend la Comtesse…

LE TRÉFONCIER, voyant qu’on
est sur le point d’en découdre.

Holà, mes amis ! ce n’est point ici le lieu convenable. Nous ne sommes qu’aux foyers ; le théatre est là-dedans. —

                  (En même-tems il ouvre une porte.)


On découvre pour lors l’intérieur d’une piece octogone parfumée, éclairée d’une lumiere douce (ménagée avec un art infini.) La décoration est tout ce que la peinture et la sculpture peuvent offrir de plus ingénieux et de plus recherché dans le genre lubrique. Mais les seuls meubles y sont un immense canapé très-bas, tout-à-fait propre aux combats de Vénus, et une quantité de carreaux épars sur un tapis superbe. Quatre glaces parfaites et de la plus grande proportion, dont deux qui se font face descendent jusqu’à terre, répetent en tout sens les objets à l’infini. Deux cabinets ouverts offrent plus loin, l’un, une fontaine qui renouvelle sans cesse l’eau dans un bassin de marbre antique, et la distribue à plusieurs meubles de toilette : là, se trouvent le» linges parfumés, les éponges, les essences, les pâtes, les pommades, tout ce que la propreté la plus recherchée peut imaginer de nécessaire et de superflu : dans l’autre cabinet, sont, avec la même profusion, les restaurans, les stimulans, comme les pastilles d’ambre, les diaboleni de Naples et autres boute-feux de la fabrique de Paphos. Il ne faut que jeter un coup-d’œil sur ce local enchanteur pour sentir combien on serait dupe d’anticiper ailleurs sur les plaisirs auxquels il invite. — Au moment où l’on s’y jette pêle-mêle, sans avoir daigné, (pas même Philippine, la moins dévergondée de ces Dames) se charger du plus léger vêtement, une fanfare pétulante, exécutée par des instrumens à vent, invisibles, donne le signal d’une charge vigoureuse[10]





Adolph, le premier, a fiérement renversé sur des carreaux la brûlante Marquise ; l’état critique où elle se trouve lui vaut cette préférence, conformément au bizarre systême du musicien-penseur. Le superbe étalon n’attaque pas avec plus de courage la jument en chaleur ; il n’a pas un plus imposant boute-joie. Le virtuose rugissant le plonge impitoyablement d’un seul coup de reins, et se noye dans des flots de sang : c’est son caprice ; c’est son bonheur : ou plutôt telle est l’erreur qui résulte d’une fausse idée philosophique accommodée au besoin d’un prodigieux tempérament.

Le Tréfoncier, soit politesse, soit penchant invincible pour sa chere Zinga, cede Philippine (qu’il avait d’abord entreprise) au cousin Georges, qui paraissait la desirer. Georges couche galamment la docile soubrette sur trois carreaux rangés à la file, et lui donne la douce accolade au grand contentement apparent de l’un et de l’autre…

Cependant, le canapé, quoique construit pour être à l’épreuve des plus orageux ébats, gémit sous le triple grouppe de Zamor, fourbissant avec délire la robuste et passionnée Nicole ; de la Comtesse se secouant comme un petit démon sur le mâle Frédéric, qu’elle travaille à sa maniere dont on sait déja quelque chose ; et du Prélat enfin, qui, jetant son premier feu, s’en donne vigoureusement, à la levrette, avec sa superlative Africaine… Quelle fougue ! Quelle tempête de desirs ! quels flots de vie et de bonheur ! — Où trouver un peintre habile, capable de monter son imagination au ton de cette scene de plaisir, et d’en fixer, pendant un moment, l’excessive mobilité ! — Où trouver un historien qui, vraiment digne d’écrire les fastes du monde foutant, serait capable de saisir les mots, les demi-mots, les exclamations, les accens, les soupirs, les sanglots mille fois plus éloquens que les plus belles paroles ; et d’exprimer de la sorte avec quelqu’apparence de vérité, le sublime égarement où sont plongés nos dix personnages ! Suppléez, lecteur, à la stérilité du récit, et pénétrez-vous de l’esprit… du diable si vous voulez, dont toute cette bande folle est possédée… —

Après le bruyant début de la musique, au caractere de laquelle on s’est si bien accommodé dans le transport de la premiere attaque, un voluptueux andanté s’est fait entendre : c’est pendant qu’on le jouait que l’Hercule-Adolph a, pour la seconde fois, dardé son ame jusqu’au cœur de la Marquise… En vain, après ce double exploit, elle essaie de le déloger ; en vain, étendant les bras vers le cabinet du bain, elle tâche de faire comprendre à son frénétique tapeur qu’elle voudrait se rafraîchir et se purifier ; il n’est pas assez galant pour obéir à cet ordre de retraite : un mouvement de tête négatif, et des coups de cul terribles prouvent qu’il veut gagner du moins sa troisieme couronne avant que d’interrompre ses sanglantes prouesses ; et c’est peut-être la vive cadence d’un prestò-prestissimò qui lui en donne l’idée.

Mais déja le Prélat a quitté sa savoureuse Négresse ; la Comtesse, deux fois injectée, et s’étant acquittée doublement, a descendu de dessus le cousin Frédéric ; Zamor au contraire, émule d’Adolph, essaie de tenir avec Nicole pour la troisieme fois… Elle s’y refuse… Il la presse… Elle se défend avec une vivacité mêlée d’humeur, qui pourrait bien signifier qu’à travers une aussi chaude mêlée, elle ne prétend pas se borner aux transports d’un valet. Le mouvement violent et décisif qui déplante le Negre la fait tomber de côté, et dirige cette chûte sur M. Frédéric, vacant depuis une seconde. Celui-ci saisit Nicole, qui se jette volontiers dan ses bras ; Zamor alors quitte la partie…

C’est le moment où le cousin Georges (d’abord ardent, mais peu robuste) abandonne Philippine au milieu d’une seconde course où elle a déja passé le but, sans que son trop faible champion ait pu l’atteindre. La bonne enfant, qui comptait bien doubler et faisait de son mieux pour entraîner son acteur, est toute étonnée de ce qu’on la laisse courir seule… Zamor, poussé par cet instinct qui nous tient lieu d’esprit pour tout ce qui concerne la passion dont nous sommes dominés, saisit l’expression furtive du mécontentement de Philippine ; il se glisse adroitement à la place du désarçonné Georges ; il fait si bien qu’à peine a-t-elle le tems de remarquer un intervalle et de suspendre ses mouvemens… mais il faut bien qu’elle change d’allure et précipite la cadence, quand c’est un boute-joie fougueux et brûlant qui succede au médiocre joujou dont elle vient d’être amusée…

Qu’il est flatteur ce soupir expressif qu’elle laisse échapper au moment où cette avantageuse différence se fait sentir ! Un doux frisson annonce aussi-tôt le retour de la volupté qu’un facheux contre-tems avait presque chassée. L’heureuse Philippine se renverse, ferme les yeux, souleve les reins, balotte son Zamor, soupire, se fond et meurt… Est-ce tout-à-fait l’ouvrage du tempérament, ou le brave Negre est-il pour quelque chose dans l’intéressant sacrifice qu’ils viennent «l’offrir ensemble au Dieu des plaisirs ? — C’est sur quoi le sacrificateur défiant ose interroger sa victime, en approchant avec une humble timidité ses grosses levres bronzées, des levres fleuries de l’angélique Philippine… Triomphe mille fois, heureux Zamor, ton baiser n’est point un larcin téméraire. Tu n’as pas effleuré le corail de cette bouche, qu’une langue divine vient au devant de la tienne, et qu’un soupir de feu, poussé jusqu’au fond de ta poitrine, semble être un défi de livrer le plus opiniâtre combat. Au premier mouvement que tu fais pour y répondre, deux bras d’albâtre t’enlacent, t’étouffent ; des cuisses, dont le satin, la douce chaleur et le frémissement mettraient en feu le plus froid des humains, pressent tes flancs ; et les jambes croisées sur tes doubles reins, marquent d’avance une espece de mesure que tu suis avec une intelligence admirable… Courage, ami, lime, fais merveilles… — Mais d’autres objets méritent aussi mes regards : appellés par-tout, je ne sais où les fixer avec le plus d’intérêt… —

Encore cet Adolph et la Marquise ! Ils ne finiront donc jamais !

