Le Docteur Joseph Painchaud
Le portrait du
docteur Painchaud
À l’occasion du centenaire du docteur Painchaud l’Œuvre des Tracts vient de publier son portrait sur papier chamois.
L’image (2¾ par 4¾) porte au verso un résumé de sa vie par M. C.-J. Magnan. C’est un souvenir que chaque membre de la Saint-Vincent de Paul devrait se procurer.
Les prix sont les suivants : 2 pour 5 sous, 12 pour 25 sous, 100 pour $1.50, 1000 pour $13.00.
À l’Œuvre des Tracts, casier postal No 1482, Montréal, et à la Villa St-Martin, Abord-à-Plouffe, (Laval).
Le Docteur Joseph Painchaud[1]
Nous sommes réunis ce soir pour rendre hommage à la mémoire du fondateur de la première Conférence de Saint-Vincent de Paul à Québec, la Conférence de Notre-Dame, Haute-Ville, la plus ancienne Conférence du Canada. Elle fut fondée le 12 novembre 1846, à sept heures du soir dans la chapelle Saint-Louis de la cathédrale Notre-Dame de Québec. Cette première réunion de la Société de Saint-Vincent de Paul à Québec ne fut pas nombreuse. Le procès-verbal que l’on en a conservé rapporte tout simplement que M. le curé de Québec, M. C.-F. Baillargeon, devenu plus tard l’archevêque de Québec, et treize personnes des diverses parties de la ville y assistaient. Une semaine plus tard, le 19 novembre, plusieurs citoyens se firent inscrire comme membres actifs : M. Jean Chabot, avocat et député au Parlement ; M. Chs-Maxime Defoy, notaire ; M. Robert Jellard, M. Ferdinand Bélanger, MM. F.-X. Drolet, Jean Jobin, marchand ; Olivier Pélisson, confiseur ; John Byrne, F.-X. Allard, instituteur ; Joseph Lavoie, Antoine Plamondon, peintre, Abraham Durand, marchand, P.-N. Rinfret, manchonnier, Augustin Gauthier, junior, devenu plus tard le premier président du Conseil supérieur du Canada, et M. Dennis H. Murray, clerc du marché.
C’est le 19 novembre que furent choisis les officiers de la première Conférence : président, M. Jean Chabot ; vice-président, M. Chs-Maxime Defoy ; trésorier, M. Robert Jellard ; secrétaire. M. Ferdinand Bélanger.
Le 26, plusieurs autres notables de l’époque firent ajouter leurs noms à la liste des membres de la Conférence Notre-Dame. Voici leurs noms : le juge Phil. Panet, le Dr Jos. Painchaud, père : le Dr Jos. Painchaud, fils ; M. Thomas Pope, avocat, qui fut maire de Québec ; M. P.-J.-O. Chauveau, qui devait devenir Surintendant de l’Éducation, Premier Ministre de sa province, président du Sénat ; Octave Crémazie, notre illustre poète national.
La Conférence Notre-Dame adopta dès le début de son existence, comme œuvre première et fondamentale, la visite des pauvres à domicile. Elle se préoccupa aussi de l’éducation des enfants pauvres, car dès le 18 décembre 1846, M. Légaré, fils de Joseph Légaré, fut nommé patron des écoliers protégés par la Conférence.
Le procès-verbal du 15 janvier 1847 dit : « M. Painchaud suggère l’organisation d’un Conseil, vu que plusieurs Conférences sont maintenant régulièrement établies. » À la séance du 22, cette proposition fut adoptée et le 7 du mois suivant le Conseil particulier de Québec se réunissait pour la première fois.
Les progrès de la Société de Saint-Vincent de Paul à Québec avaient été tels que trois mois à peine après son établissement, il y avait sept Conférences en activité dans cette ville et unies entre elles par un Conseil particulier.
LE DOCTEUR PAINCHAUD
Quelle influence active et bienfaisante avait donc opéré ce travail considérable, et cela sans bruit, avec tact, délicatesse et humilité ?
Cette noble et opportune tâche de l’établissement de l’admirable Société de Saint-Vincent de Paul dans la capitale du Canada français, ce fut un tout jeune homme de vingt-sept ans qui la réalisa, un jeune médecin, ancien élève du Petit Séminaire, appartenant à l’une des familles les plus distinguées de Québec à cette époque, j’ai nommé le docteur Joseph Painchaud, fils.
