Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/03

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Société des Écrivains Catholiques (p. 15-19).

III.


La liberté de conscience. — Quelques mots sur l’Index.


Vous êtes, M. Dessaulles, un curieux et inexplicable composé. Toutes les doctrines révolutionnaires et impies, vous les professez, et cependant, malgré cela, vous persistez à vous dire catholique. Vous allez même jusqu’à faire grand cas des sacrements de l’Église, puisque le refus d’absolution, en certaines circonstances, vous semble quelque chose d’affreux. Si vous ne croyiez pas aux sacrements et à leur vertu toute divine, vous ne parleriez pas ainsi. Il faut donc vous prendre un peu au sérieux.

Je profiterai des bons sentiments que vous manifestez par ci par là, pour vous dire un mot de la liberté de conscience. J’aurai quelque chose à vous dire touchant l’Église et l’Infaillibilité du Pape, mais rien n’empêche que je vous parle de la liberté de conscience avant de traiter ces importants sujets, dont vous ne semblez pas avoir la plus légère notion, quoique vous en parliez fort hardiment et fort insolemment.

Il y a une liberté de conscience, c’est incontestable ; mais ce n’est pas celle que vous patronisez. La véritable liberté de conscience consiste à n’être pas forcé de parler ou d’agir contrairement à cette voix intérieure qui vous dit qu’il faut respecter les ordres de Dieu, et les injonctions de ceux qu’il a chargés de tenir sa place sur la terre pour guider les hommes dans la voie de la vérité et du bien. En un mot, la véritable liberté de conscience, c’est la faculté d’opérer notre salut en usant librement de tous les moyens que Dieu a mis à notre disposition pour que nous puissions graviter constamment vers lui et arriver à son entière et pleine possession.

Mais ce n’est pas ainsi que vous entendez la liberté de conscience. Pour vous, cette liberté n’est que la licence, comme je vous l’ai fait toucher du doigt dans le chapitre précédent. Vous prétendez que la conscience n’est libre que si elle peut tout se permettre. Mais alors que devient la loi de Dieu ? Votre liberté de conscience ne rend-elle pas l’homme supérieur à Dieu ? S’il est vrai que Dieu nous a donné des vérités à croire et des préceptes à suivre, et vous-même l’admettez, il est absolument nécessaire de reconnaître que nous ne pouvons pas professer les opinions qui sourient à la nature corrompue et qui contredisent les vérités que nous devons croire et mettre en pratique. Vous pouvez, rien de plus sûr, vous laisser aller pendant cette vie, qui est le temps de l’épreuve, à toutes opinions perverses que vous voudrez, et vous abandonner à toutes fredaines imaginables ; mais la preuve que vous n’usez pas de la liberté véritable en agissant de la sorte, c’est qu’au sortir de la vie, vous rencontrerez un juste juge qui vous fera payer cher vos coupables jouissances.

Vous n’avez pas, dans votre vocabulaire, de mots assez injurieux pour qualifier l’Église et les congrégations romaines qui défendent de professer certaines opinions, de même que la lecture de certains livres où la foi et les mœurs sont attaquées. En, revanche, vous ne tarissez pas d’éloges à l’adresse de la loi civile qui vous semble l’expression de toute sagesse et de toute justice.

Et cependant, savantissime M. Dessaulles, ignorez-vous que cette loi civile, que vous admirez à un si haut degré, ne permet pas à tous indistinctement d’user de certaines armes, de vendre des liqueurs enivrantes, de garder et de distribuer des matières explosives, de délivrer des poisons ? Pourquoi cela ? Pour protéger la vie corporelle des individus, en prévenant les malheurs que pourrait occasionner l’inconsidération, la négligence ou la malice. Avez-vous jamais songé et songerez-vous jamais à blâmer la loi civile de prendre de semblables mesures et de restreindre ainsi la liberté des citoyens ? Assurément non. Mais ce que peut la loi civile pour la partie qui la concerne, la loi religieuse et ecclésiastique ne le peut-elle pas en faveur des âmes qu’elle a pour but de protéger et d’aider à atteindre leur fin dernière ? Évidemment oui. Or, comme les poisons moraux, tels que les opinions fausses, erronées, destructives de toute morale et de toute religion, et les livres et les journaux, où on les trouve consignées, sont infiniment plus pernicieux que les poisons physiques, et que leurs ravages sont bien autrement déplorables, il s’en suit que l’Église non-seulement peut, mais même doit les proscrire et user, pour être efficacement obéie, d’une juste sévérité, si cela est nécessaire.

