Le Diable au corps (Nerciat)/Avertissement

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Texte établi par [s. n.],  (p. i-v).



AVERTISSEMENT NÉCESSAIRE.

text-transform:uppercase;font-size:80%; Le célebre Cazzoné, né à Florence, docteur en phallurgie, membre et secrétaire-perpétuel de la joyeuse faculté Phallo-coïro-pygo-glottonomique, que j’avais connu particuliérement en Italie, vint en France, il y a douze ans[1], malade. Je le reçus à ma campagne, pour qu’il fût plus à portée de certaines eaux minérales, dont je suis voisin. Par malheur, elles ne firent point au docteur le bien qu’il s’en était promis ; il languit pendant quelques mois, et mourut, comme il finissait à peine Le Diable au corps, fort singulier roman dramatique, qui, s’il n’obtient pas un suffrage universel de la part des amateurs, prouvera, du moins, que, dans l’état le plus critique, l’imagination de l’écrivain n’avait rien perdu de son feu, ni ses passions de leur vivacité.

Je m’étais volontiers chargé de purger son ouvrage de ces fautes grammaticales, familieres aux étrangers qui possedent le mieux notre langue, et de mettre d’accord avec l’œuvre entiere, certains endroits équivoques ou laissés en cannevas : ma besogne touchait à sa fin quand la premiere partie de mon original disparut.

Peu de tems après je sus que des Imprimeurs français, établis en Allemagne pour y faire une espece de contrebande littéraire, possédaient ce lambeau de mon manuscrit. Comme, en effet, Le Diable au corps peut être morcelé sans devenir absolument difforme, et que ses différens morceaux ne se lient nécessairement au premier que parce qu’on y retrouve toujours les principaux personnages, j’imaginai bien que ces Messieurs de L’Allemagne feraient, de leur fragment, un ouvrage particulier, et se garderaient sur-tout de laisser soupçonner que ce fragment qu’ils possédaient eût une suite.

J’attendais l’impression, pour savoir comment ils publieraient cette portion de l’ouvrage, et pour ajouter à leur édition les parties suivantes qui m’étaient restées. Cependant, nombre d’années s’écoulent, et Le Diable au corps ne paraît point ; je le perds tout-à-fait de vue et m’occupe d’autres objets.

Mais quelle est ma surprise, il y a 18 mois, quand une brochure négligée, pleine d’absurdités, inintelligible en plusieurs endroits, m’apprend qu’enfin on avait mis sous presse l’échantillon fugitif du travail de mon ami !

Je ne conçois pas trop bien quelle avait pu être la spéculation des Éditeurs, mais il est clair ou qu’ils n’ont pas su lire, ou qu’ils se sont fait une tâche de tout gâter. Pas le moindre écart, pas la moindre addition, le moindre retranchement qui ne soit un contresens, une platitude, ou du moins une faute contre le goût, sans parler des innombrables difformités purement typographiques.

Le titre de Catéchisme de Figaro m’a surtout paru fort remarquable à la tête d’une folie, écrite bien long-tems avant le lever éclatant de Figaro, et dans laquelle, d’ailleurs, il n’est pas dit un mot qui puisse se rapporter à ce célebre personnage.

Tout le monde sait que si l’existence de Figaro date du Barbier de Séville, sa grande fortune n’a pourtant commencé qu’à l’époque de La folle journée. Or, comment chercherait à s’étayer de ce moderne protecteur un ouvrage qui cite des Mousquetaires ! ils ont été supprimés en 1776 ; qui parle de la grande allée du Palais royal ! elle était abattue long-tems avant les noces de Figaro ; qui donne à certaine marquise un petit housard-domestique ! Figaro n’a plus trouvé sur la scene du monde que des jockeys ; qui fait voir un présent de la part d’un financier tout en louis ! au lieu d’être en billets de la caisse d’escompte !…

À chaque pas, en un mot, le lecteur pourra se convaincre que Le Diable au corps et Figaro ne peuvent avoir rien de commun ; j’en préviens, au risque de donner peut-être une bien mauvaise idée de l’œuvre du docteur ; car, peut-on être comique, peut-on avoir de l’esprit si l’on ne se pique pas d’imiter le plaisant par excellence, l’incomparable bâtard de Marcelline et de Bartholo ! c’est ce qu’ont très-bien senti Messieurs les Éditeurs gallo-germains, quand ils ont inventé, leur titre de Catéchisme de Figaro : n’était-ce pas le vrai moyen de piquer la curiosité de toute la secte Figarienne ; de se procurer autant d’acheteurs du prétendu Catéchisme qu’il y a de zélés Figariens !

Mais à quoi bon tromper ainsi ! Malheur à l’ouvrage qui, pour se faire jour, a besoin d’un cachet étranger, je rends donc à celui-ci son véritable titre.

Je supprime aussi certain avis des Éditeurs par lequel débute l’édition d’Allemagne, et qui qualifie de bonne compagnie l’ordre dans lequel le docteur a choisi ses principaux personnages. La compagnie dont il s’agit ici, peut être la joyeuse ; mais elle n’est certainement pas la bonne.

  1. Ceci est écrit en 1789.