Le Galant doublé/Acte IV

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Le Galant doublé
Poèmes dramatiquesBordeletTome 3 (p. 58-76).
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ACTE IV



Scène I.

BÉATRIX, GUZMAN.
BÉATRIX, paroissant à la porte d’Isabelle au même temps que Guzman se présente pour entrer.

Guzman vient seul ici ? Qu’a-t-il fait de son maître ?

GUZMAN.

Je suis son Lieutenant quand il ne peut paroître.
Avec un grand parleur dans la rue arrêté,
Il trouve à le quitter quelque difficulté ;
Et s’il tarde un peu trop, craignant qu’on ne l’accuse,
Il m’envoie, en tous cas, en faire son excuse.
Il saura trancher court ; & peut-être il me suit.

BÉATRIX.

Enfin, on l’attendra plûtôt jusqu’à la nuit.
Mais pourquoi n’entrer pas ? Qui t’arrête à la porte ?

GUZMAN.

J’en avois à mon gré raison valable & forte ;
Mais on ne sauroit fuir ce qui doit arriver ;
Je craignois de te voir, & tu me viens trouver.

BÉATRIX.

Quoi, pour te faire peur, suis-je assez effroyable ?

GUZMAN.

Non pas ; mais je te crains pourtant comme le diable,
Et choisirois plûtôt, s’il dépendoit de moi,
D’être tenté par lui que de l’être par toi.

BÉATRIX.

Ne t’épouvante point ; si ton cœur en soupire,
Tu t’accoutumeras.

GUZMAN.

Tu t’accoutumeras.Il ne coûte qu’à dire ;
Et, quoiqu’un pauvre cœur soit tout percé de coups,
Pourvû qu’on s’accoûtume, il doit être fort doux ?
Mais en m’accoûtumant, comme j’ai l’ame prompte,
Quand je ne pourrai plus, ce sera pour mon compte.
Cependant de ta part, loin de me soulager,
Tu t’accoûtumeras à me faire enrager.

BÉATRIX.

Tu crois donc qu’à me voir ton repos se hazarde ?

GUZMAN.

Je suis tout palpitant dès que je te regarde ;
Et de mes sens ravis en contemplation,
Mes yeux seuls, près de toi, gardent leur fonction ;
Peu s’en faut que mon cœur n’en soit paralytique.

BÉATRIX.

Pourroit-il craindre un mal que ta langue m’explique ?
Qui le connoît si bien n’est pas pour en mourir ;
Et, si je t’ai blessé, je pourrai te guérir.

GUZMAN.

Si tu connois assez jusqu’où va ma blessure,
Tu n’entreprendras pas une légere cure ;
Et je puis t’en promettre un honneur sans égal.
La rechûte, dit-on, est pire que le mal ;
Mais à guérir le mien, s’il faut que tu consentes,
Tiens mon cœur en état d’en avoir de fréquentes,
Et songe qu’avec toi, ravi de s’embourber,
Il ne voudra guérir qu’afin de retomber.

BÉATRIX.

Va, Guzman, j’aurai soin, de peur qu’il ne t’empire,
D’avoir quelque douceur chaque jour à te dire ;
Ni langueurs ni soupirs ne te coûteront rien.

GUZMAN.

Je crois qu’aux délicats tout cela fait grand bien ;
Mais pour moi, qui crains fort les crudités venteuses
J’eus toujours l’estomach contraire aux viandes creuses ;

Et quand, pour mes péchés, il en est question,
Je n’en tâte jamais sans indigestion.

BÉATRIX.

Tu n’es donc point mon fait ; ainsi que de tous âges
Parmi mes soupirans j’en ai de tous étages.
Je reçois compliment, soins, complaisance, vœux,
Mais ce meuble d’amour est tout ce que j’en veux ;
Chacun me fait, sans peine, écouter son martyre ;
J’estime les polis, & les sots me font rire.
C’est ainsi que l’amour dans mon cœur se nourrit.

GUZMAN.

