Le Fils de Giboyer/Acte II

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Le Fils de Giboyer
Théâtre completCalmann-Lévy, éditeursTome 5 (p. 55-91).
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ACTE DEUXIÈME


Un petit salon chez M. Maréchal. — Deux portes dans des pans coupés. —
Cheminée au fond. — Un métier à tapisserie à droite.


Scène première

MADAME MARÉCHAL, assise et brodant ; MAXIMILIEN, assis près d’elle sur un tabouret, lui faisant la lecture.
Maximilien, lisant.

Quand j’eus seul devant Dieu pleuré toutes mes larmes,
Je voulus sur ces lieux, si pleins de tristes charmes,
Attacher un regard avant que de mourir,
Et je passai le soir à les tous parcourir.
Oh ! qu’en peu de saisons…

Madame Maréchal.

Je crains que vous ne vous fatiguiez, monsieur Maximilien.

Maximilien.

Non, madame.

Madame Maréchal.

Vous devez trouver que j’abuse un peu de vous.

Maximilien.

Je suis trop heureux que mes fonctions de lecteur remplissent le vide de mes fonctions de secrétaire. Je n’ai pas fait œuvre de mes dix doigts depuis que je suis chez M. Maréchal.

Madame Maréchal.

Vous lisez comme un ange.

Maximilien.

Vous êtes indulgente.

Madame Maréchal.

À la façon dont vous dites les vers, on sent que vous les aimez… Moi, je les adore. Vous en faites peut-être ?

Maximilien.

J’en ai fait, d’assez mauvais pour ne plus être tenté de recommencer.

Madame Maréchal.

Il me semble que, si j’avais été homme, j’aurais été poète… poète ou soldat. Les femmes sont bien à plaindre, allez ! L’action leur est interdite et on leur défend même de donner une forme à leurs rêveries.

Maximilien.

Pauvres femmes ! (À part.) Ce qui m’étonne, c’est qu’on en trouve encore. (Haut.) Voulez-vous que je continue ?

Madame Maréchal.

Si vous n’êtes pas fatigué de lire… Moi, je ne me lasserais jamais d’écouter. C’est si beau, cette musique !

Maximilien, lisant.

Oh ! qu’en peu de saisons les étés et les glaces
Avaient fait du vallon évanouir nos traces !
Et que sur ces sentiers, si connus de nos pieds,
La terre en peu de jours nous avait oubliés !

Madame Maréchal.

Vous étiez bien jeune quand vous avez perdu votre mère ?

Maximilien.

J’avais huit ans.

Lisant.

La végétation comme une mer de plantes…

Madame Maréchal.

Et vous n’avez jamais connu votre père ?

Maximilien.

Jamais.

Lisant.

Avait tout recouvert de ses vagues grimpantes.
La liane et la ronce…

Madame Maréchal.

Pauvre jeune homme ! seul au monde à huit ans ! Qu’il vous a fallu de courage !

Maximilien.

Aucun, madame. Personne n’a eu la vie plus facile que moi, grâce à l’homme divinement bon qui m’a recueilli.

Madame Maréchal.

Il est votre parent, je crois ?

Maximilien.

Cousin au dixième ou onzième degré ; mais ses bienfaits ont tellement resserré la parenté, qu’en l’appelant mon oncle je lui fais tort d’un grade. Il n’avait pas d’enfant, il m’a pour ainsi dire adopté.

Madame Maréchal.

Ah ! je comprends cela, moi qui n’ai pas d’enfants non plus ! Je serais heureuse de trouver quelqu’un à qui servir de mère.

Maximilien.

Mais il me semble que vous êtes toute portée… Votre belle-fille ?…

Madame Maréchal.

Fernande ?… Oui… Mais c’est un fils que je voudrais. L’amour d’un fils doit être plus tendre. Pauvre Fernande ! je ne puis pas lui en vouloir : sa froideur pour moi, c’est sa fidélité à une tombe.

Maximilien.

Je croyais qu’elle avait perdu sa mère au berceau.

Madame Maréchal.

Oh ! pas du tout ! Elle avait trois ans, et, chez nous autres femmes, la sensibilité est si précoce !

Maximilien.

Mademoiselle Fernande aura usé la sienne en herbe.

Madame Maréchal.

Elle ne vous paraît pas très expansive ?

Maximilien.

Non… Oh ! non !

Madame Maréchal.

Mon Dieu ! c’est une petite sauvage qui s’est élevée toute seule. Elle a peut-être un peu de fierté ; mais comment en serait-il autrement dans sa position de riche héritière ?

Maximilien.

Permettez, madame ; il n’y a pas besoin d’être riche pour être fier, et c’est une vertu ; mais ce n’est pas de la fierté qu’a mademoiselle Fernande, c’est de la hauteur.

Madame Maréchal.

Auriez-vous à vous plaindre… ?

