Le Dix-Huitième Siècle (1776)

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Le Dix-Huitième Siècle : satire à M. Fréron
s.n. (p. i-19).

LE

DIX-HUITIEME SIECLE

SATIRE A M. FRÉRON.

Par M. Gilbert.

Nouvelle Edition, revue & corrigée.

Un Ecrit clandestin n’est pas d’un honnête homme,
Quand j’attaque quelqu’un, je le dois & me nomme.

Gr...

A AMSTERDAM.

M. DCC. LXXVI.

PRÉFACE.


Les Gens du monde semblent avoir fait une ligue avec nos prétendus Philosophes, pour décrier la satire. De nos jours on croit fans peine à la vertu d’un Auteur licencieux qui se déclare Athée ; mais on doute, au moins en apparence, qu’un Satirique puisse être honnête homme ; comme si la vie feule de Boileau ne suffisoit pas, pour démentir cette opinion affectée, moins outrageuse encore à sa mémoire, qu’à celle de Louis le grand, des Lamoignon, des Colbert, des Condé & de tant d’autres Personnages illustres qui l’honorèrent d’une estime particulière & de leurs bienfaits. Ces diffamateurs ont-ils oublié que ce Critique inexorable donna autrefois l’exemple d’un trait de générosité qu’ils ont loué avec enthousiasme dans une Souveraine.

Pour nous qui faisons gloire de cultiver après lui le seul genre de Poésie, dont l’utilité seroit vainement désavouée, malgré le respect que nous devons aux oracles des Novateurs du temps, appuyé de l’autorité d’un Écrivain si-judicieux, nous soutenons au contraire que quiconque blâme la satire, est un homme dupe des opinions d’autrui, un sot à prétentions ou une ame corrompue. Les citoyens vertueux, les esprits sains & vraiment éclairés, ne la redoutant pas, l’ont toujours approuvée. Leurs entretiens font la censure continuelle des mœurs dépravées & du mauvais goût : le Satirique n’est en un mot qus l’interprête de leurs plaintes ou de leurs jugemens.

Ce font ces hommes dont le suffrage seul peut nous flatter, qui détendirent le tableau du dix-huitième Siècle du mépris dans lequel la cabale philosophique prétendoit i’ensévelir. Leur indulgence encouragea nos faibles talens, & nous avons recueilli leurs voix, pour corriger cet Ouvrage que nous soumettons une seconde fois à leurs lumières. Malheur à nous, si jamais nous désirions les applaudissemens des Sophistes modernes. Attaqués dans nos vers, ils doivent armer contre notre vie la persécution &.le mensonge : Fintdîérance & le fanatisme se-sont réfugiés dans leur secte. Mais nous opposerons à leurs 1 calomnies une constance éprouvée. Le génie peut nous manquer & non le courage. Pensent-ils d’ailleurs que la honte ou Fhonneur des Gens de Lettres soient dans leurs mains ? Leurs impostures ont-elles diffamé le Critique célèbre à qui cette Satire est adressée? Tant qu’il a vécu, les âmes intègres que la contagion des mauvais principes n’a point infectées, ont payé ses travaux d’une considération flatteuse. Maintenant que la mort vient de l’enlever à la Littérature, leurs regrets ne craignent pas d’éclater ; & nous qu’il plaçoit au rang de ses amis, inconsolables de fa perte, en voyant une foule de Gens de bien mêler hardiment leurs pleurs aux nôtres, nous disons aux soi-disans Philosophes : Calomniateurs ennemis de la satire, apprenez par cet exemple que vos cris & vos libelles ne déshonorent que vous-mêmes.

FIN.

LE

DIX-HUITIEME SIECLE.

SATIRE A M. FRÉRON.

NE prétends plus, Fréron, par tes savants efforts $
Détrôner le faux-Goût, qui règne fur nos bords >
Depuis que nous pleurons Flnnocence exilée :
Sous tes mâles écrits, vainement accablée,
On voit renaître entíôr Ffíydre des sots rimeurs 5
Et la chute des Arts fuit la perte dès Moeurs.
Un Monstre dans nos murs croît & se fortifie t
Qui paré du manteau de la Philosophie,
Que dis-je ? de son nom faussement revêtu y
Etouffe les taleiïs & détruit la vertu :
Dangereux novateur, par son cruel systèmeS
Il yeiit du ciel désert chasser l’Etre suprême ;