Cet amour est bien jeune, ou n’a guere d’esprit.
Je sais bien qu’en effet quand il commence à naître,
Ce n’est que de douceurs qu’il aime à se repaître ;
Cet aliment alors sans peine le soutient ;
Mais je le croi léger, quand l’appétit lui vient.
S’en tenir toujours à, tu m’aimes, & je t’aime,
Si c’est faire enrager, c’est enrager soi-même ;
Et le simple art coquet, si des sottes l’ont eu,
Sans de grands ragoûts, n’est pas grande vertu.

BÉATRIX.

Tu vas un peu trop loin ; encor sommes-nous faites
Pour ouïr des douceurs, écouter des fleurettes ;
C’est à quoi la plus prude aisément se résout ;
Mais il faut que toujours la vertu régle tout.

GUZMAN.

Tu me la bailles belle avec ta pruderie.
Enfin qu’attrape-t-on par la coquetterie,
Et que sert la vertu que tu me veux prêcher,
Si, sous l’habit du vice, on aime à la cacher ?
C’est être sage en vain que ne la point paroître.
Pour moi, je sui pécheur autant qu’il le faut être ;
Et je ne sache rien qui me choque l’esprit,
Comme se vendre au diable, & s’y vendre à crédit.

BÉATRIX.

Je pense, pour t’avoir qu’il lui doit coûter bonne.

GUZMAN.

Ce n’est pas trop gratis, & fol est qui s’y donne.

Mais enfin, bien plûtôt que je n’eusse espéré.
D’avec son grand parleur mon maître s’est tiré.



Scène II

D. FERNAND, GUZMAN, BÉATRIX.
GUZMAN.

Monsieur, on vous attend ; mais cependant j’enrage
D’être avant vous ici venu faire message ;
Avec la Béatrix pour avoir babillé,
Jusques aux intestins je me trouve grillé.

D. FERNAND faisant semblant de ne pas connoître Guzman.

Que veut dire ce fou ?

GUZMAN.

Que veut dire ce fou ?Ben, & grand bien vous fasse ;
Voyez s’il y fait chaud, je vous quitte la place,
Pour m’ôter de péril vous venez bien à point.

D. FERNAND le repoussant.

Ami, les froids railleurs ne divertissent point,
Retire-toi.

GUZMAN.

Retire-toi.Chasser un homme de ma sorte ?

BÉATRIX.

Voyez qu’exprès pour vous j’attendois à la porte ;
Mais comme je n’ai pas le don de deviner,
Apprenez-moi quel nom il me faut vous donner.

D. FERNAND.

Le mien est Dom Fernand, est-ce que l’on en doute ?

BÉATRIX.

Si vous ne vous nommez, Monsieur, on n’y voit goute ;
Et quand Dom Dionis…

D. FERNAND.

Et quand Dom Dionis…Encor Dom Dionis ?
Ces divertissemens devroient être finis.
Cet Objet inconnu qui me tait sa naissance,
Me fait de ta maîtresse implorer l’assistance ;
Et, pour m’en éclaircir, je suis ici venu.

BÉATRIX.

Ainsi donc ce valet ne vous est pas connu ?

D. FERNAND.

Je ne le vis jamais, bien loin de le connoître.

GUZMAN.

Quoi, vous ne seriez pas Dom Dionis mon maître ?

D. FERNAND lui donnant un soufflet.

Maraud, tu veux railler ?

GUZMAN.

Maraud, tu veux railler ?Monsieur, vous étes prompt.
Ah ! Devant Béatrix m’avoir fait un affront !
J’en ai la rage au cœur.

BÉATRIX.

J’en ai la rage au cœur.Vous avez été vîte.

D. FERNAND.

Il auroit vû, sans toi, comme je m’en acquite,
Et si Dom Dionis m’a jamais ressemblé…

GUZMAN.

Peste de la figure, & du maître Doublé.

D. FERNAND tirant sa bourse de sa poche.

Mais, avant que d’entrer, prens, & daigne me dire
Pour quel charmant objet mon triste cœur soupire ;
Je crains de ta maîtresse encor quelques refus.

BÉATRIX.