Maximilien.

À me plaindre, non, parce que cela m’est parfaitement égal ; mais, franchement, mademoiselle Fernande déploie envers moi un luxe d’indifférence bien inutile. Je me tiens à ma place, et n’ai pas la moindre envie de m’y faire remettre. Elle prodigue sa froideur.

Madame Maréchal.

Peut-être est-ce dans votre intérêt ; elle craint peut-être…

Maximilien.

Quoi ?

Madame Maréchal.

Vous êtes jeune, elle est belle…

Maximilien.

Et elle a lu des romans où le pauvre secrétaire s’éprend de la fille du baron ? Mais elle peut se rassurer, je ne cours aucun danger. Il y a entre nous un fleuve de glace.

Madame Maréchal.

Et ce fleuve, c’est ?…

Maximilien.

Sa dot !… dont elle ne manquerait pas de me croire amoureux. Les jeunes fille riches… brr ! Le frôlement de leur robe ressemble à un froissement de billets de banque ; et je ne lis qu’une chose dans leurs beaux yeux : « La loi punit le contrefacteur. »

Madame Maréchal.

J’aime à vous voir dans ces idées-là ; je vous avais bien jugé. Il faut le dire, hélas ! on ne trouve plus cette fermeté de sentiments que chez les hommes élevés à l’école de l’adversité.

Maximilien.

Mais non, madame ! c’est le seul maître qui m’ait manqué, grâce à mon cher protecteur.

Madame Maréchal.

Ne rougissez pas d’avoir connu la misère, monsieur Maximilien ; pas devant moi, du moins.

Maximilien.

Ni devant vous, madame, ni devant personne. Mais, en vérité, si je l’ai connue, c’est à l’âge où on ne la comprend pas, et je ne m’en souviens plus. Il ne me reste de mon enfance qu’une impression désagréable, celle du froid ; et encore, comme je voyais des engelures aux mains de tous mes petits camarades, j’aurais été humilié de n’en pas avoir : (Souriant.) j’en avais.

Madame Maréchal.

Il sied bien à un homme de plaisanter de ses épreuves : la gaieté est la forme la plus virile du courage.

Maximilien, à part.

Elle y tient, la bonne dame.

Madame Maréchal.

Si j’avais un fils, je le voudrais souriant dans sa force, comme vous… et je vous prierais d’être son ami… son Mentor plutôt, car il serait encore bien jeune.

Maximilien, à part.

Elle se sera mariée tard.

Madame Maréchal.

Aimez-moi un peu, monsieur Maximilien.

Maximilien.

Madame, certainement…



Scène II

Les Mêmes, FERNANDE ouvre la porte et fait mine de se retirer.
Madame Maréchal.

Entrez, ma chère, vous n’êtes pas de trop. M. Maximilien a la complaisance de me faire la lecture… Si les beaux vers ne vous effrayent pas, mettez-vous à votre métier et écoutez.

Fernande.

Volontiers, madame !

Elle déploie son métier à tapisserie et s’installe.
Maximilien, à part, désignant madame Maréchal.

Comme elle me regarde !… Est-ce que par hasard… ? Fi donc !

Madame Maréchal, allant à Fernande.

Il est très joli, ce carreau ; tâchez de ne pas le perdre, comme vous avez perdu le dernier.

Fernande, travaillant.

Je le retrouverai sans doute.

Madame Maréchal.

Un jour que personne n’en aura besoin, n’est-ce pas ?

Fernande.

Probablement.

Madame Maréchal.

Vous ne m’ôterez pas de la tête que vous l’avez dit perdu pour ne pas le montrer à madame Mathéus.

Fernande.

Pourquoi ne l’aurais-je pas montré ?

Madame Maréchal.

Parce qu’il y avait trois fautes, je pense.

Fernande.

Qu’est-ce que vous lisiez ?

Madame Maréchal.

Jocelyn. Voulez-vous reprendre, monsieur Maximilien ?

Maximilien, à part.

Elle a une singulière façon de regarder les gens.

Lisant.

La liane et la ronce entravaient chaque pas ;
L’herbe que je foulais ne me connaissait pas ;
Le lac, déjà souillé par les feuilles tombées,
Les rejetait partout de ses vagues plombées.
Rien ne se reflétait…

Madame Maréchal.

Que cherchez-vous donc ? Je ne sais pas écouter quand on remue autour de moi.

Fernande.

Je ne trouve pas mon peloton bleu.

Madame Maréchal, à Fernande.

Vous perdez tout.

Maximilien, se levant.

Voulez-vous me permettre, mademoiselle ?

Fernande, sèchement.

Ne vous dérangez pas, monsieur ; je l’ai.

Maximilien, ramassant le peloton ; à part.

Tiens ! moi aussi. (Il le met sur la cheminée.) Pimbêche !