Bon : je vois Nicole assise sur le grave Frédéric. Elle semble se défier un peu de ce champion, et vouloir s’assurer si sa gloutonne dévanciere l’a quitté capable encore de quelque galant exploit… Elle sourit ! elle n’a donc plus de doute… Mais, à quoi bon se retourner comme elle fait ! c’est apparemment parce que ses traits piquans et sa gorge unique ayant reçu le tribut d’éloges qu’on leur devait, elle est bien aise de faire admirer à leur tour ses reins parfaits et sa superbe chevelure ?… Que vois-je ! un mouvement de colere de sa part ! un regard menaçant vivement jeté sur Frédéric ! Cela ne s’accorde gueres avec l’intention d’une main qu’on voit diriger vers le centre du plaisir le pal orgueilleux du Sire… — Ah ! j’y pense à propos. Ce faux musicien est chambellan dans certaine cour, singuliérement famée[11], et l’usagé courtisan n’a pas vu, sans une extrême émotion, cette mappe-monde, d’une beauté rare, qui vient de tourner au-dessus de son engin amateur. Celui-ci, feignant de se méprendre au mouvement de la nymphe, a frappé sans équivoque au guichet, au lieu de se laisser docilement introduire par la porte principale… Eh bien !… ils ne s’entendent point encore ! l’entêtement s’en mêle ! aucun des deux ne veut renoncer à son objet !… Je le prévoyais : adieu, Monsieur le non-conformiste, on vous laisse et vous voilà dépareillé…

Mais ne vous désespérez pas, mon cher Frédéric. La Comtesse, grande conciliatrice, (on le sait) a vu de loin la chose, comme elle venait de se purifier ; et, quoiqu’elle ait dans la tête un projet arrêté pour lequel elle s’est déja saisie de l’attrayante Zinga, votre cas l’intéresse, elle va tâcher de vous, arranger sans rien rabattre de son propre calcul. Il ne s’agit que de tribader avec Zinga : c’est la folie du moment ; c’est une envie à laquelle rien au monde ne ferait renoncer la petite folle ; mais quel inconvénient se trouve-t-il à concevoir, avec ce caprice, celui de contenter le vôtre !… Voyez, M. Frédéric, Zinga renversée, et sentant déja sur l’irritable lentille de son brûlant clitoris, la plus libertine et la plus adroite de toutes les langues : Que veut dire maintenant ce geste indicatif, fait de votre côté par l’agente, et le soin qu’elle-même se donne de détourner une forêt de cheveux dont sa croupe demeurait tapissée ? Croyez-moi, cela vous regarde, vous êtes attendu, desiré. Deux lices se présentent ; vous pouvez choisir ; mais, si la rigueur de Nicole ne vous a pas fait passer votre derniere tentation, risquez ici l’aventure, je gage que vous réussirez mieux. — Frédéric ne fait qu’un saut de sa place aux ronds objets de son desir. Il se met, en expert, non pas l’anneau d’Hans-Carvel[12], mais l’autre : pas la plus petite humeur à essuyer. Cependant, il se fait un peu moquer de lui, parce que (tant l’habitude est forte) il paraît oublier qu’il n’embroche qu’un cul féminin, et cherche par-dessous ce qui manque au beau sexe. Le ridicule de cette distraction n’échappe point à notre madrée Comtesse ; l’envie de rire est chez elle assez forte pour l’obliger de suspendre un instant le galant service qu’elle rend à Zinga ; et, tournant la tête vers l’Androphile démasqué : — « Que n’en ai-je un aussi ! (lui dit l’écervelée) je pourrais m’acquitter sur l’heure avec vous ». — Ce bon ou mauvais quolibet ne déconcerte point assez le Prussien pour qu’il renonce à sa besogne ; mais, un peu confus, et voulant en quelque façon réparer sa faute, il affecte de s’attacher à la frange d’or, et de chercher, à travers ses brins, touffus, certain angle qu’on sait être doué de la sensibilité la plus exquise. Hélas ! peu fait à ce genre de complaisance, notre homme s’oriente mal : peu s’en faut qu’il ne sache pas rencontrer le point magique, on le lui met plutôt sur le bout du doigt qu’il ne l’a trouvé lui-même ; le tout s’arrange enfin, non sans divertir beaucoup l’espiegle Comtesse un peu gâtée sur l’article par les Français qui excellent à ce badinage pour lequel peu d’étrangers se piquent de les valoir. Tellement quellement le doigt inexpérimenté vient à bout de sa tâche, et l’ardente fellatrice éprouve à son tour une partie de ce qu’elle fait éprouver à son éleve… — Éleve ! Qui ? — Zinga : car c’est pour la premiere fois que l’ingénue doit un si doux moment à la galanterie d’une femme ! Quelle précieuse découverte ! Quelle féconde source de voluptés ! La trop heureuse Zinga, dans le délire excessif où la jette cette nouveauté sublime, se tord, bondit, plante, comme une chatte en folie, ses doigts dans l’étoffe des coussins, et profere dans son jargon national, on ne sait quelles exclamations baroques, qui peuvent signifier beaucoup, mais qu’on ne comprend gueres : la Comtesse, à qui l’effet prouve pleinement combien la cause a de vertu, redouble encore d’ardeur pour la Négresse, l’accolle, la serre corps à corps, sans égard pour le Prussien, parfaitement content où il était, mais que l’on vient de déplanter. — Bouche à bouche, sein contre sein, corail contre corail, l’ébene et l’ivoire s’agitent, s’embrasent, et n’ont pendant quelques instans qu’une ame… — La tendre Zinga ne se retrouve enfin que pour s’aviser qu’elle peut et doit devenir bienfaitrice à son tour. Avec l’agilité du poisson qui fend l’onde, elle se dérobe sous le corps de sa brûlante amie, et glisse jusqu’à portée de son petit soleil. Le doigt novice de Frédéric est chassé de ce foyer ; l’intelligente Zinga vient d’apprendre ce qu’il convient qu’elle y substitue. Cependant, par cette brusque manœuvre, tous les trésors de la ravissante Africaine sont jetés au-devant du vacant Frédéric. Zinga, les talons sous les fesses, les genoux écartés, le corps soulevé, ne pourrait s’arranger mieux pour ménager à quelqu’un la plus commode enfilade. Aussi M. Frédéric ne laisse-t-il pas échapper une occasion si belle ; il se met à tous devoirs et pousse jusqu’au poil, au lieu convenable, son effilé boute-joie, dont, par bonheur, le caprice de la petite Comtesse n’a pas entiérement affaibli le ressort. Tandis que Zinga langaye, et prépare à sa mignonne un moment délicieux, l’autre cousin de Frédéric, M. Georges, passe près d’elle, venant du cabinet de propreté. Quoique le blondin ne montre rien de bien séduisant, puisque le froid de l’eau vient de le faire rentrer en lui-même, la petite extravagante de Comtesse le happe à la volée par la partie honteuse, l’attire, le fait asseoir devant elle, et prenant dans sa bouche l’inanimé joujou, se fait un point d’honneur de lui rendre la vie. C’est, en effet, un jeu pour cette habilissime ; elle ne l’a pas glottiné[13] deux minutes qu’il recouvre toute son extension et sa roideur…

Mais je ne puis, grouppe charmant, ne m’occuper que de vous seul.

