Le Folklore wallon (Monseur)/01

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Charles Rozez (p. 1-8).


I. — Êtres merveilleus.


Esprits des eaus.

14 À Saint-Hubert, on dit aus enfants : « N’allez pas jouer près des abreuvoirs ; Marie Crochet vous y attirerait. » À Huy, on leur parle d’un « homme au crochet » qui se tient dans les rivières.

15 À Souverain-Wandre, on recommande aus enfants de ne pas s’approcher de la Meuse en leur disant :

  L’om â rodj din « L’homme aus dents rouges
Vi hyèrtchrè dvin. Vous tirera dedans. »

Le char infernal.

19 Au commencement de ce siècle, on racontait qu’il passait 19. à minuit un carosse de feu sur la crête des collines qui entourent la ville de Liège. C’était, croyait-on, un entrepreneur des boues du siècle passé, qui, en punition de ces débauches, était condamné à revenir dans cet équipage. (Hock 5-6).

24 Le chasseur sauvage (li sâvatch tchèsseu).

À Bohan (Semois), on parlait, il y a vingt ans, d’un seigneur du siècle dernier qui fut en procès avec les habitants pour des bois communaus et l’on racontait qu’en expiation de ses rapines, il revint chasser dans la forêt de la Fargne jusqu’au jour où celle-ci fut abattue. On citait même des gens qui l’avaient vu. Un jour, un habitant de Sugny s’attarda au cabaret, à Bohan, disant qu’il n’avait pas peur du revenant et que, s’il le rencontrait, il le ramènerait chez lui boire le petit verre. Lorsque, vers onze heures, il entra dans la forêt de la Fargne, il entendit le son d’un cor, puis des aboiements de chiens qui s’approchaient. Il prit peur et se jeta la face contre terre. Il vit alors des centaines de chiens arriver sur lui, suivis de chasseurs montés sur des chevaus, dont les naseaus lançaient des flammes, et au milieu du groupe était le seigneur de Bohan, la figure comme celle d’un cadavre et du feu sortant de ses orbites. Pendant une heure, cette partie de la forêt fut parcourue dans tous les sens et le malheureus, que la terreur clouait à terre, dut attendre que la chasse se fût éloignée. Il arriva chez lui meurtri et malade de frayeur et y resta plusieurs semaines entre la vie et la mort. Quand il put enfin se lever, ses cheveus étaient devenus blancs comme neige. (Jérôme Pimpurniaux Guide du voyageur en Ardenne 2, 229-234, dont nous résumons et élaguons le récit).

25. À Grivegnée, on croyait, il y a environ quarante ans, qu’il apparaissait un chasseur fantastique dans des bois qui sont aujourd’hui la propriété de M. de la Rousselière. Il passait, emporté dans un furieus galop, accompagné de deus chiens qu’il appelait d’une voix bien distincte Tah et Pouha.

Légendes relatives aus pierres.

12. Entre Verviers et Renoupré, il y avait une roche appelée lu gros’ rotch qui venait, disait-on, boire dans la Vesdre, la nuit de Noël, au coup de minuit.

26. Un bloc de pierre isolé et d’aspect extraordinaire est généralement appelé pierre du diable. Exemples : A) le dolmen détruit près de Namur (Pimpurniaux 2, 192) ; B) la grande pierre en forme de table à demi encastrée dans la route qui conduit du vilage de Sény à celui d’Ellemelle (Condroz) ; C) le fais du diable, bloc de grès d’environ 800 mètres cubes, isolé dans la bruyère entre Wanne et Grand-Halleux près de Slavelot ; D) les murs du diable à Pepinster, etc.

28. Le fais du diable de Stavelot a une légende que nous résumons d’après Pimpurniaux 1, 122-123 : Saint Remacle s’apprêtait à faire la dédicace de l’abbaye de Stavelot qu’il venait de bâtir, lorsqu’une nuit un ange envoyé par saint Martin lui fit savoir que le diable arrivait, chargé d’une grosse pierre dont il voulait écraser l’abbaye. Le saint envoya à la rencontre de Satan un de ses moines[1], qu’il avait chargé d’une hotte remplie de toutes les vieilles sandales du couvent. Le diable, arrivant à croiser le moine qui feignait la fatigue, lui demanda s’il était encore loin de Stavelot. Celui-ci, vidant sa hotte par terre, lui dit : Jugez-en vous-même, tout cela était neuf quand j’en suis parti. Le diable découragé laissa tomber sa pierre.

Les changelins.