Et du corps expiré lame éprouvant le fort,
L’homme arrive au néant par une double mort.
Ce monstre toutefois n’a point un air farouche ;
Toujours l’humanité respire sur sa bouche ;
D’abord, de l'univers Réformateur discret,
Il semoit ses écrits, à l'ombre du secret,
Errant, proscrit par-tout, mais souple en sa disgrâce j
Bientôt, le sceptre en main, gouvernant le Parnasse,
Ce tyran des beaux-Arts, nouveau Dieu des mortels,
De leurs Dieux diffamés usurpa les Autels ;
Et lorsqu’abandonnée à cette Idolâtrie,
La France qu’il ccrrompt touche à la barbarie j
Fidèle à nous vanter, son Parti suborneur
Nous a fermé les yeux fur notre déshonneur.
" Ouoi ! votre muse en Monstre ériçe la Sagesse !
» Vous blâmez ses enfans, & leur crédit vous blesse ;
» Vous, jeune homme ! Au bon sens avez-vous dit adieu ?
» Je soupçonne, entre nous, que vous croyez en Dieu;
» Gardez-vous de Fécrire, & respectez vos maîtres ;
» Croire en Dieu fut un tort permis à nos ancêtres ;
» Mais dans notre âge ! allons ; il faut vous corriger;
» Eclairez-vous -v jeune homme, au lieu de nous juger j
» Pensez; à votre Dieu laissez venger sa cause;
» Si vous saviez penser, vous feriez quelque chose :
» Sur-tout point de satire ; oh ! c’est un genre affreux!
» Eh ! qui pût vous apprendre, Ecolier ténébreux,

» Que des Mœurs, parmi nous, la perte étoit certaine ;
» Que les beaux-Arts couroient vers leur chûte prochaine ?
» Par-tout, même en Russie, on vante nos Auteurs :
» Comme l’humanité règne dans tous les cœurs !
» Vous ne lisez donc pas le Mercure de France ?
» Il cite au moins, par mois, un trait de bienfaisance ».
Ainsi le grand Patos, ce Poète penseur,
De la Philosophie obligeant défenseur,
Conseille par pitié mon aveugle ignorance,
De nos Arts, de nos Mœurs garantit l’excellence ;
Et de son Plein Savoir, si je réplique un mot,
Pour prouver que j’ai tort, il me déclare un sot.
Mais de ces Sages vains confondons l’imposture ;
De leur Règne fameux retraçons la peinture ;
Et que mes vers, enfans d’une noble candeur,
Eclairent les Français fur leur fausse grandeur.
Eh ! quel temps fut jamais en vices plus fertile ;
Quel siècle d’ignorance, en beaux faits plus stérile,
Que cet âge nommé Siècle de la Raison ?
Tout un monde sophiste, en style de sermon,
De longs écrits moraux nous ennuye avec zèle ;
Et l’on prêche les mœurs, jusques dans la Pucelle ;
Je le fais : mais, Ami, nos modestes ayeux
Parloient moins des vertus & les cultivoient mieux :
Quels Demi-dieux enfin nos jours ont-ils vu naître ?
Ces Français si vantés, peux-tu les reconnaître ?

Jadis Peuple-héros., Peuple-femme en nos jours,
La vertu qu’ils avoient n’est plus qu’en leurs discours.
Suis les pas de nos Grands : énervés de molesse,
II se traînent à peine, en leur vieille jeunesse,
Courbés avant le temps, consumés de langueur,
Enfans efféminés de pères fans vigueur;
Et cependant-, nourris des leçons de nos Sages -,
Vous les voyez encore, amoureux &c volages,
Chercher, la.bourse en main, de Beautés en Beautés,
La mort qui les attend au sein des voluptés ;
De leurs biens, prodigués pour d’infâmes caprices,
Enrichir-nos Phrinés dont ils gagent les vices,
Tandis que l’honnête homme, à leur porte oublié,
N’en peut même obtenir une avare pitié :
Demi-dieux avortes, qui, par droit de naissance,
Dans les Camps, à la Cour, règnent en espérance,
Quels’succès leurs talens semblent nous présager!
Ceux-là font de leurs mains courir ce char léger
Que roule un seul coursier sur une double roue j
Ceux-ci sur un théâtre, où leur mémoire échoue,
En Bouffóns-apprentifs défigurent ces vers
Où Molière prophète exprima leurs travers :
Par d’autres,’ avec art, une paume lancée,
Va, revient, tour-à-tour poussée & repoussée.
Sans doute c’est ainsi que Turenne & Viilars
S’instruifoient dans la paix aux triomphes de Mars.

