Le Fédéraliste/Tome 1/15

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CHAPITRE XV.


Des défauts de la Confédération actuelle, qui fait porter la Légiſlation ſur les Etats, & non ſur les individus qui les compoſent.



Dans le cours des diſcuſſions précédentes, je me ſuis efforcé d'expoſer à vos yeux, ſous le jour le plus évident, l'importance de l'Union pour notre ſûreté & notre proſpérité politiques. Je ſuis entré dans le détail des dangers de tous le genres auxquels vous ſeriez expoſés, ſi vous laiſſiez rompre ou diſſoudre par l'ambition, l'avarice, la jalouſie ou l'influence des conſeils perfides, ce lien ſacré qui unit les Peuples de l'Amérique. Dans la ſuite des recherches où je prétends vous conduire, les vérités, dont je veux vous convaincre, acquerront une force nouvelle par des faits & des raiſonnemens nouveaux. Si la route qu'il faudra ſuivre, vous paroît quelquefois ennuyeuſe & fatigante, vous vous ſouviendrez que l'objet de vos recherches eſt le plus important qui puiſſe exciter l'attention d'un Peuple libre ; que le champ que vous avez à parcourir eſt vaſte par lui-même & que les difficultés du voyage ont néceſſairement été augmentées, par les labyrinthes dont l'art des ſophiſtes a embarraſſé le chemin ; mais je ne négligerai rien pour écarter les obſtacles oppoſés à votre marche avec toute la briéveté qui me ſera poſſible, ſans ſacrifier les intérets de ma cauſe à la précipitation.

Suivant l'ordre que je me ſuis preſcrit pour la diſcuſſion de mon ſujet, le premier point qui s'offre à mon examen, eſt l'inſuffiſance de la Confédération actuelle, pour le maintien de l'Union. On demandera peut-être à quoi ſert d'accumuler les raiſonnemens & les preuves à l'appui d'une propoſition, ſur laquelle il ne s'éleve ni conteſtation ni doute, qui ſe trouve d'accord avec les opinions & les ſentimens des hommes de toutes les claſſes ; & qui en ſubſtance eſt admiſe par les adverſaires de la nouvelle Conſtitution auſſi bien que par ſes partiſans ? il faut avouer en effet que quelque diviſés qu'ils puiſſent être à d'autres égards, ils ſemblent s'accorder pour reconnoître qu'il y a des défauts eſſentiels dans notre ſyſtême National, & qu'il faut faire quelque choſe pour nous ſouſtraire à l'anarchie qui nous menace. Les faits qui appuient cette opinion ne ſont plus des objets des réflexions ſpéculatives : ils ſe ſont fait par tout reſſetnir aux Peuples, & ont enfin arraché à ceux dont la fauſſe politique eſt la principale cauſe de nos malheurs, l'aveu forcé des défauts de ce plan de notre Gouvernement fédératif, qui avoient depuis long-temps été apperçus & déplorés par les partiſans éclairés de l'Union.

On peut dire avec raiſon que nous ſommes parvenus preſque juſqu'au dernier degré d'humiliation politique. De tout ce qui peut bleſſer l'orgueil d'une Nation ou dégrader ſon caractère, il n'eſt preſque rien dont nous n'ayons fait l'épreuve. Des engagemens à l'exécution deſquels nous étions tenus par tous les liens reſpectés parmi les hommes, ſont violés continuellement & ſans pudeur. Nous avons contracté des dettes avec les Etrangers & avec nos Concitoyens, pour la conſervation de notre exiſtence politique, & le paiement n'en Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/183 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/184 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/185 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/186 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/187 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/188 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/189 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/190 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/191 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/192 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/193 Page:Le Fédéraliste T. 1.pdf/194 l'Union n'ont pas été exécutées & les fautes des Etats les ont entraînés à grands pas vers l'extrémité où ils ſont réduits. Tous les rouages du Gouvernement National arrêtés, le tiennent dans une immobilité effrayante. A préſent le Congrès eſt à peine en état de ſoutenir les formes de l'adminiſtration, juſqu'au moment où les Etats ſeront convenus de mettre quelque choſe de réel à la place du fantôme actuel de Gouvernement fédératif. Les choſes n'en ſont pas venues en un inſtant à cette extrémité déſeſpérée. Les cauſes dont j'ai parlé, ont commencé par établir quelques différences dans la ſoumiſſion des Etats particuliers aux volontés du Congrès. Les fautes plus graves de quelques-uns d'entr'eux ont offert le prétexte de l'exemple & la ſéduction de l'intérêt à ceux qui étoient demeurés dans la ſubordination, ou qui s'en étoient le moins écartés. Pourquoi ſe ſont-ils dit, ſerions-nous plus que ceux qui ſont entrés avec nous dans la même carrière politique ? Pourquoi porterions-nous plus que notre part du fardeau commun ? L'égoïſme des hommes ne ſait par réſiſter à des ſuggeſtions de cette nature, & les obſervateurs qui prévoient les conſéquences les plus éloignées, ne les combattent qu'avec peine. Les Etats cédants à la voix perſuaſive d'un intérêt ou d'une convenance du moment, ont ſucceſſivement retiré leur appui à l'édifice frêle & vacillant qui ſemble prêt aujourd'hui à s'écrouler ſur nos têtes, & à nous enſevelir ſous ſes ruines.