Le Foyer/Acte I
ACTE PREMIER
Scène Première
Biron, de la fine Champagne ?… de la chartreuse ?… quoi ?…
De la fine Champagne… de la fine Champagne… Dans un grand verre, voulez-vous ?
Tenez.
Merci… (Reniflant son verre.) Toujours la fameuse eau-de-vie de 1822 ?
Toujours.
Voilà l’inimitable eau-de-vie de France !
Portez ces liqueurs au billard… (Le valet prend le plateau.)
Attendez !… Vous oubliez la glace pilée pour le kummel de M. d’Auberval.
Scène II
Il a de la chance… (Se rapprochant.) Il a de la chance.
Qui ?
Le jeune homme dont vous n’oubliez pas la glace pilée.
Voulez-vous du cognac ?
Hein ?… Vous venez de m’en donner.
Oh ! pardon !
Quel âge a-t-il ?
Le cognac ?
Vous vous moquez de moi… non, pas le cognac… le petit jeune homme… le petit d’Auberval.
M. d’Auberval.
Ououin.
Je ne sais pas… ça vous intéresse !
Mon Dieu… (Un temps. Mollement.) Il est gentil… assez gentil… (Un temps.) Vingt-trois ans ?
Vous êtes fou !… Au moins vingt-six.
Vous ne les portez pas…
Vous pouvez fumer, vous savez…
C’est lui, maintenant, qui joue au billard avec Courtin… et qui perd… naturellement… Il a de la chance…
Biron, vous êtes idiot… et si vous saviez combien ridicule !
Je sais… je sais… Oui, moi, je retarde un peu, comme vous disiez à déjeuner… Tiens !… Tout le monde ne peut pas jouer les jeunes millionnaires anarchistes… Millionnaire ? Oui, enfin !
Cet été… que comptez-vous faire ?
Eh bien, voilà… vous voir, vous voir et vous revoir ?
Joli programme.
N’est-ce pas ?
Et puis ?
Et puis, vous voir… vous voir… et vous revoir… Ah !
Un peu monotone… C’est tout ?
Vous dire, aussi souvent que je pourrai…
Vous ne fumez pas ?
Merci !… (Après une hésitation, il tire un énorme cigare d’un étui.) Même d’aussi près… (Il tire une trousse de sa poche.) la fumée ne vous incommode pas ?
Vous n’êtes pas forcé de rester aussi près.
L’êtes-vous assez, méchante, avec moi !… Par exemple, ce qui est extraordinaire, c’est que vos rosseries, au lieu de me refroidir… (Il allume son cigare.) Dites-moi ?… Il fume donc beaucoup, M. d’Auberval ?
Je n’ai pas remarqué.
Vous n’avez pas remarqué qu’autrefois vous n’aimiez pas la fumée, du moins, vous n’aimiez pas ma fumée ?… C’est curieux. Comme on change !
Oui… (Un temps.) Vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous comptiez faire cet été ?
Vous voir…
Sérieusement…
Cet été… mon Dieu !… comme tous les étés… sans doute Deauville, et puis Dieppe… peut-être Aix aussi…
Aix ?… Pour vos douleurs ?
Pour mes douleurs… parfaitement… Vous ne ratez pas une occasion de me dire des choses désagréables.
Je vous assure que j’ai dit ça…
Et si mes douleurs me le permettent…
Allons, Biron… voyons.
Si mes douleurs me le permettent…
Comme vous êtes susceptible !
J’irai en Engadine… Ah !… (Un temps.) Irez-vous en Engadine ?
Je ne sais pas du tout… Je ne sais rien. Le baron a fort à faire, cette année…
Booouh !…
À l’Académie, son rapport sur les prix de vertu.
Peuh !
Au Sénat, la discussion de la loi sur l’enseignement primaire… Ah !… la Commission de la réforme du mariage.
Ça !
Et puis Le Foyer… Le Foyer surtout.
Quoi, Le Foyer ? Des embêtements ? toujours ? Des embêtements d’argent ?
D’argent… oui… peut-être… je ne suis pas très au courant… enfin des ennuis. Et les autres œuvres… Et les brochures… les brochures !
Courtin est fou…
Ah ! la charité est encore plus absorbante que les affaires.
Dans ces conditions… je crains bien que jusqu’à l’automne…
Mais non… mais non… les choses s’arrangent… Je suis bien sûre que nous nous verrons à Deauville… que nous nous verrons à Dieppe… C’est quelque chose.
C’était quelque chose… Aujourd’hui ce n’est plus rien.
Biron, si vous voulez que nous restions amis…
Mais qu’est-ce que j’ai dit ?… Je n’ai même plus le droit de rien dire… C’est épatant !
Allons… revenez vous asseoir… (Regardant vers le billard.) Et puis, ne criez pas comme ça !
C’est vrai aussi… Deauville… L’Engadine… ça ne vous rappelle donc rien ? Les femmes ont un talent pour oublier…
J’aime mieux ne pas me rappeler… Il y a trop longtemps !…
Trop longtemps !… La première année de Deauville, il n’y a pas dix ans… et Aix !… (Mélancolique.) Ma parole, je ne sais pas comment j’ai le courage d’y retourner. Thérèse…
Chut !
Soyez bonne… Qu’est-ce que cela peut bien vous faire que je vous appelle encore Thérèse… de temps en temps ?
Vous m’aviez promis…
Bon !… Qu’est-ce que ça peut vous faire ? Et moi ?… Oh ! depuis dix ans, quand je vois revenir l’été… (À mesure qu’il se rapproche, Thérèse recule.) Thérèse… cette après-midi… à Aix… sur le lac…
Je vous en prie… ne nous attendrissons pas…
Comme vous étiez belle… Une robe de toile blanche qui craquait… (Il se penche, risque un geste.) Vous portiez des bas à jour…
Eh bien !… Eh bien !…
Des bas à jour… des bas mordorés… (Thérèse rit, Biron se lève péniblement et marche.) Riez… riez… Moi, j’ai de la peine…
Mon ami, je n’ai pas voulu vous chagriner… mais aussi pourquoi ?… Il avait été convenu…
Ah ! Il me faut au moins mes souvenirs… (De très près.) Voilà six mois, songez-y… si vous ne me laissez même pas mes souvenirs…
Voyons !… voyons !… Bien que vous soyez, mon cher Biron, un être souvent grossier, égoïste, assez brutal, très mal élevé… (Biron proteste.) Si, si, vous le savez bien… vous avez des qualités.
Tout de même !
Que j’ai aimées beaucoup… Je les aime toujours… Je vous aime toujours… mais autrement… (Biron veut parler.) Laissez… Ce n’est ni de votre faute, ni de la mienne. (Biron veut encore parler, elle lui ferme la bouche.) Plus un mot, je vous en prie… Cela m’est pénible… Et vous ne changeriez rien à ce qui est.
Eh bien, moi, je ne peux pas m’y faire… Je ne peux pas m’y faire… d’abord parce que je ne peux pas m’y faire… c’est très simple… Jamais !… jamais je ne vous ai tant désirée… C’est fou !… Je ne pense qu’à vous !… Je n’en peux plus !
Ne criez pas comme ça !
Ces six mois ont été six mois d’enfer… Je suis à bout… à bout !…
Ne criez donc pas comme ça… Venez ici. Oh ! si vous pouviez au moins perdre cette détestable habitude de crier.