La plupart, indigens au milieu des richesses,’
Achetent Fabondance, à force de bassesses :,
Souvent,á pleines mains, d’Orval sème Fargent ;
Par fois, faute de fonds, Monseigneur est Marchand :
Que dirai-je d’Arcas ? Quand fa tête blanchie,
En tremblant, fur son sein se panche appesantie ;
Quand son corps, vainement de parfums inondé,
Trahit les maux secrets dont il est obsédé ;
Scandalisant Paris de ses folks tendresses,
Arcas, Sultan goutteux, veut avoir vingt maitresses j
Mais, en Fripon titré, po.ur payer leurs appas,
Arcas vend au Public le crédit qu’il n’a pas :
Digne fils d’un tel père, Alford chargé de dettes,
Met ses jeunes amours aux gages des coquettes :
Plus philosophe encor, d’Orimond ruiné
Epouse un équipage, en épousant Phriné...
Qui blâmeroit ces noeuds.? L’himen n’est qu’une mode,
Un lien de fortune, un veuvage commode
Où chaque époux brûlé de coupables désirs,
Vit, fous le même nom, libre dans ses plaisirs.
Vois-tu parmi ces Grands leurs compagnes hardie*
Imiter leurs ex.ccs, par eux-même applaudies ;
Dans un corps délicat porter un coeur d’airain ;.
Opposer au mépris un front toujours serein ;
Et du vice endurci témoignant Fimpudence,
Sous leur casque de plume étouffer la décence.

Assise dans ce Cirque où viennent tous les rangs
Souvent bâiller en Loge, à des prix différens,
Cloris n’est que parée, & Cloris se croit belle ;
En vêtemens légers l'or s’est changé pour elle ;
Son front luit, étoilé de mille diamans ;
Et mille autres encore, effrontés ornemens,
Serpentent sur son sein, pendent à ses oreilles ;
Les arts, pour l'embellir, ont uni leurs merveilles :
Vingt Familles enfin couleraient d’heureux jours,
Riches des seuls trésors perdus pour ses atours.
Malgré ce luxe affreux & sa fierté sévère,
Cloris, on le prétend, se montre populaire ;
Oui : déposant l’orgueil de ses douze quartiers,
Madame, en ses amours, déroge volontiers :
Indulgente beauté, Zelis la justifie,
Zelis qui, par bon ton, à la Philosophie
Joint tous les goûts divers, tous les amusemens,
Rit avec nos penseurs, pense avec ses Amans,
Enfant Sophiste, au fond coquette Pédagogue ;
Qui gouverne la mode ; à son gré met en vogue
Nos petits vers lâchés par gros in-octavo,
Ou ces Drames pleureurs qu’on joue incognito ;
Protège l'univers, & rompue aux affaires,
Fournit vingt Financiers d’importans Secrétaires,
Lit tout ; & même fait, par nos Auteurs Moraux,
Qu’il n’est certainement un Dieu, que pour les sots.

Parlerai-je d’Iris ? chacun la prône & l’aime ;
C’est un coeur, mais un coeur c’est l’humaiiité même :
Si d’un pied étourdi quelque jeune Eventé
Frappe, en courant, son chien qui jappe épouvanté ;
La voilà qui se meurt de tendresse & d’alarmes ;
Un papillon souffrant lui fait verser des larmes ;
II est vrai : mais auíïì qu’à la mort condamné,
Lalli soit, en spectacle, àl’cchaffaut traîné;
Elle ira, la première, à cette horrible fête
Acheter le plaisir de voir tomber sa tête.
Dira-t’on qu’en des vers, à mordre disposés,
Ma muse prête aux grands des vices supposés ?
J’aurois pu te montrer nos Duchesses fameuses,
Tantôt d’un Histrion amantes scandaleuses,
Fières de ses soupirs obtenus à grand prix,
Elles-même aux railleurs dénonçant leurs maris ; .
Tantôt, pour égayer leurs courses solitaires,
Imitant noblement ces Grâces mercenaires
Qui, par couples nombreux, fur le déclin du jour,
Vont aux lieux fréquentés colporter leur amour ;
Contens d’un héritier, comme eux frêle & fans force,
Les époux, très-amis, vivant dans le divorce ;
Vainqueurs des préjugés, les pères bienfaisans
Du serrail de leurs Fils Eunuques compiaisans ;
De nouvelles Saphos, dans le crime affermies,
Epousant nos Beautés fous le titre d’amies,

