Le Formidable Événement/I/3

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III

ADIEU, SIMON

Le Castor, le yacht de plaisance qui avait dépassé la Reine-Mary, les secourut vingt minutes plus tard. Quant au Pays-de-Caux, le vapeur qui venait de Dieppe, l’enquête établit, par la suite, que son équipage et ses passagers contraignirent le capitaine à fuir le lieu du sinistre. La vue de l’énorme trombe, le spectacle du navire pointant hors des flots, se cabrant tout entier et retombant comme dans la gueule d’un entonnoir, le bouleversement de la mer, qui semblait avoir éclaté sous l’assaut de forces frénétiques, et qui, dans le diamètre du cercle déchaîné, se roulait sur elle-même avec une sorte de démence, tout cela fut si terrifiant que des femmes s’évanouirent et que des hommes menacèrent le capitaine de leur revolver braqué.

Le Castor aussi commença par fuir. Mais le comte de Baugé, avisant, à l’aide de sa jumelle, le mouchoir qu’agitait le bras de Simon, obtint des matelots, malgré l’opposition désespérée de ses amis, que l’on fît un crochet, tout en évitant le contact avec la zone dangereuse.

La mer s’apaisait d’ailleurs. L’éruption n’avait peut-être pas duré une minute et l’on eût dit maintenant que le monstre se reposait, rassasié, content de sa pâture, comme un fauve après le carnage. La rafale cessa. Le tourbillon s’éparpilla en courants opposés, qui se combattirent et s’annulèrent. Plus de moutonnements. Plus d’écume. Sous le grand linceul ondoyant, que les petites vagues aux jeux inoffensifs tendaient au-dessus du navire englouti, s’acheva le drame de cinq cents agonies.

En ces conditions, le sauvetage était facile. Isabel et Simon, qui eussent pu tenir des heures encore au moment où on les recueillit, furent conduits dans les deux cabines du yacht, où il leur fut apporté des effets de rechange. Isabel n’était même pas évanouie. On repartit aussitôt. On avait hâte de quitter le cercle de malédiction. L’apaisement subit de la mer semblait aussi dangereux que sa fureur.

Il n’y eut pas d’incident jusqu’à la côte française. L’accalmie se prolongea, lourde et menaçante. Simon Dubosc, aussitôt après avoir changé de vêtements, rejoignit le comte et ses amis. Un peu embarrassé en ce qui concernait miss Bakefield, il parla d’elle comme d’une amie rencontrée par hasard sur la Reine-Mary et en compagnie de qui il se trouvait au moment de la catastrophe.

Du reste, on ne l’interrogea point. L’angoisse persistait, avec la pensée obsédante de ce qui pouvait advenir. D’autres événements se préparaient. On avait l’impression que l’ennemi rôdait, invisible et sournois.

À deux reprises, Simon descendit jusqu’à la cabine d’Isabel. La porte en était fermée et il n’en sortait aucun bruit. Mais Simon savait que la jeune fille, remise de sa fatigue et déjà oublieuse des dangers courus, gardait cependant l’horreur de ce qu’elle avait vu. Lui-même demeurait accablé, hanté par une vision si affreuse qu’elle paraissait l’image excessive d’un cauchemar plutôt que le souvenir d’une chose réelle. Était-ce vrai que ne vivaient plus les trois pasteurs au visage austère, ni les quatre garçons heureux et joyeux, ni leurs parents, ni la petite fille qui pleurait, ni l’enfant qui souriait à Isabel, et non plus le capitaine, et non plus aucun de tous ceux qui peuplaient la Reine-Mary ?

Vers quatre heures, les nuages, déployés en masses plus noires et plus épaisses, avaient conquis le ciel. On sentait déjà le souffle des grandes bourrasques, aux charges vertigineuses, dont les bataillons lâchés à travers l’Atlantique allaient s’engouffrer dans la passe étroite de la Manche et mêler leurs efforts de dévastation aux puissances mystérieuses surgies des profondeurs de la mer. L’horizon se brouilla. Des nuages crevaient là-bas.

