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Le Faubourg mystérieux. Le Vampire du Val-de-Grâce/VI

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E. Dentu (Collection Hetzel) (p. 91-108).
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VI

Il déposa ensuite Colombe sur une large plaque de métal bruni, d’une horizontalité parfaite. Lorsqu’elle fut ainsi étendue sur la plaque, le docteur alla prendre dans un coin un vase de cuivre jaune plein de la composition spéciale, et en répandit sur le front, sur la poitrine, sur les bras et sur les jambes de Colombe, déjà noire comme un charbon par l’effet bien connu de la désorganisation qui arrive instantanément à la suite de l’infernale maladie dont elle avait été frappée. Après avoir remis à César le vase de cuivre, il s’occupa d’oindre le corps de la jeune fille de ce liquide, d’abord déposé par places, et quand cela fut fait, il alluma, à l’extrémité des pieds et au sommet du front, les bords du liquide, afin qu’en se rencontrant les deux flammes enveloppassent le corps tout entier,

Immédiatement, l’embrasement eut lieu dans les conditions prévues, et aussitôt Colombe, sa jeunesse, son teint, ses chairs roses, son sourire blanc et ingénu, tout elle, enfin, se montra et s’épanouit dans l’éblouissement de cette clarté magique. C’était une réussite complète. Elle avait produit les conséquences rêvées avec tant d’orgueil par le docteur, car tout le quartier allait témoigner le lendemain, à la vue de Colombe, ressuscitée en jeunesse et en beauté, de la victoire du docteur Kanali sur le néant.

César compromit tout. Ravi jusqu’à l’effroi du spectacle étalé devant lui, ému aussi sans doute de revoir cette jeune enfant presque vivante, lui qui venait de la porter à ce pavillon dans un état si loin de la vie, il perdit la tête, il se troubla, et dans un mouvement nerveux dont il n’est pas difficile de se rendre compte, il rapprocha le liquide qu’il tenait dans sa main droite, tremblante, un liquide plus inflammable que la poudre, de la lampe qu’il portait dans la main gauche, et tout fut en feu dans le pavillon. Jamais plus violent, incendie n’éclata dans un espace aussi resserré. Le pavillon, bourré de gaz jusqu’au plafond, craqua, se fendit, le toit fut emporté dans les airs, tandis qu’une partie des murs s’écroulait au bruit d’une détonation pareille à celle d’une mine qui s’embrase et part. Cette déflagration fut suivie d’un jet de flammes large et continu qui monta droit parallèlement à la coupole du Val-de-Grâce ; il en éclaira les moindres parties architecturales aux yeux de tous les gens du faubourg, facilement éveillés par cet énorme bruit et cette immense clarté ; et d’autant plus facilement que le peuple, à cette époque-là, 1849, était prompt à se préoccuper de tout, à s’irriter de tout, voyant des intentions hostiles dans le moindre événement. Les suppositions s’allumèrent donc aussi aux quatre coins du vaste faubourg ; elles allèrent bon train : « Ça vient du Val-de-Grâce, murmura-t-on de rues en carrefours, de ruelles en ruelles ; que s’y passe-t-il ? — Il s’y passe qu’on y brûle les malades, dit quelqu’un qui avait déjà regardé par-dessus le mur et plongé dans le cratère embrasé du pavillon. — C’est ça, on brûle les malades pour en finir plus vite avec l’embarras qu’ils causent. » Ce bruit malveillant, venimeux, mortel, court, grossit, se propage ; il devient bientôt un cri, un hurlement général : « On brûle les malades ! on brûle les malades ! » Le groupe colère se joint au groupe malfaisant ; il devient foule, il devient tempête ; le mur du jardin du côté de la rue des Charbonniers est escaladé ; et les plus hardis s’introduisent. Guidés par les flammes, ils parviennent au pavillon de Caseneuve. Quel spectacle ! leur rage n’a plus de frein : ils ont aperçu au milieu d’un feu diabolique le corps d’une jeune femme à demi calciné, d’une jeune femme qu’ils reconnaissent ; l’amour, la grâce, la joie, le bonheur, l’idole du quartier ; Colombe Val-de-Grâce dévorée par les flammes ; eux qui ne la savaient pas même malade ! Le moins qu’ils veulent, c’est massacrer Caseneuve et le docteur Kanali ; les brûler sur ce bûcher auquel il leur est impossible de prêter une signification quelconque, si ce n’est celle d’un abominable crime commis.