Parmi les portraits des anciens confrères qui ornent cette salle, il est une figure que nous aimons à regarder souvent, c’est celle du fondateur de notre chère Société au Canada, le Dr Joseph Painchaud. Regardons et contemplons cette belle figure de jeune homme, aux traits aristocratiques, au regard vif et intelligent, au front large et noble, à la bouche discrètement fermée, mais dont les lèvres semblent prêtes à sourire. Ce portrait, c’est celui du fondateur de la première Conférence de Saint-Vincent de Paul à Québec, tel qu’il était au sortir du Grand Séminaire où il ne put persévérer faute de santé et en raison aussi d’une infirmité à une jambe : M. Painchaud avait alors environ 23 ans.
Ce jeune et pieux laïque, dont la vie fut toute d’abnégation et de charité, a plus d’un trait de ressemblance avec Ozanam, au point de vue de la piété, de la vertu, du zèle de la religion et de la soif de l’apostolat. Nous allons retracer brièvement sa vie à l’aide de l’étude, qu’en fit en 1883, le regretté chapelain de notre Société, feu Mgr H. Têtu.
Joseph-Louis Painchaud naquit à Québec le 12 juin 1819, de Joseph Painchaud, célèbre médecin de l’époque, et de Mlle Geneviève Parant, sœur de M. A. Parant, supérieur du Séminaire de Québec pendant plusieurs années. Joseph-Louis fut baptisé le lendemain de sa naissance par Mgr J.-O. Plessis. Joseph-Louis était le troisième d’une famille de sept enfants.
La maison où est né le fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul au Canada existe encore, telle qu’elle était il y a cent ans. Coïncidence heureuse, cette maison historique est une des trois qu’habite aujourd’hui l’Œuvre du Foyer ou Protection de la jeune fille ; elle est située au coin de la rue ou côte du Palais et de l’Arsenal (ancienne rue des Baraques) : cette maison porte les numéros 2 du Palais et 1 de l’Arsenal. C’est l’ancienne maison du Dr Painchaud père, comme l’indique l’Annuaire des adresses de Québec, de 1822.
C’est dans cet antique foyer québecquois que naquit Joseph Painchaud le 12 juin 1819. « Dès qu’il fut parvenu à l’âge de raison, dit son premier biographe, Mgr Têtu, il commença à montrer les plus heureuses dispositions. Pieux, obéissant, il fit sa première communion avec la plus grande ferveur. D’une santé déjà délicate, il l’affaiblit encore par un accident qui lui arriva en entrant un jour dans la maison d’école : il tomba les reins sur l’escalier et depuis lors il eut toujours une grande difficulté à marcher. »
En dépit d’une faible santé, le jeune Painchaud fit un cours d’études complet au Petit Séminaire de Québec, où il se fit remarquer par une piété exemplaire : il termina ses études en 1840. « Sa piété ne faisait que s’accroître, dit Mgr Têtu, il voulut se donner à Dieu tout entier et sollicita la faveur d’entrer dans l’état ecclésiastique. On aurait bien voulu pouvoir lui ouvrir les portes du sanctuaire, mais la chose paraissait assez difficile, à cause de ses infirmités. On lui permit cependant de commencer l’étude de la théologie, mais sa constitution ne devenant pas meilleure, il fut forcé de renoncer pour toujours au service des autels et il étudia la médecine avec son père. »[3]
Dans la pratique de la profession médicale, le jeune Painchaud eut l’occasion de s’exercer chaque jour à la pratique de la charité.
Le docteur Joseph Painchaud, père, praticien distingué et visiteur de l’hôpital de la Marine, donnait dans cette institution des cours de médecine pratique. Le docteur James Douglass donnait aussi des leçons à l’hôpital de la Marine.
C’est sous ces deux médecins que le jeune Painchaud fit sa cléricature : l’Université Laval n’existant pas encore, elle ne fut fondée qu’en 1852.
« À cette époque, 1846-1849, M. Painchaud passa 18 mois à l’hôpital de la Marine, en qualité de médecin interne, et il voyait dans chacun de ses malades un pauvre de la Saint-Vincent de Paul. Il faisait pour eux toutes les économies possibles et leur prodiguait les soins les plus charitables et les plus intelligents. L’hôpital de la Marine devint même le siège d’une Conférence, celle de Saint-Louis de Gonzague, qui eut pour premier président M. Antoine Légaré. Mais ce monsieur donna bientôt sa démission et ce fut M. Painchaud lui-même qui en prit la direction. Ajoutons que grâce à l’activité prodigieuse du jeune président, cette Conférence établit bientôt l’œuvre du Patronage des enfants, celle du pot-au-feu et celle d’une salle d’asile.[4] »
En 1845, le jeune Painchaud alla continuer ses études médicales à Paris. C’était sous le règne de Louis-Philippe, qui succéda à Charles X au lendemain de la révolution de 1830. Élevé au trône par l’émeute en 1830, Louis-Philippe qui posait au roi démocrate, fut renversé du pouvoir par une autre tourmente, la révolution de 1848.