Je vois la Marquise, enfin sortie des bras de l’impitoyable Adolph. Elle court au bain qui lui est si nécessaire… Qui ne saurait son cas, ne croirait-il pas plutôt qu’elle vient de recevoir une profonde blessure, et qu’elle va se faire mettre le premier appareil !

Zamor, en même-tems, vient de ce côté-là, suivi de l’œil par notre chere Philippine : elle a bien voulu lui permettre d’aller un moment se purger de leur commune souillure. — Et pourquoi ne l’accompagne-t-elle pas ! A-t-elle moins besoin que lui du secours de la toilette ! — Non sans doute : mais elle est encore à moitié pâmée… Elle se trouve si bien !… et le retour de Zamor promet encore de si jolies choses !… car il va revenir ? — Hélas, non. —

Ne plaît-il pas à la capricieuse Marquise de le raccrocher et d’exiger… — « Venez, Zamor : je suis anéantie ; purifiez-moi. » — Le Negre obéit. Tandis qu’il baigne, éponge et remplit ces intimes fonctions avec toute l’adresse et l’intelligence qu’un serviteur, formé par la Comtesse, ne peut manquer d’avoir en pareil cas, on daigne s’appuyer sur lui d’un air familier, confiant et presque caressant… Bientôt on lui sourit : d’un regard expressif on le toise, on le parcourt de la tête aux pieds… il est trouvé sans défaut… — « Mettez-vous là » (devant elle, assis en face sur la cuvette du même bidet : quelle folie !) Déja, comme en badinant, on a jeté deux ou trois fois sur son braquemart couvert d’écume, de l’eau prise dans le creux de la main… il n’en est pas plus humble… Par degrés on s’humanise jusqu’à le toucher… — Qu’il est beau ! c’est un lingot qui vaut plus que son volume d’or… — Non-seulement on le tâtone, on le flatte, mais on daigne l’arroser, et par degrés encore, on lui fait une toilette entiere. Les plus belles mains du monde l’ont pressé, lavé ; le frottent, l’essuient, le sechent dans la batiste… Un Monarque serait jaloux de ce que notre Divinité veut bien faire pour un misérable valet… — Valet… qu’importe ! Beauté, (chaque espece a la sienne) santé, vigueur, talens encore ; Zamor a tout : Zamor n’est donc point une créature vile ; Zamor sait si bien goûter et faire goûter le suprême bonheur ! Le caprice libertin de tant de belles l’a mis à leur niveau !… Zamor a les plus beaux privileges… Il vaut un Seigneur… — C’est en raisonnant ainsi que la vaine Marquise se laisse entraîner par son desir, et s’encourage de plus en plus à servir l’attrayant Zamor. C’est en le traitant avec la plus extrême faveur qu’elle l’encourage lui-même à tout oser. Déja leur mutuelle purification est complette, et le simulacre qu’ils poursuivent encore, n’est plus qu’une familiarité déguisée, qui dégénere en défi. Zamor, d’un doigt audacieux, glissant le long de cette vallée mystérieuse qui tourne d’orient en occident, agace plutôt qu’il ne visite, deux orifices chatouilleux, et y met le feu. La main qui fait chez lui le même voyage et pétrit l’intéressant dépôt des richesses viriles dont la Nature l’a si largement pourvu, ne fait que le parodier lui-même : si ce provoquant prélude dure encore un instant, il y aura de part et d’autre une violente éruption de ce qui peut, et doit, être mieux employé… C’est à tems qu’ils y songent et suspendent un dangereux badinage… La flamme est dans leurs yeux et sort avec leur haleine précipitée ; leurs joues étincellent… La Marquise se soulevant et passant un de ses beaux bras sur la nuque de Zamor, met exprès à portée de ses morsures deux tetons divins qu’il paraissait dévorer de ses regards ; le plus aimanté de tous les cons cherche en même-tems et coiffe ce boute-joie nerveux qui n’a pas moins la dureté que la couleur du fer… Adolph n’eût pas engainé plus fierement, il y eût mis peut-être moins d’adresse. — Quel moment pour le Negre, qui depuis bien long-tems roulait dans son cerveau, comme une chimere impossible à réaliser, le plus violent desir d’obtenir aussi de la trop digne Marquise ce que la Comtesse ne cessait de lui prodiguer… Ivre de son bonheur imprévu, se croyant l’égal des Dieux, supérieur aux Dieux eux-mêmes, Zamor est à l’instant debout, rentre dans le sallon, y montre avec orgueil sa nouvelle conquête ; la Marquise heureuse, riante, se pavane ainsi plantée sur lui, et paraît comme portée sur un char de triomphe… Eh ! pareil moment n’est-il pas, en effet, le plus beau triomphe d’une jolie femme ! Elle plane sur tout ce qu’offre le sallon, et n’y voit rien qui lui semble préférable à ce dont elle jouit. Zamor, à qui le plaisir


Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T2-p.140
Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T2-p.140

qu’elle goûte à cette maniere d’être fêtée n’échappe point, la promene à dessein, la présente devant chaque glace, l’approche de tous les grouppes, et la soulevant par dessous les fermes rondeurs qui touchent au point d’appui, la fait sautiller de façon que la pompe prolifique ne peut manquer de darder bientôt sa sublime liqueur ?… Mais un cas précieux intervenant va traverser cette piquante jouissance. Le Tréfoncier, oisif depuis quelques minutes, fait semblant d’imaginer que Zamor, introduisant sur la scene et promenant les belles fesses de la Marquise dans une position si favorable aux experts, trouvera très-bon que quelqu’un les apostrophe, et, sans rien enlever à son bonheur, s’y lie en le soulageant de la moitié du poids qu’il supporte… Voilà donc aussi-tôt notre fougueux pygolâtre à la poursuite de son objet chéri : deux pastilles, dont il vient de se restaurer, lui prêtent pour le moment à grosse usure autant de vigueur qu’il a de desir. Nul doute qu’il ne se distingue dans le brusque assaut qu’il médite et n’emporte le poste, mais Zamor n’a point souscrit à cette usurpation ; tout le respect qu’il a pour le noble maître du logis et des cérémonies ne le décide point à partager avec lui. Cependant il n’affecte ni retraite incivile, ni téméraire opposition. C’est assez de tromper avec une imperceptible adresse chaque effort du luxurieux Prélat : autant de fois le pal touche au but et croit pouvoir pénétrer, autant de fois par un mouvement à peine sensible le but est déplacé : cette contrariété piquante dégénere en un passe-tems bouffon dont la dupe elle-même est amusée : la Marquise y figure avec toute la malice imaginable : on croirait qu’elle ne seconde point Zamor, et que, sans lui, le Tréfoncier la trouverait docile, mais tous deux s’accordent à merveilles ; c’est elle qui, si Zamor est immobile, réunit les deux hémisphères au point de rendre leur vallée impénétrable ; c’est lui, qui rompt un moment après toutes les mesures quand l’agaçante Callipyge se dilate et semble vouloir céder… Cependant ce qui prouve enfin qu’elle n’en a pas le caprice, c’est qu’après avoir assez amusé l’assemblée par le spectacle de cette escarmouche originale, sur laquelle tous les yeux se sont fixés, elle y met fin en se renversant à l’improviste sur une place qu’on vient de laisser vacante dans le fameux canapé. Zamor, obéissant à ce mouvement avec toute l’intelligence possible, se courbe avec sa proie, et ne perd rien de ses avantages… — C’est alors que commence tout de bon une sérieuse et savante lutte où l’ardeur et la célérité des combattans feraient presque oublier qu’ils sortent de combattre vigoureusement ailleurs. Tous les admirent ; tous sentent réveiller, par leur exemple, l’envie et la force de les imiter. — Rien de plus beau que le grouppe de ces deux corps admirables, chacun le chef-d’œuvre de son sexe et de sa couleur. —

