Le Formidable Événement/II/7

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VII

LA LUTTE POUR L’OR

« Silence, chuchota Antonio, qui devinait la révolte de Simon.

— Pourquoi ? fit celui-ci. Elles ne peuvent pas entendre.

— Elles le peuvent. La plupart des vitres manquent. »

Simon reprit, sur le même ton très bas :

« Mais, miss Bakefield ?…

— Ce matin, je l’ai vue, d’ici, sur cette autre chaise, attachée comme son père.

— Et maintenant ?

— Je l’ignore. Mais je suppose que Rolleston l’a emmenée dans sa cabine.

— Où est cette cabine ?

— Il en occupe trois ou quatre, celles qui sont là.

— Ah ! balbutia Simon, c’est horrible ! Et il n’y a pas d’autre issue ?

— Aucune.

— Nous ne pouvons cependant pas…

— Le moindre bruit perdrait miss Bakefield, affirma Antonio.


toute droite sur un cheval couvert d’écume, dolorès, un fusil à l’épaule, tirait.

— Mais pourquoi ?

— J’en suis sûr… tout cela est combiné… Cette menace de mort contre le père, c’est du chantage. D’ailleurs… »

Une des femmes s’approcha d’une cabine, écouta, et revint en ricanant :

« La petite se défend. Faudra que le chef emploie les grands moyens. Tu es décidée, toi ?

— Parbleu, dit l’autre en montrant sa main d’un signe de la tête, vingt pièces de supplément à chacune de nous, ça vaut le coup ! Sur un ordre, crac, ça y sera. »

La figure du vieux Bakefield demeurait impassible. Les yeux fermés, il semblait dormir. Simon était bouleversé.

« Vous avez entendu ? Entre Isabel et Rolleston, c’est la lutte…

— Miss Bakefield résistera. L’ordre de mort n’est pas donné, » fit Antonio.

À son tour, un des hommes qui veillaient à l’entrée du couloir survint en flânant et prêta l’oreille. Antonio le reconnut.

« C’est un complice de la première heure. Rolleston avait auprès de lui tous ses fidèles de Hastings. »

L’homme hocha la tête.

« Rolleston a tort. Un chef ne s’occupe pas comme ça de bagatelles.

— Il aime la petite.

— Drôle de façon de l’aimer… Depuis quatre jours, il la persécute.

— Pourquoi qu’elle se refuse ? D’abord, c’est sa femme. Elle a dit oui tantôt.

— Elle a dit oui, parce que, depuis ce matin, on serre la gorge du papa.

— Eh bien, elle dira oui, tout à l’heure, pour qu’on ne serre pas davantage. »

L’homme se pencha.

« Comment va-t-il, le vieux ?

— Peut-on savoir ! grogna celle qui tenait la corde. Il a dit à sa fille de ne pas céder, qu’il aimait mieux mourir. Depuis, on croirait qu’il dort. Voilà deux jours qu’il n’a pas mangé.

— Tout ça, reprit le garde en s’en allant, c’est pas sérieux. Rolleston devrait être sur le pont. Voyez-vous qu’il arrive quelque chose ?… que nous soyons attaqués, envahis…

— En ce cas, j’ai l’ordre d’en finir avec le vieux.

— C’est pas ça qui nous ferait gagner la partie. »

Un peu de temps s’écoula. Les deux femmes parlaient très bas. Par instants, il semblait à Simon percevoir des éclats de voix du côté de la cabine.

« Écoutez, dit-il… C’est Rolleston, n’est-ce pas ? »

L’indien déclara :

« Oui.

— Il faut agir… il faut agir », dit Simon.

Brutalement, la porte de la cabine s’ouvrit. Rolleston apparut. Furieux, il cria aux femmes :

« Vous êtes prêtes ? Comptez trois minutes. Dans trois minutes étranglez-le. »

Et, se retournant :

« Tu as compris, Isabel ? Trois minutes. Décide-toi, ma petite. »

Il claqua la porte sur lui.

Aussi rapidement que possible, Simon avait saisi la carabine d’Antonio. Mais, gêné par les barreaux, il ne réussit pas à la braquer avant que le bandit eût refermé.

« Vous allez tout perdre ! » fit Antonio, en reculant hors de la bâche et en lui arrachant son arme.