33. On raconte à Laroche que des gens trouvèrent un jour, au bord du chemin, un enfant emmailloté et le rapportèrent au village. Une jeune femme en eut pitié et lui donna le sein. L’enfant se mit à téter, mais il tirait si fort qu’il fit mal à sa nourrice. Et elle l’arracha de sa mamelle en s’écriant : To m’ sètchreu l’âm foû do kwâr « Tu me tirerais l’âme hors du corps », ce à quoi l’enfant répliqua : O ! dji t’ tirreu k’â son « Oh ! je te tirerais jusqu’au sang ». Surpris d’entendre parler un si petit enfant, on le démaillota : il avait les pieds fendus ; mais il disparut à l’instant même.

Le feu follet.

34. Le feu follet s’appèle, dans la province de Liège, loumrot’ « petite lumière ».

36. Il est ordinairement considéré comme un esprit malfaisant qui cherche à attirer dans un marécage ou un étang.

38. Pour ne pas rencontrer de loumrot’. des sages-femmes, allant la nuit exercer leur métier, mettaient leurs bas ou leur jupon à l’envers (Herve).

Les femmes mythiques.

1614. Il y a à Liège un quartier appelé à la bonne femme. Ailleurs, ainsi à Bruxelles et à Huy, des cabarets portent l’enseigne à la bonne femme et la peinture de l’enseigne représente une femme sans tête[2].

1615. À Masy, près de Gembloux, les enfants creusent de grosses betteraves et les percent de trois trous. Le soir, après y avoir introduit des bougies allumées, ils vont les placer dans les haies et disent que ce sont les trois femmes blanches.

1616. On croyait jadis à Liège qu’une petite dame blanche, li ptit’ blank fœm, venait s’asseoir sur le seuil d’une maison, quand il devait y mourir quelqu’un dans la huitaine.

Revenants (spér).

1617. Un revenant qui hante une maison est conçu comme habillé de blanc et traînant des chaînes. On raconte généralement que c’est l’âme de l’ancien propriétaire.

1618. Le spectre revient pour demander des prières qui doivent améliorer le sort d’outre-tombe, soit de lui-même, soit d’une personne qu’il a assassinée. Exemples :

1620. Un homme revenant la nuit rencontra un bouc qui tourna et sautilla autour de lui.

« Que me veus-tu, demanda-t-il, j’ai prié pour toi. »

Le bouc répondit :

« Il me fallait encore deus paters pour me délivrer. »

— Tu les auras. »

On pria dans le village et le revenant disparut. (Hock 276.)

1621. Un revenant importunait les gens d’un village. Un chevalier alla passer la nuit, armé et en prières, pour savoir ce qu’il voulait. Le spectre arriva et dit qu’il était le portier d’un couvent voisin. Il avait étouffé une jeune fille qui ne voulait pas l’accepter pour amant et s’était pendu de désespoir. En enfer, il avait appris que la jeune fille était en purgatoire et il revenait pour demander des messes suffisantes pour la faire aller en paradis. Le chevalier promit les messes et le spectre se retira. (Résumé d’un rîmé de M. Gust. Magnée dans Bull. Soc. Liég. de Litt. wall. 1re série. 7, 53-59).

Trésors.

1626. Il n’est pas de ruine de vieus château à propos de laquelle on ne raconte qu’il s’y trouve au fond d’un souterrain un trésor enfermé dans un coffre de fer et gardé par une chèvre aus cornes d’or (gat’ d’ôr). La chèvre d’or est ordinairement considérée comme un revenant, ancien habitant du château, intendant infidèle ou châtelaine avare, qui revient sous cette forme en punition de ses péchés. Dans quelques villages, on croit que le trésor lui-même consiste en une chèvre d’or massif, ce qui est certainement une corruption de la donnée de la légende.

1627. Aus ruines de Franchimont, la chèvre d’or est remplacée par un bouc appelé vèrbo[3] et conçu comme un démon auquel le diable a confié la garde du trésor et qui se lient couché sur le coffre. À certains jours de l’année, il est relevé de sa faction pour une heure et c’est seulement pendant cette heure que l’on peut chercher à s’emparer du trésor.

1628. À propos de chaque trésor, gardé ou non par un animal merveilleus, on dit que l’on ne peut s’en emparer qu’à la condition de le ramener au jour sans prononcer une parole et l’on raconte presque partout à l’appui, qu’un jour des hommes étaient parvenus à retirer le coffre jusqu’à l’orifice du puits où il se trouvait, lorsque l’un d’eus ne put retenir une exclamation, comme : no l’avan ! « nous l’avons ! », ce qui le fit retomber au fond de l’abîme.

