Le Domaine de Belton/11

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Traduction par Eugène Dailhac.
Hachette (p. 156-172).

CHAPITRE XI


Pendant le voyage, la bonne humeur du capitaine Aylmer ne se démentit pas un seul instant. Comme la voiture traversait le parc, « Tâchez de plaire à ma mère, Clara, » dit-il. Elle promit de faire de son mieux ; mais, à ce moment, elle était obligée de s’avouer que, malgré sa résolution, elle avait peur de lady Aylmer. Personne n’était là pour recevoir Clara à sa descente de voiture. Si son fils lui avait amené lady Emily, lady Aylmer se serait trouvée dans le vestibule ; si seulement Clara avait eu 500,000 francs de dot, sa future belle-mère l’aurait probablement reçue à la porte du salon. Mais comme elle n’apportait ni argent, ni titre, elle trouva lady Aylmer et sa fille faisant de la tapisserie. Elles ne se levèrent que lorsque Clara eut à moitié traversé le salon.

« Nous sommes enchantées de vous voir, miss Amadroz, dit lady Aylmer, en lui tendant deux doigts.

— Enchantées, dit Belinda avec un peu plus de cordialité. »

Frédéric embrassa sa mère et sa sœur, mais ne dit pas un mot pour leur présenter Clara comme sa fiancée.

« Voulez-vous que je vous montre votre chambre ? dit Belinda au bout de quelques minutes.

— Attendez un instant, ma chère, dit lady Aylmer ; Frédéric a été voir si sir Anthony n’était pas par hasard dans son cabinet. »

Sir Anthony se trouvait dans son cabinet et vint immédiatement.

« Voilà donc Clara Amadroz, dit-il. Ma chère enfant, vous êtes la bienvenue à Aylmer-Park. »

Cet accueil cordial amena une larme dans les yeux de Clara et lui fit presque aimer sir Anthony.

« À propos, sir Anthony, avez-vous vu Nuggins ? dit lady Aylmer ; il pense que Dervel veut acheter les bœufs. »

Cette diversion avait été habilement amenée pour arrêter l’effusion de sir Anthony. Cinq minutes après, Clara était seule dans sa chambre à réfléchir sur la réception qui lui était faite dans la famille de son fiancé. Elle ne put s’empêcher de se demander comment elle eût été accueillie à Plainstow.

À sept heures et demie, elle descendit seule pour dîner. Un domestique qu’elle rencontra la conduisit au salon. Ce n’était pas la pièce où elle avait été reçue en arrivant, et qui avait au moins cet aspect vivant que donne l’habitation constante. Autour d’elle, tous les meubles étaient à leur place ; on ne voyait ni un livre, ni un ouvrage. Tout était froid et solennel. Clara, qui était intelligente, comprit qu’on la traitait en étrangère.

Lady Aylmer fut la première à paraître.

« J’espère que ma femme de chambre a été vous trouver ? dit-elle. »

Avant l’arrivée de Clara, la mère et la fille s’étaient demandé si miss Amadroz amènerait sa femme de chambre, et pensant qu’elle le ferait, l’avaient blâmée par avance. Fred devra payer le voyage, » disaient-elles. Mais quand elles virent que Clara venait seule, elles jugèrent qu’une jeune personne voyageant ainsi n’était pas digne d’épouser le capitaine Aylmer.

« Je donnerai peu de peine à votre femme de chambre, lady Aylmer, dit Clara, je suis accoutumée à m’habiller moi-même. »

Cela n’était peut-être pas strictement vrai quant au passé ; mais Clara avait résolu qu’il en serait ainsi à l’avenir.

« Vous feriez mieux de laisser Richards[1] vous aider tant que vous serez ici, ma chère, dit lady Aylmer, avec un sourire qui blessa plus Clara que ses paroles ; nous aimons à voir les jeunes filles bien habillées. »

Les deux premiers jours se passèrent sans aucun événement remarquable. Personne, à la grande surprise de Clara, ne fit la moindre allusion au futur mariage. Sir Anthony était très-courtois pour elle, mais ne dit pas un mot prouvant qu’il la regardait comme devant être sa belle-fille. Lady Aylmer l’appelait miss Amadroz avec affectation, et Belinda évitait soigneusement de donner aucun nom à la nouvelle venue. Quant au capitaine Aylmer, il était évident qu’il souffrait plus que Clara elle-même, et Clara ne pouvait s’empêcher de le plaindre et de le mépriser en même temps. Elle avait cru jusqu’alors qu’il était un homme ayant une volonté et capable d’agir d’après sa conscience. Maintenant, elle le voyait entièrement soumis à sa mère, sans volonté propre. Quelle serait la fin de tout cela ?

