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Le Génie dans l’obscurité

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Œuvres complètes de LamartineChez l’auteur (p. 97-99).
XI


LE GÉNIE DANS L’OBSCURITÉ




À M. REBOUL
À NÎMES

 
Le souffle inspirateur qui fait de l’âme humaine

Un instrument mélodieux,

Dédaigne des palais la pompe souveraine :
Que sont la pourpre et l’or à qui descend à peine

Des palais rayonnants des cieux ?


Il s’abat au hasard sur l’arbre solitaire,

Sur la cabane des pasteurs,

Sous le chaume indigent des pauvres de la terre,
Et couve en souriant un glorieux mystère

Dans un berceau mouillé de pleurs.


C’est Homère endormi, qu’une esclave sans maître

Réchauffe de son seul amour ;

C’est un enfant chassé de l’ombre de son hêtre,
Qui pleure les chevreaux que ses pas menaient paître,

Et qui sera Virgile un jour !


C’est Moïse flottant dans un berceau fragile

Sur l’onde, au hasard des courants,

Que l’éclair du Sina visite entre cent mille,
Pendant qu’il fend le marbre ou qu’il pétrit l’argile

Pour la tombe de ses tyrans !


Ainsi l’instinct caché dans la nature entière

Mûrit pour l’immortalité :

La perle au fond des mers, l’or au sein de la pierre,
Le diamant dans l’ombre où languit sa lumière,

La gloire dans l’obscurité ;


La gloire, oiseau divin, phénix né de lui-même,

Qui vient tous les cent ans, nouveau,

Se poser sur la terre et sur un nom qu’il aime,
Et qu’on y voit mourir ainsi que son emblème,

Mais dont nul ne sait le berceau !


Ne t’étonne donc pas qu’un ange d’harmonie

Vienne d’en haut te réveiller :

Souviens-toi de Jacob ! Les songes du génie
Descendent sur des fronts qui n’ont dans l’insomnie

Qu’une pierre pour oreiller.


Moi-même, plein des biens dont l’opulence abonde,

Que je changerais volontiers

Cet or dont la fortune avec dédain m’inonde,
Pour une heure du temps où je n’avais au monde

Que ma vigne et que mes figuiers ;


Pour ces songes divins qui chantaient dans mon âme,

Et que nul or ne peut payer,

Pendant que le soleil baissait, et que la flamme
Que ma mère allumait, ainsi qu’une humble femme,

Éclairait son étroit foyer ;


Et qu’assis autour d’elle à la table de hêtre

Que nous préparait son amour,

Nous rendions grâce à Dieu de ce repas champêtre,
Riche des simples fruits que le champ faisait naître,

Et d’un pain qui suffit au jour[1] !

  1. Voir à la table de ce volume la réponse de M. Reboul.