Le Drageoir aux épices/Ballade en l’honneur de ma tant douce tourmente

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Le Drageoir aux épicesLes Éditions G. Crès et Cie (p. 101-106).


XIII

BALLADE
EN L’HONNEUR DE MA TANT
DOUCE TOURMENTE


Joaillier, choisis dans ta coupe tes pierres les plus précieuses, fais-les ruisseler entre tes doigts, embrase en gerbes multicolores les flammes des diamants et des rubis, des émeraudes et des topazes ; jamais leurs folles étincelles ne pétilleront comme les yeux de ma brune madone, comme les yeux de ma tant douce tourmente !


Les yeux de ma mie versent de morbides pâmoisons, de câlines stupeurs ! Ils flamboient comme des vesprées et reflètent, au déduit, les tons phosphorescents de la mer houleuse, le féerique scintillement des mouvantes lucioles dans les nuits d’orage.

Les yeux de ma mie rompent les plus fermes volontés : c’est le vin capiteux qui coule à plein bord, c’est le philtre qui charrie le vertige, c’est la vapeur de chanvre qui affole, c’est l’opium qui fait vaciller l’âme et la traîne, éperdue, dans d’inquiétantes hallucinations, dans de paradisiaques béatitudes.

Et qu’importe ! ivresse, vertige, enchantement, délire, je veux les boire jusqu’à l’extase dans ces coupes alléchantes, je veux assoupir mes angoisses, je veux étouffer mes rancœurs dans les chaudes fumées de ton haleine, dans l’inaltérable splendeur de tes grands yeux, ô brune charmeresse !

Je veux boire l’oubli, l’irrémissible oubli, sur tes lèvres veloutées, sur ces fleurs turbulentes de ton sang ! Je veux entr’ouvrir leurs rouges corolles et en faire jaillir, dans un rehaut de lumière, tes dents, tes dents qui provoquent aux luttes libertines, tes dents qui mordent cruellement les cœurs, tes dents qui sonnent furieusement la charge des baisers !


Joaillier, choisis dans ta coupe tes pierres les plus précieuses, fais-les ruisseler entre tes doigts, embrase en gerbes multicolores les flammes des grenats et des améthystes, des saphirs et des chrysoprases ; jamais leurs folles étincelles ne pétilleront comme les yeux de ma bonne madone, comme les yeux de ma tant douce tourmente !