Simon se dressa à son tour, le visage convulsé.

« Trois minutes ! Ah ! la malheureuse… »

Antonio essayait de le retenir.

« Cherchons un moyen. La cabine doit avoir quelque hublot.

— Trop tard. D’ici là, elle se sera tuée. C’est tout de suite qu’il faut agir.

Il réfléchit un instant, puis soudain il se mit à courir sur le pont et, gagnant la cage de l’escalier, sauta jusqu’en bas. Le couloir commençait par un palier plus large, où les gardes jouaient aux cartes et buvaient.

Ils se levèrent. L’un d’eux commanda :

« Halte ! On ne passe pas.

— Tout le monde sur le pont ! tout le monde à son poste ! proféra Simon, répétant les paroles de Rolleston. Au galop ! et pas de pitié ! Voilà l’or ! la pluie d’or qui recommence ! »

Les hommes bondirent et filèrent par l’escalier. Simon s’élança dans le couloir, croisa l’une des deux femmes, que ces clameurs attiraient, et lui jeta la même phrase :

« L’or ! la pluie d’or ! Où est le chef ?

— Dans sa cabine, répondit-elle. Avertissez-le. »

Et, à son tour, elle fila.

L’autre femme qui tenait la cordelette hésitait. Simon, d’un coup de poing décoché sous le menton, l’abattit. Puis, sans s’occuper de lord Bakefield, il se précipita vers la cabine. À ce moment même, Rolleston ouvrait la porte, en criant :

« Qu’est-ce qu’il y a ? L’or ? »

Simon empoigna la porte pour qu’il ne pût la refermer et aperçut au fond de la cabine, Isabel, vivante :

« Qui êtes-vous ? fit le bandit avec inquiétude.

— Simon Dubosc. »

Il y eut un silence, un répit avant la lutte que Simon croyait inévitable. Mais Rolleston reculait, les yeux hagards.

« M. Dubosc… M. Dubosc… celui qu’on a tué, tout à l’heure ?

— Celui-là même, fit une voix dans le couloir. Et c’est moi qui l’ai tué, moi, Antonio… l’ami de Badiarinos que tu as assassiné.

— Ah ! gémit Rolleston en s’affaissant. Je suis perdu. »

L’ivresse, la stupeur, et plus encore évidemment sa lâcheté naturelle le paralysaient. Sans opposer la moindre résistance, il se laissa renverser et désarmer par Antonio, tandis que Simon et Isabel se jetaient dans les bras l’un de l’autre.

« Mon père ?… murmura la jeune fille.

— Il est vivant. Ne craignez rien. »

Ensemble, ils allèrent le délivrer. Le vieux gentleman était à bout de forces. C’est à peine s’il put serrer la main de Simon et embrasser sa fille. Toute défaillante, elle aussi, secouée d’un tremblement nerveux, elle tomba dans les bras de Simon en balbutiant :

« Ah ! Simon, il était temps !… Je me serais tuée… Ah ! quelle ignominie ! Comment oublier jamais ?… »

Quelle que fût sa détresse cependant, elle eut l’énergie de retenir la main d’Antonio alors qu’il était sur le point de frapper Rolleston.

« Non, je vous en prie… Simon, vous pensez comme moi, n’est-ce pas. Nous n’avons pas le droit… »

Antonio protesta :

« Vous avez tort, mademoiselle. Un monstre comme celui-là, il faut s’en débarrasser.

— Je vous en prie…

— Soit. Mais je le retrouverai. Nous avons un compte, lui et moi. Monsieur Dubosc, un coup de main pour le ficeler. »

L’indien se hâtait. Sachant la ruse qu’avait employée Simon pour éloigner les gardes, il supposait que ceux-ci reviendraient aussitôt, sans doute escortés de camarades. Il poussa donc Rolleston jusqu’à l’extrémité du couloir et le jeta dans un réduit obscur.

« Comme cela, dit-il, les complices, ne retrouvant pas leur chef, le chercheront dehors. »

Il ligota également et enferma la grosse femme qui commençait à se réveiller de sa torpeur. Puis, malgré l’épuisement de lord Bakefield et d’Isabel, il les ramena vers l’escalier.