À la date où le jeune Painchaud arrivait à Paris, 1845, l’atmosphère politique et sociale de la France était bien troublée : la révolution relevait la tête et le parti socialiste, en dépit de Guizot, Broglie, Thiers et Casimir Périer, devenait menaçant. C’était à l’époque où des théoriciens néfastes comme Saint-Simon et Fourrier et des politiciens révolutionnaires comme Lafitte, Dupont de l’Eure, Louis Blanc, préparaient 1848. Dans le domaine de la littérature, le pamphlet, le roman et le drame étaient sans scrupule mis au service de l’erreur et de l’immoralité.
Au point de vue social et politique, comme au point de vue littéraire, la France de 1845, et particulièrement Paris, offrait un triste et dangereux spectacle à la jeunesse : la libre-pensée que Veuillot fustigea en 1818, étalait librement ses platitudes malfaisantes. Ce fut dans un tel milieu que tombait le jeune Painchaud, âgé alors de vingt-six ans.
Mais, si la France de 1845 affichait avec tapage l’impiété, l’irréligion, l’immoralité et la révolution, elle offrait aussi au monde un autre spectacle plus consolant qui jetait des rayons d’espérance dans l’âme de ses meilleurs fils et de ses plus fidèles amis. Ozanam, fondateur des Conférences de Saint-Vincent de Paul, venait de succéder à Fauriel à la Sorbonne, et jouissait déjà dans le monde universitaire et littéraire d’une réputation considérable qu’il mettait tout entière au service de la religion attaquée par plusieurs de ses collègues. Lacordaire était remonté dans la chaire de Notre-Dame pour y développer avec une éloquence incomparable la doctrine catholique, et Montalembert et Berryer défendaient à la tribune, le premier les intérêts catholiques, les idées religieuses et le second, les principes traditionnels de la France et sa politique permanente. Louis Veuillot, depuis peu d’années à la direction de l’Univers, était déjà un journaliste hors ligne, et fustigeait l’erreur avec une verve et un talent extraordinaire : le brillant écrivain avait déjà publié Rome et Lorette et les Pèlerinages en Suisse. Et les admirables Conférences de Saint-Vincent de Paul, dont la fondation ne remontait qu’à 1833, étaient déjà prospères à Paris, en France et même à l’étranger. En 1845, il existait déjà 211 Conférences, soit en France, soit à l’étranger.
Deux voies bien différentes s’offrirent donc au jeune Painchaud lorsqu’il arriva pour la première fois en France, en 1845.
La première c’était celle de la liberté sans freins, du plaisir malhonnête, de la littérature mauvaise et du théâtre immoral ; la deuxième, celle de la liberté dans l’ordre, des plaisirs honnêtes et chrétiens, de la bonne et belle littérature catholique, et, au lieu des spectacles condamnés par l’Église, le théâtre vivant de la charité assigné aux confrères de la Saint-Vincent de Paul, théâtre voulu de Dieu et béni par l’Église.
Grâce à la bonne éducation qu’il avait reçue au foyer, en particulier de sa pieuse mère, grâce aussi à l’excellente formation qu’il avait reçue au Séminaire de Québec, et, disons-le tout de suite, grâce à une solide et profonde piété, qui fut la caractéristique de sa vie, Painchaud n’hésita pas : il entra courageusement dans le chemin du devoir, chemin qu’il ne quitta jamais et qui le conduisit jusqu’au sacrifice de sa vie par amour pour Dieu, et le salut des âmes.
Dans le Canadien du 12 janvier 1859, nous lisons dans un article consacré au Dr Painchaud, fils : « Il n’avait pas été longtemps dans la capitale de la France et du monde civilisé avant de se mettre en relation avec les principaux directeurs des œuvres de la bienfaisance catholique, et il fut frappé de suite de la grandeur de la Société de Saint-Vincent de Paul, alors à peu près ignorée du public canadien. » M. Painchaud devint bientôt membre de la Conférence Saint-Séverin dont il fréquenta assidûment les séances.