Mais on approchait de Dieppe. Le comte et Simon Dubosc qui regardaient avec des longues vues poussèrent un même cri, frappés en même temps par le spectacle le plus imprévu. Sur la ligne des constructions qui bordent la vaste plage comme d’un haut rempart de briques et de pierres, ils constataient nettement que le toit et l’étage supérieur des deux plus grands hôtels, l’Impérial et l’Astoria, situés au milieu, étaient écroulés. Et aussitôt ils discernèrent d’autres maisons déséquilibrées, penchées, crevassées, à demi démolies.

Soudain une flamme monta d’une de ces maisons. En quelques minutes, ce fut l’explosion d’un incendie.

Et partout, d’un bout à l’autre de la plage, émergeant de chaque rue, galopant vers le galet, une foule affolée dont on entendait les clameurs.

« Sans aucun doute, balbutia le comte, il y a un tremblement de terre, une secousse très violente qui a dû concorder avec la sorte de trombe où la Reine-Mary a disparu. »

De plus près, ils virent que la mer avait dû se soulever et balayer la plage, car des traînées de vase marquaient le gazon et des épaves avaient échoué de droite et de gauche.

Et ils virent aussi que la pointe de la jetée et que le phare étaient détruits, que le brise-lame avait été emporté, et que des bateaux s’en allaient à la dérive dans le port.

Le radiotélégramme annonçant le naufrage de la Reine-Mary avait redoublé la panique. Nul n’osait, en se sauvant au large, fuir le péril de la terre. Sur le quai et sur les tronçons de la jetée, les familles des passagers se massaient, dans une attente stupide et sans espoir.

Au milieu de ce tumulte, l’arrivée du yacht passa presque inaperçue. Chacun vivait pour soi, sans curiosité, sans attention pour tout ce qui n’était pas son propre péril et le péril des siens. Quelques journalistes se ruèrent aux nouvelles, fébriles et distraits, et les autorités du port firent, en courant, une enquête sommaire auprès de Simon et du comte. Autant que possible, Simon esquiva les questions. Libre, il conduisit miss Bakefield dans un hôtel voisin, l’installa et lui demanda la permission de courir aux renseignements. Il était inquiet, croyant son père à Dieppe.

La maison des Dubosc se trouvait au premier tournant de la grande côte qui monte à gauche sur la falaise. Cachée dans un fouillis d’arbres, toute couverte de fleurs et de plantes grimpantes, elle dominait de ses terrasses à l’italienne la ville et la mer. Tout de suite, Simon fut rassuré. Son père, retenu à Paris, ne rentrait que le lendemain. C’est à peine, d’ailleurs, si l’on avait senti, de ce côté de Dieppe, une trépidation légère.

Simon retourna donc à l’hôtel de miss Bakefield. Mais la jeune fille, enfermée dans sa chambre et désireuse de repos, lui fit dire qu’elle préférait demeurer seule jusqu’au soir. Assez étonné de cette réponse, dont il ne devait comprendre que par la suite l’exacte signification, il passa au domicile de son ami Edwards, ne le trouva pas, rentra chez lui, dîna et se promena dans les rues de Dieppe.

Les dégâts n’étaient pas aussi considérables qu’il le supposait. Ce qu’on a l’habitude de nommer le premier tremblement de terre de Dieppe, par opposition avec le grand cataclysme dont il fut l’avant-coureur, comporta tout au plus deux oscillations préliminaires, que suivit, quarante secondes après, une forte secousse, accompagnée d’un bruit formidable et d’une série de détonations. Et ce fut tout. Aucun accident de personnes. Quant à la vague, improprement appelée raz de marée, qui galopa sur la plage, elle n’eut qu’une hauteur très faible et une puissance d’attaque assez restreinte. Mais les gens que Simon rencontra, et ceux avec lesquels il s’entretint, gardaient de ces quelques secondes une épouvante que les heures ne semblaient pas atténuer. Les uns continuaient à courir sans savoir où ils allaient. Les autres, c’était le plus grand nombre, restaient dans un état d’hébétement absolu, ne répondant pas aux questions, ou n’y répondant que par des phrases incohérentes.