Et de galans Marquis, Philosophes parfaits,
En petite Gomorre érigeant leur Palais.
Mais la corruption, à son comble portée,
Dans le cercle des Grands ne s’est point arrêtée "y
Elle infecte FEmpire, & les mêmes travers
Règnent également dans tous les rangs divers.
Il faut voir ce Marchand, Philosophe en boutique,
Qui déclarant trois fois fa ruine authentique,
Trois fois s’est enrichi d’un heureux déshonneur,
Trancher du Financier, jouer le grand Seigneur :
Monsieur, pour ses amis, entretient une Actrice;
Madame, des beaux-Arts bourgeoise Protectrice,
En Couvent d’esprits-forts transforme fa maison
Erfait de son comptoir un Bureau de raison,
Par-tout s’offre Forgueil & le luxe & Faudâce 5
Orgon, à prix d’argent, veut annoblir sa race 5
Devenu Magistrat de mince roturier,
Pour être un jour Baron, il se fait Usurier :
Jadis, son Clerc, Mpndor envioit son partage ;
Tout-à-coup, des Bureaux secouant Fesclavage,
H loge sa molesse en un riche Palais
Et derrière un char d’or promenant trois valets.
Sous six chevaux pareils ébranle au-loin la rue ;
Maïs fa fortune, Ami, comment Fart-il accrue }
Il a vendu fa femme, & ce couple abhorré,
Enveloppé d’opprobre, est ppurtant honoré,

Hé ! quel frein contîendroit un vulgaire indocile
Qui sait, grâce aux Docteurs du moderne Evangile »
Qu’envain le pauvre espère en un Dieu qui n’est pas j
Que l’homme-tout entier est promis au trépas?
Chacun veut de la vie embellir le passage ;
L’homme le plus heureux est auffi le plus sage ;
Et depuis le vieillard qui touche à son tombeau,
Jusqu’au jeune homme, à peine échappé du berceau,
A la Ville, à la Cour, au sein de FOpulence,
Sous les affreux lambeaux de l’obscure Indigence,
La Débauche au teint pâle, aux regards effrontés,
Enflammé tous les coeurs, vers le crime emportés :
C’est envain que, fidèle à fa vertu première,
Louis instruit aux moeurs la Monarchie entière j
La Monarchie entière est en proie aux Lais ;
Leurs vices font les Dieux qu’encense mon Pays j
Et la Religion, mère désespérée,
Par ses propres Enfans fans cesse déchirée,
Dans ses Temples déserts pleurant leurs attentats,
Le pardon fur la bouche, envain leur tend les bras j
Son cuite est avili, ses Ioix font profanées :
Dans un cercle brillant de Nymphes fortunées
Entens ce jeune Abbé : Sophiste-bel-esprit,
Monsieur fait le procès au Dieu qui le nourrit;
Monsieur trpuve plaisans les feux du Purgatoire j
Et pour mieux amuser son. galant auditoire,

Mêle aux tendres propos ses blasphèmes charmans ;
Lui prêche de Famour les doux égaremens ;
Traite la piété d’aveugle fanatisme
Et donne, en se jouant, des leçons d’Athéisme.
Voilà donc, cher Ami, cet âge si vanté,
Ce Siècle heureux des Moeurs & de FHumanité :
A peine des vertus Fapparence nous reste ;
Mais détournant les yeux d’un tableau si funeste,
Eclairés par le goût, envisageons les Arts :
"Quel désordre nouveau se montre à nos regards !
De nos Pères fameux les Ombres insultées ;
Comme un joug importun, les règles r.ejettées ;
. Les genres opposés bisarrement unis ;
La nature, le vrai de nos Livres bannis ;
Un désir forcené d’inventer & d’instruire ;
D’ignorans Ecrivains, jamais las de produire ;
Des brigues ; des Partis l’un à l’autre odieux ;
Le Parnasse idolâtre adorant de faux Dieux ;
Tout me dit que des Arts la splendeur est ternie.
Fille de la Peinture 8c soeur de FHarmonie,
Jadis la Poésie, en ses pompeux accords,
Osant même au néant prêter une ame, un corps,
Egayois la raison de riantes images ;
Cachoit de la vertu les préceptes sauvages
Sous le voile enchanteur d’aimables fictions j
Audacieuse & sage en ses expressions,