En 1845, la Société de Saint-Vincent de Paul avait pour président général M. Jules Gossin, ancien conseiller à la Cour de Paris et avocat à la même Cour : c’était le deuxième président général de la Société de Saint-Vincent de Paul. M. Gossin avait succédé à M. Bailly en 1844. Ce fut M. Le Prévost, l’un des fondateurs de la Société et qui devait bientôt établir la congrégation des Frères de Saint-Vincent de Paul, qui suggéra le nom de M. Gossin comme successeur du vénérable M. Bailly.[5] M. Gossin fut le législateur de la Société de Saint-Vincent de Paul : ce fut sous ses soins que le Conseil général fit imprimer la première édition du Manuel, en 1845.
Plusieurs des fondateurs de la première Conférence et de ses premiers membres vivaient encore. Ozanam, Léon Cornudet, M. Le Prévost, s’occupaient activement de la Société. Adolphe Beaudon, qui devait jouer un si grand rôle dans la Société comme successeur de M. Gossin, était déjà l’un des plus actifs ouvriers de l’œuvre.
M. Painchaud connut sans doute tous ces apôtres de la charité, de même qu’il dut assister aux assemblées générales de la Société comme aux conférences de Lacordaire à Notre-Dame. Nous n’avons retrouvé aucune lettre de M. Painchaud de 1845 racontant ces relations avec les confrères de Paris, mais la parfaite connaissance du Manuel et de l’esprit de la société de Saint-Vincent de Paul dont il fit preuve à son retour à Québec, en 1846, prouve qu’il avait fréquenté assidûment les réunions et les assemblées générales des Conférences.
FONDATION À QUÉBEC DE LA SOCIÉTÉ DE
SAINT-VINCENT DE PAUL
En 1846, M. Painchaud revint à Québec. À peine de retour dans sa ville natale ce jeune et vaillant chrétien se fait un devoir de faire connaître la Société de Saint-Vincent de Paul. Voici ce que Mgr Baillargeon, archevêque de Québec, de passage à Paris quelques années plus tard et présidant une assemblée générale des Conférences de cette ville à laquelle était présent le P. Lacordaire, disait des origines de la Société de Saint-Vincent de Paul à Québec : « C’est un bonheur pour l’homme de faire le bien, car c’est accomplir sa destinée, c’est faire l’œuvre de Dieu, se mettre à la suite de Jésus-Christ, et continuer l’œuvre de régénération que le Fils de Dieu a commencée. Heureuses les sociétés que Dieu a suscitées pour être les instruments de ses miséricordes. Cette grâce, Dieu l’a accordée abondamment à la Société de Saint-Vincent de Paul. Cette Société est née de la charité et elle est selon le cœur de Dieu, puisqu’elle a reçu la mission d’accomplir les œuvres de miséricorde. Ce qu’elle a fait pour la France, elle l’a fait aussi pour le Canada. Un jeune homme qui avait étudié à Paris, revint au Canada avec vos règlements. Il vint trouver l’un des curés de Québec, ce curé, c’est moi qui vous parle en ce moment. Il l’entretint de son projet de fonder la Société. Le curé le seconda : il dit un mot, convoqua une assemblée, et cela suffit dans ce pays si catholique, pour qu’il se formât bientôt plusieurs Conférences. »[6]
Nous avons rappelé il y a un instant les premières réunions de la Conférence Notre-Dame, de novembre 1846 à février 1847. M. Painchaud était tout zèle et fit preuve d’une telle piété et d’un si grand sens pratique que, au mois d’août 1847, on envoyait à Paris un rapport sur neuf Conférences déjà établies et en activité à Québec, et en 1849, l’année du départ définitif de Québec de M. Painchaud pour Paris et les missions de Vancouver, douze Conférences existaient à Québec ainsi qu’un Conseil particulier, institué le 11 octobre 1847.
Voici la liste des Conférences fondées à Québec par les soins de M. Painchaud de 1846 à 1849 : Notre-Dame, Saint-Jean, Notre-Dame d’Espérance, Saint-Louis de Gonzague, Saint-François-Xavier, Saint-Roch, Notre-Dame des Victoires, Saint-Vallier, Saint-Joseph, Saint-Vincent de Paul, Notre-Dame de la Garde, Sainte-Geneviève, Saint-Patrice.
