Le Folklore wallon (Monseur)/09

La bibliothèque libre.
Charles Rozez (p. 68-82).


IX. — Chansons populaires.


Les vraies chansons populaires sont très importantes à recueillir. Toute une vieille floraison littéraire ne nous est guère connue que par ces débris, parfois informes. On peut les diviser en cinq classes dont voici quelques spécimens :


A. Chansons religieuses.

1010.
Chanson des trois Rois.


Chansons des trois rois
Chansons des trois rois


Chansons des trois rois


1.


Chrétiens, avec allégresse,
Qui sont maintenant de nuit,
Remercions Dyu[1] en liesse,
Jésus notre vrai appui.
Chantons tous joyeusement,
En cette digne journèy,
Que les treu rwè ô fait présent
À Jésus rwè dèl Judèy-œ.

2.


Une étoil’[1] claire et luisante
Vers l’Orient se montra,
Oui, l’étoil’ claire et luisante,
Un grand signal se montra.
Quand les treu rwè l’ont aperçue
Ils ont fait leur rassemblée ;
S’on-t i rendu grâce à Dyu :
Il a fait cette rosée.

3.


Ils ont tous chargé bagage
Pour aller honnêtrœment,
Et chacun d’un grand courage
Cheminait allègrement,
Tout drwè jusqu’à Jérusalem.
Là, ils ont fait leur entrée,
Et là, bien gracieusement,
Avec leur puissante armée.

4.


Quand Hérod’ sut la nouvelle,
Oh ! que guère il ne lui plaisait,
Il eut mal à sa cervelle.
Quand lè treu rwè apèrswè,
Si lè-z i a-t i dmandé :
Que cherchez-vous, mes confrères ?
Qu’est-il dit que vous cherchez ?
Ah ! dites-mwè votre pensée.

5.


Nous vous demandons passage,
Pour servir le rwè dè rwè.
Qui est d’un plus grand lignage
Plus que nous cent mille fwè ;
Car il est né nouvellement,
Il est au pays de Judèy,
Nous le savons vrèyœment,[2]
En vérité, c’est au plus vrèyœ.

6.


Hérod’ les a fait conduire
Depuis à sa volonté,
Et par trahison leur fait dire :
Quand l’enfant l’auront truvé,
Mandez-mwè pour le servir.
Au cœur n’avait grande envie
Car c’était pour Jésus trahir
Et pour lui ôter la vie.

7.


Puis l’étoil’ claire et luisante
Dans la terre ell’ se cacha
De peur qu’Hérod’, le vieus père,
Ne puiss’ se douter de c’la.
Quand lè treu rwè furî passés
L’étoile, ell’, s’est remontrée
Drwè à la porte du nouveau-né :
Là elle s’est arrêtée.

8.


Lè treu rwè par ôrdonans’,
À Bethléem sont entrés
Ils vont trouver la Vierge enfante
Et son fils Jésus mal logé.
Dévótement l’ont salué
En lui présentant par victime
Bien gracieusement
Trois dons d’un’ si grande estime.

9.


Quand la Vierge débonnaire
Apèrswè ces nobles rwè,
De l’honneur qu’i lî vont faire
Ell’ lè-z î d’ha d’un’ douc’ vwè :
Voilà mon Dieu, mon créateur,
Voilà mon rwè, mon rédempteur,
Voilà ma très digne porture
Baisez-le, s’il vous agrée.

10.


Lè treu rwè, tous treu sages,
Humblement le vont baiser.
De chacun le grand courage
Commençait à leur manquer.

Ils lui ont fait leurs présents
Avec le cœur plein d’ourie [?],
En pleurant bien tendrement
En pleurant leur bien-aise.

11.


[Ils] Retournaient remplis de djóy
Mais un ang’ de Dieu leur dit :
Retournez par une aut’ vóy.
Craindant ce traître maudit,
I-z ont pris un’ aut’ chemin
Pour aller à leur contrée.
Pour les rois, Jésus est très béni[3]
Et sa seule amour donnée.