Vous me voulez en vain éprouver là-dessus,
Cet essai n’est pour vous qu’une foible ressource.

D. FERNAND.

Mais…

BÉATRIX.

Mais…Mon cœur est fermé, n’ouvrez point votre bourse.

D. FERNAND.

Au moins…

BÉATRIX.

Au moins…Encor un coup, Monsieur, je ne prens rien,
Vous me connoissez mal.

GUZMAN.

Vous me connoissez mal.Ô la fille de bien !
Elle est incorruptible.

D. FERNAND.

Elle est incorruptible.Un présent t’épouvante !

BÉATRIX.

Pourquoi, s’il m’en revient plus de mille de rentes ?
Mais il faut, quels qu’ils soient, pour les voir sans mépris,
Que la galanterie en fasse tout le prix.
Je veux qu’avec tant d’art son adresse en ordonne,
Qu’on me soit obligé de tout ce qu’on me donne ;
Et qu’on fasse si bien, que le don accepté,
Je semble avoir encor moins reçû que prêté.
C’est assez que mon cœur connoît ce que j’en pense.

D. FERNAND.

Pour tes adorateurs c’est trop de récompense ;
Mais en ayant grand nombre, il est bien mal-aisé
Qu’ils touchent vivement un cœur si divisé.
De l’un par l’autre ainsi tu confons le service.

BÉATRIX.

L’Alphabet que j’en tiens à chacun rend justice ;
Et selon les degrés du mérite qu’il a,
Pour ne confondre rien, je lui fais un Nota.

D. FERNAND.

Le secret est galant pour ne s’y méprendre.

BÉATRIX.

Nous avons obligé ma maîtresse à descendre ;
La voici qui paroît.



Scène III.

D. FERNAND, ISABELLE, BÉATRIX, GUZMAN.
D. FERNAND.

La voici qui paroît.Dois-je encor redouter
L’erreur qui contre moi vous a fait emporter ?
L’ordre d’une inconnue, à qui mon cœur se donne,
Veut qu’à vos volontés Dom Fernand s’abandonne ;
Et, dans l’obscur succès dont je presse la fin,
Ce que vous résoudrez réglera mon destin.

ISABELLE.

Vous serez Dom Fernand, si vous le voulez être,
Lorsque Dom Dionis aura voulu paroître ;
Vous êtes tous les deux tant qu’on ne le voit pas.

BÉATRIX.

Ne doutez plus, Madame, il n’est qu’à trente pas ;
Son Valet qu’il envoie en ôte tout scrupule.

ISABELLE.

Il ne me l’ôte pas.

GUZMAN.

Il ne me l’ôte pas.Je suis moins incrédule,
Et me suis trop senti de la contrefaçon.

D. FERNAND.

Mais, Madame, pourquoi cet outrageant soupçon ?
Que pourrois-je espérer d’une lâche imposture ?

ISABELLE.

Sans aucun intérêt je voi cette avanture ;
Dionis ou Fernand, tout est égal pour moi ;
Je vous l’ai déjà dit, Dom Félix a ma foi ;
Mais la dame inconnue à qui vous voulez plaire,
Par beaucoup de raisons me doit être bien chere ;

Et, si vous la trompez, je ne puis refuser
D’employer tous mes soins à la désabuser.

D. FERNAND.

Jamais fidélité n’approcha de la mienne.

ISABELLE.

Entrons, en attendant que Dom Dionis vienne ;
C’est l’unique moyen de vous justifier.



Scène IV.

ISABELLE, DOM FERNAND, BÉATRIX, GUZMAN, un EXEMPT, suite de l’Exempt.
L’EXEMPT, saisissant l’épée de D. Fernand.

Monsieur, de par le roi, je vous fais prisonnier.

D. FERNAND.

Moi ?

L’EXEMPT

Moi ?Vous-même.

D. FERNAND.

Moi ?Vous-même.Voyez quelle erreur est la vôtre,
Messieurs, vous me prenez sans doute pour un autre.

