Le Fédéraliste/Tome 1/10

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CHAPITRE X.


Continuation du même ſujet.



Parmi les nombreux avantages que nous promet une Union, formée ſur de bons principes, il n'en eſt aucun qui mérite plus d'être développé avec ſoin que ſa tendance à amortir & arrêter la violence des factions. Rien n'allarme plus vivement les mais des Gouvernemens populaires ſur leur proſpérité & leur durée, que leur diſpoſition à ce dangereux vice. Ils ſentiront donc tout le prix des plans, qui ſans violer leurs principes, peuvent lui oppoſer un puiſſant remede. L'inſtabilité, l'injuſtice & la confuſion dans les Conſeils publics, ſont les maladies mortelles qui ont par-tout fait périr les Gouvernemens populaires ; & ce ſont auſſi les lieux communs féconds, où les ennemis de la Liberté puiſent leurs déclamations avec plus de prédilection & de ſuccès. Les inappréciables avantages que la Conſtitution Américaine nous a donnés ſur les Gouvenemens populaires, tant anciens que modernes, ne peuvent trop être admirés ; mais on ne pourrait sans une insoutenable partialité, prétendre qu'elle ait prévenu les dangers de ce genre avec autant d'efficacité qu'on aurait pu le désirer ou l'espérer. On entende de toutes parts les plaintes des plus considérés et des plus vertueux de nos Concitoyens aussi zélés pour la foi publique et particulière, que pour la liberté publique et personnelle. Ils disent que nos Gouvernements ont trop peu de stabilité ; que le bien public est toujours oublié dans les conflits des partis rivaux ; que les questions sont trop souvent décidées sans égards pour les règles de la justice et pour les droit du plus faible parti, par la force supérieure d'une majorité intéressée et oppressive. Avec quelque ardeur que nous puissions désirer que ces plaintes soient sans fondement, la notoriété des faits ne nous permet pas de nier qu'elles ne soient justes jusqu'à un certain point. Si nous nous livrons à un examen impartial de notre situation, nous trouverons que quelques uns des maux sous lesquels nous gémissions, ont été injustement attribués à l'effet de notre Gouvernement ; mais nous trouverons aussi que toutes les autres causes sont insuffisantes pour expliquer quelques-uns des plus pénibles malheurs, et particulièrement cette défiance presque générale et toujours croissante dans nos engagements publics, et ces alarmes pour les droits particuliers, dont les expressions retentissent d'une extrémité du continent à l'autre. Ces effets sont dus entièrement, ou en grande partie, à l'instabilité et à l'injustice dont un esprit de faction a souillé notre administration publique. J'entends par une faction un nombre de Citoyens, formant la majorité ou la minorité de la société, qui sont unis et dirigés par l'impulsion d'une passion ou d'un intérêt contraire aux droits des autres citoyens, ou à l'intérêt constant et général de la société. Il y a deux méthodes d'éviter les malheurs de la faction ; l'une est d'en prévenir les causes, l'autre d'en corriger les effets. Il y a aussi deux méthodes de prévenir les causes des factions : la première en détruisant la liberté essentielle à leur existence ; la seconde en donnant à tous les Citoyens les mêmes opinions, les mêmes passions, les mêmes intérêts. Le premier remède est pire que le mal. La Liberté est à la faction ce que l'air est au feu, un aliment sans lequel il expirerait à l'instant ; mais il serait aussi fou de détruire la Liberté, qui est essentielle à la vie politique parce qu'elle entretient les factions, que de désirer la privation de l'air, parce qu'il conserve au feu sa force destructive. Le second moyen serait aussi impraticable que le premier serait insensé. Tant que la raison de l'homme ne sera pas infaillible et qu'il aura la faculté de l'exercer, il y aura de la diversité dans les opinions ; tant qu'il y aura des rapports entre sa raison et le soin de son intérêt, ses opinions et ses passions auront les unes sur les autres une influence réciproque. La diversité de faculté dans les hommes, qui est à l'origine des droits de propriété, est un obstacle aussi insurmontable à l'uniformité des intérêts. La protection de ces facultés est le premier but du Gouvernement. De la protection des facultés inégales pour l'acquisition des propriétés, résulte immédiatement l'inégalité dans l'étendue et la nature des propriétés. De leur influence sur les sentiments et les opinions des propriétaires, résulte la division de la société en différents intérêts et en différents partis. Ainsi la nature humaine renferme des germes cachés de faction : nous les voyons se développer avec différents degrés d'activité suivant les différentes combinaisons des sociétés humaines. Le zèle pour des opinions différentes sur la Religion, le Gouvernement ou d'autres points de spéculation o une pratique ; l'attachement à des chefs dont l'ambition se dispute la prééminence ou le pouvoir, ou à d'autres personnes dont la fortune intéresse les passions humaines, on continuellement formé des partis entre le hommes, ont excité en eux des animosités mutuelles et les ont disposés à se tourmenter, à s'opprimer l'un l'autre ; loin de travailler de concert à leur prospérité commune. Les hommes sont entraînés par un penchant si puissant dans des animosités mutuelles, que lorsqu'ils n'ont pas d'occasions importantes pour les exercer, les distinctions le plus frivoles et les plus fantastiques on souvent suffi pour réveiller leurs passions ennemies et exciter entre eux de violents combats. Mais la source de factions la plus commune et la plus durable, a toujours été l'inégale distribution des propriétés. Les propriétaires et ceux qui ne le sont pas ont toujours eu des intérêts différents. Les créanciers et les débiteurs ont entre eux une semblable ligne de démarcation. L'intérêt de l'agriculture, l'intérêt des manufactures, l'intérêt du commerce, l'intérêt des capitalistes, et d'autres moins importants, se forment nécessairement parmi les Nations civilisées et les divisent en Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/130 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/131 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/132 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/133 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/134 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/135 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/136 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/137 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/138 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/139 dettes, pour le partage des propriétés, ou pour tout autre projet abſurde & déſaſtreux, ſaiſira plus difficilement le corps entier de l'Union, qu'un de ſes membres iſolés ; de même qu'une maladie de cet nature peut infecter un Comté ou un District, plus aiſément que la totalité d'un état.

Ainſi l'étendue & la ſage organiſation de l'Union, nous offre contre les maux qui affectent ordinairement un Gouvernement Républicain un remede tiré de la nature même de ce Gouvernement. Ainſi plus le nom de Républicain nous inſpire de ſatisfaction & d'orgueil, plus nous devons avec zèle entretenir l'eſprit & conſerver le titre de Confédérés.