De fait, plus qu’ailleurs, en ces régions apaisées où le sol a pris depuis des siècles et des siècles sa configuration irrévocable, sans qu’aucune manifestation volcanique pût être seulement envisagée comme possible, un tel phénomène offrait quelque chose de particulièrement effarant, d’illogique, d’anormal, en contradiction violente avec les lois de la nature et avec les conditions de sécurité que chacun de nous a le droit de considérer comme immuables et comme définitivement accordées par le destin.

Et Simon qui, depuis la veille, rôdait dans cette atmosphère de trouble, Simon qui se souvenait des prédictions inachevées du père Calcaire et qui avait vu la trombe gigantesque et l’engloutissement de la Reine-Mary, Simon se demandait :

« Qu’y a-t-il ? Que va-t-il se produire ? De quelle manière imprévue, et par quel ennemi redoutable sera livré le prochain assaut ? »

Bien qu’il eût voulu quitter Dieppe au cours de cette nuit ou de la matinée suivante, ce départ lui semblait une désertion au moment où son père revenait et où tant de symptômes annonçaient l’imminence d’une bataille suprême.

« Isabel me conseillera, se dit-il. Nous prendrons ensemble les résolutions nécessaires. »

La nuit, cependant, était venue. À neuf heures, il regagna l’hôtel et pria qu’on avertît miss Bakefield. Il fut stupéfait. Miss Bakefield n’était plus là. Une heure auparavant, descendant de sa chambre, elle avait remis au bureau une lettre à l’adresse de Simon Dubosc, et, subitement, elle avait quitté l’hôtel.

Déconcerté, Simon demanda des explications. Personne ne put lui en donner. Tout au plus l’un des garçons déclara-t-il que la jeune fille avait rejoint un matelot qui paraissait la guetter dans la rue et qu’ils étaient partis ensemble.

Prenant la lettre, Simon s’éloigna avec l’intention d’entrer dans un café ou de revenir à l’hôtel, mais il n’eut pas le courage d’attendre, et c’est à la lueur d’un réverbère qu’il décacheta l’enveloppe et qu’il lut ces lignes :

« Simon,

« Je vous écris en toute confiance, avec la certitude heureuse que toutes mes paroles seront comprises et ne provoqueront en vous ni rancune ni amertume, ni même, après le premier choc douloureux, de réelle détresse.

« Simon, nous nous sommes trompés. S’il est juste que notre amour, que notre grand et sincère amour, domine toutes nos pensées et soit le but de toute notre vie, il n’est pas juste que cet amour soit notre seule règle et notre seul devoir. En partant, nous avons accompli un de ces actes qui ne sont permis qu’à ceux dont le destin a contrarié obstinément tous les rêves et détruit toutes les joies, un acte d’affranchissement et de révolte, auquel on a droit quand il n’est pas d’autre recours que la mort. Est-ce notre cas, Simon ? Qu’avons-nous fait pour mériter le bonheur ? Quelles épreuves avons-nous subies ? Quels efforts avons-nous tentés ? Quelles larmes avons-nous versées ?

« J’ai beaucoup réfléchi, Simon. J’ai pensé à tous ces pauvres gens qui ne sont plus et dont le souvenir me fera toujours trembler. J’ai pensé à nous deux et j’ai pensé à ma mère, que j’ai vue mourir aussi… Rappelez-vous… Nous parlions d’elle, et des quelques bijoux qu’elle m’avait confiés en mourant. Ils sont perdus et cela me cause tant de peine !

« Simon, je ne veux pas considérer cette chose, et moins encore tous les malheurs de cette affreuse journée, comme des avertissements qui nous sont destinés. Mais je veux, du moins, que cela nous serve à regarder la vie d’une autre manière, et à lutter contre les obstacles avec une âme plus noble et plus vaillante. Le fait que nous vivons encore, vous et moi, alors que tant d’autres sont morts, nous interdit tout ce qui est faiblesse, mensonge, équivoque, tout ce qui n’est pas le plein jour et la pleine lumière.