C’est affreux aussi… Je suis malheureux, moi !
Vous ne pouvez donc pas parler comme tout le monde ! Asseyez-vous !
Si malheureux, ma petite Thérèse, si malheureux !…
À la bonne heure… j’aime mieux ça…
Avoir passé tant d’années à se donner, l’un par l’autre, toutes les joies… toutes les joies permises…
Biron !…
Et même pas mal de joies défendues !
Biron !… Biron !…
Mais en quoi êtes-vous faite ? il n’y a donc pas moyen de vous reconquérir, de vous réchauffer ?
Vous avez de ces mots !
Cette bouche !… Peuh !… Et ces dents !… ces dents !…
Je vais me fâcher tout à fait.
Vous êtes méchante… eh bien… soyez méchante… J’adore ça, moi… Vos yeux, vos beaux yeux colère… Ah ! ils me rappellent des choses admirables… Vous savez bien, quand vous êtes… oui, enfin… quand vous devenez tout à fait… méchante… (Secouant la tête.) Haaouah ! Une chatte en colère… (Thérèse sourit et s’étire un peu.) La jolie chatte !… Ah ! c’est que je vous connais… Je vous connais si bien…
Vous êtes bête !
N’empêche !… Il y a entre nous des années, des années… des choses… des choses… Il y a entre nous des liens… On ne les brise pas comme ça… (Très tendrement à son oreille.) J’ai été gentil avec vous, moi… (Elle le repousse un peu.) Toutes vos fantaisies… toutes vos curiosités…
Taisez-vous !
Ce jour d’été, ici… où il faisait si chaud… les volets clos…
Vous êtes odieux… (La tête dans ses mains.) Vous êtes odieux.
Moi ?… En quoi suis-je odieux ?… En quoi ?
Vous cherchez je ne sais quelle joie honteuse à me faire rougir.
Oh !
Si… Si… C’est abominable… C’est abominable.
Je ne vous dirai plus rien… là… plus rien… Je vous demande pardon…
Puisque vous n’êtes pas plus raisonnable…
Je vous demande pardon…
Il n’y a plus qu’un moyen…
Puisque je vous demande pardon…
Qu’un moyen… ne plus vous voir du tout…
Ça y est… Je l’attendais, le moyen… Il est gai… Allez ! Allez !
Voyagez !…
C’est ça… l’Égypte… le Japon… l’Amérique… Allez !… Allez !
Votre yacht s’ennuie à Marseille… L’Argo… Cette bonne Argo !… Faites une croisière sur l’Argo.
Oh ! sans vous !… (Un temps. Tout à coup.) Voulez-vous ?
Je n’aime plus la mer.
Vous n’aimez plus rien. (Brusquement, revenant à elle.) Tenez, ne parlons plus de moi… mais de vous…
Pourquoi faire ?
Si… une bonne fois… (Un temps.) Jeudi… rue de la Paix… je vous ai vue… je vous ai vue en fiacre…
Eh bien ?
Vous en fiacre !
Mon Dieu ! Vous me faites peur.
Mais vous n’avez pas le droit. C’est une absurdité !
Vous êtes vraiment drôle !
Et d’une maladresse !… Vous ne pouvez pas mieux afficher notre rupture… Crier à tout le monde le changement…
Biron !… À la fin !
Non… laissez-moi dire… Je ne plaisante plus… Nous ne sommes pas des enfants, que diable !… Je vous jure que c’est un scandale…
Non !
Si… Pour vous… pour moi… pour le monde… pour Courtin… J’aime Courtin… moi. Mais oui ! C’est un homme de mérite. Il a des ennuis. (Considérant le buste de l’empereur.) Avec ça… les chances d’une restauration de l’Empire ! (Tournant le dos au buste.) Fuut ! Beaucoup d’ennuis… Il n’a pas que Le Foyer.
Ça le regarde.
Ah ! cet entêtement !… ça vous regarde aussi… ça vous regarde, vous surtout… Et puis vous n’êtes pas faite pour aller en fiacre. (Geste de Thérèse.) Non. Une vie plate, médiocre… vous ? ça n’a pas de sens ! Il vous faut le luxe, toutes les choses chères… Je m’étais fait un devoir, moi… une joie…
Jetez-moi maintenant vos générosités à la tête…
Il n’est pas question de ça !
C’est bien vous !
Il n’est pas question de moi… Voyons… réfléchissez une minute… de sang-froid… (Thérèse, qui a croisé ses jambes, fait aller son pied.) Depuis que vous n’acceptez plus rien de moi… tout ce qui se passe ici, c’est lamentable… à pleurer… L’écurie vendue… la livrée diminuée… vous recevez beaucoup moins… Des bibelots disparaissent tous les jours… Vos bijoux…
Mes bijoux ?… Qu’est-ce que vous chantez ?
Oui… oui… J’en ai trop acheté dans ma vie… On ne me la fait pas… Moi aussi je sais comment ça s’imite… Vos toilettes…
Tenez… ça c’est idiot… Je dépense beaucoup moins, je veux bien… Mais il y a longtemps que je n’ai eu un ensemble de choses aussi réussies que ce printemps…
Oui… Enfin. C’est possible… Vous savez admirablement vous arranger… mais, moi, je sais ce que je dis. (Croisant les bras.) Et le Fragonard du salon ?
Quoi ?
Le Fragonard ?
Qu’est-ce que cela vous fait ? Parce que vous me l’avez donné ?
Pas du tout.
Alors ?
Parce que vous ne l’avez plus. (Geste de Thérèse.) Naturellement.
Vous m’horripilez… Je n’ai pas de comptes à vous rendre. Enfin, vous m’horripilez !
Où tout cela vous mènera-t-il ?
Je n’y pense pas.
Mais c’est le désastre… le désastre prochain.
Va pour le désastre… Je me sens parfaitement heureuse ainsi…
Heureuse ?… Et moi ?… Ah ! vous les trouvez les mots qui consolent ! (Thérèse rit.) Riez… Riez… inconsciente ! (Il marche et tout à coup revient à Thérèse.) Il est donc bien riche M. d’Auberval ?
Qu’est-ce que vous dites ?
Rien. (Il se remet en marche.) Je ne dis rien… je ne dis rien… Je ne dis rien !
Vous serez donc toujours le même… avec de l’argent plein la bouche ?… Quel homme ! Ah ! vous me faites cruellement repentir de ne pas vous avoir fermé ma porte… Je l’aurais dû…
Ne vous fâchez pas… voyons, ne vous fâchez pas !
Taisez-vous… puisque vous ne savez dire que des sottises ou des inconvenances.
Thérèse…
Laissez-moi.
Je ne voulais pas vous froisser.
Laissez-moi, je vous prie. (Se retournant vers lui, très énergique.) Mais, dorénavant, je vous défends… (Avec un geste qui semble rejeter quelque chose.) Du reste, qu’est-ce que cela me fait ? (Elle le toise.) Vous ne pouvez pas comprendre.
Je vous assure.
Ne parlons plus, voulez-vous ?
Thérèse… Thérèse ?
Vous n’êtes pas gentils !… Ah ! vous jouez encore !
C’est malin… c’est malin !…
Laissez votre partie.
Scène III
Nous finissons.
Ah ! si on n’avait pas été vous chercher ?
Vous ne voulez pas faire une partie ?… Si, si, venez !