Simon dut porter Isabel. Quand il déboucha sur le pont de la Ville-de-Dunkerque, il fut stupéfait d’entendre des crépitements et de voir la grande gerbe de cailloux et d’eau qui montait vers le ciel. Par une coïncidence heureuse, le phénomène se produisait comme il l’avait annoncé, et créait une agitation dont ils avaient le temps de profiter. Isabel et lord Bakefield furent étendus sous la bâche, cette partie de l’épave demeurant déserte. Puis, en quête de nouvelles, Antonio et Simon vinrent du côté de l’escalier. Un groupe de bandits s’y engouffrait en vociférant :

« Le chef ! Rolleston ! »

Plusieurs d’entre eux interrogèrent Antonio qui affecta le même désarroi :

« Rolleston ? Je le cherche partout. Il doit être aux barricades. »

Les bandits refluèrent et galopèrent sur le pont. Au pied de l’estrade, il y eut un conciliabule, après lequel les uns coururent vers l’enceinte tandis que les autres, suivant l’exemple de Rolleston, hurlaient :

« Tout le monde à son poste ! Pas de pitié ! Mais tirez donc là-bas ! »

Simon murmura :

« Qu’y a-t-il ?

— Du flottement, répondit Antonio, de l’hésitation. Regardez au-delà de l’enceinte. La foule attaque à plusieurs endroits.

— Mais on tire dessus.

— Oui, mais en désordre, au hasard. L’absence de Rolleston se fait déjà sentir. C’était un chef, lui. Si vous l’aviez vu organiser, en quelques heures, ses deux ou trois cents recrues et répartir chacun selon ses aptitudes ! Il ne régnait pas seulement par la terreur. »

L’éruption dura peu et Simon eut l’impression que la pluie d’or était moins abondante. Elle n’en attira pas moins ceux qui étaient chargés de la recueillir et d’autres que la voix du chef ne stimulait plus et qui abandonnèrent la barricade.

« Tenez, dit Antonio, les attaques redoublent de fureur. L’ennemi sent bien qu’il y a relâchement chez les assiégés. »

De toutes parts, le glacis était envahi et de petites troupes s’avançaient, d’autant plus nombreuses et plus hardies que la fusillade devenait moins intense. La mitrailleuse ne fonctionnait plus, abandonnée ou démolie. Les complices, restés devant l’estrade, incapables d’imposer leur autorité et de rétablir la discipline, sautèrent dans l’arène et coururent aux tranchées. C’étaient les plus résolus. Les assaillants hésitèrent.

Ainsi, durant deux heures, il y eut des alternances de fortune. Lorsque la nuit vint, la bataille était indécise.

Simon et Antonio, voyant l’épave délaissée, rassemblèrent les armes et les provisions nécessaires. Ils avaient l’intention de préparer la fuite pour le milieu de la nuit si les circonstances le permettaient, et Antonio partit en reconnaissance tandis que Simon veillait au repos des deux malades.

Lord Bakefield, bien qu’en état de partir, restait fort abattu et dormait d’un sommeil agité de cauchemars. Mais la présence de Simon rendait à Isabel toute son énergie et toute sa force de vivre. Assis l’un près de l’autre, les mains jointes, ils se racontaient l’histoire de ces journées tragiques, et la jeune fille dit tout ce qu’elle avait souffert, la cruauté de Rolleston, son assiduité grossière auprès d’elle, la menace de mort incessante qu’il répétait contre lord Bakefield si elle ne fléchissait pas, les orgies de chaque soir au campement, le sang qui coulait, les supplices, les plaintes des mourants, le rire des acolytes…

Elle frissonnait à certains souvenirs et se serrait contre Simon, comme si elle avait peur de se retrouver seule. Tout autour d’eux luisaient des éclairs et claquaient des détonations qui leur semblaient plus proches. Une clameur formidable et confuse à la fois, faite de cent combats isolés, d’agonies et de triomphes, flottait sur la plaine obscure où l’on eût dit cependant que se répandait une pâle clarté.

Au bout d’une heure, Antonio revint et déclara que la fuite était impossible.

« La moitié des tranchées, dit-il, appartient aux assaillants, qui se sont même infiltrés jusqu’à l’intérieur de l’enceinte. Et ceux-là, pas plus que les assiégés, ne laissent passer personne.