Toutes ces Conférences furent fondées avec le plus grand soin et dans le véritable esprit du Manuel. Mais une œuvre aussi considérable avait exigé de M. Painchaud, quoique faible de santé et infirme, des efforts intelligents, soutenus par un zèle vraiment apostolique.
Écoutons, à ce sujet, Mgr Têtu : « Pour se faire une idée de son zèle, il faut lire les procès-verbaux de ces Conférences. On y voit que M. Painchaud assistait presque à chaque séance. Il les présidait, apportait le secours précieux de son expérience et le secours plus précieux encore de son zèle et de ses bons exemples. Toujours il avait de pauvres familles à proposer et de nouveaux membres à faire recevoir. Il voyait à tout, se chargeait volontiers de la plus fatigante besogne, rédigeait souvent lui-même les procès-verbaux, faisait les visites d’enquêtes, faisait partie des Conseils les plus importants, et s’occupait activement de procurer des ressources à la Société. Il s’était donné une tâche de géant, et il ne succombait pas à la peine. Les Conférences de Saint-Vincent de Paul, c’était sa vie, c’était pour elles qu’il se dépensait tout entier.
Au mois d’août 1847, on envoyait de Québec à Paris un rapport sur neuf Conférences pour demander l’agrégation et l’on terminait en disant : « L’établissement de toutes les Conférences en cette ville est dû au zèle du jeune Painchaud, dernièrement de retour de la France et qui était membre d’une des Conférences de Paris.[7] »
Le 10 août 1849, le président du Conseil particulier de Québec disait encore à M. Beaudon, président général, à Paris : « M. Painchaud, qui a fondé les Conférences, a travaillé avec un zèle admirable à leur bon fonctionnement. »[8]
Les douze Conférences et le Conseil particulier établis à Québec par les soins du Dr Painchaud, fils, ont-ils prospéré et porté des fruits ? Le petit arbre transplanté du vieux sol de France sur la terre canadienne s’est-il développé et a-t-il étendu l’ombre de ses rameaux sur notre jeune patrie ?
Voici le tableau de la Société de Saint-Vincent de Paul au Canada que je traçais ici même, dans cette grande salle du Patronage, le 15 avril 1917, à l’occasion de la visite d’un prêtre français éminent, M. le chanoine Thellier de Poncheville :
« Aujourd’hui, M. le chanoine, la Société de Saint-Vincent de Paul du Canada comprend — je donne ici les chiffres de 1915, les statistiques de 1916 n’étant pas encore terminées — 228 Conférences, 20 Conseils particuliers, 2 Conseils centraux et 1 Conseil supérieur. Il existe des Conférences dans toutes les provinces du Canada : celle de Québec en possède 149, avec 13 Conseils particuliers, 1 Conseil central et 1 Conseil supérieur ; celle d’Ontario, 52 Conférences avec 5 Conseils particuliers et 1 Conseil central ; celle de la Nouvelle-Écosse, 4 Conférences et 1 Conseil particulier ; le Nouveau-Brunswick, 1 Conférence ; l’île du Prince-Édouard, 2 Conférences ; le Manitoba 2 Conférences ; la Colombie-Anglaise, 8 Conférences et 1 Conseil particulier. Les 228 Conférences du Canada renferment 7,349 membres actifs, qui ont visité et secouru en 1915 : 7,641 familles. Les recettes de ces Conférences se sont élevées à $332,616.14, soit 1,663,080 francs.
« Les différents Conseils ont créé et soutiennent des œuvres multiples, suivant les besoins des lieux ou des temps. C’est ainsi que nos Conseils et Conférences du Canada soutiennent ou dirigent cinq Patronages ; deux Colonies de vacances ; deux Fourneaux économiques ; deux Ouvroirs ; un Hospice ; un Orphelinat ; une Hospitalité de nuit ; une Œuvre de Marins catholiques ; un Comité pour l’éducation des sourds-muets ; un Comité Hôpital et Prison ; un Refuge ; un Bureau de renseignements ; un Comité de garde-robe ; une École. D’autres œuvres fondées par nos dévoués prédécesseurs ont pris un tel essor qu’elles se sont détachées du vieil arbre, le fruit étant mûr. Ces œuvres, telles que la Caisse d’économie Notre-Dame et le Bon-Pasteur, de Québec, vivent de leur vie propre et font un bien incalculable à la population de Québec et des environs.