Jamais de la vie !
Vous n’aimez pas ?
J’ai horreur de ce jeu-là… de tous les jeux, d’ailleurs.
Est-ce que le billard est un jeu ou un sport ?
Je ne sais pas.
Un jeu ou un sport ?
Consultez l’Académie.
L’Académie ignore le sport… Elle ne connaît que les jeux.
Et les ris…
Que les jeux et les exercices.
Alors, le billard ?
Il tient sans doute un peu des deux…
Qui a gagné ?
J’ai perdu… les deux parties.
J’en étais sûr… Jeune homme, vous n’êtes pas de force. (Se levant et tapant sur l’épaule de Courtin.) Voilà notre maître à tous.
Comme vous êtes aimable !
Mon ami, il est en veine d’amabilité.
Tout de même, d’Auberval fait des progrès.
Oui… Oui…
Il arriverait à vous battre que cela ne m’étonnerait pas.
Nous verrons… nous verrons…
Avez-vous parlé avec le baron de l’emploi de l’été ?
Impossible de placer un mot… La charité tout le temps… la charité sans arrêter… la charité sans pitié…
Pourquoi vous obstinez-vous à lui tenir tête ?
Vraiment ?… vous le trouvez intelligent ?… Vous m’étonnez !
Je vous assure… Un peu paradoxal, un peu gamin… mais doué…
C’est-à-dire qu’il lit des feuilles avancées, et, dans les salons, ça lui donne une altitude. Un socialiste en gilet à fleurs… Un farceur.
Plus convaincu que vous ne pensez… Ce qui me fait peur, justement, dans le socialisme, c’est qu’il séduit tous les jeunes gens. Mon cher Biron, je ne sais pas, en vérité, quel avenir nous préparent nos impitoyables cadets.
Bah ! ils feront comme nous : ils vieilliront.
N’est-ce pas, baron, que Le Foyer aura bientôt dix ans d’existence ?
Pas tout à fait… nous sommes dans le huitième exercice… Tout de même, il y aura neuf ans en octobre prochain.
Vous voyez que j’avais raison…
Je n’aurais pas cru…
Je suis d’un ferré sur Le Foyer !…
Rappelez-vous, ma chère amie, que c’est à notre premier été…
Mais oui… rappelez-vous, à Deauville…
C’est bon…
À Deauville, que nous cherchions un nom…
Et c’est vous qui l’avez trouvé.
Vous avez une mémoire, vous !
J’ai une bonne mémoire.
Une mémoire impitoyable !
Mais alors, l’idée du Foyer est de vous ? Vous êtes une fanfaronne de l’indifférence ?
Le nom, peut-être. L’idée est bien du baron.
C’est vrai, je la revendique.
Vous ne pourriez pas la renier… (À d’Auberval.) Courtin a fait là-dessus des volumes… des volumes… Mais vous ne connaissez pas cette littérature-là… Vous devez préférer quelque chose de plus léger… de plus croustillant…
…illeux… croustilleux.
Moi ?
Ne vous en défendez pas… C’est de votre âge.
Pardon… la littérature légère, si elle plaît, c’est surtout aux vieux messieurs… (Thérèse rit. Biron s’éloigne.) Moi, ce qui me passionne, c’est la sociologie.
La sociologie ! Poseur ! (Revenant.) Alors, comment ignorez-vous les livres du baron ?
Pardon ! Pardon ! Ils sont classiques ! (Récitant.) Baron J.-G. Courtin : Napoléon Ier charitable ; Perrin, 1888 ; 1 volume in-16. Baron J.-G. Courtin : La Charité sous le Consulat ; Perrin, 1890 ; 1 volume in-16. Baron J.-G. Courtin : La Question ouvrière ; Perrin, 1894 ; 2 volumes in-18. Baron J.-G. Courtin : La Charité ordonnée ; Perrin, 1896 ; 1 volume in-8. Baron J.-G. Courtin (insistant et saluant.), de l’Académie française : La Rue et l’Atelier ; Perrin, 1898. Baron J.-G. Courtin : Une Paria ; 1901. Baron J.-G. Courtin : Féminisme ouvrier, 1903.
C’est qu’il n’en oublie pas.
Oui, oui… (À Thérèse.) Il a une bonne mémoire. (À Courtin.) Il sait les titres.
Et les idées… (À Biron.) Voulez-vous ?…
Non… oh ! non !…
On n’en dira jamais assez, mon cher enfant, sur notre petite ouvrière parisienne. (Biron se verse un verre de cognac et va s’asseoir à droite.) On n’en fera jamais assez pour réparer la plus choquante des injustices. Nulle part, la charité ne trouve plus l’occasion de s’exercer.
Le voilà reparti.
Allons… Taisez-vous !
Au Parlement… dans les journaux… il n’est question que des ouvriers… toujours les ouvriers… Tout pour les ouvriers… Moi, depuis longtemps, c’est le sort de l’ouvrière qui m’intéressait… et, plus encore que de l’ouvrière mariée, le sort si périlleux de la jeune fille…
La midinette ! La midinette !
Les cousettes, Biron… les cousettes…
Cousettes ? (Thérèse fait en souriant le geste de coudre.) Ah ! oui ! Charmant !
Vous trouverez le mot dans d’Aurevilly… dans Balzac… (Grave.) Les pauvres filles de seize ans, de dix-huit ans…
… ou de treize ans…
Celles-là aussi… toutes celles qui sont à l’âge où il faut défendre la jeune fille contre la femme qui naît en elle, la préserver des tentations de la rue, des suggestions de la misère, et souvent, ce qui est plus triste, de l’exemple des parents en lui créant un intérieur, un abri…
… un foyer… voilà !… Le Foyer. (Déposant son verre.) Une façon de détourner les mineures…
Oh !
Du vice… du vice…
Vous êtes insupportable !…
Ma chère amie, la plaisanterie de Biron est cruelle… mais assez heureuse…
Vous voyez…
Sans doute. Au début, quand nous allions chercher nos pupilles à la porte des ateliers, des magasins, nous n’étions pas seuls à les attendre… Les temps difficiles sont passés… Nous avons à présent nos ateliers à nous, et plus de pensionnaires que nous n’en pouvons héberger… (S’approchant de Biron.) C’est plutôt l’argent qui manque…
C’est toujours ce qui manque…
Heureusement, ces dames, la baronne en tête, ont su imposer nos produits aux grands magasins… à tous leurs fournisseurs…
Très malin… Décidément, fanfaronne de l’indifférence…
Vous tombez mal… c’est encore une idée du baron…
Vous nous avez beaucoup aidés… Il faut dire que nos enfants travaillent à merveille… La mode des paillettes, des dentelles, surtout, a été un bonheur pour les chères petites… Depuis qu’on porte tant de cols en broderie, nous ne suffisons pas aux commandes…
Gare à leurs yeux !
On a de bons yeux à quinze ans…
On les use…
Pauvres petites !
Mais, n’est-il pas charmant, cet échange de bons procédés entre les pauvres enfants et leurs bienfaitrices ?… Vous les secourez et elles vous parent…
L’échange n’est guère équitable…
Comme tous les échanges… Dans un échange, il y a toujours quelqu’un qui est roulé…
Oh ! Biron !
