Le Foyer et les Champs/Effet de neige

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Le Foyer et les ChampsSociété centrale de librairie catholique (p. 9-11).

Effet de Neige.


Oh ! j’aime le spectacle étrange
De la neige au reflet si clair,
Qu’on dirait les plumes qu’un ange
De ses ailes, secoue en l’air.

Les sombres pavés disparaissent
Sous un tapis étincelant,
Et les moineaux bavards se pressent
Tout fiers d’avoir un corset blanc.

Les toits aigus et les hauts faîtes
N’ont plus leurs manteaux bigarrés ;
Ils ont pris leurs habits des fêtes
Pour qu’à l’aurore ils soient parés.


Les flèches des temples gothiques
Se perdent dans le ciel profond,
Pareils aux palais fantastiques
Qu’en volant les nuages font.

Les longs arbres aux branches vides
Sont tout poudrés et rajeunis,
Ils se croient au printemps, avides
De frissons d’ailes dans les nids ;

Et les plantes entrelacées
Aux arabesques des balcons,
Semblent de pâles fiancées
Dans le voile de leurs flocons.

La lune derrière la neige
Se cache avec un air frileux,
Comme un cygne qui se protège
Sous son duvet blanc et moelleux.

— Noir géant que la bise effleure,
Au sein de l’ombre, le beffroi
Frémit en faisant tinter l’heure,
Comme si lui-même avait froid !

Aux vitres des salons d’orgies
Les maigres orphelins, soufflant
Dans leurs petites mains rougies,
Viennent mendier en tremblant…


Devant ce tableau de misère
J’ai de la honte et du remords ;
Mais mon cœur attendri se serre
Davantage en songeant aux morts,

— Cendre froide sans étincelle —
Dormant dans l’enclos morne et gris,
Sous un vieux saule qui chancelle,
Ruine veillant leurs débris.

Hélas ! plus d’un ami que j’aime
Grelotte en m’attendant là seul,
Car c’est le rendez-vous suprême :
La neige est le commun linceul.

Voilà pourquoi lorsqu’elle tombe
Et que l’hiver souffle sur nous
Je vais réchauffer chaque tombe
Avec mes pleurs et mes genoux.