— Pourquoi ?

— Ils ont peur qu’on emporte de l’or. Il semble qu’il y ait chez eux une sorte de discipline, et qu’ils obéissent à des chefs dont le but serait de reprendre aux assiégés l’immense butin accumulé par ceux-ci. Et comme les assaillants sont dans la proportion de dix et de vingt contre un, il faut s’attendre à un véritable massacre. »

La nuit fut tumultueuse. Simon remarqua que la couche épaisse des nuages se disloquait par endroits et que des lueurs tombaient du ciel étoilé. On voyait des silhouettes galoper à travers l’arène. Deux hommes d’abord, puis beaucoup d’autres, montèrent sur la Ville-de-Dunkerque et descendirent par l’escalier voisin.

« Les complices de Rolleston qui reviennent, murmura Antonio.

— Dans quel but ? Ils cherchent Rolleston ?

— Non, on le considère comme mort. Mais il y a les sacs, les sacs remplis de pièces, et chacun va remplir ses poches.

— L’or est donc là ?

— Dans les cabines. La part des complices d’un côté, la part de Rolleston de l’autre. Écoutez. »

Au-dessous du pont, les querelles commençaient, suivies presque aussitôt d’une mêlée générale que scandaient des cris et des plaintes. Un à un les vainqueurs débouchèrent de l’escalier. Mais, toute la nuit, des ombres se glissèrent par là et on entendait les nouveaux venus qui fouillaient et démolissaient.

« Ils vont finir par trouver Rolleston, observa Simon.

— Cela m’est égal, dit Antonio, » avec un petit ricanement que Simon devait se rappeler.

L’Indien préparait les fusils et les munitions. Un peu avant l’aube, il réveilla lord Bakefield et sa fille et leur donna des carabines et des revolvers. L’assaut suprême ne pouvait tarder, et il estimait que la Ville-de-Dunkerque serait l’objectif immédiat des assaillants et qu’il était préférable de ne point s’y attarder.

La petite troupe s’en alla donc aux premières blancheurs du matin. Elle n’avait pas mis le pied sur le sable de l’arène que le signal de l’attaque fut donné par une voix puissante qui partait de la carcasse du sous-marin, et il advint qu’au moment même où se déclenchait l’offensive suprême, alors que les assiégés, mieux armés, se disposaient à une résistance mieux organisée, il advint que le fracas de l’éruption déchira l’air de ses mille explosions.

Du coup l’élan de l’ennemi s’exaspéra et les assiégés faiblirent, ainsi que Simon et Antonio purent s’en rendre compte à la débandade des hommes qui se repliaient comme des bêtes traquées, en cherchant des abris pour se défendre ou pour s’y cacher.

Au milieu, la pluie brûlante et la retombée des cailloux réservaient un vide circulaire où, néanmoins, quelques forcenés parmi les assaillants avaient l’audace de s’aventurer, et Simon, dans une vision brève, crut apercevoir — mais était-ce possible ? — le père Calcaire qui courait de droite et de gauche sous un étrange parapluie fait d’un disque de métal aux bords rabattus.

La cohue des vainqueurs devenait plus dense. On se heurtait à des groupes d’hommes et de femmes qui brandissaient des bâtons, de vieux sabres, des faux, des serpettes, des haches, et qui s’emparaient des fuyards. Deux fois, Simon et Antonio durent entamer la lutte.

« La situation est grave, dit Simon en prenant Isabel à part. Nous allons risquer le tout pour le tout, et tâcher de nous ouvrir une trouée. Embrassez-moi, Isabel, comme le jour du naufrage. »

Elle lui offrit ses lèvres, en disant :

« J’ai foi en vous, Simon. »

Après beaucoup d’efforts, et deux engagements avec des brutes qui voulaient les arrêter, ils gagnèrent la ligne des barricades et la franchirent sans encombre. Mais, dans l’espace libre qui s’étendait en dehors, ils rencontrèrent de nouvelles vagues de rôdeurs qui déferlaient furieusement, et parmi lesquels il y avait des bandes d’individus qui paraissaient plutôt fuir que d’aller à la curée. On eût dit qu’un grand danger, venu de l’arrière, les menaçait eux-mêmes. Tous farouches d’ailleurs, prêts au massacre, retournant les cadavres et acharnés contre les vivants.