Gare, Zamor ! ce moment décisif où la plus indomptable force cede aux effets accablans du plaisir, est celui que le rancuneux Tréfoncier attendait pour sa vengeance. Tu n’as pas voulu permettre ce qu’il voulait tout-à-l’heure ? Eh bien, c’est toi, maintenant, qui payeras pour la Marquise : le tempérament protée de l’insatiable paillard a déja changé d’objet, et ton cul de bronze vient d’allumer un bizarre desir. Tu n’as pu prévoir ce qu’on te destine… Il n’est plus en ton pouvoir de t’y opposer. Pressé par tous les membres de ta sublime fouteuse, savourant l’ivresse de sa jouissance si passionnément desirée ; fixé par l’aimant de ses baisers, tu ne troubleras pas d’aussi parfaites délices pour dérober, par fausse honte, une stérile partie de toi-même au capricieux conquérant qui vient de l’envahir… — Que dis-je ! tu ferais une bévue si tu ne te résignais pas. Songe, (s’il te reste la faculté de réfléchir) que ce qui t’arrive tournera nécessairement à l’avantage de tes moyens… Tu l’éprouves en effet : la Marquise y gagne elle-même, puisqu’au retour du plus complet égarement, elle sent que l’instrument de son bonheur n’a rien perdu ni de sa force, ni de son extension… Qui ne sait ce que peut, pour entretenir l’état brillant où tu te trouves, l’aide que te donne le Prélat ! C’est à sa trahison propice que tu dois, en ce moment, cette étonnante consistance qui te fait tant d’honneur, qui prolonge en ta faveur les voluptueuses dispositions de la Marquise ; qui te vaut de sentir que, sur nouveaux frais, elle t’entraîne dans la cadence du culetage ; qui va te donner, enfin, le glorieux avantage de la limer à ton aise, jusqu’à ce qu’il plaise au génie du plaisir, directeur invisible de vos ébats, de vous replonger dans l’océan du bonheur. —

Un nouvel incident vient enrichir et varier la scene… — Quel est ce joli monstre, qui, s’avançant au bruit d’un prestò-six-huit[14] des plus vifs et des plus dansans, nous fait voir, au-dessous du sein de Vénus, le fier attribut du Dieu de Lampsaque ? Rions de la bizarre transition du blanc-rosé d’un ventre adorable, au basané tranchant d’un godemiché de cuir de Venise, qui ne dissimule point le trait de son rapport ; mais rendons graces à la Nature de ce qu’elle a bien voulu qu’il n’existât pas des êtres aussi charmans que Nicole, pourvus d’un boute-joie réel aussi recommandable que le postiche dont cette soubrette vient de s’affubler. Si nous avions pour rivaux d’aussi desirables Androgynes, quelle beauté daignerait nous favoriser — Mais où l’a-t-elle pris ce beau simulacre, décoré de ses dépendances parfaitement imitées, et d’une toison crépue vraiment du crû ?… Que veut-elle faire ? — « Ah, fripponne ! (s’écrie le Tréfoncier à la vue de cette mascarade) ce n’était pas pour toi que j’avais mis ce meuble à notre portée : rends-moi vîte mon lieutenant. » — Tarare ! on ne se l’est pas attaché pour n’en vouloir faire aucun usage. C’est avec le galant dessein d’enfiler Philippine que sa camarade, (dont le goût est connu) s’est munie de cette arme illusoire. — Philippine, depuis qu’elle a vu son Zamor enlevé et, si fâcheusement pour elle, occupé par sa maîtresse, n’avait eu rien de mieux à faire que de se préparer à de nouvelles aventures. Après une ablution, à la glace, elle rentrait plus fraîche que la rose, et n’attendait plus qu’un joûteur agréable, mais tout était pris, ou ne lui paraissait pas digne de remplacer l’illustre Zamor. — Adolph cependant, trompé par le vif incarnat d’une fente animée qu’il avait vue de loin, tandis qu’on la purifiait, croit avoir découvert une nouvelle lice propre à quelque prouesse dans son goût-sanglant, et veut… mais, au premier attouchement, ses mains trop nerveuses ayant eu le malheur de faire un peu de mal, l’étincelle du desir s’était soudain éteinte chez la trop délicate Philippine : elle s’était délivrée du virtuose mal-adroit. Dans ce moment même, Nicole, en furetant parmi les hardes du paquet négligé, trouvait sous sa main le fier godemiché[15]. L’occasion était belle pour Nicole d’occuper agréablement une amie à laquelle elle avait rendu de bonne foi beaucoup de tendresse. Nicole, dis-je, brûlant d’une saphique passion, n’avait fermé chez elle-même la porte des vrais plaisirs que pour pouvoir en donner ailleurs la trompeuse image… — Mais, ce n’est pas tout-à-fait comme elle se le proposait que se passera son masculin caprice. — Philippine, avant que sa camarade ne l’atteigne, et suppliée par le luxurieux Tréfoncier, vient de se décider à lui livrer pour quelques instans son charmant bijou qu’il demande à langayer. Elle ne peut se prêter à cette fantaisie qu’en s’arrangeant pardessus Zamor (toujours à l’ouvrage avec la Marquise) qu’en faisant avec ses bras, par-dessus le dos du Negre, une espece de pont, et en jetant ses deux cuisses déçà, délà sur les épaules du Prélat, dont, avec cette pose, la bouche va croiser commodément la fentine adorable. Le plaisir que goûtera Philippine à cette partie privilégiée, sera double par celui de ses yeux, qui retrouvent dans la glace les visages et tout le raccourci perspectif des corps de Zamor et de la Marquise, dont le point de jonction et de