L’EXEMPT

Dom Fernand d’Avalos nous est assez connu,
Vous verrez le decret contre vous obtenu.
Votre partie enfin a fait voir qu’à Grenade
Vous avez fait tuer D. Lope d’Alvarade,
Qu’un autre en est pour vous faussement accusé.

GUZMAN, bas.

Voici pour les surprendre un trait assez rusé,
Il faut aider la piéce.

D. FERNAND.

Il faut aider la piéce.Ah ! Messieurs, je proteste…

L’EXEMPT

C’est aux juges demain que vous direz le reste ;
Ces éclaircissemens passent ma fonction.

ISABELLE.

Mais ne pourroit-il pas vous donner caution ?

L’EXEMPT

Madame, à ces rigueurs la justice est contrainte.

GUZMAN.

Messieurs, pour un soufflet, je couche aussi ma plainte.

L’EXEMPT

Marchons sans faire éclat.

GUZMAN.

Marchons sans faire éclat.Me voilà satisfait.
Ah ! Monsieur Dom Fernand, vous payerez le soufflet.

D. FERNAND, à Isabelle.

Je puis fort aisément prouver mon innocence ;
Mais en vous cependant je mets mon espérance,
Rendez-vous favorable à seconder mes vœux.

GUZMAN.

Je le verrai loger.



Scène V.

ISABELLE, BÉATRIX.
BÉATRIX.

Je le verrai loger.Vous vous défierez d’eux,
Et voudrez croire encor que le tout soit adresse ?

ISABELLE.

Nomme ma défiance injustice ou foiblesse,
Condamne sur mes sens ce qu’elle a de pouvoir,
Dans ces occasions on n’en peut trop avoir.

BÉATRIX.

Quoi, vous la croiriez juste, après ce qui se passe ?

ISABELLE.

Je plains de Dom Fernand la fâcheuse disgrace ;
Mais, croi-moi, ses détours vont être superflus,
Puisqu’il est arrêté, Dom Dionis n’est plus.
Son valet qui le suit fait voir le stratagême.

BÉATRIX.

J’en avois crû d’abord la ressemblance extrême ;
Mais ici tout à l’heure, à le voir de plus près,
J’ai fort bien remarqué qu’ils n’ont pas mêmes traits.
Qui s’y veut attacher en voit la différence.

ISABELLE.

Tu seras toujours folle avec ta ressemblance.
Enfin c’est Dom Juan qui t’a gâté l’esprit ;
Il n’est rien de plus vrai que ce qu’il nous a dit ?
Voilà comme tu crois, si-tôt que l’on t’en conte

BÉATRIX.

Bien d’autres là-dessus ont la croyance prompte ;
Et quand je m’examine, au moins, vois-je de quoi
Mériter les soupirs qui s’adressent à moi.
Qu’on en vienne aux transports, qu’on se plaigne, languisse,
Pourquoi ne croire pas que l’on me rend justice ?
La fausse modestie est des foibles d’esprits ;
Après tout, il est bon de connoître son prix ;
Quelques vœux dont chacun à l’envi nous accable,
Qui croit en être digne, en devient plus aimable.
Pour moi, qui sur moi-même ouvre assez bien les yeux,
Je sai ce que je vaux, & j’en croi valoir mieux ;
J’en prens un droit d’empire, un air de confiance,
Qui force les plus fiers, & prend les cœurs d’avance ;
Un peu d’orgueil sied bien pour en venir à bout ;
Et, pour grossir la troupe, on fait armes de tout.
Vous savez qu’en amans je ne hais pas la foule,
La beauté se flétrit, la jeunesse s’écoule ;
Et je tiens qu’en notre âge il faut, sans consulter
Prendre tout, au hazard de ce qu’il doit rester.

ISABELLE.

Je te souffre l’erreur qui t’a toujours flattée ;
Mais dans mon cœur enfin la chose est arrêtée ;
Et, quand Dom Dionis seroit tel que tu crois,
J’ai sû pour Dom Félix déterminer mon choix.
Son retour à Madrid que dans peu l’on espere,
S’il est toujours le même, achèvera l’affaire ;
Et si pour Léonor j’étois hors de souci…
Mais je vois Dom Juan.