12.


Quand Hérod’, plein de malice,
En s’ voyant ainsi trompé,
Mit son cœur à la justice
Et fit comme un diabl’ déchainé.
Fit découler les innocents,
Tous à la point’ de l’épée.
Quand Hérod’ sortit hors du sang,
Son âme, elle fut damnée.

13.


Nous prîrons tous ce Dieu de glwêr
Qu’il nous veuill’ turtous sauver,
Et nous mettre en sa mémwêr,
Et (tous) nos péchés pardonner,
Afin qu’avec lè treu rwè
Notre âme au ciel fasse entrée.
Dans l’ paradis nous puissions vwêr
Dieu et la Vierg’ très honorée.

(Chanson communiquée par M. Delsaute, instituteur en chef à Grand-Rechain, qui la tient de feu Rassenfosse, en sa jeunesse dîmeur du prince-évêque de Liège (1756-1855) ; elle se chantait jadis dans tout le Nord-Est de la province de Liège ; nous en avons recueilli des fragments très délabrés à Herve.)

1013.
la cantilène de sainte catherine.

“ Sainte Catherine fut très vénérée à Farciennes jusqu’en ce siècle ; elle était la patronne des jeunes filles. Le 25 novembre, jour de sa fête, elles faisaient célébrer une messe en son honneur. Après l’office, une d’elles allait s’agenouiller sur les marches de son autel, qui était celui de droite et chantait, en agitant la bannière de la sainte, un cantique dont les premiers couplets étaient ainsi conçus :

1.


Sainte Catherine
Était la fill’ d’un roi ;
Son père était païen,
Sa mer’ ne l’était pas.
xxxxAve Maria !
Sancta Catharina !

2.


Un jour dans sa prière,
Son pèr’ lui demanda :
« Que fais-tu là, Cath’rine ?
Cath’rin’, que fais-tu là ?
xxxxAve, etc.

3.


« Apportez mon grand sabre
Et mon cout’las de table,
Que je tranche la tête
À cette maudite-là. »
xxxxAve, etc.

4.


Un ang’ descend du ciel,
Lui dit : Cath’rin’, courage !
Courag’, Cath’rin’, courage !
Couronnée tu seras.
xxxxAve, etc.

5.


Mais pour ton mauvais père
En enfer il ira ;
Mais pour ta bonne mère
En paradis elle ira.
xxxxAve, etc.

Les jeunes filles s’en allaient ensuite, tout en chantant leur cantique traditionnel, collecter de porte en porte des œufs, de la farine, du lait. Du produit de leur collecte, elles se faisaient fabriquer des gaufres. Une jeune fille toute de blanc habillée représentait la sainte[4]. „

À Gerpinnes (Hainaut), les pèlerins se récréent des fatigues de la route en chantant une longue complainte où est racontée toute la vie de sainte Rolende. En voici le premier couplet :

Pèlerins, accourez,
Voisins et éloignés ;
Venez tous à Gerpinnes,
N’épargnez vos travaus,
Pour procurer à vos maus
L’assistance divine[5]

.


B. Chansons de métier.

1026.
Chanson des cordonniers de Herve.


Les cordonniers sont pires que des évêques ;
Tous les lundis, ils en font une fête.
Tous Tirez fort, piquez fin !
Tous Coucher tard et lever matin.