Heureusement pour les deux personnages si près de passer au brasier, les gens de la maison arrivent à leur secours. La garde de service survient. Enfin on les sauve. On dit à l’émeute que le feu a pris par accident au pavillon de l’interne César Caseneuve pendant qu’il était occupé à étudier le caractère de la maladie régnante sur le corps de Colombe, déjà expirée depuis quelques heures. L’émeute se retira en grondant ; mais une grande émotion avait eu lieu. Le plus profond silence, il va sans dire, fut recommandé et observé sur l’événement.

Le lendemain, l’interne César fut renvoyé, et le docteur Kanali, de son côté, fut prié de se pourvoir d’un autre logement.

Et voilà comment le docteur vint chez nous, où aucun bruit défavorable ne l’avait précédé ni suivi, puisque tout bruit avait été prudemment étouffé.

Je n’ai plus à raconter maintenant ce que d’autres m’ont dit, — c’est M. Morel qui parie, — mais bien ce dont j’ai été témoin moi-même.

Je fus d’abord témoin de la sombre mélancolie qu’apporta Mlle Marthe Kanali en descendant chez nous, langueur universelle dont je dirai tout de suite la cause, quoique je ne l’aie connue que quelque temps après l’installation de la famille.

M. Kanali, qui n’avait laissé s’introduire et s’établir dans sa familiarité César Caseneuve, qui ne l’avait autorisé à bâtir des espérances de gendre que parce qu’il avait besoin de lui, d’un aide intelligent, d’un complice dévoué pour l’aider dans ses expériences, ne voulut plus entendre parler de lui après le déplorable succès du pavillon. Comme il n’attribua qu’à César Caseneuve tout ce qui lui était arrivé de funeste cette mémorable nuit-là, l’incendie, l’invasion des gens du faubourg, son renvoi du Val-de-Grâce, enfin la ruine complète de sa tentative si près d’être une victoire, il l’éloigna de chez lui, le prit en haine, en aversion, défendit à sa femme et à sa fille non-seulement de continuer à le recevoir, mais même de prononcer son nom. Il n’y a pas comme les ambitieux pour engendrer de ces antipathies noires, de ces haines sauvages envers ceux qui ont fait verser leur char n’importe comment. Marthe baissa la tête afin de laisser passer l’orage, mais elle se promit bien de ne pas oublier son amour, et un pareil engagement mène loin. L’Italienne ardente emprunta à l’Allemande sa fermeté et à la Française son esprit de ressources pour triompher de la mauvaise fortune du moment.

Quant à sa mère, quant à Mme Kanali, elle se demanda si elle ne devait pas remercier le ciel d’avoir écarté pour toujours ce jeune homme du seuil de leur maison ; elle supposait que c’était pour toujours. N’ayant jamais vaincu le frisson qui courait en rameaux glacés dans tous ses membres à la vue de Caseneuve, évidemment affligé à ses yeux d’une ressemblance malheureuse avec quelque être profondément, antipathique, elle l’avait vu partir avec bonheur, avec bonheur pour elle, avec quelque chagrin pour sa fille, quoique ce chagrin fût encore relatif ; car elle avait dit plusieurs fois au confident divin, dans ses prières, que le jour où Marthe épouserait Caseneuve, s’il était dans son étoile de l’épouser, elle mourrait à l’instant même de douleur.

Nous ne tarderons pas à savoir quel était le motif de cette insurmontable répulsion de Mme Kanali pour César Caseneuve, dont elle ne niait pas cependant la remarquable intelligence, la grande honnêteté, la science bien acquise, sans parler des autres avantages qu’elle ne lui refusait pas non plus : une figure attrayante et pleine de noblesse, une taille distinguée, de charmantes manières.