Le troisième jour, les manières de lady Aylmer changèrent tout à coup ; elle se mit à combler Clara d’attentions au lunch, et si elle ne la nomma pas par son nom de baptême, elle l’appela ma chère. Clara vit à ce signe qu’il y avait de l’orage dans l’air. À trois heures, la voiture fut annoncée, et comme Belinda se trouvait occupée, lady Aylmer et miss Amadroz y montèrent seules. Dès que les chevaux furent partis, Lady Aylmer commença la tâche qu’elle s’était imposée. Elle fit entendre à Clara que son fils cédait au désir de mistresss Winterfield en se mariant, qu’il n’avait pas assez de fortune pour épouser une femme sans dot, mais que si Clara, acceptant l’offre de son cousin, devenait propriétaire de Belton, il n’existerait plus d’obstacle au mariage.

« Lady Aylmer, dit Clara résolument, aucune considération dans le monde ne me fera dépouiller mon cousin de ce qui est à lui.

— Je pense que vous comprendrez, ma chère, que dès lors il ne doit plus être question de mariage entre vous et mon fils… au moins pour plusieurs années.

— Je parlerai de cela avec le capitaine Aylmer.

— Très-bien, ma chère. Sans doute, il est le maître de ses actions. Mais il est mon fils, et je ne peux pas le voir sacrifié sans faire un effort pour le sauver. »

Lorsque, ce soir-là, Clara descendit pour dîner, elle s’aperçut qu’elle était redevenue miss Amadroz.

Plusieurs jours se passèrent sans amener aucun changement, et Clara, tout en sentant la nécessité de s’expliquer avec son fiancé, reculait de jour en jour. Enfin, le capitaine Aylmer annonçant l’intention de retourner à Londres, il fallait bien que quelque chose fût décidé avant son départ, et Clara lui demanda une demi-heure de conférence.

« Frédéric, dit-elle, votre mère m’a fait entendre qu’elle désapprouvait notre mariage. Elle dit que vous ne pouvez m’épouser, parce que vous n’auriez pas assez de fortune. S’il en est ainsi, je suis toute disposée à accepter cette raison comme suffisante pour rompre notre engagement.

— Cela n’est pas.

— Si notre engagement subsiste, il n’y a pas lieu de se hâter. Mais une époque doit être fixée pour notre mariage. »

Clara, en prononçant ces mots, sentit qu’elle rougissait, mais elle était résolue à parler.

« Immédiatement ? dit Aylmer en tressaillant.

— Oh ! non.

— Jusqu’à présent, je n’étais pas sûr de pouvoir revenir à Pâques, mais je ferai en sorte d’être libre à cette époque, et nous déciderons tout alors. »

Telle fut la conclusion de l’entrevue. Le lendemain matin Aylmer partit pour Londres.

Pâques, cette année-là, tombait au milieu d’avril, trois semaines après cette conversation. Clara comprit fort bien que ces trois semaines ne seraient pas un heureux temps pour elle. D’abord, lady Aylmer lui parla fort peu. Il semblait s’être fait entre elles un accord tacite par lequel les hostilités devaient être suspendues, pendant l’absence du capitaine Aylmer. Chaque jour on offrait à miss Amadroz de venir se promener en voiture, mais elle parvenait généralement à décliner l’invitation. Pendant ses heures de solitude, les circonstances donnèrent à Clara un nouvel ami. Le baronnet, dès que la voiture s’était éloignée, sortait de son appartement et venait causer un instant, ayant bien soin de rentrer prudemment avant le retour des promeneuses. Peut-être lady Aylmer fut-elle instruite de ces conférences, car ses manières devinrent de moins en moins courtoises, et Clara avoua à sir Anthony qu’il lui serait difficile d’attendre le retour du capitaine Aylmer. Ce fut trois jours avant ce retour que l’orage éclata à Aylmer-Park.