Nerciat - Le Diable au corps, 1803, T2-p.146
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mouvement central sont exposés ainsi dans l’aspect le plus favorable… — Le grouppe est formé : les traits enchanteurs de la bien-aimée Philippine sont un nouvel objet de plaisir pour la Marquise qui lui sourit. Zamor ne peut lever les reins pour faire jouer son vigoureux bélier, sans sentir la douce pression de deux tetons élastiques, leur chaleur et celle d’une respiration enflammée… C’est au moment où tout cela se combine et s’exécute, que Nicole frustrée et par conséquent oisive, avise au frétillement affecté des fesses du Tréfoncier, expliqué par le mouvement très-expressif d’une de ses mains… — Quoi donc ! aurait-il la folie de vouloir se faire embrocher par Nicole ? — C’est justement son idée : elle la devine, et, qui plus est, elle aura pour lui cet excès de complaisance… L’extravagante, déja tant soit peu travaillée des effets du stimulant bischoff, saisit aux hanches l’impur Prélat, et lui plante effrontément le boute-joie postiche. Si cette intromission menteuse ne vaut en elle-même que ce que le caprice peut y mettre de prix, il n’en est pas de même du plaisir, très-réel, qu’a le plus luxurieux des humains de se trouver à-la-fois agent avec Zamor, patient avec Nicole ; de langayer une Hébé, et d’avoir encore, par-dessus l’horizon que forme près de ses yeux le cul divin de Philippine, la vision ravissante du buste et des traits parfaits de la factice hermaphrodite, qui se répetent dans la glace devant laquelle ils se sont si bizarrement grouppés ; et, du moins, elle vit cette main folâtre qui, par-dessous l’engin inanimé, agace, pétrit les ampoules viriles, et, chatouillant la racine de celui plein de vie qui s’est fourré chez Zamor, fait bouillir le beaume génital. Le plus souvent notre Prélat, en agissant d’après un premier caprice, songe à se ménager la faculté d’en exécuter un second, et multiplie ainsi les jouissances de son imagination, bien plus active que ses sens : mais cette fois il ne sera pas maître d’user de cette économie de substance. Cloué par Nicole, et jeté hors des bornes de son systême par cette main complaisante qui le patine, il ne peut maintenant s’empêcher de réaliser avec prodigalité. L’intelligente Nicole sent, au bout de ses doigts, bouillonner, au passage, le sublime élixir ; elle daigne alors précipiter ses mouvemens, proférer ces petits mots caressans qui ne sont pas le moins piquant assaisonnement du plaisir, et, faisant enfin jouer le piston de son godemiché (plein, comme on sait, de lait tiede) elle rend aussi complette que possible l’illusion de l’heureux Tréfoncier… Que dis-je ! le parfait bonheur du satyre est réel, lorsqu’à tant de voluptés se mêle celle d’un baiser de flamme qu’infidele à Philippine (qui vient de se pâmer et de se déplacer) il obtient de Nicole, vers laquelle il a tourné la tête sans changer encore le reste de sa pose. Nicole, à tout ce jeu si stérile pour elle-même, n’a pas laissé de s’enflammer. Son savoureux baiser est l’interprête du plus importun desir. Le Tréfoncier la comprend à merveilles, se dégage du Negre, la prend, la désarme à la hâte, la jette sur le premier endroit libre : et faute de pouvoir mieux faire pour l’instant, il la gamahuche avec une tendre fureur… — Et que devient pendant ce tems-là notre charmante Philippine ? — Elle court effacer les traces humides de sa récente aventure, et se restaure après cela d’une ample libation du perfide bischoff : puis, rentrant sur le champ de bataille, la voilà prête à tenir tête au premier champion qui pourra la défier. — Mais les hommes sont tous occupés : Nicole l’avise, l’invite, roule un œil mourant de luxure, et promene sur ses levres un bout de langue effrontée. La caressante Philippine s’approche et croit en être quitte pour un baiser qu’elle donne de bien bon cœur, qu’on reçoit avec bien du plaisir ; mais ce n’est pas tout ce qu’on voulait d’elle ; l’adroite et robuste Tribade la saisit, l’entraîne, et la force à subir la douce opération qu’a commencée sur elle-même le luxurieux Tréfoncier. Il faut bien en passer par-là. Leur pose est telle que (Philippine enjambant Nicole couchée sur le dos, et se soutenant courbée sur ses mains) le Prélat, au-delà du point de vue immédiat de l’épaisse toison de la brune, dont il se fait des moustaches, a de nouveau celui du frais, du blanc, du rond, de l’archi-desirable postérieur de la blonde, et d’une chûte de reins unique, sur laquelle se joue cette belle chevelure cendrée, dont nous avons fait l’éloge ailleurs. Dès-lors, l’ame du capricieux fellateur se partage entre ce con ravissant qu’il pompe, et ce cul céleste qu’il fout des yeux, ne pouvant mieux faire pour l’instant. Bientôt le délire des deux amies est sans bornes, leur fougue, leurs accens inexprimables montent l’excès l’imagination de l’acharné libertin : les diaboleni, les pastilles operent en ce moment à proportion de la dose outrée qu’il en a prise ; il brûle, il est dévoré. Déja dans sa rage, il pense à mâter de sa propre main son effréné boute-joie, qui ne saurait plus demeurer oisif. Par bonheur, au même instant, Nicole, expédiée et calmée, passe une jambe par-dessus la tête du paillard, et se dérobe, le laissant à portée de Philippine, moins prompte à changer de position. Il n’a qu’un mouvement à faire pour atteindre la croupe enchanteresse de cette beauté : comme elle veut se lever, il la retient, elle retombe sur ses mains, trop affaiblie pour pouvoir se défendre, trop en rut pour avoir l’intention de résister. Elle se prête et le Tréfoncier… (ô miracle !) braque son pénil presque roide et l’enfonce… où ? disons où il sent qu’il lui est le plus facile de pénétrer, c’est-à-dire, dans la fente naturelle. Là, graces au feu terrible que tant de folies y ont allumé, graces à cet aimant magique dont la chere Philippine est si richement pourvue, aimant bien plus efficace que tous les diaboleni de l’univers, et par la vertu duquel telle femme va faire du plus frêle champion un Alcide, tandis que, sans lui, telle autre va glacer dans ses bras le plus vigoureux Franciscain : le Tréfoncier, disons-nous, dans le délicieux réduit qu’il a préféré, trouve la fontaine de Jouvence. Assez enflammé pour desirer à l’excès ; assez affaibli pour ne pas tomber trop promptement en crise, il rencontre, par hasard, ce difficile et rare équilibre, qui seul donne au plaisir son véritable degré de perfection, en centuplant ses nuances et en étendant ses bornes jusqu’au seuil du néant. — Pour Philippine elle-même, (de qui l’organisation est plus fine que robuste, de qui les sens sont plus susceptibles de volupté que de fureur-lascive) les délices que nous essayons de peindre valent mieux encore que celles qu’elle a dues à la fougue de Zamor. Les progrès du plaisir sont à peine sensibles ; mais il croît, brasse le sang, y circule, l’embrase, le consume… Déja sa croupe de neige se nuance de ce tendre incarnat dont la peau de nos fausses voluptueuses n’est jamais embellie… — Comédiennes de Paphos ? vous frémissez quelquefois, vous vous disloquez, vous haletez, jurez, mordez : tout cela le plus habilement du monde ; et, si nous avons de la foi, nous devons supposer que vous avez un plaisir indicible… — Mais venez reconnaître dans le calme apparent de la véritablement heureuse Philippine, que les transports convulsifs, qui parfois peuvent beaucoup, (on vous l’accorde) peuvent aussi parfois ne prouver rien. Philippine est complétement immobile ; mais un imperceptible frisson des fesses et certaine pulsation intérieure du clitoris, semblable au battement d’une montre, sont des symptômes que tout votre art ne feindra point : au fond de vos vagins brisés, blasés, déphlogistiqués, le Tréfoncier ne sentirait pas comme un nœud coulant qui le serre, comme une pompe aspirante qui semblerait essayer d’exprimer de chez lui tous les sucs qui peuvent s’y trouver encore. C’est ce que l’électrique et magnétique Philippine lui fait délicieusement éprouver sans les moindres frais de pantomime. — Ô charme, ô puissance du vrai plaisir ! le Prélat est tenté, peut-être pour la premiere fois de sa vie, de se vouer au vase naturel et d’abjurer à jamais son méphitique antagoniste. Il admire combien est parfaite la méchanique d’un con vraiment sensible ; il conçoit que celui seul qui s’est éteint et dégradé, vaut moins que son illégitime voisin ; l’œillet, à nullités égales, avec une boutonniere dépérie, ayant du moins pour lui les avantages de sa superbe façade et la piquante difficulté de son hospice[16]. Ce n’est pas un Adolph chevalier fanatique de la brute-nature, ce ne sont pas un cousin Georges, un cousin Frédéric, libertins par désœuvrement et par curiosité ; ce n’est pas le vulgaire Zamor, mi-parti du singe et de l’homme, et pensant aussi peu qu’il est propre à beaucoup agir ; ce ne sont pas, dis-je, tous ces gens-là qui, avant, pendant, ou après une leçon de physique expérimentale, s’aviseront des réflexions subtiles que le lecteur vient de trouver plus haut. Le Tréfoncier est un tout autre personnage. Aussi sait-il, en fait de passions, de goûts et de caprices, le fort et le faible de toutes choses : aussi, rassasié de femmes ou froides ou blasées, près desquelles il sait qu’il manquerait de moyens de séduction et de vigueur, erre-t-il de caprice en caprice, et leur préfere-t-il un Zamor, un Belamour. Aussi, sans de fortes convenances, ne se jouera-t-il pas… par exemple à notre petite Comtesse, à notre Marquise et à d’autres de cette force, avec lesquelles une dépense d’efforts galans, qui serait beaucoup pour lui, vaudrait très-peu pour elles, vu l’appétit excessif de leur tempérament…