Scène III

Les Mêmes, MARÉCHAL, un manuscrit à la main.
Maréchal.

Ah ! je vous cherchais, monsieur Gérard. — Bonjour, Fernande. (Elle lui tend son front sans quitter son ouvrage ; il l’embrasse.) Voici de la besogne, mon jeune ami.

Maximilien.

Tant mieux, monsieur. Je me plaignais de mon inutilité.

Maréchal.

Dorénavant vous ne chômerez plus, soyez tranquille.

Fernande.

Qu’y a-t-il donc ?

Maréchal.

Ce qu’il y a ?… N’as-tu pas remarqué, depuis trois jours, que j’ai l’air sombre et préoccupé ?

Fernande.

Non.

Maréchal.

Cela m’étonne ! Je croyais l’avoir… et on l’aurait à moins. Je viens d’écrire un discours qui sera un coup de canon.

Fernande, se levant et allant à son père.

Un discours ? Tu vas parler ?

Maréchal.

Il le faut.

Fernande.

Ah ! père, la parole est d’argent, mais le silence est d’or.

Maréchal.

Il y a des circonstances, ma fille, il y a des positions où le silence est une défection, pour ne pas dire une complicité… N’est-ce pas, Aglaé ?

Madame Maréchal.

Sans doute ; votre père doit des gages à son parti, à ses hautes amitiés et, j’ose le dire, à son alliance avec une la Vertpillière.

Fernande.

C’est vous, madame, qui le poussez ?

Madame Maréchal.

Êtes-vous fâchée de le voir sortir de son obscurité ?

Fernande.

Hélas ! sa vie tranquille ne tenait pas ma vanité en souffrance… son nom sans éclat me suffisait, à moi qui l’aime. (À Maréchal.) Quelle ambition te prend ? Je ne vivrai pas le jour où tu monteras à cette maudite tribune.

Maréchal.

Ce n’est pas l’ambition, ma fille, c’est le devoir ! Ne cherche pas à m’ébranler ; ce serait en vain. L’honneur parle, il doit être écouté. (Fernande retourne à sa tapisserie.) Mon cher Gérard, vous allez me faire le plaisir de me recopier mon griffonnage de votre plus belle main ; car je ne m’y reconnaîtrais pas moi-même.

Fernande.

Ah ! tu liras ?

Maximilien.

Je vais me mettre tout de suite à l’ouvrage.

Maréchal.

Parcourez un peu d’abord, pour voir si vous me déchiffrez. (À Fernande.) Oui, je lirai ; c’est moins inquiétant, hein ? petite défiante ! je lirai mon premier discours ; pour le second, nous verrons. (Lui donnant une petite tape sur la joue.) Nous prenons donc ce père pour une ganache ?

Fernande lui baise la main.

Maximilien s’assied dans un coin et parcourt le manuscrit.

Un Domestique, annonçant.

Madame la baronne Pfeffers.



Scène IV

Les Mêmes, LA BARONNE ; elle a une tapisserie roulée dans son manchon.
Madame Maréchal.

Ah ! baronne !…

La Baronne.

Ce n’est pas votre jour, madame ; mais je n’ai pas voulu passer devant votre porte sans frapper, bien que j’espère toujours vous voir chez moi demain soir.

Maréchal.

Nous irions plutôt sur la tête !

La Baronne.

Vous allez bien, monsieur l’orateur ?

Maréchal.

Prêt au combat, madame.

La Baronne.

Au triomphe. — J’avais aussi un petit service à vous demander, madame.

Madame Maréchal.

Je regrette qu’il soit petit.

La Baronne.

Nous sommes toutes deux patronnesses de l’Œuvre des petits Chinois ; j’ai placé tous mes billets et on m’en demande encore. Pouvez-vous m’en céder une dizaine ?

Maréchal.

On se dispute moins les siens que les vôtres, chère baronne.

Madame Maréchal, à part.

Brutal ! (Haut.) Je vais voir ce qui m’en reste.

La Baronne.

Il faut vous déranger ? Vous me les enverrez.

Madame Maréchal.

Non, j’aime mieux vous les donner tout de suite, c’est plus sûr : on me les enlèverait peut-être.

Maréchal, bas.

Tu les as encore tous.

Madame Maréchal, de même.

Vous ne dites jamais que des maladresses.

Elle sort.
La Baronne, s’approchant du métier de Fernande.

Ah ! vous êtes aussi de la Société des tabernacles, mademoiselle ?

Fernande.

Non, madame.

La Baronne.

Comment ! ce que vous faites là n’est pas un carreau pour le tapis des fidèles ?

Fernande.

C’est tout ce qu’on voudra.

La Baronne.

C’est pourtant l’encadrement réglementaire ; voyez plutôt.

Elle déroule la tapisserie qu’elle a dans son manchon.
Fernande, à part.

Tiens !