Reste à dire maintenant la situation de César après la fatale mésaventure du pavillon, ce naufrage de tant d’espérances. La situation n’était pas bonne. Il fut si nettement congédié par le docteur le lendemain du jour où ils l’avaient été tous les deux du Val-de-Grâce, qu’il n’eut pas le courage, si impérieux que fût son amour, de se présenter au nouveau logement de la famille Kanali.

Ce fut un de ces congés après lesquels il n’y a plus d’espoir, excepté cependant pour les amants exaltés, pour les héros suprêmes des grandes passions : les Des Grieux, les Werther, les Saint-Preux, peut-être aussi pour les César Caseneuve.

Dans tous les cas, voilà parfaitement expliquée la raison de prudence pour laquelle M. et Mme Kanali, mus par des craintes différentes, s’informèrent l’un et l’autre avec tant de précision auprès de moi, les premiers jours de leur installation, de l’heure à laquelle on fermait le soir les portes de la maison de santé, de la hauteur des murs, etc., etc…

J’ai dit que la passion de Mlle Marthe Kanali ne manquerait pas de se doubler d’une grande finesse ; je ne sais pas si en avançant ce trait de caractère j’ai beaucoup particularisé sa nouvelle situation morale. Au fond, quelle est la jeune fille qui ne devient pas fine à l’instant même où la passion la saisit ? Elle devient fine parce qu’il y a danger, et il y a danger parce qu’il y a ennemi. Contre tout amour s’élève un ennemi ; cet ennemi c’est ou la famille, ou le monde, ou l’univers entier. Impénétrable énigme ! On fait du mariage une nécessité, la plus obligatoire des nécessités de la vie pour une femme, et il n’est pas d’acte de la vie, cependant, qu’on contrarie plus que celui-là chez une femme. Que de raisons pour l’empêcher ! raisons tirées tantôt de la disproportion des âges, tantôt de l’inégalité des fortunes, tantôt de la différence des rangs. On s’étonne de voir tant de vieilles filles sur le trottoir du célibat ; ce qui m’étonne, moi, c’est de voir tant d’autres filles qui se marient lorsque je songe qu’il n’y a que deux bouches pour dire oui devant le maire, et qu’il y en a des milliers, et des milliers qui n’ont pas d’autre désir, d’autre fonction que de dire toujours : Non, non, non.

Parvenue à ce point dans le chemin qui lui est tracé, l’histoire de la famille Kanali retrouve ses personnages dans les dispositions suivantes.

Mme Kanali croyait plus que jamais aux vampires, ce qu’on a pu voir aux questions qu’elle m’avait adressées dès son arrivée à la maison de santé. Et cette réflexion faite par elle devant son mari, à l’intention de ce dernier : Il ne faut pas craindre que les voleurs, accuse suffisamment la préoccupation constante de sa croyance redoutable à ces créations venues d’au delà de la tombe.

Cette même croyance nous explique l’effroi général dont elle avait été envahie à la vue de César Caseneuve, et sa terreur lorsqu’elle avait découvert qu’il portait comme le vampire Bem Strombold, celui qui avait été sur le point d’épouser sa mère, la femme du grand Salomon Kanali, une espèce de petite groseille sanglante au coin de la lèvre. Seulement, Bem Strombold ne donnait jamais la main droite, et César ne la refusait pas. N’importe ! Mme Kanali, à cause de ce signe sanglant, avait vu en frémissant de toutes les fibres délicates de son cœur César approcher de sa fille et s’en faire aimer ; elle pensait que Marthe serait victime de cette troisième apparition du même vampire dans leur famille deux fois éprouvée, et que la pauvre Marthe mourrait de cette obsession par la raison même que sa grand’mère, la femme du premier des Kanali, et elle, sa mère, y avaient échappé. Marthe n’aurait pas le même bonheur. Il fallait absolument une jeune victime à ce grand maudit : Marthe offrait tous les signes de la prédilection funeste. Le vampire est toujours précédé de la langueur, et la langueur de Marthe frappait tous les regards ; la consomption l’accompagne, et la consomption rongeait Marthe sans pitié ; il s’entoure d’une auréole de pâles couleurs, et les pâles couleurs couvraient le visage de Marthe. Donc, Marthe lui appartiendrait ! Maintenant, ajoutez que Mme Kanali n’avait attaché son attention avec tant de fixité aux fenêtres de notre longue galerie de malades, que parce que les vampires, cela est de tradition reconnue dans leur émouvante histoire, n’apparaissent jamais en si grand nombre qu’aux époques des fortes épidémies ; et nous étions malheureusement à l’une de ces époques.