Tout ce que nous venons de dire, lecteur, c’est ce que roulait le Tréfoncier dans son esprit, après avoir épanché sa modique rosée dans le réservoir enchanté de Philippine. Il serait demeuré long-tems plongé dans cette rêverie lubrico-philosophique, si la gentille Jouvencelle sentant… qu’elle ne sentait plus rien, ne s’était dérangée, sans déranger personne : car le pauvre pénil, replié sur lui-même, avait vuidé l’espace intérieur, et ne signalait plus sa présence que par la froide humidité de ses larmes. L’espiegle soubrette ne peut, en s’écartant de l’épuisé Tréfoncier, s’abstenir d’insulter, par des ris, à l’humilité profonde du braquemart naguere si fanfaron : cependant elle n’a pas la cruauté de blesser l’amour-propre sans lui laisser une consolation. Elle permet fort gaiement que le déconfit lui langaye, dans l’adieu, les fraises de ses charmans tetons. Elle fait plus encore : d’un baiser, dont la franchise n’est point équivoque, elle rive le bec de l’heureux Tréfoncier, et dit ensuite un — là : — dont il entend à merveilles le sens, et qui veut dire : — Voilà tout ce qu’il vous faut : séparons-nous. Le Prélat, qui se rend justice, ne prend contre elle aucune humeur, et dit à son tour : — Là : — ce qui signifie — Grand merci, charmante, je ne veux plus vous importuner. —

Si les personnages dont nous racontons ici les hauts-faits, étaient des êtres d’une constitution et d’une imagination ordinaires ; si le bischoff, érotiquement frelaté, les pastilles ambrées, les diaboleni, et cætera, n’étaient pas des auxiliaires tout-puissans dont on ne peut pas contester les étonnans effets ; ou plutôt, si ces gens-là n’avaient pas le diable au corps, nul doute qu’après ce que l’on vient de lire (déja surprenant sans doute pour les petits faiseurs ?) on ne voulût plus croire à de nouvelles prouesses. Mais j’appelle de la possibilité de ces faits (très-vrais d’ailleurs) aux moines, aux gens de mer, aux jeunes officiers qui n’ont que deux ou trois ans de service militaire. Ils attesteront, si l’on veut, que, chez les nones, dans les tavernes, au boudoir et au bordel, ils ont fait l’équivalent de ce que j’ai décrit, sans même que des femmes, de l’excellence des miennes, aient été les objets de leurs excès ; sans qu’une musique enchanteresse les ait préparés ; sans que des poisons voluptueux aient embrasé leur sang et quadruplé leurs forces. Non, lecteur, la luxurieuse troupe dont je vous ai peint avec vérité les jeux priapiques, n’en est pas encore à baisser la toile, et si la sécheresse du récit ne permet pas qu’on vous intéresse bien plus long-tems aux mêmes objets, il n’en est pas moins vrai que vous ne seriez ni fatigués, ni refroidis, si vous aviez vu tout ce que je vous ai raconté, et si vous pouviez voir encore ce qu’on est en état de faire. — Continuez à vous promener dans ce temple où la jouissance et le caprice ont tant d’autels, vous y admirerez l’insatiable petite Comtesse, ivre de liqueurs et de luxure, s’acharnant, en véritable bacchante, après l’Orphée-Adolph ; ne le déchirant pas toutefois, mais exécutant avec la derniere opiniâtreté le double projet qu’elle a de le pervertir et de le mettre aux abois. Voyez comment, à force de dévergondage, elle induit enfin cet ingénu (qui de sa vie n’a fait un pas hors du chemin de la Nature) à s’égarer, et à commettre de toutes les obscénités qui se passent autour de lui, celle qui répugne le plus à ses principes… Cependant, semblable au sage Memnon du conte moral, voilà que le bon Adolph, une fois lancé, court tout comme un autre et d’aussi bon courage dans la honteuse carriere. Tout en se disant à lui-même : — Cela est affreux : je cesse d’être une créature pensante et raisonnable : je me fais brute : je suis un pourceau qui me vautre dans la fange du crime. — Le vigoureux métaphysicien n’en joue pas moins, avec complaisance et plaisir, le rôle de Socrate. Son Alcibiade fémelle est fiere, avec la derniere impudence, de la victoire que son caprice remporte sur les préjugés d’un sage, auquel elle n’a pas eu la peine de pousser le moindre argument, puisqu’ils ne se comprennent point. Son air conquérant semble prendre tout le monde à témoin de l’ascendant de ses rondeurs et du peu de solidité qu’ont d’ailleurs, contre les attaques de la beauté, les remparts orgueilleux de la sublime philosophie. — C’est peut-être ce triomphe de la dépravation anti-conine[17] qui décide enfin la farouche Nicole, plus ivre que la Comtesse, et traîtreusement saisie par l’obstiné Frédéric, à souffrir, en riant pour le coup, la postdamique initiation. Empalée par le Prussien assis, et renversée sur le bras dont il soutient le buste tourné vers lui pour donner et recevoir des baisers, Nicole, par un écart nécessaire à son équilibre, met fort à découvert l’attrayant objet du culte ordinaire. Son orifice vermeil et palpitant s’entr’ouvre et semble appeller un fouteur. Mais les feux de nos Messieurs sont amortis ; ils n’en sont plus à se ruer sur la premiere proie qui leur est offerte. La seule Comtesse est frappée de l’avantage de la pose, et l’apostat Adolph venant d’achever avec elle tout ce qu’elle a voulu… zest, elle se dérobe, s’empare du fameux godemiché qu’elle n’a pas un moment perdu de vue, le ceint, et dans un clin-d’œil vous cloue pardevant cette pauvre Nicole, qui déja n’ayant pas grand plaisir à l’être parderriere, trouve pour le coup sa position des moins agréable. Elle souffre, elle demande quartier, on ne l’écoute point, et c’est à qui la secouera davantage : ces quatre bras qui l’étreignent la fatiguent ; ces deux bouches qui tour-à-tour cherchent la sienne, ou se baisent en se rencontrant, l’excedent ; les fumées bachiques engendrent chez elle une sombre humeur ; elle se fâche : on se moque d’elle ; cette contrariété l’irrite : elle se débat, enrage de ne pouvoir se dégager, frappe enfin autour d’elle, et meurtrit le satin délicat de la galante Comtesse : celle-ci n’a garde de s’en fâcher, elle flatte au contraire, replique aux injures par des douceurs, et pour des coups de poing rend d’amoureuses morsures… M. Frédéric, moins tendre, se lasse le premier d’avoir les cuisses pincées, égratignées, les cheveux arrachés, et d’endurer en un mot, tout le petit mal qu’il est possible de lui faire. Il s’esquive et ménage si peu les deux autres figures de leur grouppe, que la Comtesse est jetée de côté, séparée de son godemiché dont les attaches se sont rompues, et qui reste planté chez Nicole. Celle-ci, sans penser à s’en défaire, court ainsi transfigée après Frédéric, qu’elle brûle de bien battre, mais elle fait un faux pas et tombe à plat ventre : pendant ce burlesque débat, le petit démon de Comtesse est aux cieux, se roule sur le canapé, les jambes en l’air, se claquant les fesses et riant aux éclats. On accourt, on releve la pauvre Nicole : mais la colere a mis le comble à son ivresse ; elle ne peut plus se tenir debout : on la transporte dans une piece voisine, on l’étend sur un sopha, couverte de tout ce que l’on a sous la main. Elle se trouve bien là, veut être seule et s’endort. —