Les auteurs, dont les œuvres sont condamnées, se plaignent assez souvent ; mais cela arrive à tous ceux qu’atteignent les rigueurs de la justice. Que faire alors ? Les laisser se plaindre déraisonnablement et continuer à appliquer la loi qui est la sauvegarde de tout ce que la société a de plus cher. Ces principes sont élémentaires et de la dernière évidence. Il faut être irrémédiablement condamné à déraisonner pour trouver à redire.

Vous soutenez qu’il y a d’excellents livres à l’Index. Nombre de vauriens soutiennent aussi que les pénitenciers et les bagnes sont peuplés de très-honnêtes personnages. On sait pour quelles raisons ils parlent ainsi et l’on ne se donne pas la peine de les réfuter.

Vous objectez que des évêques et des archevêques lisent des livres à l’Index. C’est très-vrai. Je dirai plus : des prêtres et mêmes des laïques en lisent aussi. Mais il est à remarquer que laïques, prêtres, évêques et archevêques n’obtiennent la permission de lire un livre à l’Index que pour d’excellentes raisons qui toutes, en dernière analyse, se résument à ceci : mettre des entraves au mal qu’un pareil livre est destiné à produire.

Prétendre, comme vous le faites, qu’on a le droit de lire des mauvais livres, parce qu’on appartient à une association littéraire qui se place en dehors de toute sphère religieuse, c’est le comble de la folie. Autant vaudrait-il dire qu’on a le droit de tuer, parce qu’on fait partie d’une société de brigands. Faire partie d’une telle société ou association est un premier crime ; c’en est un second que d’agir conformément à son esprit.

À propos de la Congrégation de l’Index et de bien d’autres choses, vous en revenez toujours à vous, et vous vous plaignez, innocente brebis, d’avoir été inhumainement immolé. Comme c’est triste et que je compatis à vos maux ! Au moment de flétrir votre fameuse dissertation sur la tolérance, dissertation qui vaut votre grande guerre ecclésiastique, voici d’après l’honnête supposition que vous faites, comment se serait parlé à elle-même la sainte Congrégation :

« Ce discours sur la tolérance n’a rien d’anti-catholique, mais il n’est pas assez ultramontain. Et puis l’auteur donne quelque peu à entendre que nous pourrions bien être des violents et non des pasteurs, comme disait St. Grégoire le Grand, qu’il nous faudra peut-être mettre aussi à l’Index, si l’on se met à citer les portraits anticipés, mais si ressemblants, qu’il a fait de nous. L’auteur semble d’ailleurs insinuer qu’au moyen de leur conscience et de leur raison, les hommes peuvent arriver au vrai, chose que nous ne pouvons tolérer puisque ce serait admettre que l’on peut se passer de nous. Nous allons donc le condamner mais sans indiquer où est le mal. C’est un moyen toujours infaillible de faire supposer les livres pires qu’ils ne sont par les aveugles… Il faut bien faire ce petit plaisir à notre bon évêque de Montréal. »

Quand la Congrégation de l’Index sera composé d’hommes de votre trempe, M. Dessaulles, ce qui n’aura pas lieu d’ici à longtemps, on pourra l’outrager, comme vous le faites actuellement, en lui mettant au cœur vos mauvais instincts, et dans la bouche vos propres paroles.