Maréchal.

C’est votre ouvrage ?… Ah ! charmant !

Fernande.

Il est très joli ! Cela a dû vous coûter beaucoup… de temps, n’est-ce pas ?

La Baronne.

Mon Dieu, non.

Madame Maréchal, revenant.

Il ne m’en reste que neuf ; les voici.

Maréchal, lui montrant la tapisserie de la baronne.

Regardez donc, ma chère.

Madame Maréchal, à Fernande.

Ah ! vous l’avez retrouvé ?

Maréchal.

Que dites-vous ?

Madame Maréchal.

Ah ! bien, oui, c’est le carreau que Fernande croyait perdu.

Maréchal.

Vous rêvez, ma chère.

Madame Maréchal.

Il est bien reconnaissable… Voici les trois fautes. N’est-ce pas, Fernande ?

Fernande.

C’est pourtant vrai.

La Baronne, à part.

Aïe !

Maximilien, à part.

Bon !

Maréchal, à part.

Sapristi ! quel pataquès !

La Baronne, menaçant Fernande du doigt.

Ah ! malicieuse, vous aviez reconnu votre ouvrage, et vous vous moquiez de moi, en me demandant s’il m’avait coûté beaucoup de temps !

Fernande.

Je voulais vous faire avouer que vos bonnes œuvres ne vous laissent pas le loisir de tricoter.

Maréchal, à part.

Cette enfant a de l’esprit quand il le faut.

Madame Maréchal.

Mettez-moi au courant, de grâce.

La Baronne.

Quelle est la femme du monde qui fait sa tapisserie elle-même et ne se coiffe qu’avec ses cheveux ? Ce sont des supercheries si générales et si bien admises, que, quand notre fausse natte se détache devant nos amis, nous la rattachons en riant ; (Elle roule son carreau.) et c’est ce que je fais.

Maréchal, à part.

Charmante ! adorable ! on n’a pas plus de grâce !

La Baronne.

Ce qui m’étonne dans cette aventure, ce n’est pas que ma tapisserie ne soit pas mon ouvrage, puisque je l’achète ; c’est qu’elle soit le vôtre, mademoiselle.

Maréchal.

Au fait, oui, comment a-t-elle pu vous être vendue ?

Madame Maréchal, à Fernande.

J’ai toujours soupçonné la fidélité de votre femme de chambre.

Fernande.

Pauvre Jeannette ! elle est incapable…

Madame Maréchal.

Ce n’est pas la première fois que vos petits ouvrages se perdent ; il est probable qu’elle en fait commerce.

La Baronne.

Et que la pauvre vieille à qui nous les achetons est une receleuse. Encore une déception de la charité !

Maréchal.

C’est très grave. Faites venir Jeannette, que je l’interroge.

Fernande.

Non, mon père, je vous expliquerai plus tard ce grand mystère.

Madame Maréchal.

Pourquoi pas tout de suite ?

Maréchal.

Faites venir Jeannette.

Fernande, très rouge.

Eh bien, puisqu’on m’y oblige, c’est moi qui donne ces bagatelles à la vieille Hardouin.

Maximilien, à part.

Tiens, tiens !

Madame Maréchal.

Ce n’est pas la peine de rougir comme vous faites.

La Baronne.

Aussi, madame, pourquoi la force-t-on à montrer sa belle âme ?

Fernande.

Ces choses-là sont ridicules quand elles ne sont pas secrètes.

Madame Maréchal.

C’est de la charité romanesque.

Maréchal.

N’as-tu pas assez d’argent pour faire l’aumône ?

Fernande, avec impatience et les larmes aux yeux.

Tous les pauvres n’acceptent pas l’aumône. Cette vieille femme est fière, elle est habituée à vivre de son aiguille ; sa vue baisse, et je viens en aide à ses yeux, voilà tout. Il n’y a rien là de romanesque, et, en vérité, je ne comprends pas qu’on me tourmente pour si peu de chose.

Maréchal.

Allons, calme-toi ; il n’y a pas grand mal.

Maximilien, à demi voix.

Je crois bien !

Maréchal.

Plaît-il ?

Maximilien.

Je lis parfaitement ; je vais me mettre à la besogne.

Il sort.
La Baronne.

C’est votre secrétaire ? Il est distingué. — Adieu, chère madame, je vous quitte très mortifiée de la petite contrariété dont j’ai été la cause pour mademoiselle Fernande. Je vais porter à Saint-Thomas-d’Aquin mon brandon de discorde et soyez tranquille, mademoiselle, je ne révélerai pas votre part de collaboration.

Le Domestique, annonçant.

M. le comte d’Outreville.



Scène V

LA BARONNE, appuyée à la cheminée ;
MADAME MARÉCHAL, MARÉCHAL,
LE COMTE, FERNANDE.
Maréchal.

Bonjour, monsieur le comte.