Il n’y a plus, dans le sallon, que Zinga, la Marquise et l’infatigable Zamor qui paraissent conserver le desir et la volonté de s’ébattre. Zinga, tendrement occupée du néant de son cher maître, est à ses genoux, caressant de ses mains si douces, si adroites, ce qu’a tué Philippine, et qu’il voudrait bien qu’on vînt à bout de ressusciter. Mais l’inutilité des moyens ordinaires les mieux administrés ne laisse que la ressource d’une lesbienne[18], elle ne fait pas beaucoup d’effet. — Pendant ce tems-là, notre superbe Marquise s’est avisée que le cousin Georges est pour elle un objet neuf. Ce beau jeune homme est languissamment étendu sur le dos, assoupi, à-peu-près dans la posture où les peintres nous montrent Endymion, et son thermometre descendu au variable. Nouvelle Diane, la Marquise se met en devoir de l’enfourcher ; elle éveille le dormeur en s’emparant du tube mollet ; son amour-propre féminin lui persuade que tant de complaisance va faire aussi-tôt remonter le thermomètre au beau-fixe. Vain espoir : inutiles faveurs : Georges est par malheur l’antipode d’Adolph sur l’article du lunaire inconvénient ; il ne refuse cependant pas : mais ce qui devrait pénétrer se glace, ploie et n’entre point. — Sur ces entrefaites, le brave Zamor, de retour après un moment d’absence, voit, sous un nouvel aspect, sa desirée Marquise, qui, sa superbe croupe en l’air, aurait séduit le sage Adolph lui-même. Zamor, que tant de succès autorisent bien sans doute à risquer d’être insolent, feint de vouloir enfiler la divine en levrette ; il est souffert sur ce pied : mais crac, il hausse en glissant le long de la boutonniere, et pousse, à la Jésuite, avec assez de succès, pour que l’œillet soit pris avant qu’on puisse le lui disputer : humeur, dignité, commandement sévere de sortir delà, rien n’intimide le Negre dissolu, qui d’ailleurs est, à la muette, excité par des signes bouffons que sa maîtresse lui fait, sans que la Marquise puisse les appercevoir. On l’injurie, on le menace ; il gâte ses affaires et perd son crédit : mais l’outrage immonde n’en est pas moins poursuivi, consommé. La Comtesse alors ne se gêne plus de rire comme une folle, et fait si bien que la Marquise finit par rire avec elle. Cependant après ce bel exploit, le ravisseur s’est enfui ; pour ne reparaître plus… Voilà donc la clôture ? — Peu s’en faut : mais ne voyez-vous pas notre extravagante Comtesse tracassant à son tour l’Endymion inanimé ? — Que peut-elle lui vouloir ! N’a-t-elle pas été là quand il a fait à la Marquise une impardonnable avanie ? — Eh ! c’est précisément ce qui la pique ! Ne serait-il pas bien glorieux d’opérer une résurrection si difficile ! La couronne qu’on gagnerait à ce succès inespéré ne serait-elle pas la plus honorable de toutes ! Laissez notre héroïne se servir de ses moyens, et soyez sûr que si elle s’est mis en tête de faire vivre encore l’invalide cousin, elle n’aura pas la honte d’échouer dans son entreprise. Voyez comment elle vous le travaille ! avec quelle rapidité ses doigts, voltigeant sur toutes les parties du corps, cherchent à reconnaître celles qui peuvent être sensibles au plaisir du chatouillement ! Remarquez comment cette étude flatteuse, comment cet empressement extrême font déja frémir chez M. Georges, avec les cordes des sens, celles, bien plus irritables, de l’amour-propre ! Remarquez-vous déja les préliminaires du désenchantement ? Déja deux fois la tête du tentateur d’Eve s’est soulevée… Une fois encore, elle ne retombera plus… Que vous ai-je prédit ! Il dresse… il s’arrondit… il croît, durcit… On l’ajuste… il pénetre… il y est. — Zinga, le Tréfoncier et Frédéric applaudissent avec bruit et crient bravò. La Marquise, intérieurement jalouse de ce coup de maître, ne rit que du bout des levres, et semble dire aux témoins : — Je n’ai pas voulu m’en donner la peine. — Elle se flatte du moins que le reste de l’ouvrage ne s’achevera point… Mauvais calcul encore : le trémoussement rapide, recherché, varié que se donne la Comtesse, ses feux intestins, ses morsures souriantes, ses petits mots délicieux, sont autant de coups de fouet et d’éperons qui maintiennent l’équivoque coursier au galop dans la lice. L’art de l’écuyere est trop sûr pour que l’objet puisse être manqué. Les juges font des vœux pour elle, et excitent à bien faire celui dont la défection peut tout gâter : tuais Zinga marque encore mieux le vif intérêt qu’elle prend à la chose. Elle se jette dans l’arene pour chatouiller, d’une main, la plante des pieds du jeune homme, et, de l’autre, en faire autant à ses pendans génitoires. Ce généreux secours (soutenu de quelques atteintes de postillon qui font merveilles) réchauffe, rehausse et raffermit les utiles sachets. Plus de crainte après cet heureux symptôme. La crise électrique ne peut manquer. La Comtesse parvenue la premiere au but, se fond, perd la tramontane, et ne soutient plus cette rude cadence, qui seule pouvait mettre en si bon train son débile enfileur… Gare qu’il lie se refroidisse et ne ruine l’espoir des assistans, en compromettant encore la gloire de notre Comtesse si digne de triompher ! Zinga tremble un moment, croyant voir l’élastique enveloppe des cocons amoureux se relâcher et descendre ; mais, habile à réparer ce commencement de malheur, elle agite vivement entre ses jolis doigts la racine du boute-joie prêt à mollir ; il se roidit, il brûle et darde enfin, même assez abondamment, sa précieuse offrande… C’est à quoi la Comtesse, après la crise du plaisir, était attentive pour l’intérêt de l’amour-propre… Elle se dégage donc aussi-tôt, et tordant le nez à l’écumant engin, elle fait filer aux yeux des bénévoles assistans l’onctueux certificat de sa victoire. Tout cela lui vaut de bruyans applaudissemens, qu’elle affecte de partager avec l’officieuse Zinga, gratifiée par elle d’un transport caressant, interprète de la plus vive reconnaissance.

(Un accident affreux trouble en ce moment la fin languissante de cette orgie.)