« Je ne saurais taire l’existence, à Québec même, de dix Conférences composées exclusivement de jeunes gens, sur un total de trente-huit Conférences. L’Université, le Petit Séminaire, un groupe d’anciens étudiants de l’Université, les Unions du Patronage, un groupe d’anciens des Unions, et les jeunes Congréganistes de la Haute-Ville, de Saint-Jean-Baptiste et de Saint-Sauveur, constituent l’effectif de ces dix Conférences, qui sont la joie et la consolation des aînés. »
DÉPART DU DOCTEUR PAINCHAUD POUR LES MISSIONS
Ce n’était pas assez pour le docteur Painchaud d’avoir allumé le feu de la charité dans sa ville natale en fondant les Conférences de Saint-Vincent de Paul. Sa soif d’apostolat n’était pas satisfaite ; il se donna tout entier aux missions de Vancouver qui venaient d’être confiées à Mgr Demers. « M. Painchaud avait fait vœu, en 1845, pendant qu’il était à Paris, de se dévouer pour les missions, s’il parvenait à marcher sans trop de difficulté. En 1849, il éprouva assez de mieux et faisant connaissance de Mgr Demers, sacré premier évêque de Vancouver, le 30 novembre 1847, il s’offrit à lui pour aller aider les missionnaires comme médecin et catéchiste.[9] »
En quittant la maison paternelle, le docteur Painchaud déclara formellement qu’il laissait tout son héritage à l’évêque de Vancouver. « Un fait saillant, suivant moi, dit M. l’abbé Edmond Langevin, dans une lettre à Mgr Têtu, dans la courte existence de Joseph Painchaud, c’est le don qu’il fit de tout son patrimoine aux missions desservies par Mgr Demers. »
Voici en quels termes touchants M. Painchaud fit ses adieux aux confrères des Conférences de Québec :
« Je viens vous faire mes adieux, à vous et à tous mes chers confrères auxquels je souhaite de la persévérance et un redoublement de zèle pour le maintien de l’œuvre éminemment chrétienne qu’ils ont entreprise.
« En m’éloignant du Canada, j’aime à croire que si je cesse d’être au milieu de mes confrères, ils voudront bien de temps en temps prier le ciel de répandre ses bénédictions sur la mission à laquelle « je me dévoue ».
« Si la divine Providence a bien voulu se servir de mon indigne personne pour faire connaître aux citoyens catholiques de Québec les précieux avantages de la Société de Saint-Vincent de Paul, j’ai commis des fautes que je dois avouer en toute sincérité. J’ai engagé mes confrères à présenter le plus grand nombre de membres possibles, et j’ai suggéré beaucoup trop de Présidents et de Vice-présidents honoraires : chaque conférence ne devrait avoir qu’un président et un vice-président. De cette manière les affaires seraient dirigées avec plus d’ordre sans inconvénients ni malentendus…
« Comme j’espère avoir l’honneur d’être introduit à M. le Président général de la Société, je me chargerai volontiers, tout indigne que j’en suis, de lui présenter tous documents et correspondances que vous désirerez transmettre au Conseil général.
« Agréez, Monsieur le Président, et veuillez faire agréer à tous mes chers Confrères, l’hommage de mon profond respect.
Le docteur Painchaud passa deux ans à Paris, de 1849 à 1851, en compagnie de Mgr Demers qui préparait son expédition évangélique de Vancouver. Pendant ces vingt-quatre mois, le jeune Painchaud, en dépit d’une santé délicate, se multiplia pour aider l’évêque missionnaire dans la sainte et noble tâche qu’il avait entreprise.
Dans une lettre au docteur Painchaud, père, voici en quels termes Mgr Demers parle de son jeune compagnon :
« Monsieur votre fils vous a déjà écrit depuis son arrivée à Paris pour vous donner de ses nouvelles ; mais il me semble que vous en attendez de moi et c’est à bon droit. Je n’ai rien que de consolant à vous en dire, plus je le connais, plus je l’étudie, plus je me confirme dans l’opinion que j’ai eue de lui dès le commencement ; et plus j’ai de preuves que c’est un don que la bonne Providence m’a fait dans les circonstances critiques où je me trouve.