« Conquérez-moi, Simon. Pour ma part, je vous mériterai à force de confiance et d’obstination. Si nous sommes dignes l’un de l’autre, nous réussirons, et nous n’aurons pas à rougir d’un bonheur qu’il nous faudrait payer maintenant, je l’ai senti plusieurs fois aujourd’hui, par trop d’humiliation et trop de honte.

« Simon, vous ne chercherez pas à me revoir, n’est-ce pas ?

« Votre fiancée : Isabel. »

« allons, pensa-t-il, l’heure de l’action est venue »
« allons, pensa-t-il, l’heure de l’action est venue »
« allons, pensa-t-il, l’heure de l’action est venue »

Simon resta quelques secondes interdit. Comme l’avait prévu miss Bakefield, le premier choc était infiniment douloureux. Les idées se heurtaient dans sa tête sans qu’il parvînt à les saisir. Il n’essayait pas de comprendre et ne se demandait pas s’il approuvait la jeune fille. Il souffrait, comme il ne savait point que l’on pût souffrir.

Et tout à coup, dans le désordre de son cerveau, parmi les suppositions incohérentes qui s’offraient à lui, une pensée atroce l’effleura. Oui, certes, Isabel, résolue à se soumettre à son père, avant que le scandale de sa fuite ne fût ébruité, avait conçu le projet de rejoindre lord Bakefield. Mais comment mettrait-elle son projet à exécution ? Et Simon se souvenait : Isabel avait quitté l’hôtel de la façon la plus singulière, brusquement, à pied, et accompagnée d’un matelot qui portait sa valise. Or, l’embarcadère des paquebots de Dieppe et Newhaven se trouvait à proximité de l’hôtel et le paquebot de nuit levait l’ancre dans une heure ou deux.

« Oh ! serait-ce possible ! » murmura-t-il en songeant, avec un frisson, aux convulsions de la mer et au naufrage de la Reine-Mary.

Il s’élança. Malgré la volonté d’Isabel, il voulait la voir, et, si elle résistait à son amour, la supplier tout au moins de renoncer aux périls d’une traversée immédiate.

Aussitôt sur le quai, il avisa, derrière la gare maritime, les cheminées du paquebot. Sans aucun doute, Isabel était là, dans une des cabines. Il y avait du monde autour de la gare, et beaucoup de bagages accumulés. Simon se dirigea vers la passerelle. Mais un employé, de faction, l’arrêta.

« Je n’ai pas de billet, dit Simon. Je cherche une dame qui est embarquée et qui voyage cette nuit.

— Il n’y a pas de voyageurs à bord, dit l’employé.

— Ah ! pourquoi ?

— La traversée n’a pas lieu. On a reçu des ordres de Paris. Toute navigation est interrompue.

— Ah ! fit Simon Dubosc avec un sursaut de joie… la navigation est interrompue ?

— Oui, c’est-à-dire sur la ligne.

— Comment ? sur la ligne ?…

— Dame, la compagnie ne s’occupe que d’elle. Si d’autres bateaux veulent prendre le large, ça les regarde, on ne peut pas les empêcher.

— Mais, dit Simon, déjà inquiet, aucun ne s’est risqué, depuis tantôt, je suppose ?

— Si, il y en a un, voici près d’une heure.

— Ah ! et vous l’avez vu ?

— Oui, un bateau de plaisance, qui appartient à un Anglais.

— Edwards Rolleston, peut-être ? s’écria Simon, un peu au hasard.

— Oui, je crois… Rolleston ? Oui, oui, c’est bien cela, un Anglais qui venait d’armer son bateau. »

La brusque vérité envahit Simon. Edwards, retenu à Dieppe, apprenait par hasard l’arrivée de miss Bakefield, se présentait à son hôtel et, sur sa demande, organisait le départ. D’ailleurs, lui seul était capable de risquer une pareille entreprise et de l’imposer à ses matelots à coups de bank-notes.

La conduite du jeune Anglais prouvait un tel dévouement et un tel courage que Simon recouvra sur-le-champ tout son sang-froid. Il ne ressentit contre lui ni colère ni rancune, Il domina ses craintes, et il résolut d’avoir confiance.