Pour cadencer un vers, qui dans Famé s’imprime,
Sans appauvrir Fidéè, enriehissoit la rime ;
S’ouvroit par notre oreille un chemin vers nos coeurs s
Et nous divertissoit, pour nous rendre meilleurs.
Maudit soit à jamais le pointilleux Sophiste
Qui le premier nous dit en prose d’Algébriste :
Vains Rimeurs, écoutez mes ordres absolus ;
Pour plaire à ma raison, pensez ; ne peignez plus.
Dès-lors ia Poésie a vu fa décadence ;
Infidelle à la rime, au sens, à la cadence,
Le compas à la main, elle va dissertant ;
Apollon fans pinceaux n’est plus qu’un lourd pédant.
C’étoit peu que, changée en bisarre Furie,
Melpomène étalât sur la Scène flétrie,
Des Romans forttouchans ; car à peine i’Auteur 3
Pour emporter les morts, laisse vivre un Acteur ;
Que soigneux d’évoquer des Revenans affables,
Prodigue de cotabats-, de marches admirables.
Tout Poète moderne, avec pompe assommant 3
Fît d’une Tragédie un Opéra charmant ;
La Muse de Sophocle, en robe doctorale,
Sur des tréteaux sanglans professe la morale :
Là, souvent un Sauvage, orateur apprêté,
Auíìi bien qu’Arouet, parle d’humanité :
Là, des Turcs amoureux soupirant des maximes s
Débitent galamment Séneque mis en rimes :

Alzire au désespoir, mais pleine de raison,
En invoquant la mort, commente le Phédon r
Pour expirer en forme, un Roi, par bienséance,
Doit exhaler son ame avec une sentence ;
Et chaque Personnage, au théâtre produit,
Héros toujours soufflé par FAuteur qui le suit,
Fût-il Scythe ou Chinois, dans un Traité fans titre.
Par Signe interrogé, vous répond par Chapitre.
Thalie a de fa soeur partagé les revers :
Peindre les moeurs du temps est l’objet de ses vers ;
Mais lasse d’un emploi que le Goût lui confie,
Apôtre larmoyant de la Philosophie,
Elle suit la Gaité qui doit suivre ses pas
Et d’un masque tragique enlaidit ses appas.
Tantôt c’est un rimeur, dont la muse étourdie,
Dans un Conte annobli du nom de Comédie,
Passe, en dépit du goût, du touchant au bouffon,
Et marie une farce avec un long sermon :
Tantôt c’est un grimaud, dont le démon tetrible,
Pleure éternellement dans un Drame risible :
Quedis-je? Oser blâmer un Drame, un Drame enfin !
La Comédie est belle & le Drame est divin :
Pour moi jJy goûte fort, car j’aime la nature,
Ces héros villageois, beaux-esprits fous la bure,
Et j’approuve Fauteur de ces Drames diserts
Qui nç s’abaisse point jusqu’à parler en vers ;

Un vers coûte à polir & le travail nous pèse J
Mais en prose du moins on est sot à son aise.
Par-tout le même ton : chaque Muse en ses chants.
Aux dépens du vrai goût fait la guerre aux méchans:
Le plus lourd Chansonnier de l’Opéra-Comique
Prête à son Apollon un air philosophique,
Et des vers font charmans, si peu qu’ils soient moraux.
Mais de la Poésie usurpant les pinceaux,
Et du nom des vertus sanctifiant sa prose,
Par la pompe des mots FEloquence en impose :
Que d’Orateurs guindés qui se disent profonds ’
Se tourmentent fans fin, pour enfanter des sons !
Dans un livre où Thomas rêve, comme en extase,
Je cherche un peu de sens & vois beaucoup d’emphase.
Un plaisant, des dévots Zoïie envenimé,
Qui nous vend, par essais, le mensonge imprimé,
Des oppresseurs fameux développant les trames,
Met, pour mieux Fannoblir, FHistoire en Epigrammes:.
Chaque genre varie ail gré des Ecrivains
Et ne connoît de loix, que leurs caprices vains.
Sans doute le respect des antiques Modèles
Eût, au Vrai ramené les Muses infidelles :
Eux seuls, de la nature imitateurs constans,
Toujours lus avec fruit, font beaux dans tous les temps;
Heureux qui, jeune encore, a senti leur mérite!
Même, en les surpassant, il faut qu’on les imite :