Le Comte, sans voir la baronne.

Comment se portent ces dames ? Leurs visages répondent pour elles. Mon cousin m’a donné rendez-vous ici…

Maréchal.

Condorier ?

Le Comte.

Mais je vois que, dans mon empressement, j’ai devancé l’heure.

Madame Maréchal.

Vous êtes trop gracieux, monsieur le comte.

La Baronne.

Adieu, chère madame.

Le Comte.

Oh ! pardon, madame la baronne ! Je ne vous avais pas aperçue.

La Baronne.

Je pensais que vous ne me reconnaissiez pas.

Le Comte, s’approchant de la cheminée.

Pouvez-vous croire qu’après vous avoir vue une fois… ?

La Baronne.

Je le crois d’autant mieux qu’à Saint-Thomas-d’Aquin vous n’êtes pas à vingt chaises de moi et que vous ne me saluez pas.

Le Comte.

Si j’avais pu penser que vous me fissiez l’honneur de me reconnaître…

La Baronne.

Oh ! les honneurs que je puis vous faire ne vous touchent guère. Je vous ai fait celui de vous inviter à venir chez moi, et vous n’y avez pas paru. Je vous fais donc peur ?

Le Comte.

Oh ! non.

La Baronne.

Eh bien, tâchez de mériter votre pardon.

Le Domestique, annonçant.

M. le marquis d’Auberive !



Scène VI

Les Mêmes, LE MARQUIS.
La Baronne, au marquis.

Pour le coup, je me sauve ; j’aurais trop de reproches à vous faire, marquis.

Le Marquis.

Et pourquoi donc, belle dame ?

La Baronne.

Votre cousin vous le dira. — À demain, n’est-ce pas, chère madame ? et vous aussi, chère belle.

Elle sort.
Le Comte, à part.

Elle m’a reconnu.

Maréchal.

Quelle grâce ! quelle aisance ! Elle est partout chez elle.

Fernande.

Oui, c’est nous qui avions l’air d’être en visite.

Le Marquis.

Ce que j’admire surtout en elle, c’est le tact. Elle a compris que j’avais à vous parler de choses sérieuses, et elle a levé le siège. Allez donc voir, ma chère Fernande, si elle est bien partie.

Fernande.

Et ne revenez pas nous le dire !

Le Marquis.

C’est inutile, en effet.

Fernande sort.



Scène VII

MADAME MARÉCHAL, MARÉCHAL, LE MARQUIS, LE COMTE.
Madame Maréchal.

Suis-je aussi de trop ?

Le Marquis.

Au contraire ; je compte sur vous pour m’aider à plaider ma cause. Mais, asseyons-nous. (Ils s’asseyent.) Madame, vous n’avez jamais partagé la répugnance de l’ami Maréchal à marier Fernande avec un gentilhomme.

Madame Maréchal.

Je n’ai pas les mêmes motifs que lui de redouter une alliance aristocratique ; pour moi, ce n’est pas sortir de ma sphère, c’est y rentrer.

Maréchal.

Mon Dieu, mon cher ami, cette répugnance dont vous parlez n’était pas une véritable répugnance, c’était plutôt… comment dirais-je ? une modestie peut-être exagérée.

Le Marquis.

Je l’aurais comprise jusqu’à un certain point, il y a huit jours ; mais, aujourd’hui, il n’est pas un gentilhomme qui ne tînt votre alliance à honneur ; et la preuve c’est que je viens vous demander la main de ma pupille pour M. le comte d’Outreville, ici présent, unique héritier de mes biens et de mon nom.

Maréchal.

Est-il possible ? Quoi ! monsieur le marquis, vous consentiriez… ?

Madame Maréchal, bas, à son mari.

De la dignité, monsieur. (Haut.) Nous sommes très touchés, monsieur le marquis, de la demande que vous voulez bien nous faire ; mais nous devons, avant tout, consulter le cœur de notre chère Fernande.

Maréchal.

Ah ! c’est vrai.

Le Marquis.

Rien de plus juste, madame ; mais ne pourrait-on pas le consulter tout de suite ? Verriez-vous un inconvénient à ce que mon cousin plaidât lui-même sa cause auprès de Fernande ?

Maréchal.

Aucun, marquis, aucun.

Madame Maréchal, bas.

Vous vous jetez à leur tête.

Le Marquis.

Et vous, madame ?

Madame Maréchal.

Je trouve tout cela bien irrégulier.

Le Marquis.

Je le sais ; mais l’étiquette ne peut-elle pas avoir un peu pitié de l’impatience de ce jeune homme ? (Bas, au comte.) Parlez donc !

Le Comte, froidement.

Je vous en supplie, madame.

Madame Maréchal.

Puisque tout le monde le veut…

Maréchal.

Allons donc ! Envoyez-nous Fernande, ma chère. (Bas.) Et prépare-la un peu.