Jusqu’alors, à la grande surprise de Clara, pas un mot n’avait été prononcé au sujet de mistress Askerton. Lady Aylmer l’avait gardée en réserve comme dernière ressource. Pendant quelque temps, elle avait cru possible que Clara eût le domaine de Belton, et une belle-fille, ainsi dotée, était à ménager ; mais il avait fallu abandonner cette espérance, et puisque Frédéric comptait épouser la jeune fille malgré sa pauvreté, c’était le moment de porter le coup décisif.

Les trois femmes étaient réunies dans le salon et n’avaient pas prononcé une parole depuis une demi-heure, lorsque lady Aylmer dit tout à coup :

« Je crois, miss Amadroz, que mon fils vous a écrit concernant une certaine mistress Askerton. »

Clara quitta son ouvrage. La question était non-seulement désagréable en elle-même, mais le ton de lady Aylmer et son attitude la rendaient particulièrement blessante. Belinda tressaillit sans quitter des yeux sa tapisserie et se mit à travailler avec ardeur.

« Il m’a écrit, en effet, dit Clara, voyant qu’elle était obligée de répondre.

— Il devait le faire. Je crois être sûre que mistress Askerton n’est pas… tout ce qu’elle devrait être.

— Qui de nous est tout ce qu’il devrait être ?

— Miss Amadroz, je n’ai pas du tout envie de plaisanter sur ce sujet. N’est-il pas vrai que mistress Askerton… ?

— Je vous demande pardon, lady Aylmer, ce que je sais de mistress Askerton m’a été dit en confidence ; il m’est donc impossible d’en parler avec vous. »

Et Clara reprit son ouvrage. Mais lady Aylmer n’avait pas encore accompli sa tâche.

« Miss Amadroz, dit-elle, vous me permettrez de juger pour moi-même en cette affaire. Je me crois obligée de traiter ce sujet avec vous.

— Mais je n’ai rien à dire.

— Vous avez, je crois, admis la vérité de mes allégations concernant cette femme ! »

Clara commençait à s’irriter ; son sourcil s’était froncé, et une tache rouge se montrait sur chacune de ses joues. À ce moment, elle résolut de ne pas céder à lady Aylmer.

« Je ne crois pas avoir rien admis, lady Aylmer, ni vous avoir donné le droit de me questionner à ce sujet, dit-elle.

— Le droit de questionner une jeune personne qui me dit qu’elle doit être ma belle-fille !

— Je ne vous l’ai jamais dit.

— Alors, miss Amadroz, sur quel pied nous faites-vous l’honneur de résider à Aylmer-Park ?

— En effet, j’ai eu grand tort de venir dans une maison où l’on me fait subir un pareil interrogatoire.

— Miss Amadroz, je dois continuer, malgré votre répugnance à me répondre. Êtes-vous disposée à cesser toute relation avec une personne si compromettante ?

— Je ne cesserai pas d’avoir avec cette personne les plus affectueuses relations.

— Belinda, l’entendez-vous ?

— Oui, maman. »

Et Belinda secoua la tête et se pencha encore plus bas sur son ouvrage.

« Telle est votre résolution ?

— Oui, lady Aylmer, telle est ma résolution.

— Et vous trouvez cette conduite convenable pour une jeune fille ?

— Oui.

— Laissez-moi vous dire, miss Amadroz, que je suis d’un avis tout différent.

— Je n’y vois pas de remède, lady Aylmer ; je pense que nous différons sur bien des points.

— Je n’ai pas besoin de vous dire combien peu je le regretterais, sans l’empire que vous avez pris sur mon malheureux fils ; mais, certainement, quand il connaîtra votre conduite par rapport à cette femme, il rompra le lien qui le retient.

— Le lien est rompu dès maintenant, dit Clara en se levant. Je ferai savoir au capitaine Aylmer que notre engagement cessera s’il ne me promet que je ne serai plus soumise à l’inqualifiable insolence de sa mère. »

Elle sortit sans prendre garde au dernier trait lancé par son ennemie.

Quand Clara se trouva seule dans sa chambre, elle éprouva un sentiment de triomphe et de délivrance. Elle était résolue à ne plus s’asseoir à la même table que lady Aylmer. Mais qu’allait-elle devenir ? Elle ne pouvait pas quitter Aylmer-Park sans savoir où elle irait. Quelle serait l’opinion de son cousin Will ? Il était maintenant son seul ami. Lui écrirait-elle ? Non ; si elle lui disait sa rupture avec les Aylmer, Will en tirerait de fausses conséquences. Clara se décida pour une lettre à mistress Askerton qui serait mise ou non à la poste le lendemain, suivant ce qu’elle-même aurait résolu alors. Dans cette lettre elle annonçait son intention de quitter Aylmer-Park le lendemain de l’arrivée du capitaine Aylmer et demandait l’hospitalité au cottage. On devait lui répondre à l’hôtel du Chemin de fer du Nord, à Londres.