Les nuages glissaient sur la ville, si bas qu’on en discernait les formes noires dans la nuit obscure.

Il traversa la plage et s’appuya contre le balcon qui borde le boulevard maritime. On voyait l’écume blanche des lourdes vagues qui roulaient sur le sable lointain et l’on entendait leurs combats méchants autour des rochers. Pourtant, la tempête prévue ne se déchaînait pas encore. Plus terrible en sa menace ininterrompue et lancinante, elle semblait attendre des renforts et retenir son élan pour le rendre plus impétueux.

« Isabel aura le temps d’arriver », dit Simon.

Il était très calme, plein de foi dans le présent comme dans l’avenir. En accord absolu avec Isabel, il approuvait son départ et n’en souffrait pas.

« Allons, pensa-t-il, l’heure de l’action est venue. »

Il le connaissait, maintenant, le but en vue duquel il se préparait depuis des années et des années : il s’agissait de conquérir une femme qui lui était plus chère que tout et dont la conquête l’obligeait à revendiquer dans le monde la place que lui vaudraient ses mérites.

Assez de matériaux accumulés ! Son devoir était de dépenser, de gaspiller même, comme un prodigue qui jette l’or à pleines mains, sans craindre d’épuiser jamais son trésor.

« L’heure est venue, répéta-t-il. Si j’ai quelque valeur, il faut le prouver. Si j’ai eu raison d’attendre et de m’enrichir, il faut le prouver. »

Il se mit à marcher sur le boulevard, la tête haute, la poitrine large ouverte, et en frappant le sol d’un bruit net. Le vent commençait à faire rage. Des ondées furieuses fouettaient l’espace. Misères insignifiantes pour un Simon Dubosc, dont le corps, en toutes saisons vêtu d’étoffes légères, ne s’apercevait pas des injures du temps, et qui, au déclin d’une journée marquée par tant d’épreuves, n’accusait pas le moindre symptôme de fatigue.

En vérité, il se sentait inaccessible aux faiblesses habituelles. Ses muscles avaient une résistance illimitée. Ses jambes, ses bras, son torse, tout son être patiemment exercé, pouvaient soutenir l’effort le plus violent et le plus opiniâtre. Par ses yeux, par ses oreilles, par ses narines, il participait de la façon la plus aiguë à tous les frémissements du monde extérieur. Aucune tare. Des nerfs en équilibre. Une volonté tendue au premier choc. La faculté de se résoudre à la première alerte. Une sensibilité toujours en éveil, mais contrôlée par la raison. Une intelligence vive. Un esprit logique et clair. Il était prêt.

Il était prêt. Comme un athlète, au mieux de sa forme, il se devait à lui-même d’entrer dans la lice et d’accomplir une prouesse. Or, coïncidence admirable, les événements semblaient lui promettre un champ d’action où cette prouesse pourrait se réaliser de la façon la plus éclatante. Comment ? Il l’ignorait. À quel moment ? Il n’aurait su le dire. Mais il avait l’intuition profonde que des routes nouvelles allaient s’ouvrir devant lui.

Une heure durant, il se promena enthousiasmé et palpitant d’espoir. Brusquement une rafale d’eau, comme arrachée à la crête des vagues, bondit sur la plage et la pluie tomba, par paquets désordonnés qui s’abattaient dans tous les sens.

C’était la tempête. Et Isabel se trouvait encore en mer.

Il haussa les épaules, refusant de laisser place en lui à un retour d’inquiétude. Si, l’un et l’autre, ils avaient échappé au naufrage de la Reine-Mary, ce n’était pas pour que l’un des deux expiât maintenant cette faveur inouïe. Non, malgré tout ce qui pourrait advenir, Isabel arriverait là-bas. Le destin les protégeait.

Sous les torrents de pluie qui déferlaient à travers la plage et par les rues inondées, Simon regagna la villa Dubosc. Une force indomptable le soutenait. Et il songeait avec orgueil à sa belle fiancée, qui, dédaigneuse, elle aussi, des épreuves accumulées, inlassable comme lui, s’en allait brusquement dans la nuit terrifiante…