« Attention ! » cria Simon.

C’était une horde de trente ou quarante voyous et gamins au milieu desquels Simon reconnut deux des chemineaux qui l’avaient poursuivi. Apercevant Simon, ils entraînaient la horde qu’ils commandaient. Un mauvais hasard fit qu’Antonio glissa et tomba. Lord Bakefield fut renversé. Simon et Isabel, pris dans un remous, se sentirent étouffés par une masse de corps qui tourbillonnaient autour d’eux. Simon réussit cependant à saisir la jeune fille et à braquer son revolver. Il tira trois fois de suite. Isabel également. Deux corps s’écroulèrent. Il y eut une seconde d’hésitation, puis un nouveau choc les sépara l’un de l’autre.

« Simon, Simon », implora la jeune fille avec effroi.

Un des chemineaux rugissait :

La jeune fille ! « emportons-la. On la vendra son pesant d’or. »

Simon voulut la rejoindre. Vingt mains s’opposèrent à son effort désespéré, et, tout en se défendant, il vit Isabel que les deux grands diables poussaient devant eux, du côté des barricades. Elle trébucha. Ils cherchaient à la soulever, lorsque soudain ils culbutèrent l’un et l’autre. Deux détonations avaient retenti.

« Simon ! Antonio ! » cria une voix.

À travers la mêlée, Simon avisa, toute droite sur un cheval couvert d’écume, Dolorès, un fusil à l’épaule et qui tirait. Trois des agresseurs les plus proches furent frappés. Il put se dégager, courir vers Isabel, et rejoindre Dolorès, auprès de laquelle, en même temps, Antonio ramenait lord Bakefield.

Ils se retrouvaient donc ensemble tous les quatre, mais chacun des quatre suivi par la meute de rôdeurs qui s’acharnait après lui, et, à ceux-là, il s’en ajoutait d’autres par douzaines qui surgissaient du brouillard, et qui supposaient, sans doute, que l’enjeu d’une telle bataille, engagée contre un si petit nombre d’adversaires, ne pouvait être que la capture de quelque trésor.

« Ils sont plus de cent, dit Antonio, nous sommes perdus.

— Sauvés ! s’exclama Dolorès qui ne cessait de tirer.

— Pourquoi ?

— Oui, il faut tenir… une minute… »

La réponse de Dolorès s’acheva dans le vacarme. Les assaillants se précipitèrent. Adossée au cheval, la petite troupe faisait face de tous côtés, tirant, blessant, tuant. De la main gauche Simon déchargeait son revolver, tandis que, de la main droite agrippée au canon de son fusil, il écartait l’ennemi par un moulinet terrible.

Mais comment résister au flot continuellement renouvelé qui se ruait contre eux ? Ils étaient submergés. Le vieux Bakefield reçut un coup de bâton qui l’assomma. Antonio eut le bras engourdi par le choc d’une pierre. Toute résistance était impossible. C’était l’instant affreux où l’on s’écroule, et où la chair est piétinée sous les bottes, déchirée par les griffes.

« Isabel, » murmura Simon en la serrant passionnément contre lui.

Ils tombèrent à genoux ensemble. Les bêtes de proie s’abattirent sur eux, les recouvrant de ténèbres.

Un clairon retentit à quelque distance, égrenant dans l’espace les notes allègres d’une sonnerie militaire. Un autre clairon répondit. C’était la sonnerie française de la charge.

Un grand silence, lourd de peur, immobilisa les hordes de pillards. Simon, qui succombait, sentit le fardeau moins pesant au-dessus de lui. Des bêtes de proie se sauvaient.

Il se souleva à moitié, tout en soutenant Isabel, et la première chose qui le frappa, ce fut l’attitude d’Antonio. L’indien observait Dolorès avec un visage contracté. Lentement, sournoisement, il fit quelques pas vers elle, à la façon d’un félin qui rampe vers sa proie, et tout à coup, avant que Simon fût intervenu, il sauta en croupe derrière elle, passa ses bras par-dessous les bras de la jeune femme, et brutalement talonna le cheval qui prit le galop le long des barricades, vers le Nord.

Du côté opposé, à travers la brume, apparaissaient des uniformes bleu horizon.