La femme de chambre vint avant le dîner offrir ses services. Mais Clara refusa de s’habiller, fit dire qu’elle resterait dans sa chambre et pria qu’on lui envoyât du thé. Elle ne condescendit pas même à prétexter un mal de tête. Immédiatement avant le dîner, Belinda vint conseiller à miss Amadroz de descendre.

« Maman pense qu’il vaut mieux vous montrer… à cause des domestiques.

— Mais, miss Aylmer, je ne me soucie nullement des domestiques.

— Maman dit que ce serait l’avis de mon frère.

— Après la conduite de votre mère, je ne vois pas qu’elle dût m’objecter les désirs de votre frère, quand même elle les connaîtrait ; ce qui, je pense, n’est pas. Veuillez dire à lady Aylmer que, si elle le permet, je resterai ici jusqu’au lendemain de l’arrivée du capitaine Aylmer. Après, je partirai.

— Pour où, miss Amadroz ?

— J’ai écrit à une amie, lui demandant de me recevoir. »

Miss Aylmer s’arrêta un moment avant de faire la question suivante. Il était évident qu’elle était obligée de rassembler tout son courage pour continuer.

— Quelle amie, miss Amadroz ? Maman serait bien aise de le savoir.

— C’est là une question que lady Aylmer n’a pas le droit de poser.

— Oh ! très-bien ; si vous ne voulez pas le dire, je n’ai rien à ajouter.

— Je ne veux pas le dire, miss Aylmer. »

Clara passa dans sa chambre toute la journée du lendemain. La lettre à mistress Askerton fut envoyée et le capitaine Aylmer arriva au moment désigné. Une heure après son arrivée, Belinda fut dépêchée pour demander à miss Amadroz si elle voulait le recevoir. Miss Amadroz y consentit, à condition qu’elle ne rencontrerait pas lady Aylmer.

« Elle n’a pas cela à craindre, à moins qu’elle ne m’adresse des excuses, » dit celle-ci.

Le capitaine Aylmer et miss Amadroz se rencontrèrent dans le petit salon d’en haut.

Le capitaine tenta faiblement d’excuser sa mère et d’amener un rapprochement.

Clara se défendit et annonça sa résolution de quitter Aylmer-Park.

« Où irez-vous ?

— Chez mistress Askerton.

— Oh ! Clara !

— Je lui ai écrit pour lui demander de me recevoir pendant quelque temps. Je n’ai pas le choix.

— Si vous allez là, Clara, ce sera la fin de tout.

— Et ce doit être la fin de tout, comme vous dites, capitaine Aylmer, répondit-elle en souriant. Ce ne serait pas pour votre bonheur que vous feriez entrer dans votre famille une femme dont votre mère a si mauvaise opinion. »

Malgré les instances du capitaine Aylmer, Clara fut inébranlable, et, le lendemain matin, la voiture du château la conduisit seule à la station. Frédéric avait proposé de l’accompagner, mais elle avait refusé. Sir Anthony vint lui dire adieu et lui exprimer son regret.

« Il n’y a pas de remède, dit Clara. Adieu, sir Anthony.

— Je suis si bouleversé de tout cela, dit Aylmer en la mettant en voiture, que je ne sais que dire ; mais je vous écrirai, et probablement j’irai vous rejoindre.

— Ne venez pas, capitaine Aylmer, ce serait inutile. »

Et, en traversant le parc, elle prit congé pour toujours d’Aylmer-Park et de ses habitants.

Le lendemain, le vieux cabriolet de Redicote déposait Clara à la porte du cottage ; elle y fut cordialement reçue par le colonel Askerton, et, en une minute, se trouva dans les bras de son amie.

« Chère Clara ! je suis si heureuse de vous avoir !

— Que vous êtes bonne !

