Le Diable aux champs/3/Scène 2

La bibliothèque libre.
Calmann Lévy (p. 115-117).



SCÈNE II


Dans le potager du château de Noirac


PIERRE, COTTIN.

PIERRE. — Oui, c’est comme je te le dis. Je vas chez le maire et chez le curé pour faire publier mes bans, et pas plus tard qu’à la Toussaint, j’épouserai la Maniche.

COTTIN. — J’en suis content, Pierre, et je te fais mon compliment. C’est une forte fille, et d’un grand courage.

PIERRE. — Pour une belle fille, c’est une belle fille. Elle vous enlève un sac de six boisseaux de blé sur son épaule comme une autre enlèverait un sac de balle. Mais c’est pas tout ça, jardinier ! faut se parler raisonnablement tous les deux !

COTTIN. — Voyons, qu’est-ce qu’il y a ?

PIERRE. — Je suis un homme, et tu n’es pas une poule.

COTTIN. — J’espère être un homme aussi !

PIERRE. — J’en tombe d’accord. Eh bien, tu as fait les yeux doux, dans le temps, à ma future.

COTTIN. — Dame ! je ne dis pas non ; elle me revenait bien ! Mais elle n’a pas voulu de moi, et je m’en suis consolé ; que veux-tu ? Il y a plus de deux ans que je ne lui ai pas dit quatre paroles.

PIERRE. — Oh ! je sais bien que tu ne m’as point traversé dans mes amitiés ; mais il ne faut point me trahir dans mon mariage.

COTTIN. — Pourquoi me dis-tu ça ? Est-ce que je suis un faux ami ?

PIERRE. — Non ! nous avons toujours été camarades, et je sais que tu es juste et franc comme tout. Moi aussi, pour l’amitié, je vas tout droit. C’est pourquoi je te dis : Il y a deux ans que tu ne parles plus à la Maniche ; mais la voilà tantôt ma femme, et je suis ton ami. Il faudra bien que tu lui parles ; il faudra bien que tu viennes chez moi. Eh bien, quelle mine est-ce que tu vas lui faire, à ma femme ?

COTTIN. — La mine d’un honnête homme. Je n’en peux pas faire d’autre, j’espère !

PIERRE. — J’entends bien… mais…

COTTIN. — Mais quoi ?

PIERRE. — Cottin !… Ma future m’a tout dit.

COTTIN. — Elle a eu tort…

PIERHE. — Non ! elle a eu raison. Je l’avais vu, dans le temps, te promener avec elle, et on disait des choses… Enfin, je me sentais d’être un peu jaloux. Je l’ai confessée… là, dans le cœur ! C’est une brave fille, elle ne m’a point trompé. Elle voulait bien de toi, dans le temps.

COTTIN. — Non, non, elle m’a renvoyé !

PIERRE. — C’est bien, ce que tu dis là, et c’est comme ça qu’il faut toujours dire à tout le monde.

COTTIN. — Est-ce que j’ai jamais dit autrement ?

PIERRE. — Non ! Faut continuer par égard pour moi.

COTTIN. — C’est bien commode, c’est la vérité !

PIERRE. — Non ! La vérité, c’est que le père n’a point voulu, et que la fille s’est soumise au père. Mais vous avez été bons amis ensemble, et on sait bien que l’amitié…

COTTIN. — Tais-toi, Pierre, il ne faut jamais ni dire ni penser ça.

PIERRE. — Tu as raison, il faut le savoir, se taire et l’oublier.

COTTIN. — Si on le croit, faut le pardonner, du moins !

PIERRE. — Oui, c’est fait. J’aime la fille, elle m’a dit la vérité, elle m’aime, je l’épouse. Une fois ma femme, c’est sacré, le passé, et, bien moins qu’un autre, je n’ai le droit de tourmenter et de mortifier celle que j’ai charge de faire respecter.

COTTIN. — Ça serait faire perdre le respect aux autres.

PIERRE. — Bien dit ! Tu m’entends, et en voilà assez.

COTTIN. — Mais si ça te fâche que j’aille chez toi ?

PIERRE. — Non, tu y viendras quelquefois ; pas assez souvent pour qu’on croie que tu me trompes, assez souvent pour qu’on ne croie pas que j’ai été trompé. Je ne crains pas que ma femme me trahisse ; je saurai bien me faire aimer. Et puis le ménage, le travail, la famille… et toi, d’ailleurs…

COTTIN. — Moi ? Je serais pire qu’une bête si j’avais seulement dans l’idée… Tiens, je ne me souviens de rien, et c’est si vrai, qu’à partir d’aujourd’hui, mettons que nous avons rêvé ça et que ça n’est pas.

PIERRE. — C’est bien, Cottin ; tu viendras à ma noce ?

COTTIN. — Et si je lâche un mot, si je fais un œil dont tu ne sois pas content ce jour-là ou tout autre jour de ma vie, méprise-moi !

PIERRE. — Je suis content. Adieu, mon vieux !

COTTIN. — Bonjour, mon camarade.