Celui-là est tout à fait gracieux… La charité et les rubans !… Et puis… Quoi ?… C’est la vie… Elles ne sont pas au Foyer pour faire la fête, ces petites… pas encore !… Le Foyer, c’est toujours deux cents malheureuses, qui, au lieu de mourir de faim…
… se tuent à travailler…
Oh !…
Que voulez-vous, jeune sociologue ?… Il faut des pauvres et des riches.
Dites qu’il faut des pauvres aux riches…
Eh bien… moi… le socialisme ne me fait pas peur, ah ! et je dis hardiment qu’il faut des riches aux pauvres…
Écoutez-le… (À Biron.) J’ajouterai seulement : de bons riches… Voyez Biron, notre grand remueur d’affaires… il gagne beaucoup d’argent…
Oh !… oh ?…
Il en donne aussi beaucoup.
C’est un fait… On me tape… Je suis excessivement tapé…
Et à quoi aboutissez-vous avec tous ces dons… et tous ces tapages ?… À peine une miette de sucre pour sucrer l’Océan…
J’avoue que nous ne faisons pas tout… On ne peut pas tout faire…
Pas tout faire, à la fois… (Il s’assied sur le canapé.) C’est évident.
Mais on fait quelque chose.
Au petit bonheur… Toujours la tombola.
Il est bien certain que le hasard… que la chance gouverne tout en ce bas monde…
Et la Justice ?
Mon cher enfant, on s’expose à de graves déceptions quand on ne compte que sur la Justice… Vous êtes jeune, enthousiaste… vous rêvez… Mais vous reconnaîtrez vous-même, bientôt, que nous ne sommes pas mûrs pour le règne de la Justice… (S’appuyant à son bureau) Heureusement, pour compléter l’effort de la charité, il y a mieux… il y a la résignation…
Scène IV
La résignation… l’admirable vertu des déshérités… Oui, par bonheur, les pauvres ont la résignation…
C’est leur force.
Croyez-vous, monsieur le baron, que les pauvres ne finiront point par se révolter un jour, contre cette charité qui entretient leur misère, pour sauvegarder les richesses des riches ?…
C’est inouï !… Mais, éminent sociologue, les pauvres sont justement les pauvres, parce qu’ils sont incapables de se révolter… Ils n’ont même pas le temps d’y songer… Le travail, la misère, ça abrutit…
C’est ignoble ce que vous dites là…
Ah ! ah ! ah !
Prenez garde… Si les pauvres manquent de loisirs, d’autres en ont qui pensent pour eux… et les mènent… Et c’est bien là le danger…
Mon ami…
Eh ! c’est bien là le crime… (Ouvrant un dossier.) Tenez, voilà le dossier des Prix de vertu que m’a remis l’Académie. (Mettant son lorgnon.) À mesure que je l’étudie, je suis émerveillé… Je voudrais vous faire toucher du doigt tous ces trésors d’abnégation, de sacrifice… Mais les pauvres sont contents de leur sort… ils ne demandent rien…
Évidemment.
Et savez-vous ce qui m’émeut le plus… ce qui, en même temps, me fortifie le plus dans mes idées ?… C’est que ce sont les êtres les plus humbles, les plus dénués, les plus ignorants… disons le mot… les illettrés…
Écoutez ça d’Auberval !
Qui accomplissent les plus belles actions…
Braves gens !…
Voilà ce que je voudrais faire comprendre… non pas aux socialistes… ils sont trop fous… mais aux radicaux-socialistes, qu’on peut faire réfléchir… Beaucoup sont riches…
Trop riches !
On en dit trop aux pauvres… On les instruit trop… (Geste oratoire.) Vous prétendez, messieurs, qu’il y a trop peu d’écoles, moi, j’ose affirmer qu’il y en a trop…
Bravo ! Bravo !
Il n’est pas désirable que l’instruction s’étende davantage… Car l’instruction est un commencement d’aisance, et l’aisance n’est pas à la portée de tout le monde…
Je propose l’affichage… (Changeant de ton.) On ne vous écoutera pas.
Du moins, j’aurai crié : « Casse-cou ! » (Se tournant vers Dufrère.) Qu’est-ce qu’il y a, Dufrère ?
Vous voudriez bien que nous vous rendions le baron ?
Madame, même mon cabinet est plein et j’ai dû faire entrer des visiteurs au salon…
Nous parlons… nous parlons… (À d’Auberval qui baise la main de Thérèse.) Jeune homme, j’ai mon auto, et si vos opinions vous permettent d’aller en auto, je vous emmène.
À demain, madame.
Ah ! messieurs, ne manquez pas d’être exacts ?… Il faut être au Foyer avant deux heures…
Monsieur d’Auberval… 184, rue de la Chapelle.
Je sais… Je sais…
Personne ne doit arriver après la duchesse.
La duchesse ?
La duchesse de Saragosse.
Vingt-six ans ?
Scène V
Ainsi, d’abord, ce M. Ludovic Belair.
Je l’introduis ?
Oui… il est assommant… Il faut que je m’en débarrasse…
M. Ludovic Belair !
Scène VI
Mon cher maître, tout à l’heure, dans votre antichambre…
Excusez-moi, mon cher confrère, de vous avoir fait attendre…
Ce n’est pas à vous à vous excuser, mon cher maître, mais à moi qui viens accaparer un temps précieux, et que le malheur réclame… (S’asseyant.) Dans ce beau salon, assis entre deux bonnes sœurs et un vieillard, au milieu des enfants, des nourrices, de pauvres femmes, je ne pouvais m’empêcher de songer à quelqu’un dont vous avez écrit la vie, dans votre admirable livre : La Charité ordonnée… Je songeais à saint Vincent de Paul…
Monsieur…
Et je rougissais de l’objet de ma visite, qui va déranger de si nobles occupations…
Mais, monsieur… je me dois à tout le monde.
Je n’oublie pas, mon cher maître, que je suis devant l’homme dont on a pu dire qu’il administrait la compassion de ses contemporains…
Oui… Oui… Une phrase d’Anatole France, mais du temps où il commençait déjà à se moquer de nous…
Anatole France !… Oh !… Je n’en crois rien.
Laissons cela… Je disais… Ah ! nous n’avons le droit de nous soustraire à aucun de nos devoirs… J’ajoute, je me hâte d’ajouter que je n’en connais pas de plus agréable que celui de signaler le mérite au suffrage de l’Académie.
Je sais, mon cher maître, je sais, par Mme Labellevigne, toute l’indulgente bienveillance que vous avez pour mon petit volume… et je viens vous en remercier… Il est certain qu’il dépend de vous que mon travail soit couronné, et je voudrais, si vous le permettez, insister encore…
Outre le mérite réel de votre livre, je n’ignore aucun des titres que vous avez à faire valoir. Beaucoup m’en ont instruit… Vous comptez, monsieur, — et je vous en félicite — tant d’amis.
Croyez bien…
Si je n’oublie aucune des personnes qui s’intéressent à vous… (Feuilletant un dossier.) dans le monde, dans les journaux, au Sénat, à l’Institut, jusque dans le gouvernement, et jusque dans mon département, j’aurai, si vous obtenez le prix Cornard-Cabasson, une centaine de lettres à écrire, pour l’annoncer…
Mon cher maître, je suis confus…
Quoi donc ? Monsieur, on a les amis qu’on mérite…
Alors c’est le prix Cornard-Cabasson ?
Il ne vous plaît pas.