« Il avait eu la bonne pensée — il n’en a pas d’autres — d’aller dans toutes les maisons religieuses, séminaires, etc., dans plusieurs familles dans lesquelles il est en connaissance pour me recommander aux prières, moi et ainsi que mes missions. Il m’a conduit ensuite dans ces communautés et ces familles chrétiennes où j’ai rencontré la plus grande sympathie. Hier, j’étais à dîner chez le Marquis de Pastoret, qu’un ami de Joseph m’a fait connaître et qui va faire quelque chose pour moi ; bien entendu mon petit Docteur me suit partout, même chez les Comtes et les Marquis. Les détails que je donne sur les missions de l’Orégon intéressent beaucoup. Depuis que je suis ici (30 juin) vous ne sauriez croire les courses que nous avons faites dans Paris — je crois que quelquefois nous avons bien marché dix milles dans la journée et même jusque bien tard dans la soirée ; eh bien, n’y a-t-il pas une espèce de miracle là-dedans ; vous savez ce qu’il pouvait faire en fait de marche chez vous ; ici il résiste, il se porte bien et mange bien, malgré les dîners assommants de Paris. Vous comprenez que déjà il m’est d’un grand secours… Consolez-vous, que Mme Painchaud se console à la vue d’un si beau, d’un si heureux commencement qui n’est qu’un présage du bien immense que Dieu veut visiblement faire par votre fils aussi longtemps qu’il correspondra comme il l’a fait jusqu’à présent aux desseins qu’il a sur lui. Et quoi de plus propre à l’y engager que cette protection invisible qui lui est accordée, malgré des fatigues auxquelles il n’est pas accoutumé : et c’est toujours malgré lui que je prends une voiture ou un omnibus pour faire les plus longues routes, et cela pour épargner notre bourse.
« Soyez donc mille fois bénis pour le sacrifice si chrétien, si généreux, que vous avez fait non pas à moi, mais au Seigneur, dont je ne suis que le misérable instrument et comptez sur mon éternelle reconnaissance et sur les soins que j’aurai sans cesse de votre cher Joseph.
« Je suis, avec respect et affection, votre bien humble serviteur.
Le docteur Painchaud partit du Hâvre vers la fin de l’année 1851. Mgr Demers s’était embarqué avant lui. Les deux vaisseaux devaient se rendre à San Francisco. Mgr Demers arriva en cet endroit le 7 avril 1852 et à Vancouver le 20 du même mois, mais le jeune Painchaud et deux prêtres missionnaires furent obligés de relâcher à Rio-Janeiro. De là, accompagné du R. P. Laroche, il se rendit à la Nouvelle-Orléans, avec l’intention de se rendre à San Francisco en traversant l’Isthme de Panama par la route de Nicaragua. Ils supprimaient ainsi un long voyage sur mer pour éviter le Cap Horn, mais ils couraient mille dangers et des fatigues incroyables. Il ne faut pas oublier qu’il y a soixante ans les moyens de communication dans l’Amérique n’étaient pas ce qu’ils sont aujourd’hui.
Le voyage fut des plus pénibles. On tenta de traverser la moitié du continent à dos d’âne ; mais le missionnaire ne put supporter les fatigues du voyage : il mourut en route.
Laissons parler ici la Notice :[11]
« Épuisé, à bout de forces, il (le missionnaire) fit de nouveau à Dieu le sacrifice de sa vie et expira entre les bras de l’infortuné Dr Painchaud. Impossible de peindre la douleur de ce dernier, malade lui-même, infirme, éloigné de son pays, de sa famille, de ses amis, mais son courage ne l’abandonna pas. Il donne à son compagnon la sépulture, et seul, désormais, il continue son chemin jusqu’au Pacifique. Là, il s’embarque sur un vaisseau et se dirige vers San Francisco et l’Île Vancouver, pour rejoindre ses compagnons et se mettre au service de Mgr Demers. Mais il fut trompé dans son attente et Dieu lui demanda un nouveau sacrifice. Au milieu d’une effroyable tempête, le vaisseau qui le portait fit naufrage, et le jeune Painchaud fut obligé d’interrompre son voyage, heureux de sauver sa vie et de pouvoir débarquer à Manzanillo. De là, il gagna Colima capitale de la province du même nom, dans le Mexique. Il avait apporté avec lui les ornements d’église de son infortuné compagnon. Pendant quelque temps, il fut l’hôte de Don Libérato Maldonato, et il commença à pratiquer la médecine.
« Bientôt se trouvant, il faut le croire, dans la presque impossibilité de gagner Vancouver, à cause de la difficulté des communications, il prit le parti de faire le bien à Colima, ne pouvant le faire à Vancouver. Il écrivit en ce sens à Mgr Demers, le 19 juillet 1852. Il érigea un hôpital à Colima et y soigna les malades avec le plus grand dévouement.
