Le Don Quichotte montréalais sur sa rossinante/24
XXIV.
Quoique j’aie suffisamment dit, dans le chapitre précédent pour venger Rome des injustes attaques que vous dirigez contre elle, en l’accusant de juger les causes sans les entendre, je reviendrai encore sur le sujet.
Le Pape n’a point la claire vue de tous les faits qui se produisent dans le monde ; il ne les connaît que par le témoignage humain, comme tous les autres juges. D’où il suit qu’il peut être trompé par de faux exposés. Mais, sujet à erreur sous ce rapport, il n’en demeure pas moins infaillible dans la sphère où Dieu a voulu qu’il le fut, c’est-à-dire dans les questions qui intéressent la foi et les mœurs.
Pour démontrer que le Pape n’est pas infaillible ou bien qu’il ne rend pas justice dans les sentences qu’il prononce, il ne suffit nullement de dire, de prouver même qu’il a été trompé sur les faits ; mais il faut de toute nécessité établir par des preuves irréfutables qu’il a décrété quelque chose de contraire à la justice ou à la vérité, relativement aux faits tels qu’on les lui a exposés.
D’où il résulte que Rome, interrogée par télégrammes, ne peut pas faire autrement que de donner des réponses en harmonie avec les questions telles que posées. Ceux-là seuls doivent être accusés d’avoir manqué à la vérité ou à la justice qui sciemment ont mal présenté les cas à résoudre.
La haine que vous nourrissez contre Rome, M. Dessaulles, est si déraisonnable et si aveugle, que vous écrivez des choses absolument contradictoires dans un paragraphe de douze lignes seulement. C’est ainsi qu’après avoir fait aux tribunaux romains l’honneur de reconnaître « qu’ils étudient, examinent et jugent les causes de la même manière quel les tribunaux civils, » vous ajoutez de suite « qu’ils agissent sous un mode de procédure absurde dont les vices sont évidents et constatés de tout temps par les amis mêmes de la Cour de Rome, et dont les justices laïques se sont toutes affranchies. »
Ailleurs vous soutenez que les ultramontains regardent les congrégations romaines comme infaillibles, et à la page suivante, vous dites : « Les saintes congrégations romaines jugent-elles infailliblement ? Non ; personne ne l’a jamais prétendu. »
Ces contradictions prouvent, M. Dessaulles, que vous êtes fort divertissant ; mais en même temps elles font une terrible brèche à votre infaillibilité. Si les Papes eussent commis une seule de vos bévues, ils seraient à jamais perdus de réputation. Heureux mortel que vous êtes ! Plus vous nagez dans les contradictions et l’absurde, plus vous croyez avoir droit de poser comme grand sire et d’endoctriner les autres mortels.
Dans votre second pamphlet, vous faites une longue tirade contre les saintes reliques. C’est un morceau soigné ; on dirait même que vous avez visé à la littérature. Vous prétendez que rien n’est moins établi que leur authenticité, et que l’on fait à Rome un commerce très-lucratif en distribuant de fausses reliques. Pour le prouvez, vous racontez une longue histoire puisée, dites-vous, dans un livre très-savant, dont on vous a gratifié ces jours derniers. Or, ce très-savant livre rapporte que, plusieurs prélats et autres ayant été accusés de faire en grand le commerce des fausses reliques, il y eut enquête sérieuse, et que la dite enquête prouva que tous les accusés étaient innocents. C’est, ajoutez-vous, depuis que Victor-Emmanuel est en possession de Rome et que les libéraux peuvent élever la voix, que des faits semblables viennent à la connaissance du public.
En vérité, tout cela est mirobolant, et donne le vertige, d’après votre manière de dire ! Il a été prouvé, Victor-Emmanuel trônant à Rome, qu’on ne fait pas, dans la ville sainte, le commerce des fausses reliques. Un très-savant livre l’assure ; tout de même, ce commerce existe, concluez-vous, M. Dessaulles. On vous passe d’être extravagant, puisque vous vous êtes mis hors la loi ; mais il ne faut pas abuser de la permission.