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Le Flâneur des deux rives/Les Noëls de la rue de Buci

La bibliothèque libre.
Éditions de la Sirène (p. 49-57).


LES NOËLS
DE LA RUE DE BUCI


Avant la guerre, c’était la nuit du 24 au 25 décembre qu’il fallait aller voir la rue de Buci, si chère aux poètes de ma génération. Une fois, dans un caveau voisin, nous réveillonnâmes, André Salmon, Maurice Cremnitz, René Dalize et moi. Nous entendîmes chanter des Noëls. J’en sténographiai les paroles. Il y en avait de différentes régions de la France.

Les Noëls ne sont-ils point parmi les plus curieux monuments de notre poésie religieuse et populaire ? Ce sont, en tout cas, les ouvrages qui reflètent peut-être le mieux l’âme et les mœurs de la province dont ils viennent. Le premier que je notai dans ce caveau de la rue de Buci était chanté par un garçon coiffeur, né à Bourg en Bresse.

Les noëls bressans ne sont certes pas des noëls de temps de guerre.

Les énumérations rabelaisiennes de victuailles y contrastent avec les restrictions de l’époque dépouillée où nous vivons.


Dès que la ville de Bourg — En apprit la nouvelle, — On fit battre le tambour — Pour mettre tout par écuelles. — Les bécasses, les levrauts — Les cailles, les chapons gras — Furent pris chez Curnillon — Pour faire la bourdifaille — Furent pris chez Gurnillon — Pour faire le réveillon.

Gog porta trois dindonneaux — Et farcit une belle oie, — Et d’une longe de veau — Il fit un bon ragoût ; — Sa femme fit du boudin — Et prit chez monsieur de Choin — Une grande bassine d’argent, — Pour y, pour y, pour y mettre — Une grande bassine d’argent — Pour y mettre son présent.

On alla vite appeler — L’hôte de la Bonne École — Qui porta des godiveaux — Et prit une belle andouille ; — Il mêla des fricandeaux — Avec des oreilles de veaux — Et porta trois barillets — De mou, de mou, de moutarde, — Et porta trois barillets — De moutarde de Dijon.

Quand l’hôte de Saint-François — Entendit qu’on faisait bruire — Les poêles et les lèchefrites — Dans le quartier de Tesnière, — Il fit faire à son valet — Une potringue de poulet — Qu’on s’en léchait tout droit — Les ba, les ba, les babines — Qu’on s’en léchait tout droit — Les babines et les cinq doigts.

Dès que l’hôte de l’Écu — Vit qu’on partait au clair de lune, — Il mit pour quatre écus — De sucre dans la farine — Pour lui faire des gâteaux — Qui semblèrent des châteaux ; — ils sont meilleurs que le pain — Pour les, pour les, pour les dames ; — Ils sont meilleurs que le pain — Pour les dames et les enfants.

Neren mit dessus une planche — Du boudin blanc comme neige — Et douze langues de bœuf — Qui étaient noires comme pain ; — Et puis de son bon vin vieux — Que j’ai souvent bu, — Et boirai, s’il plaît à Dieu. — Jusqu’à, jusqu’à, jusqu’à Pâques, — Et boirai, s’il plaît à Dieu, — Plus qu’il ne veut m’en donner.

À nous deux, père Alexis, — Il nous faut faire une offrande — Et nous joindre cinq ou six — Pour toucher une sarabande ; — Avec notre gros bourdon — Nous chanterons tout de bon ; — Noël, Noël est venu — Nous ferons la bourdifaille — Noël, Noël est venu, — Nous ferons du brouet moulu.


Après ce noël de réveillon, en voici un autre plus gracieux qui a été entendu encore il y a quelques années aux environs de Saint-Quentin. J’en donne la version que j’ai notée rue de Buci.


Chantons, je vous prie, — Noël hautement — D’une voix jolie — En solennisant — De Marie pucelle — La Conception — Sans originelle — Maculation.

Cette jeune fille — Native elle était — De la noble ville — Dite Nazareth, — de vertu remplie — De corps gracieux — C’est la plus jolie — Qui soit sous les cieux.