« M. Painchaud était encore à Colima, le 3 octobre 1852, car nous avons un papier signé par lui et daté de cette ville.
« Après avoir séjourné quelque temps à Tamagula, il revint à Colima où il tomba malade. Ici, les détails sont malheureusement bien courts sur la vie du jeune Painchaud. L’on sait seulement qu’il partit malade et qu’il mourut à une petite distance de Tonila où il fut enterré. À quelle date ? Nous croyons que c’est le 7 avril 1855. »
CONCLUSION
À 36 ans, cet héroïque chrétien payait donc de sa vie, l’immense amour dont son cœur débordait pour Notre-Seigneur Jésus-Christ et les âmes.
Sa vie fut modeste, presque cachée, mais combien remplie et fructueuse. Une énergie de fer le soutient et lui permet de se dévouer pour ceux qui souffrent, jusqu’à la mort.
Pour nous, confrères de la Société de Saint-Vincent de Paul, quel exemple réconfortant cette vie de M. Painchaud ne nous offre-t-elle pas ? Le fondateur de notre Société à Québec avait une foi agissante : il ne se contentait pas de croire aux enseignements de l’Évangile, il les mettait en pratique ; il ne faisait pas que parler, il agissait. Son zèle, son activité, déployés avec intelligence et un grand sens pratique furent constamment mis au service de l’Église, des pauvres, des âmes. Très humble, M. Painchaud se rappela toujours qu’un chrétien est petit au regard de Dieu et que ses qualités, et ses vertus mêmes, viennent de Dieu. L’idée des récompenses éternelles soutiennent ses pas parfois chancelants, et il vécut heureux à travers les souffrances et les privations, convaincu que la vie présente n’est que la veille de la grande fête de l’éternité.
S’adressant aux jeunes catholiques de son temps, Ozanam leur disait : « Croyez-vous donc que Dieu ait donné aux uns de mourir au service de la civilisation et de l’Église, aux autres la tâche de vivre les mains dans leurs poches ? » Ozanam donna l’exemple, il usa sa vie à la défense de la doctrine catholique. Painchaud l’imita en donnant sa vie pour la propagation de la foi catholique.
L’un et l’autre furent des modèles de chrétiens éclairés : ils furent de vrais catholiques d’action.
Painchaud, sur une scène modeste, fut, sans le savoir, l’émule du fondateur de la Société de Saint-Vincent de Paul de Paris. Il méritait que le centenaire de sa naissance ne passât pas inaperçu, et voilà pourquoi je me suis imposé l’agréable tâche de mettre en relief sa courte mais féconde existence. Si cet essai biographique réveille chez quelques confrères avec le souvenir presque effacé du docteur Painchaud, le désir d’imiter cet apôtre de la charité, ce modèle de catholique éclairé et sincère, mes humbles efforts auront été amplement récompensés.
- ↑ Ce travail a été lu devant l’assemblée générale des conférences de Saint-Vincent de Paul de Québec le 29 juin 1919. Nous avons dû, vu le nombre limité des pages de cette brochure, en retrancher quelques parties.
- ↑ Mgr Joseph Hallé, vicaire apostolique de Hearst.
- ↑ Souvenir des Noces d’Or de la Société de Saint-Vincent de Paul, à Québec, 1883. Imprimeur, C. Darveau.
- ↑ Les Noces d’Or de la Société de Saint-Vincent de Paul, à Québec, 1893. Imprimerie Pruneau & Kirouac, 1897.
- ↑ E. Gossin. Vie de Jules Gossin. Paris, 1907.
- ↑ Les Noces d’Or de la Société de Saint-Vincent de Paul, Québec, 1896. Imprimé en 1897.
- ↑ Mgr Têtu.
- ↑ Recueil de la Correspondance, Québec, 1867.
- ↑ Mgr Têtu
- ↑ Recueil de la Correspondance des Conférences de Saint-Vincent de Paul du Canada. Québec, 1867.
- ↑ Cette notice sur le Dr Painchaud fut publiée pour la première fois en 1883, par M. l’abbé H. Têtu, devenu plus tard Mgr Têtu et aumônier général de la Société de Saint-Vincent de Paul de Québec, jusqu’à sa mort, 15 juin 1915. La notice a été reproduite dans les Noces d’Or de la Société de Saint-Vincent de Paul à Québec, 1897.