Au contraire, mon cher maître… Un très beau prix… Je n’aurais pas osé…
En réalité, si vous l’obtenez, laissez-moi vous dire que ce n’est pas seulement par égard pour le nombre de vos amis, ni uniquement en considération de votre talent. (Belair s’incline.) Non… Il m’est agréable de voir couronner en vous le jeune défenseur des idées qui sont chères à tous les vieux amis de l’ordre…
Oh ! sous ce rapport !…
Je le sais… Aussi, connaissant vos idées, je tiens beaucoup à vous mettre en garde contre un penchant qui vous entraînerait, peut-être, plus loin que vous ne pensez.
C’est vrai, mon cher maître, on m’a reproché… certaines hardiesses… dans la peinture des choses de l’amour.
Elles ne me choquent pas… Elles ont de la grâce… Non… Je voulais parler du penchant que vous avez pour la satire, on ne se défie jamais assez du penchant pour la satire… À force de décrier les mœurs du temps, on fraie son chemin à la Révolution.
Dieu m’en garde !
Je savais qu’il suffirait de vous avertir… Retenez bien ceci… Rien n’est capital, pour le maintien de l’ordre, comme de taire le mal… Il est beaucoup moins important de faire le bien que de taire le mal… Taire le mal… taire le mal… l’empêcher, si l’on peut… mais, surtout, le taire…
Voilà une maxime que je n’aurai garde d’oublier.
Elle vaut d’être méditée.
Alors, mon cher maître, vous me permettez de compter sur votre appui ?…
Vous pouvez y compter absolument.
Merci, mon cher maître… (Il se dirige vers la porte, reconduit par Courtin.) Si je ne craignais pas d’abuser, je vous demanderais la permission de vous mettre à contribution, pour une série… (Il s’arrête.) pour une série sensationnelle que je prépare au Figaro, sur ce que j’appelle le « Personnel de la Charité »… les « Salons charitables »…
Mais c’est fort délicat !…
Oh !… Ce n’est pas pour tout de suite… Pour l’entrée de l’hiver… La charité ne redevient d’actualité qu’aux premiers froids…
Eh bien… nous verrons à la rentrée…
Merci, mon cher maître… merci encore…
Taire le mal… taire le mal… taire le mal…
Belair approuve en saluant profondément. Il serre la main de Dufrère qui paraît à la porte.
Scène VII
Vous le connaissez ?
Je crois bien… C’est une conquête du parti conservateur.
Ce petit bonhomme ?
Oh !… Une toute petite victoire bonapartiste.
Comment ?
Il a débuté avec moi à la Revue Libertaire.
Mon cher ami, vous vous moquez de tout… Mais c’est un très bon signe que ces évolutions.
Oh ! il ne s’en tiendra pas là… (Montrant la liste.) L’ordre est de nouveau dérangé. Il y a là les dames quêteuses du Vestiaire de Saint-Martin, de L’Obole, du Bol de soupe et du Foyer… Voulez-vous les voir, ou faut-il que je les expédie ? Il y a tant de monde !
Non… Voilà trois semaines que je les ajourne… Faites-les entrer.
Dufrère sort et introduit les quatre dames. Elle entrent une à une, hésitant, curieuses, vont serrer la main que leur présente Courtin, et, après beaucoup de salutations, s’assoient de chaque côté du bureau.
Scène VIII
Eh bien, mesdames ?
Nous avons remis à M. Dufrère nos livres et les sommes recueillies, cette semaine… (Mines désolées des dames quêteuses.) C’est malheureusement trop peu de chose, monsieur le président.
Tant pis, mesdames, tant pis ?
On a pourtant bien du mal, monsieur le président.
Les gens ne veulent plus donner qu’aux œuvres de leur quartier.
C’est vrai qu’il y a trop de concurrence… Tous les jours une œuvre nouvelle !…
Une volerie la plupart du temps !… Il faudrait une loi, monsieur le sénateur.
Les automobiles qui nous font un tort !
Les loteries, donc !
Les souscriptions pour les mineurs…
Pour les volcans de l’étranger…
Personne ne sait mieux que moi, mesdames, combien votre tâche est pénible… et aussi combien elle est méritoire… Ne vous laissez pas aller au découragement… Il faut vous ingénier à découvrir de nouveaux moyens…
Il faudrait découvrir tous les jours, monsieur le président… Nos petits moyens ne nous servent pas longtemps… J’en avais un qui m’avait d’abord réussi, les femmes de chambre… je leur apportais des rubans, des bouts de dentelle.
Moi, des romans… des romans un peu lestes… Il fallait bien.
Mais ce ne sont pas elles qui donnent.
Quand je pense que dans des appartements de vingt mille francs, on trouve des gens qui osent vous donner deux sous.
On trouve… on trouve… Vous avez de la chance… Moi, ils sont toujours sortis.
C’est étonnant ce que les gens sortent à Paris… On a beau venir à l’heure des repas.
Ils ne mangent même plus chez eux, monsieur le président.
Et puis, il y a des concierges qui sont terribles…
Je voulais vous dire, monsieur le président… Au Petit sou des Faubourgs, ils ont une nouveauté dont ils paraissent très contents… Ils confient aux mamans des tirelires à faire remplir par les bébés… Les chers mignons s’habituent ainsi de bonne heure à la charité, à l’économie aussi… Et en même temps, ça leur sert de joujoux… (Elle se lève.) J’ai apporté un modèle, monsieur le président… (Elle remet le modèle à Courtin qui l’examine.) Vous voyez… Il représente le cœur de Jésus… C’est en porcelaine…
Oh ! que c’est joli !…
Les enfants ? Je n’y avais pas songé… Oui, c’est assez heureux.
Il y a aussi des zouaves… des moutons… des poupées…
Le modèle passe de main en main ; les dames reprennent leurs places en chuchotant.
Mesdames, rappelez-vous mon système… Faites-vous renseigner dans les mairies, sur les naissances, les mariages, les enterrements… (Les dames font des signes d’approbation.) la première communion.
La première communion… Oh !…
Les enterrements… je ne dis pas… monsieur le président… mais les gens heureux !…
Mon Dieu, mesdames… Il en est de la charité comme de la cuisine… Il y a le tour de main… (Approbation.) Faire passer votre carte, c’est bien, mais c’est trop simple… Il faut voir les gens, leur parler…
Leur parler ? Nous ne demandons que ça… Mais où ? Quand ?
Il faut bien vous dire, mesdames, que la charité est un art… Il y a l’art de donner… (Dénégation de Mme Pivin.) Il y a aussi l’art de se faire donner… Tenez… par exemple… si vous connaissez certains secrets… (Elles écoutent, le col tendu, approuvant çà et là, par des gestes, des mouvements de tête.) quelque trait piquant ou mystérieux, dans la vie de ceux que vous sollicitez… Il ne vous est pas défendu… d’y faire allusion… discrètement…
Oui… Oui…
Adroitement.
Adroitement… bien sûr…
Oh ! moi… je connais une dame !…
Il ne faut pas compter que sur la vanité.
Entre Dufrère.