Elle allait au Temple ; — Pour Dieu supplier ; — Le conseil s’assemble — Pour la marier ; — La fille tant belle — N’y veut consentir, — Car Vierge et pucelle — Veut vivre et mourir.

L’Ange leur commande — Qu’on fasse assembler — Gens en une bande, — Tous à marier ; — Et duquel la verge — Tantôt fleurira — À la noble Vierge — Vrai mari fera.

Tantôt abondance — De gentils galants — La vierge plaisante — S’en vont souhaitant ; — À la noble fille — Chacun s’attendait, — Mais le plus habile — Sa peine y perdait.

Joseph prit sa verge, — Pour s’y en venir : — Combien qu’à la Vierge — N’eût mis son désir ; — Car toute la vie — N’eut intention — Vouloir ni envie — De conjonction.

Quand furent au Temple — Trétous assemblés, — Étant tous ensemble — En troupe ordonnés, — La verge plaisante — De Joseph fleurit, — Et au même instant — Porta fleur et fruit.

En grande révérence — Joseph on retint, — Qui par sa main blanche — Cette vierge print ; — Puis après le prêtre, — Recteur de la loi, — Leur a fait promettre — À tous deux la foi.

Baissant les oreilles — Ces gentils galants — Tant que c’est merveille, — S’en vont murmurant — Disant c’est dommage — Que ce père gris — Ait en mariage — Cette vierge pris.

La nuit ensuivante, — Autour de minuit, — La Vierge plaisante — En son livre lit, — Que le Roi céleste — Prendrait nation — D’une pucelette — Sans corruption.

Tandis que Marie — Ainsi contemplait — Et du tout ravie — Envers Dieu était, — Gabriel archange — Vint subitement — Entrant dans sa chambre — Tout visiblement.

D’une voix doucette — Gracieusement — Dit à la fillette — En la saluant : — Dieu vous gard, Marie, — Pleine de beauté, — Vous êtes l’Amie — Du Dieu de bonté.

Dieu fait un mystère — En vous merveilleux, — C’est que serez mère — Du roi glorieux ; — Votre pucelage — Et virginité — Par divin ouvrage — Vous sera gardé.

À cette parole — La Vierge consent, — Le Fils de Dieu vole, — En elle descend. — Bientôt fut enceinte — Du prince des Rois, — Sans mal ni complainte — Le porta neuf mois.

La noble besogne — Joseph pas n’entend. — À peu qu’il n’en grogne, — S’en va murmurant ; — Mais l’ange céleste — Lui dit, en dormant, — Qu’il ne s’en déhaite, — Par Dieu est l’enfant.

Joseph et Marie — Tous deux Vierges sont, — Qui par compagnie — En Bethléem vont. — Là est accouchée — En pauvre déduit — La Vierge sacrée — Autour de minuit.

Y fut consolée — des anges des cieux, Y fut visitée — Des Pasteurs joyeux, — Y fut révérée — De trois nobles Rois, — Et fut rejetée — Des nobles bourgeois.

Or, prions Marie — Et Jésus, son fils, — Qu’après cette vie — Ayons Paradis — Et, notre voyage — Étant achevé, — Nous donne en partage — Le ciel azuré.


C’est à May-en-Multien que se chante encore sans doute ce Noël charmant dont voici un couplet :


Bergers qu’on s’assemble — Au signal donné — Pour aller ensemble — Saluer tourelourirette — Saluer louladerirette — Le roi nouveau né.



et aussi celui où


Saint Liphard alla prendre — La Dame du Chemin — À dessein de s’y rendre — tenant tous en leurs mains — Hautbois, Luths et Guitares — Pour faire des fanfares, — Trompettes et tambours — Pour jouer tout le jour.


Voici un Noël que j’ai entendu chanter rue de Buci. Je n’en connais point la provenance. En tout cas, il est bien champêtre et plein de saveur :


Refrain : Laissez paître vos bêtes, — Pastoureaux par monts par vaux, — Laissez paître vos bêtes — Et venez chanter Nau.

J’ai ouï chanter le rossignol — Qui chantait un chant si nouveau — Si haut, si beau, — Si raisonneau, — Il m’y rompait la tête, — Tant il prêchait et caquetait, — Ai donc pris ma houlette — Pour aller voir Nolet (refrain).