Mais les Sages du jour ou de fiers novateurs,
De leur goût corrompu partisans corrupteurs,
Ne pouvant les atteindre, ont dégradé leurs Maîtres ;
Et protecteurs des sots flétris par nos ancêtres,
O de la sympathie inévitable effet !
Ils vengent les Cotins des affronts du sifflet.
Voltaire en soit loué ! chacun sait au Parnasse
Que Malherbe est un sot & Quinaut un Horace.
Dans un long Commentaire il prouve longuement
Que Corneille par fois pourroit plaire un moment.
J’ai vu Fenfant gâté de nos penseurs sublimes,
La Harpe, dans Rousseau ttouver de belles rimes;.
Si l’on en croit Mercier, Racine a de Fesprit;
Mais Perraut, plus profond, Diderot nous Fapprit t
Perraut, tout plat qu’il est, pétille de génie :
Il eut pû travailler à FEncyclopédie.
Boileau, correct Auteur de Libelles amers,
Boileau, dit Marmontel, tourne assez bien un vers;
Et tous ces Demi-dieux que FEurope en délire
A depuis cent hivers Findulgence de lire,
Vont dans un juste oubli retomber désormais,
Comme de vains Auteurs qui ne pensent jamais.
Quelques vengeurs pourtant, armés d’un noble zèle,
Ont de ces Morts fameux épousé la querelle :
De-là, sur FHélicon, deux Partis opposés
Règnent, & l’un par l’autre à F envi déprisés 3

Tour-à tour s’adressant des volumes d’injures,
Pour le trône des Arts, combattent par brochures :
Mais plus forts par le nombre 8c gantés en tous lieux ’,.
Les Corrupteurs du goût en paraissent les Dieux :
Si Clément les proscrit; La Harpe les protège.
Eux seuls peuvent prétendre au rare privilège
D’aller au Louvre, en corps, commenter FAlphabet ;.
Grammairiens-Jurés, immortels par brevet :
Honneurs, richesse, emplois, ils ont tout en partage,’
Hors la faine raison que leur bonheur outrage ;
Et le Public esclave obéit à leurs loix :
Mille Cercles savans s’assemblent à leur voix;
C’est dans ces tribunaux galans & domestiques
Que parmi vingt Beautés, Bourgeoises empyriques 3
Distribuant la gloire & pesant les écrits,
Ces fiers Inquisiteurs jugent les Beaux-Esprits.
O malheureux P Auteur dont la plume élégante
Se montre encor du goût sage & fidelle amante ;
Qui rempli d’une noble 8c constante fierté,
Dédaigne un nom fameux, par Pintrigue acheté,
Et n’ayant, pour prôneurs, que ses muets ouvrages 3,
Veut, par ses talens seuls, enlever les suffrages !
La faim mit au tombeau Malfilâtre ignoré ;
S’il n’eût été qu’un sot, il auroit prospéré ;
Trop fortuné celui qui peut avec adresse
Flatter tous les partis que gagne fa souplesses

De peur d’être blâmé, ne blâme jamais rien;
Dit Voltaire un Virgile, 8c même un peu chrétien *
Et toujours en Fhonneur des tyrans du Parnasse,
De Madrigaux en prose allonge une Préface :
Mais trois fois plus heureux le jeune-homme prudeiiç
Qui de ces Novateurs enthousiaste ardent,
Abjure la raison, pour eux la sacrifie;
Soldat sous les drapeaux de la Philosophie.
D’abord, comme un prodige, on le prône par-tout :
II nous vante ! en effet c’est un homme de goût :
Son chef-d’oeuvre est toujours Pécrit qui doitéclorre;
On récite déjà les vers qu’il fait encore :
Qu’il est beau de le voir, de dinés en dinés,
Officieux Lecteur de ces vers nouveaux nés,
Promener chez les Grands fa Muse bien nourrie !
Paroit-il ; on Fembrasse : il parle ; on se récrie :
Fût-il un Durosoy, tout Paris Fapplaudit;
C’est un Auteur divin ; car nos Dames Font dit :
La Marquise, le Duc, pour lui tout est Libraire ;
De riches pensions on Faccable ; 8c Voltaire
Du titre de Génie a foin de Fhonorer
Par Lettres, qu’au Mercure il fait enregistrer.
Ainsi, de nos tyrans la Ligue protectrice
D’une gloire précoce enfle un rimeur novice :
L’Auteur le plus fécond, fans leur appui vanté f
Travaille dans l’oubli pour la postérité ;
Mais