Madame Maréchal.

Encore une fois, tout cela est bien rapide… Enfin ! je me rends.

Elle sort.



Scène VIII

MARÉCHAL, LE MARQUIS, LE COMTE.
Maréchal.

Maintenant que ma femme n’est plus là, laissez-moi vous dire sans façon, mon cher marquis, combien je suis heureux et fier de votre alliance !

Le Comte.

C’est à moi seul, monsieur, de m’en féliciter.

Maréchal.

Je ne comptais donner que huit cent mille francs à ma fille, je lui donne le million tout rond.

Le Comte.

Je vous en prie, monsieur, ne parlons pas de ces vilenies.

Le Marquis.

Parlons-en, au contraire ! Mon cousin n’a qu’une dizaine de mille livres de rente pour le moment ; mais j’en ai soixante-dix que je lui laisserai… le plus tard possible.

Maréchal.

Palsambleu ! J’en ai encore cent à lui offrir le jour de mes obsèques.

Le Marquis.

Mes petits… vos petits-enfants, veux-je dire, seront à leur aise.

Maréchal.

Pourquoi vous reprendre, mon cher Condorier ? Dites nos petits-enfants ! Ne porteront-ils pas votre nom ? Ventre-saint-gris ! marquis, nous voilà parents… alliés du moins… par les femmes.

Le Marquis, étourdiment.

Nous l’étions déjà… par nos opinions.

Maréchal.

Mais à quoi s’amusent-elles là-bas ? Je parie que madame Maréchal nous fait attendre par dignité.

Le Marquis.

Allez les relancer ; je vous rejoindrai.

Maréchal.

J’y vais. (Regardant le comte de la porte.) Qu’il est beau !



Scène IX

LE MARQUIS, LE COMTE.
Le Marquis.

Ah çà ! mon cher, vous allez à l’autel comme un chien qu’on fouette. Je ne veux pas votre malheur, moi ! Si la future vous déplaît, il faut le dire.

Le Comte.

Ce n’est pas qu’elle me déplaise, mais…

Le Marquis.

Dites, dites, ne vous gênez pas ! Je ne suis pas en peine d’héritier. Uno avulso non deficit alter, pour parler votre langue. Je me raccrocherai à une autre branche… À celle des Valtravers. Je suis brouillé avec eux ; mais le rapatriage sera facile… Aureus, parbleu !

Le Comte.

Mon cousin, au nom du ciel, ne vous emportez pas !

Le Marquis.

Je ne m’emporte pas, monsieur, je vous mets à votre aise. Il est clair que ce mariage ne vous inspire pas d’enthousiasme.

Le Comte.

Mais si, mon cousin ! il m’en inspire.

Le Marquis.

Ah ! vous ne trouvez pas Fernande assez bien faite ! Faites-en donc autant !

Le Comte.

Mais si j’ai le malheur de lui déplaire, malgré ma bonne volonté ?

Le Marquis.

J’en serai fâché pour vous ; mais j’appellerai un Valtravers. Vous êtes prévenu.

Le Comte.

Quelle situation, mon Dieu !

Fernande paraît à la porte de gauche.
Le Marquis, bas.

La voici ! Je vous laisse.

Le Comte, bas.

Je ne sais par où commencer.

Le Marquis, bas.

C’est bien difficile ! « Mademoiselle, j’ai l’aveu de vos parents, mais je ne veux vous tenir que de vous-même. » (À Fernande.) Vous pensiez trouver votre belle-mère ici, mon enfant ; mais elle nous a abandonnés, ainsi que votre père, et je vais leur en demander raison.

Il sort.



Scène X

LE COMTE, FERNANDE.
Le Comte, à part.

La tête est belle ; mais quelle différence avec la divine Pfeffers ! Et, si elle me refuse, je suis ruiné ! (Haut.) Mademoiselle, vous a-t-on dit dans quel but… ?

Fernande.

Oui, monsieur.

Le Comte.

J’ai l’aveu de vos parents, mais je ne veux vous tenir que de vous-même. C’est là, je crois, un sentiment que vous ne sauriez désapprouver.

Fernande.

Il est à la fois délicat et prudent ; car je ne suis pas de celles que l’on marie sans les consulter. Nous ne nous connaissons ni l’un ni l’autre, monsieur ; pour faire connaissance, voulez-vous que nous nous parlions avec une entière franchise ?

Le Comte.

Bien volontiers, mademoiselle ; la franchise est ma principale qualité.

Fernande.

Tant mieux ! C’est celle que j’estime par-dessus toutes. Eh bien, pourquoi voulez-vous m’épouser ?

Le Comte.

Mais parce que je n’ai pu vous voir sans…

Fernande.

Pardon ! vous oubliez déjà notre traité. Nous nous sommes vus trois fois, nous avons échangé trois mots, et je n’ai pas la vanité de croire que cela ait suffi à vous tourner la tête.