Je m’enquis au berger Nolet ; — As-tu ouï le Rossignolet — Tant joliet — Qui gringottait — Là-haut sur une épine ? — Ah oui ! dit-il, je l’ai ouï, — J’en ai pris ma bucine — Et m’en suis réjoui (refrain).

Nous dîmes tous une chanson, — Les autres sont venus au son. — Or, sus, dansons. — Prends Alizon ! — Je prendrai Guillemette, — Margot prendra le gros Guillot. — Qui prendra Péronnelle ? — Ce sera Talebot (refrain).

Ne dansons plus, nous tardons trop ; — Allons tôt, courons le trot, — Viens-t’en bientôt. — Attends, Guillot, — J’ai rompu ma courette, — Il faut ramender mon sabot. — Or, tiens cette aiguillette, — Elle t’y servira trop (refrain).

Comment, Guillot, ne viens-tu pas ? — Eh oui, j’y vais tout le doux pas, — Tu n’entends pas — Trestout mon cas ; — J’ai aux talons les mules, — C’est pourquoi je ne puis trotter ; — Prises m’ont les froidures. — En allant estraquer (refrain).

Marche devant, pauvre Mulard, — et t’appuye sur ton billart ; — Et toi, Coquard, — Vieux Loriquart, — Tu dois avoir grand honte — De rechigner ainsi les dents, — Et dois n’en tenir compte — Au moins devant les gens (refrain).

Nous courûmes de telle roideur, — Pour voir Notre doux Rédempteur — Et créateur — Et formateur ; — Il avait, Dieu le sache, — De drapeaux assez grand besoin ; — Il gisait dans la crèche — Sur un petit de foin (refrain).

Sa mère avecque lui était — Un vieillard si lui éclairait — Point ne semblait — Au beau douillet — Il n’était pas son père — Je l’aperçus bien au museau — Ressemblait à la mère — Encor est-il plus beau (refrain).

Or, nous avions un grand paquet — De vivres pour faire un banquet ; — Mais le muguet — De Jean Huguet — Et une grande Levrière — Mirent le pot à découvert ; — Puis ce fut la bergère — Qui laissa l’huis ouvert (refrain).

Pas ne laissâmes de gaudir ; — Je lui donnai une brebis ; — Au petit fils — Une mauvis — Lui donna Péronnelle, — Et Margot lui donna de lait — Une petite écuelle — Couverte d’un volet (refrain).

Or, prions tous le Roi des Rois — Qu’il nous donne à tous bon Noël — Et bonne paix — De nos méfaits, — Ne veuille avoir mémoire — De nos péchés, nous pardonner, — À ceux du Purgatoire — Leurs péchés effacer (refrain).


Voici un Noël délicat et délicieux dont je regrette de n’avoir noté que ce passage :


Je me suis levé par un matinet — Que l’aube prenait son blanc mantelet. — Chantons Nolet, Nolet, Nolet, — Chantons Nolet encore.


Et ce Noël farci :


— Célébrons la naissance — Nostri salvatoris — Qui fait la complaisance — Dei sui patris. — Ce Sauveur tant aimable — In nocte media — Est né dans une étable — De Casta Maria.


Ce soir-là j’ai noté encore ce Noël d’une province que dévaste la guerre, la Champagne de La Fontaine et de Paul Fort :


Les filles de Cernay — Ne furent endormies. — Avecque beurre et lait — Aux champs ell’s se sont mies, — Et celles de Taissy — Ont passé la chaussée — Après avoir ouï — Le bruit — Et le charmant débat — La, la ! — De cell’s de Sillery.


Et pour en finir quelqu’un chanta un gracieux Noël d’enfant dont la date doit être récente. En voici un couplet :


Une petite abeille — Bourdonnant en frelon — s’approcha du poupon, — Lui disant à l’oreille — J’apporte du bonbon ; — Il est doux à merveille ; — Goûtez-en mon mignon.


On peut avoir cent impressions différentes de la vieille rue de Buci. Je les donne toutes pour celles que j’y ai éprouvées en entendant chanter ces Noëls, une nuit de réveillon, peu d’années avant la guerre.