Mlle Rambert est là…
La directrice du Foyer… la directrice du Foyer…
Elle n’a que peu de temps…
Eh bien… nous sommes en famille… (Sur le geste de Courtin, Dufrère sort.) Donc, mesdames, agissez de votre mieux… On peut tout faire au nom de la charité…
Scène IX
Monsieur le président… (Elle salue rapidement les dames quêteuses qui s’inclinent et, ensuite, vont, à pas glissés, former un groupe au fond de la scène.) Monsieur le président, je venais prendre vos dernières instructions…
Mon Dieu, madame la directrice, je crois que je n’ai plus rien à vous dire… Voyons… (L’amenant sur le devant de la scène.) L’établissement est nettoyé ?
À fond, monsieur le président.
Nos enfants sont bien propres ?… Ces bains ?…
Tout sera terminé ce soir, avant le coucher !
Parfait ! parfait !
Ce n’aura pas été une petite affaire… Pensez que nous n’avons que trois mauvaises baignoires, dont une tout à fait hors d’usage…
Et la révérence ?… Tout le monde sait la révérence à faire à la duchesse ?
Tout le monde… Demain matin, on répétera encore, après la messe… Quelques-unes sont gauches et lourdes… mais il y en a, je vous assure, monsieur le président, qui sont délicieuses… Et nous en avons une, une gamine, qui, malheureusement, portera plus de chapeaux qu’elle n’en confectionnera…
Ont-elles appris à parler comme il faut ?
Très bien.
Ah !… la coiffure !… La baronne me disait encore combien ces cheveux trop tirés sont laids…
Mme la baronne peut se rassurer. J’ai tenu compte de ses observations.
Le chuchotement des dames quêteuses, qui n’a pas cessé, augmente. Courtin, en se retournant, les fait taire.
Je n’ai pas besoin de vous répéter combien j’attache d’importance à ce que l’impression soit bonne… Pas seulement à cause de la duchesse…
Monsieur le président…
Mais le comité sera au grand complet… la Presse sera représentée…
Soyez tranquille, monsieur le président, rien ne clochera… rien ne clochera !
Je sais que vous êtes une femme de tête…
Monsieur le président… (Son regard va des dames quêteuses à Couriin.) Si vous pouviez éloigner ces dames un moment ?…
Ah !… (Se retournant vers les dames quêteuses.) Mesdames, je ne veux pas vous retenir davantage. (Déception des dames quêteuses qui commencent à prendre congé.) D’ailleurs, nous comptons sur vous, demain, à deux heure ?…
Et le petit cœur de Jésus, monsieur le président ?
Nous verrons tout cela samedi prochain… (Elles s’inclinent de nouveau.) Au revoir, mesdames, au revoir !
Scène X
Vous avez quelque chose de grave à me dire ?
De grave… d’ennuyeux, oui… Nous avons, monsieur le président, un ennui au Foyer !
Ah !
Un gros ennui…
Quoi donc ?
Une de nos surveillantes… Mlle Barandon… a oublié dans un placard, une petite qu’elle avait enfermée…
Comment ?
Elle l’y a laissée tout un jour… et toute une nuit !…
C’est fou !… alors ?
Quand on l’a retirée, ce matin… on l’a retirée dès que Mlle Barandon s’est rappelée… naturellement, la petite était sans connaissance…
Mais c’est effrayant !…
Malgré nos soins, elle est morte…
Morte ?
Morte !… oui… à midi…
C’est effrayant, ce que vous dites là !… c’est effrayant !…
Il se promène en se tenant la tête. Mlle Rambert le suit du regard.
Par bonheur, j’ai pu la faire transporter dans la chambre de Mlle Barandon… sans que personne la voie…
Vous êtes sûr que personne…
Personne, monsieur le président… personne… C’est Mme Antoinette… la concierge… qui la veille… D’elle, au moins, je suis sûre…
Laisser une enfant tout un jour… et toute une nuit… dans un placard !… (Levant les bras.) Je n’ai jamais vu ça !… On n’a jamais vu ça !… Eh bien, c’est du joli… du joli !… (S’arrêtant devant Mlle Rambert.) Qui est cette petite ?… Comment s’appelle-t-elle ?
Caroline Mezy !
Caroline Mézy ?… (Il fait un geste exprimant qu’il ne la connaît pas.) A-t-elle des parents ?
Sa mère…
À Paris ?
Elle était placée à Paris… Une coureuse… Elle est partie en province… je ne sais où…
Personne ne vient la voir ?
Jamais… heureusement…
Enfin… Comment peut-on oublier une enfant dans un placard ? C’est inimaginable !… On nous traitera de bourreaux…
Monsieur le président, c’est une punition réglementaire…
Joli règlement !…
Approuvé par le comité… Deux heures de placard…
Deux heures !… quatre heures de placard !… Bien… Mais vingt-quatre heures !
Un accident… Il arrive des accidents… Il n’y a pas qu’au Foyer…
Un accident ! Un accident !… (Changeant de ton.) Évidemment… (Changeant de ton.) Mais nous avons une responsabilité terrible…
Oh ! Cette petite Mézy avait eu, une fois ou deux, des troubles au cœur. Le docteur ne voudra pas nous créer des embarras.
Ne voudra pas… C’est très grave. (Très vite.) Et l’abbé Laroze ? Que dit-il ?
Mais il ne sait rien, monsieur le président… Ah ! bien, merci ! Ce serait le bouquet !
Il ne l’a donc pas confessée ?
Elle était sans connaissance.
Enfin… on ne lui a pas administré les derniers sacrements ?
À quoi bon ?
Une mort pareille ? sans les secours de la religion ? au Foyer ? Songez donc. Et dans ma situation !
Vous ne savez pas en quel état est notre pauvre aumônier. Agité, nerveux, incohérent, comme il est…
N’importe… n’importe…
Mais, monsieur le président, il eût ameuté la maison, tout le quartier… Il eût fait une cérémonie…
C’est effrayant !… c’est effrayant !… (S’arrêtant.) Et demain ?… La réception de demain ? Qu’allons-nous faire ?
J’ai pris mes dispositions… Tout se passera très bien… (Un temps.) Seulement… permettez-moi…
Dites… dites…
De vous demander… un petit peu d’argent…
D’argent ? Encore ? Je ne sais pas comment vous faites… Je vous en ai remis samedi dernier.
Oh !… trois cents francs !
C’est bon… nous verrons lundi…
C’est que… j’en ai absolument besoin pour demain matin… au moins quinze cents francs ! (Courtin lève les bras au plafond.) Vous savez bien que… toute la semaine… (Très ferme.) j’ai dû payer sur ma bourse à moi.
Bon… Bon…
Ce n’est pas pourtant qu’on ne me doive rien…
Eh bien… C’est entendu… demain matin… (il marche et lève les bras.) Dans un placard !… Une petite dans un placard…
La figure de l’abbé Laroze apparaît dans l’entrebâillement de la porte de droite.
Surtout monsieur le président, je vous en prie… pas un mot, pas un mot à M. l’abbé… Tout serait perdu… Je ne sais pas comment nous ferions demain !
Soyez tranquille… mademoiselle…
Scène XI
Monsieur le baron !… (Courtin lui tend la main.) Ah ! mademoiselle Rambert !
Il la regarde de loin, sans bienveillance.
Voilà le grand jour arrivé, mon cher abbé… Je gage que vous seriez ravi d’être à après-demain…
Ma foi, monsieur le baron, je ne dis pas non… Je ne dis pas non !… Je redoute un peu cette inspection.