Et le mardi, ils vont boire la choupinette.
Le mercredi, ils ont mal à leur tête
Et le jeudi, ils vont voir leurs fillettes.
Le vendredi, ils commencent la semaine.
Et le samedi, les bottes ne sont pas faites.
Le dimanche, ils vont trouver leur maître.
Leur faut l’argent, les bottes ne sont pas faites.
« Tu n’en auras pas, si les bottes ne sont pas faites.
— Si j’en ai pas, je vais changer de maître. »

1026.
ancien ranz des vaches de Liége.


ancien ranz des vaches de Liége
ancien ranz des vaches de Liége


Chansons des trois rois

0 dé dé â dó.
Viné so l’ trihê.
Fé dè bon lèssê.
Blankèt-œ, neûrèt-œ,
Djolèy-œ, rodjèt-œ.
Ni bizè nin,
Ripahio bin.
0 dé dé â dó.
Dmoré è kot’ké.
Fé dè bon lèssê.
0 dé dé â dó.
0 dé dé â dó.

(Recueilli à Ste-Walburge, faubourg de Liège, par Bovy et publié dans ses Promenades historiques. Liége, 1838. I, 74 et 269.)


C. Chansons dramatiques.

1029.
belle idoine.


BELLE IDOINE
BELLE IDOINE


BELLE IDOINE
1.
  C’est dans la vill’ de Besançon.
La fill’ du roi est en prison.
[E]ll’ est renfermé’ dedans la tourxxx
bis.
En occasion de ses amours.
2.
  Au bout de sis, sept ans passés
Son cher papa l’ va visiter :
— « Bonjour, ma fill’, comment vous va ? »xxx
bis.
— « Va, cher papa, ça ne va pas.
3.
  « J’ai mes pieds pourris de terre
« Et mes côtés rongés de vers.
« N’avez-vous pas ici sur vous
bis.
« Quelques louis ou quelques sous ? »xxx
4.
  — « Si da, ma fill’, nous en avons
« Plus de cinq cents mille et millions.xxx
« Si vos amours abandonnez,
bis.
« Plus de cinq cent mill’ vous aurez. »
5.
  — « J’aime encor’ mieus pourrir en terre
« Que de quitter à mes amours. »
...............
...............
6.
  Son cher amant vient à passer ;
Un mot d’écrit lui a jeté :
« Va, chère amie, te faut fair’ mortexxx
bis.
« Et te laisser ensevelir. »
7.
  Voilà la belle qui est morte,
............
Plus de cent prêt’ et des abbésxxx
bis.
Pour la conduire à St-Denis
8.
  Son cher amant passant par là :
« Arrêtez ci, arrêtez là !
« Vous portez ma mie enterrer,
bis.
« Moi, j’ la veux fair’ ressusciter ! »xxx
9.
  L’amant prit son couteau d’or fin,
Il décousit le drap de lin.
Chaqu’ coup de point qu’il décousait,xxx
bis.
Voyait la bell’ qui souriait.
10.
  — « Nous somm’s venus pour l’enterrer,
« Mais c’était pour la marier. »
— « Retournez tous, prêtr’s et abbés,
bis.
« Retournez tous à St-Denis. »
11.
  L’amant la prit sur son rousseau,
La reconduit à son château.
............
............

(Texte reconstitué à l’aide de deus versions recueillies par M. J. Simon, l’une à Yves-Gomezée, près de Walcourt, l’autre à Nèvremont, près de Fosses. Les couplets 5, 7, 10 et 11 n’existent que dans la seconde version.)


D. Chanson d’amour.

1058.
Louison.


Louison
Louison


Louison


1.


Louison, embarquons-nous,
Il nous faut faire un voyag’ sur mer(e).
Il n’y a rien de si beau
Que de faire un voyag’ sur l’eau.
J’emball’ là ce qu’il me faut,
Mon cor de chasse et mon manteau.
Hélas ! grand Dieu, chère Louison,
Prens ton paquet, nous partirons.

2.


Cher amant, épouse-moi,
Toi qui connais si bien ma misère.
Être bientôt dans l’embarras
Avec un enfant sur les bras.
Partout on le saurait-z à moi,
Chacun me montrera-z-au doigt.
Hélas ! grand Dieu ! on regrett’ra
Le nom de la bell’ Louison.

3.