Voilà donc expliquées et les angoisses et les terreurs de Mme Kanali pour sa fille qu’elle ne quittait plus des yeux. Marthe était suivie, espionnée par elle sans trêve ni merci. Et cette surveillance si tyrannique, née d’un excès d’amour maternel, n’excluait pas autour de Marthe celle de M. Kanali, dont la colère contre César Caseneuve était loin de subir le moindre affaiblissement. Bien loin de là, c’était une de ces haines colossales de savant, une de ces haines auprès desquelles les haines du reste des hommes sont de l’amitié. Mais toutes ces pressions incessantes exercées sur l’amour de César et de Marthe, au lieu de le refroidir, n’avaient servi qu’à l’exalter jusqu’au délire, jusqu’à la fièvre. Devenu, dans l’un et dans l’autre, l’aliment unique de leur pensée, la flamme inextinguible de leur cerveau, leur seul motif de vivre, il les rendait incapables de toute autre chose que de s’aimer. Le monde était tout entier dans leur amour. Il n’y avait au monde qu’eux et leur amour : sublime égoïsme, sainte folie, que n’ont la possibilité de bien comprendre que ceux qui ont traversé une fois dans leur vie cet enfer de félicités.

Ici se présente naturellement la longue suite de difficultés, d’obstacles et de dangers que Marthe et César rencontrèrent devant eux quand ils cherchèrent à se communiquer leurs sensations.

César essaya d’écrire à Marthe ; ses lettres furent détournées et portées au père et à la mère, dont la surveillance et la défiance augmentèrent. Il essaya de passer par-dessus les murs du jardin ; il fut surpris par les gardiens ; il fut exposé à être arrêté comme voleur : il renonça à ces moyens. Disons tout de suite qu’aucun moyen ne lui réussit, et que ces insuccès multipliés irritèrent au lieu de l’éteindre l’amour des deux jeunes gens.

On vient de voir ce que cet amour produisit de déceptions chez Caseneuve : chez Marthe, il amena, de découragements en découragements, une espèce d’idiotisme rêveur dont on trouve plus d’un exemple chez les jeunes filles tourmentées comme elle dans leur plus doux penchant. Sa vie s’éloignait d’heure en heure de ses rapports avec tout ce qui l’entourait pour s’isoler peu à peu en elle. Mlle Kanali se mura dans l’intérieur de son amour comme dans un cloître ; et de là, elle ne regarda plus le monde, le soleil et les vivants qu’avec indifférence. Sa pâleur s’augmenta encore de cette retraite silencieuse de son amour dans le creux de son âme, Marthe ne fut plus qu’une ombre sur la terre.

Avant de dire par quel moyen, dont il est tout à fait impossible de sang-froid de se faire une idée, Caseneuve s’introduisit enfin dans la maison de santé, il me reste à dire la conduite personnelle du docteur Kanali depuis que nous l’y possédions.

Le docteur n’avait nullement abandonné, on aurait tort de croire le contraire, son projet d’embaumement et de rajeunissement, malgré le très-grave échec qu’il avait reçu au Val-de-Grâce. Il n’était venu dans notre maison du faubourg Saint-Denis que dans l’unique but de prendre une triomphante revanche. Le lecteur ne conservera aucun doute à cet égard, quand je l’aurai conduit plus tard dans un certain établissement que j’indiquai moi-même au docteur Kanali, fatigué que j’étais à la fin de m’entendre toujours adresser cette question : « Monsieur Morel, sachez donc me dire où se réunissent les fossoyeurs ! » Question qu’il me fit, on s’en souvient peut-être, lors de notre premier entretien.