Inspection ?…
Une visite… une visite auguste, c’est vrai, mais une simple visite…
Je ne tiens pas au mot… N’empêche que c’est une visite… en quelque sorte officielle… Je suis ému… je suis ému… je ne m’en défends pas…
Mon cher abbé… soyez sûr que tout se passera le mieux du monde.
C’est ce que Mme la directrice assure… oui… Mais je pense qu’on ne saurait trop veiller à tout…
Vous avez raison, monsieur l’aumônier… et, justement, je disais tout à l’heure, à M. le président, combien vous preniez soin…
Je vous remercie, madame la directrice… vous êtes trop bonne… Par exemple, prenez garde de blesser ma modestie. Ménagez-la, mademoiselle, ménagez-la… Mais laissons, s’il vous plaît, ma pauvre personne… Ce qui fait que je ne suis pas tranquille…
Eh là !… monsieur l’aumônier… on ne vous mangera pas.
Je n’en sais rien… mademoiselle… je n’en sais rien…
Nous n’avons pas affaire à des malveillants.
On dit ça… On dit Ça… (Profitant d’un moment où Mlle Rambert détourne la tête.) J’ai à vous parler.
Il se dirige au fond de la scène, vers la fenêtre.
Madame la directrice, je me ferais scrupule, vraiment, d’abuser de votre temps, si précieux aujourd’hui…
Mais pas du tout, monsieur le président…
Vous n’avez plus rien à me dire ?
Plus rien, monsieur le président… (À l’abbé Laroze.) Monsieur l’aumônier… (Il détourne seulement la tête.) Si vous rentrez au Foyer… je puis vous emmener… j’ai une voiture…
Je vous remercie infiniment, mademoiselle… une petite course à faire encore.
Je pourrais peut-être…
Ce n’est pas du tout votre chemin.
Je n’insiste pas… (L’abbé s’est remis complètement de dos.) Au moins, vous rentrerez souper, monsieur l’aumônier ?
Assurément, madame la directrice, assurément.
Monsieur le président…
À demain.
Scène XII
Enfin !… Elle a horreur de me laisser seul avec vous… Ah ! monsieur le baron, je ne suis pas fâché de pouvoir vous parler un instant, tête à tête…
Ni moi.
J’ai hâte de libérer ma conscience…
Oh ! oh ! Il est donc arrivé quelque chose de bien grave ?
Il n’est rien arrivé du tout, monsieur le baron…
Alors ?
Il n’est rien arrivé… et pourtant, rien ne va comme il faudrait… Je m’en veux de troubler votre sérénité… mais je vous assure qu’il y a beaucoup à reprendre au Foyer, beaucoup… beaucoup trop.
Naturellement… mais pourquoi vous tracasser ?… Ce n’est pas à la veille du jour où le succès…
Justement… (Changeant de ton.) D’abord, ce succès…
Comme vous vous tourmentez !
Avec raison… monsieur le baron… avec raison… Voyez-vous, la gestion de Mlle Rambert n’est pas bonne… elle est même mauvaise… très mauvaise. Pas la moindre économie… des dettes… des dettes criardes. C’est un désordre !… (Joignant les mains.) L’infirmerie, monsieur le baron… les cuisines !… Et tout !… tout !
Hélas !… Je le sais… La faute n’est pas à Mlle Rambert… Elle n’est pas responsable de la crise que nous traversons… Nous avons au Foyer beaucoup de dépenses, et, malheureusement, le zèle de nos amis se refroidit.
Bon !… bon !… Si ce n’était que cela !
Qu’est-ce qu’il y a encore ?
Il y a… il y a… que Mlle Rambert est versatile au possible… Tantôt, elle est beaucoup trop indulgente… d’une indulgence, d’une familiarité, qui finissent par paraître déplacées, suspectes… (Sur un mouvement de Courtin.) Eh bien, oui, là !… (Changeant de ton.) Je vous assure que je n’en fais pas une question de personne…
Je sais… Je sais…
Mais la partialité de Mlle Rambert est choquante… Elle est choquante… Il y en a qu’elle câline… qu’elle cajole… qui sont vraiment trop gâtées…
Il y en a de si malheureuses !
Oh ! ce n’est pas ce qui l’émeut… Non… Ces caresses… ces préférences… que les enfants remarquent…
Petites jalousies, mon cher abbé… Souvent les rapporteuses ne valent pas cher…
Je vous prie de croire que je vois par mes propres yeux… Et ce que je vois me fait trembler… Il arrive aussi à la directrice d’être inexplicablement sévère !
Il y en a de si insupportables !
Ce n’est pas une raison pour les battre…
On a des mouvements d’impatience.
J’en ai entendu crier… J’en entends crier tous les jours. C’est désagréable ! Et puis, comment vous expliquer ?… Il y a toutes sortes de pénitences mystérieuses… et aussi je ne sais quelles récompenses… qui se distribuent le soir… beaucoup trop tard…
Que voulez-vous dire ?
Ici, monsieur le baron, je suis lié par le secret de la confession…
Mlle Rambert a des bizarreries… je le reconnais… mais, enfin, les enfants ne se plaignent pas…
Oh !
Ou si peu… Il faut la laisser faire… Ces petites misères, ces petites jalousies de fillettes… j’ai autre chose en tête… Ce dont je me préoccupe, c’est de nous trouver des ressources…
Sans tarder, alors, monsieur le baron, sans tarder…
Je compte, demain, sur un don considérable de la duchesse… et puis, j’ai des projets…
Ah !… serait-il permis de vous demander où vous en êtes, avec ce monsieur dont nous avons eu la visite, au commencement de l’hiver ?… Voyons… (il cherche.) Monsieur…
Lerible ! Célestin Lerible !
C’est ça… Je n’ai plus de mémoire… M. Lerible… Il a l’air d’un bien excellent homme ?
Ne vous y fiez pas… (Changeant de ton.) J’attends toujours.
Puissiez-vous réussir, monsieur le baron, réussir avant qu’il soit trop tard !
Vous parlez comme si tout était perdu !…
Non… non… Mais permettez-moi de vous le dire respectueusement… peut-être avez-vous le tort de vous fermer les yeux comme exprès… Vous aimez tant à vous persuader que tout est pour le mieux !…
Mais tout est pour le mieux, l’abbé… tout est pour le mieux.
Dieu vous entende, monsieur le baron… Pourtant, ne lui laissez pas tout à faire…
Thérèse a ouvert la porte du billard, et s’arrête sur le seuil… Elle a son chapeau, un tour de cou, une ombrelle.
Scène XIII
Pardon !
L’abbé lève les bras au plafond, s’incline et s’avance vers Thérèse.
Madame la baronne, votre humble serviteur !
Je suis bien aise de vous voir, monsieur l’abbé. Voilà plusieurs fois que je vais au Foyer, sans avoir le plaisir de vous rencontrer.
Je suis peu fortuné, vraiment… Vous qui n’y venez plus que si rarement, cette année.
J’ai été prise… tout cet hiver… très prise… Je ne vous dérange pas, au moins ?
Nous déranger !… (Changeant de ton.) J’exposais à monsieur le baron…
Nous nous entretenions de la réception de demain… (Se frottant les mains.) Tout ira bien…
Tout ira bien ?… (Sur un geste impératif de Courtin.) Tout ira très bien… Oui !… D’ailleurs, j’allais prendre congé… Je bénis le ciel de m’être attardé, madame la baronne… Pouvons-nous espérer que vous nous reviendrez… que, de nouveau, nous aurons, au Foyer, la maman, la chère maman qu’on y réclame ?