Mais par eux, fans rien faire, un fat nous en impose j
Turpin n’est que Turpin, Suard est quelque chose.
O combien d’Ecrivains languiraient inconnus,
Qui, du Pinde Français illustres Parvenus,
En servant ce parti, conquirent nos hommages !
L’encens de tout un peuple enfume leurs Images :
Eux-même avec candeur se disant immortels,
De leurs mains tour-à-tour se dressent des autels :
Sous peine d’être un sot, nul plaisant téméraire .
Ne rit de nos amis & fur-tout de Voltaire.
On auroit beau montrer ses vers tournés fans art,
D’une moitié de rime habillés au hasard,
Seuls, & jettes par ligne exactement pareille, «
De leur chute uniforme importunant Poreille,
Ou, bouffis de grands mots qui se choquent entr’eiix S
L’un sur l’autre appuyés, se traînant deux à deux ;
Et sa prose frivole, en pointes aiguisée^.
Pour braver Fharmonie, incessamment brisée:
Sa prose, sans mentir, & ses vers font parfaits ;
Le Mercure trente ans Fa jure par extraits :
Qui pourrait en douter? Moi! cependant j’avoue
Que d’un rare savoir à bon droit on le loue ;
Que ses chefs-d’oeuvres faux, trompeuses nouveautés r
Etonnent quelquefois par d’antiques beautés ;
Que par ses défauts même il fait encor séduire :
Talent qui peut absoudre un siècle qui Padmire.

Mais qu’on m’ose prôner des Sophistes pesans,
Apostats effrontés du goût 8c du bon sens :
Saint-Lanlbert, noble Auteur dont la Muse pédante
Fait des vers fort vantés par Voltaire qu’il vante;
Qui du nom de Poé’me ornant de plats Sermons,
En quatre Points mortels a rimé les Saisons ;
Et ce vain Beaumarchais, qui trois fois avec gloire,
Mit le Mémoire en Drame & le Drame en Mémoire ;
Er ce lourd Diderot,, Docteur en style dur,
Qui passe pour sublime, à force d’être obscur ;
Et ce froid d’Alembert, Chancelier du Parnasse,
Qui se croit un grand Homme & fit une Préface ;
Et tant d’autres encor dont le Public épris,
Connoît beaucoup les noms & fort peu les écrits ;
Alors, certes alors ma colère s’allume,
NEt la vérité court sé placer sous ma plume.
Ah ! du moins par pitié s’ils cessoient d’imprimer,
Dans le secret, contens de pro’ser, de rimer ;
Mais de Fhumanité maudits-Missionnaires,
Pour leurs tristes Lecteurs ces Prêcheurs n’en ont guères :
LaHarpe est-il bien mort? Tremblons; de son tombeau
On dit qu’il sort armé d’un Gustave nouveau;
Thomas est en travail d’un gros Poê’me épique;
Marmontel enjolive un Roman poétique ;
Et même Durosoy, fameux par des Chansons,
Met l’Histoìre de France en Opéras-Bouffons :

Tout compose ; & déjà de tant d’Auteurs manoeuvres
Aucun n’est riche assez, pour acheter ses oeuvres.
Pour moi qui démasquant nos Sages dangereux,
Peignis de leurs erreurs les effets désastreux ;
L’Athéisme en crédit ; la Licence honorée
Et le Lévite enfin brisant l'Arche sacrée ;
Qui retraçai des Arts les malheurs éclatans,
Les ligues, le pouvoir des Novateurs du temps
Et leur fureur d’écrire & leur honteuse gloire
Et de mon siècle entier la déplorable histoire
J’ai vu les maux, promis à ma sincérité
Et devant craindre tout, j’ai dit la vérité.
Oh ! si ces vers, vengeurs de la cause publique,
Qu’approuva de Beaumont la piété stoïque,
Portés par son suffrage, auprès du trône admis,
Obtiennent de mon Roi quelques regards amis ;
S’il prête à ma faiblesse un bras qui la soutienne ;
On verra de nouveau ma Muse citoyenne
Flétrir ces Novateurs que poursuivront mes cris ;
Ils ne dormiront plus... qu’en lisant leurs écrits.