1789. La nuit de la Saint-Jean, les trésors cachés en terre se laissent voir à ceus qui passent à côté d’eus inocin-nmin « innocemment », c’est-à-dire sans les chercher. Un paysan de La Reid nous a conté : ” Mon grand-père revenait une fois avec un de ses amis pendant la nuit de la Saint-Jean. À minuit, ils aperçurent au pied d’un chêne un petit brasier presque éteint qui semblait avoir été allumé là par des vagabonds. L’ami de mon grand-père, ayant bourré sa pipe, prit un tison pour l’allumer. Il s’éteignit. Il n’eut pas plus de résultat avec deus autres. Un quatrième ayant réussi, il referma le couvercle de sa pipe en y laissant le morceau de charbon. Le lendemain matin, en secouant la cendre de sa pipe, il en voit tomber une pièce d’or. Il vient conter la chose à mon grand-père. Tous deus retournent au chêne au pied duquel était le feu et ils retrouvent dans le gazon trois autres pièces d’or. C’étaient les charbons qui avaient été essayés. « Que n’as-tu donné un coup de pied dans le feu », dit mon grand-père.„

Nains.

1629. Il n’est guère de grotte dont on ne raconte qu’elle a été jadis habitée par de petits hommes, hauts tout au plus de deus pieds, parlant une langue inconnue et d’un caractère tantôt serviable, tantôt farceur.

1630. Ces nains s’appèlent sotê (province de Liège), massotê (prov. de Liège et de Luxembourg), lûton (prov. de Luxembourg), nûton (province de Namur), lapon ou napon (environs d’Ath), sarazin (Hesbaye).

1631. On raconte partout que jadis on allait porter à l’entrée de leurs grottes des objets à racommoder, — il s’agit ordinairement de souliers dans les légendes de la province de Liège, d’outils en fer dans celles de la province de Namur —, en ayant soin de déposer avec ces objets de la farine, ou un petit gâteau, ou des fruits, — dans quelques villages, on dit même : une pièce de monnaie. Le lendemain, on retrouvait les objets remis en bon état.

1632. Le nûton de Tohogne. Jérôme Pimpurniaux Guide du voyageur en Ardenne 1, 209 fait raconter par un petit garçon qu’il dit avoir rencontré près de Durbuy et questionné sur les Nûtons : “ Je n’en ai jamais vu, et je tiens de mon père, qu’ils deviennent de jour en jour moins communs ; mais mon oncle Léonard en a rencontré un, l’année dernière, à la fête de Tohogne, et m’a fait son portrait. Il n’était pas plus haut qu’une botte de gendarme ; sa tête, couverte de cheveus aussi roides que les poils d’une brosse, était plus grosse que celle de notre bourrique : il avait un nez rouge et épaté, et quand il riait, sa bouche, fendue, jusqu’aus oreilles, montrait deus rangées de dents blanches et longues comme des noisettes franches, ce qui prouve l’habitude de manger de la chair humaine[4]. Comme on était à la saison des grosses nois, il y avait dans les rues du village des amas d’écales, hiv di djèy ; en les voyant, le petit homme ne put retenir une exclamation, et, les prenant pour des casseroles de terre à l’usage d’individus de son espèce, il s’écria : Hi ! lè bê pti potê [ « Oh ! les beaus petits pots » ].„

237. À Sinsin, province de Namur, on croit que des nains (soté) viennent voler le grain aus paysans dans les greniers.

Le cheval merveilleus.

1649. On appelle un bon et fort cheval on tchvâ kom Bayâ « un cheval comme Bayard » (Defrecheux Comparaisons 215).
À Remouchamps, Pepinster, Dinant (Roche à Bayard) et dans la forêt de Chiny, il y a sur un rocher une excavation que l’on dit être l’empreinte laissée par un pied de Bayard s’élançant au-dessus de la vallée (Pimpurniaux 1, 43. 89. 114. 348.)



  1. D’après les versions orales que nous avons recueillies, e’est saint Remacle lui-même qui va à la rencontre du diable, ce qui est bien sûr la vraie forme de la légende.
  2. Cette bonne femme pourrait venir d’une bonne Renommée (fame) et sa représentation dériver uniquement de la Renommée de Virgile (En. 4, 173) dont la tête disparaît dans les nuages.
  3. Le vèrbo de Franchimont n’est pas un « bouc vert », comme tout Wallon entendant le mot pour la première fois serait tenté de le traduire ; c’est une forme wallonisée de l’allemand werboch, littéralement « homme-bouc» (τρϰγάνθρωπος), mot formé comme werwolf « loup-garou » littéralement « homme-loup ». La première partie des deus composés est un vieus mot germanique, qui remonte à la langue primitive de notre race et a pour cousin germain le latin vir.
  4. Ce détail paraît du crû de M. Pimpurniaux, mieus au courant que son petit Ardennais des mœurs des cannibales ; dans la suite, nous corrigeons son orthographe wallonne.