— Non, chérie, c’est vous qui êtes bonne d’être venue, mais nous ne nous disputerons pas à ce sujet. Montons, il y a du feu dans votre chambre, c’est moi qui vous aiderai à vous habiller pour que nous puissions causer. »

Clara monta et s’assit près du feu, tandis que son amie s’agenouillait près d’elle. Le cottage lui semblait bien plus agréable qu’Aylmer-Park, où elle n’avait jamais entendu un mot affectueux.

« Ainsi, vous vous êtes querellée avec lady Aylmer, dit mistress Askerton. Je le prévoyais, et j’en suis bien contente !

— Quel mauvais sentiment !

— À quoi serviraient les bons sentiments si on n’avait que de ceux-là ? Lady Aylmer sait-elle que vous êtes ici ?

— Je le pense. Je ne lui en ai rien dit, mais j’en ai informé le capitaine Aylmer.

— Vous avez bien fait. Avez-vous écrit à votre cousin ?

— Pas encore.

— Ne m’en veuillez pas si je vous dis que je lui ai écrit.

— J’en suis fâchée.

— Êtes-vous honteuse qu’il sache que vous êtes ici ?

— Non, je ne suis pas honteuse, mais j’aurais mieux aimé qu’il ne l’apprît qu’un peu plus tard. »

Le lendemain, Clara et mistress Askerton allèrent au château. Clara parcourut toutes les chambres et s’assit à sa place accoutumée ; puis elles allèrent voir la vache Bessy qui occupait un petit parc à elle seule.

« Chère Bessy ! dit Clara, comme elle me reconnaît ! »

Bessy reconnaissait tous ceux qui lui apportaient à manger.

« Pauvre Bessy, que va-t-elle devenir ?

— Elle va demeurer ici jusqu’à ce qu’elle meure de sa belle mort, et alors deux affligés la conduiront à sa dernière demeure en parlant des jours d’autrefois. Avec le temps, Bessy deviendra une espèce de divinité du passé, dont le nom ne sera jamais prononcé qu’avec attendrissement. Je n’ai pas de peine à prophétiser sa destinée et ses honneurs posthumes. »

De retour au cottage, on remit à Clara une lettre portant le timbre de Downham ; mais elle vit au premier coup d’œil qu’elle n’était pas de Will. Will avait une écriture ferme et hardie, et le commencement de ses épîtres était un modèle de calligraphie ; comme il se hâtait toujours vers la fin, l’écriture s’en ressentait.

Mais l’adresse de cette lettre était d’une main féminine et élégante, celle de Mary Belton, avec laquelle Clara n’avait eu jusqu’ici aucune correspondance. Mary invitait sa cousine à venir à Plainstow, insinuant que Will était obligé de s’absenter pendant six semaines et ne troublerait pas leur solitude.

Clara, lorsqu’elle fut seule dans sa chambre, répondit à miss Belton, mais elle n’accepta pas son invitation. Elle assura sa cousine qu’elle avait le plus grand désir de la connaître, et espérait la voir bientôt soit à Plainstow, soit à Belton ; mais pour le moment, elle avait promis de passer quelque temps auprès de son amie mistress Askerton.

« Votre cousine vous fait entendre avec sagesse et douceur qu’il n’est pas bon pour vous de demeurer avec moi, dit celle-ci quand la lettre lui fut montrée. Vous devriez vous laisser guider par elle. »

Mais Clara protesta, et il fut décidé qu’elle resterait au cottage.

Miss Amadroz eut quelques jours après une autre réponse à faire. Le capitaine Aylmer, à la profonde indignation de sa mère, avait annoncé, l’intention d’aller trouver miss Amadroz à Belton. Il partit d’abord pour Londres, et écrivit de là à Clara, la priant de le recevoir au château à un jour indiqué, ne doutant pas qu’une explication entre eux ne dût dissiper tout malentendu. Il demandait que la réponse à sa lettre lui fût adressée à Perivale.

« Et vous le verrez ? demanda mistress Askerton.

— Certainement. Comment puis-je faire autrement ?

— Écrivez-lui que cela ne servira de rien.

— Il vaut mieux qu’il vienne.

— Si vous vous laissez persuader par lui, vous serez toute votre vie une femme malheureuse.

— Il vaut mieux qu’il vienne répéta Clara : et elle écrivit au capitaine Aylmer, lui disant qu’elle le recevrait à Belton, au jour et à l’heure désignés.



  1. En Angleterre, dans les grandes maisons, on appelle toujours les femmes de chambre par leur nom de famille.