Le Comte.

Vous ne vous rendez pas justice, mademoiselle.

Fernande.

Que les hommes ont de peine à être sincères ! J’ajouterai pour vous mettre à votre aise que, si vous m’épousiez par amour, je croirais de ma loyauté de vous refuser : car il y aurait entre nous une inégalité de sentiments qui ferait votre malheur, pour peu que vous ayez de délicatesse dans l’âme.

Le Comte.

Alors… s’il n’y a pas précisément chez moi ce qu’en langage mondain on appelle de l’amour, croyez bien qu’il y a du moins tous les sentiments que l’époux doit à l’épouse.

Fernande.

À la bonne heure ! mais ces sentiments-là ne sont pas assez violents pour pousser un gentilhomme à une mésalliance. Vous avez donc un motif particulier. Je ne doute pas qu’il ne soit parfaitement honorable, et si je tiens à le connaître, c’est uniquement pour ne pas laisser l’ombre d’une arrière-pensée dans l’estime que je veux faire de mon mari. — Vous hésitez à répondre ?

Le Comte.

Non, mademoiselle. Je vous épouse par déférence aux désirs de mon cousin… déférence qui m’est bien douce, je vous assure

Fernande.

J’aurais dû le deviner : du moment qu’il ne s’oppose pas à cette mésalliance, c’est qu’il l’ordonne.

Le Comte.

Il a pour vous une affection…

Fernande.

Il est seul au monde, je suis sa pupille, et son cœur se rattache à ce lien, si faible qu’il soit. Allez, monsieur le comte, allez lui annoncer qu’il sera fait comme il le désire.

Le Comte.

Que de reconnaissance, mademoiselle !

Fernande.

Vous ne m’en devez pas, monsieur ; j’accepte un nom honorablement offert… et je vous promets de le porter dignement.

Le Comte.

Et moi, de mon côté, je vous assure que, malgré… Mais vous avez raison, je vais réjouir mon cousin de cette heureuse nouvelle.

Il sort.
Fernande, après un silence.

Autant lui qu’un autre, après tout ! Sortir de cette maison, voilà l’important. — Pauvre père !



Scène XI

FERNANDE, MAXIMILIEN.
Maximilien, le manuscrit à la main.

Pardon, mademoiselle ; je croyais trouver monsieur votre père ici.

Fernande, allant s’asseoir à son métier.

Il est, je crois, dans le grand salon ; mais je doute que vous puissiez lui parler : il est en affaires.

Maximilien, à part.

Ma foi ! tant pis, je laisserai le mot en blanc. — Singulière fille ! (Il pose son manuscrit sur la cheminée, y prend le peloton de laine et venant à Fernande.) Voici votre peloton bleu, mademoiselle. — Qu’est-ce que je vous ai fait ? pourquoi me traitez-vous si durement ? Tant que j’ai pu vous prendre pour une banalité de salon, je me croyais fort au-dessus de vos mépris et ne m’en souciais guère ; mais celle qui prête ses yeux à la vieille Hardouin ne méprise la pauvreté de personne, et je viens vous demander loyalement en quoi j’ai démérité de votre estime.

Fernande, sans lever les yeux de son ouvrage.

Je suis fâchée, monsieur, que ma manière d’être vous choque ; elle est la même avec vous qu’avec vos prédécesseurs, et cela n’a pas nui à leur carrière.

Maximilien.

Voilà tout ce que vous avez à me répondre ?

Fernande.

Pas autre chose.

Maximilien.

En vérité, mademoiselle, je serais le dernier des hommes, que vous ne me traiteriez pas autrement.

Fernande, se levant.

Adieu, monsieur.

Maximilien, se mettant entre elle et la porte.

Non, mademoiselle, non ! Vous ne me quitterez pas ainsi. Je lis un immense mépris dans vos yeux. L’explication que je vous demandais, je l’exige maintenant.

Fernande, avec hauteur.

Vous savez bien que je ne puis vous la donner.

Maximilien.

Je vous jure que je ne sais rien, que je ne comprends rien, sinon que je suis atteint dans mon honneur. Répondez-moi, je vous en supplie. Qui m’a calomnié ? de quoi suis-je accusé ?

Fernande.

De rien, monsieur ; brisons là, je vous prie.

Maximilien.

Voyons, mademoiselle, vous êtes bonne, vous faites l’aumône avec votre cœur ; ayez pitié de mon angoisse. Il s’agit de ce que j’ai de plus cher.

Fernande.

Qu’attendez-vous de cette comédie ? Espérez-vous me faire dire ce que je rougis de savoir ? Laissez-moi passer.

Maximilien.

Mais vous ne me dites pas un mot qui ne soit un coup de couteau ! Je vous conjure à genoux !…

Fernande.