Adolph, chez qui les perfides liqueurs et les stimulans dont il n’avait jamais fait usage ont produit un effet lent, mais terrible, s’est détaché, comme on sait, de la bande effrénée ? C’est parce qu’il avait commencé de sentir une indisposition truelle que l’ivresse fait assez ordinairement éprouver aux individus d’une notable vigueur. Rentré seul dans son logement, c’est-à-dire, dans une chambre de l’attique dont le pavillon où l’on se trouve est couronné, il s’est senti tout-à-coup suffoqué. Un vomissement fréquent et convulsif épuise en peu de minutes le reste de ses forces : il tombe dans un assoupissement profond… Mais, par malheur, sa bougie posée trop près du lit a mis le feu à des rideaux de perse et presqu’en même-tems à toute la piece. Le malheureux Adolph, éveillé par la fumée, a vainement essayé d’éteindre. Sans jugement et sans adresse dans l’état où nous le savons, il n’a fait qu’animer la flamme, et c’est beaucoup trop tard qu’il ouvre enfin pour crier au secours. Il a failli périr : au moment où, par l’action d’ouvrir, l’air a donné plus de ressort au feu, le plafond éclate, la flamme s’y fait jour, les combles vont être attaqués. Plus d’espoir dès-lors de sauver le pavillon sans les secours publics d’usage. Déja tout le quartier est en rumeur, l’alarme est générale. Les pompiers et tout leur attirail ; la garde, et tout ce que comporte l’accident du feu, accourt avec cette admirable célérité qu’on doit au bon ordre prescrit et si bien observé dans notre immense capitale[19]. La maison est prise d’assaut par l’essaim qui, par devoir ou par zele, est accouru pour la garantir d’une ruine absolue. — Qu’on se représente en ce moment l’étonnement, la confusion et l’effroi de notre clique dissolue, surprise par l’œil sévere de la police, avant qu’on ait pu mettre dans l’intérieur assez d’ordre pour que ce qui vient de s’y passer ne soit pas aux trois-quarts deviné ! La Marquise, pour qui son état critique augmente le danger d’essuyer une révolution aussi violente, s’évanouit, et l’on a bien de la peine à lui faire recouvrer l’usage de ses sens. Les autres Dames ne sont gueres moins troublées. Zinga seule conserve sa présence d’esprit, se porte par-tout, empêche le désordre et le vol ; car on peut comparer avec Boileau la maison du Prélat à…


                  … Une seconde Troye,
Où maint Grec affamé, maint avide Argien,
Au milieu des charbons vient piller le Troyen.


Zamor, aussi, vaut dans cette conjoncture quatre hommes ordinaires pour les secours ; il est sur les toits, et risque à chaque pas sa vie pour étouffer les progrès de l’élément destructeur. Le Tréfoncier et ses cousins sont assez occupés avec les femmes qu’il s’agit de ranimer, rassurer, r’habiller et reconduire chez elles. — Cependant au dommage près des toits brûlés, et de la note peu canonique qui résulte pour le Tréfoncier des découvertes qu’on a faites sur la nature de ses amusemens du fauxbourg, le mal de cette aventure est assez peu de chose, et quand le tracas inséparable d’une pareille scene est absolument fini, le Prélat en rit avec ses cousins, disant que, sans ce grand coup de théatre, leur partie de plaisir aurait assez plattement expiré. — Heureux ceux qui, de l’humeur du Tréfoncier, ont le secret de trouver aux choses les plus fâcheuses un côté consolant et risible.


Fin de la cinquieme Partie.
  1. Ce mot est d’autant plus propre ici, qu’outre certaine bigarrure de couleur jaune, violette et bleue qu’occasionne le cas en question, et par laquelle il a des rapports avec l’arc-en-ciel, il a de plus pour attribut de prédire qu’il n’y a pas de grossesse, comme, pendant un orage, l’arc-en-ciel (selon les croyans) prédit qu’il n’y aura point de déluge universel.
  2. Espece de tribunal religieux, où de sages ecclésiastiques (bien plus philosophes sans doute que les inquisiteurs Espagnols) font le procès au tempérament, avec toute la modération dont le Tréfoncier trace ici la véridique esquisse. Pour une faiblesse galante, il n’en coûte que… l’honneur.
  3. Nous avons su qu’il étoit alors composé d’une Languedocienne, haute comme un grenadier, à la physionomie guerriere, au sourcil noir, au corps svelte, mais basanné : d’une Flamande, au cuir satiné, toute en cuisses, en tetons et en fesses, et remarquable par une superbe chevelure, couleur de queue-de-serin : d’une sauteuse Espagnole, qu’une chûte, quoique heureuse, avoit dégoûtée du métier : d’une Erigone Anglaise, habile à boire, à jurer et à franchir, à cheval, les fossés et les barrieres : d’un jeune Soprano Florentin, élevé par deux cardinaux, d’ailleurs excellent virtuose ; enfin, de l’incomparable Zinga. — Tous ces êtres-là vivaient d’autant mieux ensemble, que le Tréfoncier, peu jaloux, avait un abbé secrétaire fringant et joli homme, et deux ou trois musiciens de figure distinguée. — Ce prélat était donc bien riche ! — Il avait un petit million de revenu, et faisait d’ailleurs comme les autres : il s’endettait.
  4. Du théatre, du spectacle.
  5. Il était Prussien : tout le monde sait à quel degré de perfection le Roi philosophe avait poussé son talent de flûteur.
  6. Nous avons été frappés, (comme le sera sans doute le lecteur) du changement de ton que le Docteur affecte dans cette partie de son ouvrage. Au dialogue succede inopinément la narration ! Pourquoi ? — C’est ce qu’il n’a pas eu l’attention de nous expliquer, et à quoi nous ne pouvons supposer d’autre motif, sinon que le mouvement rapide qu’on remarque dans ce qui suit comportant fort peu de discours, le lecteur n’aurait à-peu-près rien su, si on ne lui eût transmis (comme dans ce qui précede) que la conversation. — Elle est nécessairement confuse, et fatigante à lire quand elle est tenue par une dixaine de personnes. (Note des Éditeurs.)
  7. C’est le Docteur qui parle.
  8. Elle ne voit pas encore tout.
  9. La petite Comtesse mourait de peur qu’il ne s’agît ici de s’arranger deux à deux selon la couleur des écharpes tirées au sort, et par conséquent, qu’il ne lui fût permis de favoriser que son seul tenant, comme il est d’usage dans certaines coteries libertines.
  10. Nous ne savons pas trop pourquoi le Docteur s’interrompt ici, si ce n’est parce qu’il a voulu reprendre haleine, ou laisser au lecteur, fatigué d’une description peut-être un peu trop seche, un point de repos. (Note des Éditeurs.)
  11. Comme il y en a plusieurs de cette espece dans un pays fort étendu, nous ne savons précisément de laquelle on veut ici parler. (Note des Éditeurs.)
  12. Tout le monde connaît le conte de ce nom, l’un des plus ingénieux de l’inimitable La Fontaine… Le bon homme avait le doigt où vous savez.
  13. Un des mots encore que la Comtesse a forgés.
  14. Terme musical. — Autrefois, une gigue.
  15. Ce meuble avait été fourni par Bricon dont on a sans doute encore quelque souvenir ? et que le Tréfoncier protégeait alors.
  16. Si quelques lecteurs malins, en suivant le cours de cet ouvrage, avaient pu conclure, du soin que le Docteur a pris de polir certains tableaux incongrus, qu’il avait pour les Pygomanes une secrete indulgence, et que peut-être était-il un peu lui-même entiché de Pygomanie ; que ces juges, vraiment téméraires, réfléchissent à l’éloge raffiné qu’il fait ici des ébats naturels ; qu’ils méditent l’opinion consignée dans la description précédente, ils concevront que cette tirade ne pouvait être faite que par un conformiste, non moins profond connaisseur que professeur expérimenté des voluptés licites : ils remarqueront encore que si les acteurs de l’autre secte, qui figurent dans le Diable au Corps, parlent avec éloge de leur méthode, et la peignent en beau, c’est leur rôle. Le Docteur n’a pas laissé échapper d’ailleurs une occasion de la tourner en ridicule ; cela devait être aussi. (Note des Éditeurs.)
  17. Quand un mot nécessaire manque, il faut bien le forger.
  18. Donner une lesbienne, c’est gamahucher.
  19. Le Docteur, quoique né en Italie, était jaloux du titre de Français.