Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/05
V
Vous avoir démontré, M. Dessaulles, ce qu’est l’Église romaine, c’est-à-dire l’Église catholique, c’est vous avoir démontré combien il est abominable de mettre à sa charge tout ce que vous y mettez en le défigurant, et surtout de qualifier sa doctrine, comme vous le faites, sous le nom d’ultramontanisme. Les pages 49 et 50 de votre Grande guerre ecclésiastique, pages que je m’abstiens de citer, parce qu’elles se réfutent d’elles-mêmes, montrent jusqu’à quel point l’impiété vous aveugle. Vous ne vivez que de mensonges, et c’est vous qui m’en fournissez la preuve la plus évidente.
Il y a une manière de mentir qui est la plus exécrable de toutes : elle consiste à défigurer la vérité par des affirmations incomplètes. Mentir de cette façon est un art que vous cultivez, homme sincère, et vous êtes parvenu à y exceller. C’est un triste mérite ; mais, n’en possédant point d’autres qui vous signalent à l’attention du public, vous aimez mieux être connu par des méfaits que de vivre dans l’oubli.
À propos du mariage et des empêchements qu’y met l’Église en certains cas, vous ressassez toutes les bourdes que les gallicans et les impies ont jamais imaginées et débitées. Vous voudriez que ce fut l’État, et non l’Église, qui eût le droit de créer des empêchements de mariage. Jésus-Christ, et il faut croire qu’il a eu raison, n’a pas jugé à propos de vous consulter, ni vous, ni vos pareils, quand il a élevé le contrat naturel de mariage à la dignité de sacrement, et quand il l’a ainsi mis sous le contrôle exclusif de l’Église. Ce que ce divin Sauveur a fait est bien fait, et il reste et restera fait, malgré vos réclamations. L’État, tout puissant que vous le proclamiez, ne peut absolument rien en ce qui concerne le mariage comme sacrement, surtout en ce qui concerne sa validité. Il n’a que le droit de législater sur ses effets civils, et l’Église, n’ayant jamais prétendu le contraire, n’a jamais tenté non plus de porter atteinte à ce droit.
Ayant reçu le pouvoir de tout lier et de tout délier sur la terre, il n’est pas étonnant qu’elle en ait usé en établissant des empêchements dirimants de mariage, et, comme elle est constamment dirigée par le Saint Esprit, selon la promesse qui lui a été faite, il faut nécessairement croire qu’elle a été divinement inspirée lorsqu’elle a établi ceux qui ont été en vigueur dans le cours des différents siècles.
Contre ce pouvoir qu’a l’Église de créer des empêchements de mariage, sous peine de nullité et de péché grave, vous raisonnez de la manière suivante : « Tel degré de parenté, qui constituait jadis un empêchement dirimant de mariage, a depuis longtemps cessé de produire l’effet qu’on lui attribuait ; donc, l’Église met des péchés là où il n’y en a pas, et c’est tellement vrai que ce qui a été péché jadis est aujourd’hui devenu indifférent, même acte de vertu. »
Après avoir proféré ces hideux blasphèmes, vous ajoutez que l’Église, par les empêchements de mariage et autres prohibitions, tout-à-fait illégitimes, selon vous, n’a d’autre but que de se créer des revenus en calculant sur la bonne foi du peuple et en en abusant.
Permettez-moi de vous le dire : vous êtes un fourbe fieffé et un insigne calomniateur. Vous le sentez vous-même ; je dirai plus, vous le savez fort bien ; mais le plaisir que vous trouvez à satisfaire vos haines sacrilèges l’emporte sur l’amour de la vérité.
Tout ce que vous avez dit et tout ce que vous direz contre l’Église se trouvant réfuté dans le chapitre précédent, je ne vous cite que pour vous livrer à la vindicte publique. Toutefois, je ne puis m’empêcher de faire apprécier à leur juste valeur les gens de votre espèce, puisque vous m’en fournissez l’occasion. Quand il s’agit de certaines questions, vous criez contre l’Église, parce qu’elle vous oppose constamment son Non possumus, et vous l’accusez de ne savoir pas ou de ne vouloir pas être de son temps. Sur d’autres questions, quand elles viennent à être traitées, vous l’accusez de varier. Vous êtes donc mille fois déraisonnable, et c’est la seule passion qui vous conduit.
Il y a des empêchements de mariage qui varient, quant aux limites que l’Église leur assigne, et cela s’explique facilement, même pour ceux qui n’ont pas eu l’avantage de recevoir une éducation qu’on appelle cultivée. Mais pour vous, qui trouvez fort bon que le pouvoir civil modifie chaque année les mêmes lois et qui ne cessez pas pour cela de regarder ces lois comme plus strictement obligatoires que la loi divine, vous feignez d’être pris de scrupule lorsque l’Église, en pure matière disciplinaire, se permet d’être raisonnablement de son temps ! Hypocrite vous ne sauriez être couvert de trop de mépris !
Les empêchements de mariage sont, les uns de droit divin et les autres de pur droit ecclésiastique. L’Église a constamment maintenu les premiers tels qu’ils ont toujours été ; quant aux seconds, comme ils ne dépendaient que d’elle seule, elle les a modifiés, eu égard au plus grand bien, sans y avoir été aucunement forcée par la raison laïque, comme vous le prétendez.
L’Église reconnaît au pouvoir civil le droit plein et entier de poser de justes empêchements à la validité des contrats qui sont de son pur ressort, et elle le reconnaît si bien qu’elle prend les décisions de ce pouvoir comme point de départ de sa manière d’agir en pareille matière. Vous ne trouvez rien à redire à cela, pieux M. Dessaulles. Pourquoi donc l’Église n’aurait-elle pas le droit, dans la matière où elle a plein pouvoir de législation, d’agir comme fait le pouvoir civil ? Un esprit d’élite, comme vous avez la prétention de l’être, ne devrait pas se contredire aussi manifestement.
Vous avez le front d’avancer que l’Église a établi des empêchements de mariage pour se créer d’abondants revenus. Ceux-là seuls, qui sont dévorés par d’injustes convoitises, peuvent avoir de pareilles idées. L’Église n’a enrichi que les malheureux et les pauvres avec la faible obole qu’elle exige comme bonne œuvre en compensation de la brèche faite à la loi, en accordant à prix d’argent des dispenses aux différents empêchements de mariage qui sont de droit purement ecclésiastique.
Que de deniers ont été prélevés sur le pauvre peuple par vos chers gouvernements démocrates et républicains, sans que vous y ayiez trouvé à redire ! Et cependant, ces deniers, ainsi prélevés, ne l’ont généralement été que par rapacité, et, comme on devait s’y attendre, ils ont été employés à toute autre chose qu’à des bonnes œuvres.
Pieux M. Dessaulles ! je vous prierais d’avoir d’autres balances, si vous voulez poser parmi nous comme l’expression incarnée de l’exacte justice.