Certainement… Certainement !…
Vous êtes mille fois aimable et bonne… Je pars sur cette excellente promesse… Madame la baronne, votre humble serviteur… Ne vous dérangez pas, monsieur le baron…
Scène XIV
Je ne vous reconnais pas… Vous, toujours si aimable…
J’ai été très aimable.
Intérieurement, alors… Il ne vous a rien fait, le pauvre homme… lui qui vous admire tant !
Ce n’est pas son affaire…
Vous êtes dure…
Cette habitude de retenir mes mains dans les siennes… J’ai horreur de ça… Je ne sais pas… C’est indécent !
Vous sortez tout de suite ?
Oui… (Elle ferme la porte et redescend.) Vous avez quelque chose à me dire ?
Mon Dieu !
Oh ! Je ne tiens pas tant à sortir. Je n’ai pu rester dehors, ce matin… Il souffle dans les rues un vent chaud qui m’affole… qui donne envie de pleurer… (Elle s’assied sur le divan.) Votre samedi est très chargé ?
Comme tous mes samedis.
Je vous envie, de vous intéresser à tant de choses… Moi, je m’ennuie… je m’ennuie…
Qui vous empêche… ?
Quoi ?… De faire comme vous ?
De donner aux malheureux ce temps dont vous ne faites rien… Je n’en parle, remarquez, qu’au point de vue de votre santé… La charité, rien de plus hygiénique…
Si l’on pouvait distribuer de la joie… vraiment de la joie… à pleines mains !… Mais toutes vos œuvres, elles ne m’intéressent pas…
Dites qu’elles ne vous intéressent plus… Vous, à qui j’ai connu une si belle ardeur, autrefois…
Dans ce temps-là, je ne pensais à rien… Je prenais du plaisir à tout… Il ne faut pas réfléchir à ce qu’on fait quand on tient à son bonheur…
Comme vous avez raison !… Vous réfléchissez beaucoup trop… Laissez-vous vivre. (Un petit temps.) Le petit d’Auberval est ridicule, avec ses théories, son pessimisme… Il y a un peu de sa faute… sa société ne vous vaut rien.
Je ne sais ce que vous allez chercher… Je m’étonne que vous ne me proposiez pas la gaieté d’Armand Biron…
Justement… Biron…
Et puis, ne dites donc pas toujours « le petit d’Auberval ». Il s’appelle d’Auberval… Robert d’Auberval…
Ma chère amie, c’est de Biron, justement…
En voilà un qui m’agace !… Dieu ! Qu’il m’agace !…
Depuis quand ?
Depuis qu’il m’agace !…
D’Auberval lui fait tort… d’Auberval a trente ans de moins et s’habille à ravir…
Ça… oui !
La belle affaire ! Biron a pour lui des qualités plus sérieuses, et son intelligence…
Je ne demande pas qu’un homme soit trop occupé de sa toilette, mais ce n’est pas une raison pour être mis comme Biron. (Se levant pour aller s’asseoir à la table-bureau.) Ce qui fait ma joie, ce sont ses pantalons… Avez-vous remarqué ses pantalons ?
Oui… Eh bien ?
Ils sont toujours trop courts… (Elle rit.) Je ne sais pas comment il fait, ils sont toujours trop courts… (Elle pouffe de rire.) Avec ça, il a des prétentions à l’élégance.
Eh bien, moi, je lui sais gré…
Parbleu ! Il vous singe !
Un valet de pied est entré, apportant une carte sur un plateau.
Je vous assure que ses efforts pour atteindre à la noblesse…
Pouff !…
Ne riez pas, ma chère amie… Moi, je ne trouve pas le bourgeois gentilhomme si ridicule !… C’est un bel hommage que ces gens-là… Et puis, tenez, Biron… j’ai remarqué souvent ce qu’on peut tirer de lui, en faisant appel à des sentiments de générosité, aux belles manières.
Je ne suis pas chargée de son éducation.
Sans doute…
Son optimisme aussi… son optimisme entêté d’homme heureux m’est intolérable…
Laissez-moi préférer cet excès-là… Laissez-moi vous dire aussi — et c’est sur quoi je voulais attirer votre attention — qu’il m’est pénible de voir comment on en vient à traiter Biron, parfois.
Par exemple ?
Oui… tenez… à la table, tout à l’heure… après déjeuner aussi… Il arrive trop souvent à d’Auberval de manquer de tact… Il est bien jeune… Et je n’aime pas… quand on vient d’être admis dans une maison…
Faites-lui vos observations…
Je ne dis pas… Si je vous en parle à vous, ma chère amie, c’est que, peut-être, sans vous rendre compte, votre manière d’être autorise ou semble autoriser les saillies de d’Auberval… (Thérèse sourit.) Mais oui, votre façon de rire à tout ce qu’il dit…
Pourquoi Biron ne comprend-il pas qu’il vient trop souvent ?… Cela devrait se voir quand on déplaît !…
Sérieusement… détestez-vous si fort le pauvre Biron ?
Je serais ravie d’avoir une occasion de me brouiller avec lui.
C’est un vieil ami…
Lui auriez-vous encore demandé un service, qu’il redevient impertinent ?
Pas le moins du monde… Mais non, il y a tout simplement que vous avez moins d’indulgence pour ses défauts, depuis que vous n’aimez plus ses qualités… vous vantiez naguère sa bonne humeur…
Il rit trop et trop haut.
Vous ne l’entendez que parce que vous ne riez plus avec lui.
Mettons… quel mal voyez-vous à ce que nous nous brouillions avec Biron ?
Ce serait au moins une maladresse. Il faut se croire bien sûr de soi, pour se brouiller avec ses amis puissants. Il ne manque pas de gens, de par le monde, envers qui la sévérité ne coûte rien…
À l’entendre, nous serions menacés de je ne sais quel malheur !
Je cherche ce qu’il a bien pu dire…
Rien de précis… Une des affaires où il vous a introduit serait-elle particulièrement louche ?
Je n’ai pas accepté d’être d’un conseil d’administration dont il ne fût pas membre.
Excellente précaution… où je reconnais toute votre prudence… Enfin, vous n’avez pas quelque autre chose à craindre ?
Rien… ma chère amie, absolument rien… Que voulez-vous que j’aie à craindre ?
Est-ce que je sais ?… C’est ce Biron avec ses insinuations.
Tranquillisez-vous… (Avec humeur.) Ma situation, sinon ma fortune, n’a rien à envier aux millions d’Armand Biron… Ces parvenus sont extraordinaires !… Une de ses manies, à celui-là, c’est de croire ruinés tous ceux qui n’ont pas, comme lui, sept ou huit cent mille francs de revenus…
C’est vrai… Avec lui, on est déshonoré quand on prend un fiacre !…
Comment ?
Rien… Je dis ça…
Après tout, Biron n’est pas un vilain homme… Croyez-moi, ne le…
Oh !… Et il attend !… Annoncez… annoncez tout de suite !… (À Thérèse, pendant que le valet sort.) Ma chère amie…
Je décampe !…
Elle sort presque en courant par la petite porte de gauche. Courtin jette dans un tiroir le tour de cou, et s’avance vers la porte, souriant, épanoui.
M. le directeur de l’Assistance publique !