Gardez cela pour…

Maximilien.

Pour qui ?

Fernande.

Pour votre carrière.

Elle passe.
Maximilien.

Ah ! je comprends !… (Fernande s’arrête sur la porte.) Il y a eu ici des misérables… et vous me jugez d’après eux ! Ma justification ne sera pas longue, et c’est à vous plus qu’à moi de baisser les yeux devant votre soupçon. Allez, je vous plains… je vous plains plus que vous ne m’outragez, pauvre jeune fille qui avez perdu la sainte ignorance du mal.



Scène XII

Les Mêmes, MARÉCHAL, LE MARQUIS.
Maréchal.

Eh bien, monsieur Gérard, voilà comme vous travaillez ?

Maximilien.

Je priais mademoiselle de se charger auprès de vous, monsieur, d’une communication qui me coûte un peu : ma démission.

Maréchal.

Comment, votre démission ? Mais je ne l’accepte pas. Vous me laissez là juste au moment où j’ai besoin de vous !

Le Marquis.

Cela ne se fait pas, mon cher.

Maximilien.

Je me suis mal expliqué, monsieur. Je ne suis pas homme à reconnaître vos bontés en vous laissant dans l’embarras. Je voulais seulement vous prier de me chercher un successeur. Je resterai jusqu’à ce que vous l’ayez trouvé.

Maréchal.

C’est très contrariant ! je m’habituais à vous, moi. Je déteste les nouveaux visages.

Le Marquis.

Quelle lubie vous passe par la tête ?

Maréchal.

Est-ce qu’on vous offre une meilleure place ?

Maximilien.

Non, monsieur ; si je quitte votre service, c’est pour rentrer au mien. Je suis habitué à ne relever que de mon travail, et je me sens incapable d’aucune autre sujétion.

Maréchal.

Votre travail !… sapristi ! vous m’avez avoué qu’avant d’être à moi, vous faisiez des travaux de librairie, à trente francs la feuille, petit texte.

Maximilien.

Petit texte, oui, monsieur.

Maréchal.

Et vous voulez recommencer ce métier de meurt-de-faim ?

Fernande, à part.

Je lui ai ôté son pain !

Maréchal.

Mais c’est absurde !

Maximilien.

Rappelez-vous la fable du Loup et du Chien.

Maréchal.

Est-ce qu’on vous traite ici comme un chien ? Vous manque-t-on d’égards ?

Maximilien.

Au contraire, monsieur ; mais, par un travers de mon esprit, dont je ne suis pas maître, tous les soins qu’on prend pour me faire oublier l’infériorité de ma position ne servent qu’à me la rappeler. C’est injuste et ridicule, je le sais. Je n’accuse que moi ; mais je souffre et je m’en vais.

Fernande sort par la gauche.
Le Marquis, à part.

Il y a quelque chose là-dessous.

Maréchal.

Vous êtes un orgueilleux, que voulez-vous que je vous dise ? Je ne peux pas vous retenir de force.

Le Marquis, bas, à Maréchal.

Laissez-moi lui parler.

Maréchal.

Parlez-lui.

Il sort par la droite.



Scène XIII

LE MARQUIS, MAXIMILIEN.
Le Marquis.

Ah çà ! mon cher, que se passe-t-il ?

Maximilien.

Vous auriez dû me prévenir, monsieur le marquis, que j’entrais ici pour être le patito de madame Maréchal.

Le Marquis.

Ah ! c’est là que le bât vous blesse ? Vous avez donné dans l’œil à la bonne dame ? Rassurez-vous : elle ne vous obligera pas à lui laisser votre manteau. C’est une personne romanesque mais platonique. Son héros n’est pas forcé de participer au roman ; elle en fait tous les frais. Elle se persuade qu’elle est aimée, elle se livre des combats terribles, et, en fin de compte, elle triomphe de son danger imaginaire en exilant le séducteur dans un bon emploi. Vous voyez que vous pouvez rester.

Maximilien.

Monsieur le marquis, c’est une circonstance atténuante pour madame Maréchal, mais non pour le malheureux qui exploite les ridicules de cette dame. Si je rencontrais un de mes prédécesseurs, je ne le saluerais pas, même après cette explication.

Le Marquis.

Vous êtes fier.

Maximilien.

M’en blâmez-vous ?

Le Marquis.

Non, certes !

Maximilien.

En consentant à rester encore quelques jours dans cette position intolérable, je crois rendre tout ce que je dois à vous, monsieur le marquis, et à M. Maréchal ; ne m’en demandez pas davantage.

Le Marquis.

Je n’ai rien à répliquer.

Maximilien.

Je retourne dans la bibliothèque, que je ne quitterai plus jusqu’à l’arrivée de mon successeur.

Il sort.
Le Marquis.

Ce petit bâtard mériterait d’être gentilhomme.

Il sort.