Revenons aux amours de Marthe et de César.

La mélancolie de Marthe devint bientôt, par un effet assez fréquemment observé chez les jeunes femmes malades d’amour contrarié, une piété outrée ; Mlle Kanali ne s’arrêta même pas à cette exagération, qui la faisait passer des nuits en prière et communier chaque samedi : elle voulut être religieuse, et, pour sanctifier son noviciat, elle déclara qu’elle voulait partager avec les sœurs de Saint-Vincent-de-Paul la mission de soigner les malades. Sa mère effrayée se récria, son père se révolta à cette idée. Que signifiait une pareille détermination ? Est-ce que c’était là la destinée, la vocation d’une jeune fille élevée pour le monde, riche, célèbre par son aïeul et par son père ? Marthe fut inflexible.

Elle se laisserait mourir, dit-elle, si on ne lui permettait pas de se vouer entièrement au salut des malades. Raisonnements et prières furent des mots inutiles. Rien ne la fit donc renoncer à cette résolution ; résolution bien imprudente, me disais-je, moi témoin indirect de ces contestations de famille ; je ne la lui aurais jamais laissé prendre si j’avais été à la place de son père, parce qu’il était douteux que la défense de se faire sœur de charité l’eût fait mourir, tandis qu’il était presque sûr qu’elle serait victime de son dévouement en allant respirer au bord du lit des malades les poisons si subtils de l’épidémie. Déjà, sur dix sœurs de Saint-Vincent-de-Paul, sept, venues pour soigner nos malades, avaient disparu pour toujours ; et pourtant ce sont là des femmes habituées à la fatigue, rompues aux veilles, fortes contre toutes les répugnances, et dont le moral, certes, est à l’abri de la crainte, car c’est précisément le danger qu’elles bravent qu’elles cherchent, qu’elles aiment par-dessus tout.

Il devint donc inutile de contrarier plus longtemps la volonté de Marthe, si délibérément décidée à se consacrer, dans un sentiment religieux, aux soins à donner aux malades. Elle fut abandonnée à son entraînement. Elle descendit dans nos salles et commença son service. Elle débutait dans un moment bien périlleux !

Développée par les chaleurs excessives du mois de juin, la maladie prit tout à coup un caractère des plus sinistres. Nous revîmes les jours noirs de 1832. Déjà bien affaibli par la situation politique, le commerce devint tout à fait nul. C’est à peine si l’on ouvrait les magasins ; on les ouvrait à demi pour répondre aux exigences de la vie matérielle, et on les fermait sitôt la nuit venue.

Les nuits étaient dures à traverser. De loin en loin des lanternes rouges indiquaient les ambulances où l’on allait réclamer les premiers secours. Désertes, silencieuses, les rues étaient sillonnées en tous sens et sans interruption par de longues files de brancards ; et vers minuit, quand on supposait les habitants endormis, et ils dormaient peu à cette époque, les voitures dont il a été dit l’usage profilaient la grimace exagérée de leur ombre sur les murs frissonnants d’épouvante : voitures fantômes chargées de fantômes. Afin de ne pas porter l’effroi jusqu’au fond des maisons, toujours sur un qui-vive nerveux, les roues étaient enveloppées de grosses toiles ; précautions perdues : la peur entend toujours ; elle entend lorsqu’il n’y a rien, et il y avait quelque chose ; il y avait beaucoup.

Ce fut par une de ces nuits lamentables, impossibles à oublier, et lorsque nos salles n’avaient plus de places à donner à personne, que je vis arriver un jeune homme, soutenu par deux de ses amis. Ses yeux à demi fermés, son visage inquiet, son corps voûté par les contractions de la douleur, son haleine courte et brisée, ses paroles décousues ne laissaient aucun doute sur le nom redouté qu’il fallait donner au mal dont il venait d’être foudroyé.