Elle m’a crit ses amours
Et moi je lui renvoie les miennes.
Je dis plus de cent fois le jour :
Louison, je t’aim’rai toujours.
Ah ! si mon sort est engagé,
Tu ne risqu’s rien de t’embarquer.
Hélas grand Dieu ! chère Louison,
Prens ton paquet, nous partirons.

4.


Pour m’embarquer je ne veus pas.
Moi qui connais si bien la mer(e),
Et quand la mer est en colère
C’est encor’ pir’ que Lucifer.

Si le vaisseau tombait-z-au fond,
Nous serions mangés du poisson.
Eh ! non, non, non, je n’ m’embarqu’ pas,
Je veus mourir sans embarras.

(Communiquée par M. O. Colson qui la tient de Joseph Moureaux, 75 ans, de Mazy, près Gembloux.)


E. Chansons plaisantes.

1097.
C’est à Paris qu’est une dame.


C’est à Paris qu’est une dame
C’est à Paris qu’est une dame


C’est à Paris qu’est une dame
1.


C’est à Paris qu’est unè dam’
xxxNouvell’ment ma-arié’
Ell’ a unè-è servantè
xxxPour la servir
Qui s’en veut êt’ commè les dam’s
xxxEncor’ de plus.

2.


Ell’ s’en va chez l’apothicair’.
— « Monsieur, vendez-vous du fard ?
À combien vendez-vous l’oncè ? »
xxxx— « À deus écus. »
— « Oh ! donnez-mwré-z un’ demi-onc’
xxxxPour un écu. »

3.
............
............

« Lè soir, à la chandellè,
xxxxBarbouiilez-vous.
Lè lendèmain vous sèrez bell’
xxxxCommé lè jour. »

4.


Lé lendèmain, la bell’ se lèv’
Ell’ s’habill’ bien proprement,
Ell’ met sa robe blanch’ et
xxxxSes beaux souliers
Et s’en va fair’xxxxun tour en Vill’
xxxxSans se mirer.

5.


Ell’ rètourn’ chez l’apothicaire’
— « Monsieur, qu’m'avez-vous vendu ? »
— « Jè vous ai vendu du noir(é)
xxxxPour vos souliers.
N’appartient point à unè fill’
xxxxDé sè farder ! »

(Communiquée par M. Paul Marchot qui la tient d’une vieille servante née à Hannut vers 1815.)


  1. a et b Les mots en italiques représentent les mots wallons intercalés dans le texte (ex : d’ha « dit ») ou les mots français dont la prononciation a été wallonisée (ex : Dju) ou s’est conservée pure en wallon (ex : rwè). Ces vers me paraissant avoir été primitivement de sept syllabes, je remplace par des apostrophes quelques e que je crois muets.
  2. Vraiment.
  3. Le texte est manifestement corrompu ; on pourrait conjecturer : … Jésus bénin (?) — À sa
  4. J. Kaisin Annales historiques de la commune de Farciennes 2, 59 ; l’auteur ne donne que trois couplets de la cantilène ; nous avons pris les deus autres à une version plus complète recueillie à Dinant par de Reinsberg-Düringsfeld et publiée par lui dans ses Traditions et légendes de la Belgique, 2, 283-284. Voici les variantes de R. D. pour les trois premiers couplets : 1, v.3 et sa mèr’ — 2. Un jour dans ses prières | Son père la regarda. | Que fais-tu là, ma fille ? | Ma fille, que… — 3. Va-t-en chercher mon sabre | Et mon grand couteau qui est là | Que je lui tranche… On peut proposer les deus corrections suivantes : 3. Va-ten chercher mon sabre | Et mon grand, coutelas | Que je lui tranch’ la tête. — 5. En paradis ira.
  5. La pièce tout entière composée de 42 couplets, du même type que celui que nous venons de citer, a été éditée récemment par M. C. Quenne dans une brochure intitulée : Gerpinnes et son pèlerinage. Émile Leloup, Mont-sur-Marchienne, 1890.