Scène VI.

D. JUAN, ISABELLE, BÉATRIX.
ISABELLE.

Mais je vois Dom Juan.Qui vous fait rire ainsi ?

D. JUAN.

Je ris de l’embarras où, depuis plus d’une heure,
Avec un vieil ami Dom Dionis demeure.
Jamais plus de grands mots n’avoient encor si bien
Fait voir le haut talent de nos diseurs de rien.
Quoique l’on ait pû dire, & quoiqu’on ait pû faire,
Il a fallu l’entendre, enrager, & se taire.
Je les viens de laisser aux complimens d’adieu.

ISABELLE.

Dom Dionis ne fait que sortir de ce lieu.

D. JUAN.

Dom Dionis ?

ISABELLE.

Dom Dionis ?Lui-même.

D. JUAN.

Dom Dionis ?Lui-même.Oui, sans doute, Madame,
Je viens tâcher encor à surprendre votre ame ;
Mais me donnant la main, pour vous éclaircir mieux,
À trente pas d’ici vous en croirez vos yeux.

BÉATRIX.

J’y vais pour vous, Madame, & si cette assurance…

D. JUAN.

Il n’en est pas besoin, le voici qui s’avance.



Scène VII.

D. FERNAND, DOM JUAN, ISABELLE, BÉATRIX.
BÉATRIX.

Hé bien, voyez un peu les yeux de celui-ci ;
Madame, tout de bon l’autre est-il fait ainsi ?
Et, si quelque rapport à douter vous engage,
Pourriez-vous lui trouver même tour de visage ?
Ce front vous semble-t-il également ouvert ?

ISABELLE.

Tout augmente mon trouble, & mon esprit s’y perd ;
Mais tu doutes en vain, Béatrix, c’est le même.

D. FERNAND.

Madame, on craint toujours quand l’amour est extrême ;
Et je vous dois paroître encor inquiété
D’un fâcheux embarras qui m’a trop arrêté.
J’appréhendois chez vous de m’être fait attendre ;
Mais je me trouve encor le premier à m’y rendre ;
Et votre Dom Fernand qu’on y faisoit venir,
Du moins, s’il s’en souvient, s’est laissé prévenir.

ISABELLE.

Dom Fernand est venu dégager sa parole,
Vous pouvez là-dessus poursuivre votre rôle ;
Il vous laisse en état de bien l’exécuter.

D. FERNAND.

J’ai lieu d’être surpris qu’on ait pû l’arrêter.

ISABELLE.

Quoi, pour votre intérêt vous voulez qu’il s’arrête,
Quand le pouvoir du roi rend son excuse prête ?
C’est, pour n’y pas céder, une trop juste loi.

D. FERNAND.

Que dites-vous, Madame, il est mandé du roi ?

ISABELLE.

Que vous êtes adroit à bien donner le change !
Mais rien, de votre part, ne doit sembler au étrange ;
Et la fourbe est pour vous un don si naturel…

D. FERNAND.

M’en accusez encor ! Ce reproche est cruel.
Si votre injuste erreur vous est toujours si chere,
Que rien, sans Dom Fernand, ne vous peut satisfaire,
Quoi qu’il vous opposât, deviez-vous consentir,
Puisqu’il étoit chez vous, à le laisser sortir ?

ISABELLE.

Le trait est si subtil, qu’il faut que je confesse
Qu’on ne peut rien conduire avec plus de justesse ;
Et, comme de l’exempt je connoissois le nom,
J’ai crû, vous arrêtant, que c’étoit tout de bon.
Où l’avez-vous laissé ?

D. FERNAND.

Où l’avez-vous laissé ?Qui, Madame ?

ISABELLE.

Où l’avez-vous laissé ?Qui, Madame ?Hé, de grace,
Faites voir ailleurs vos tours de passe-passe.
L’on me dupe d’abord, mais j’en reviens soudain.

D. FERNAND.

Qu’est-ce-ici ?

D. JUAN à Dom Fernand.

Qu’est-ce-ici ?Remettez la partie à demain.
Aussi-bien, pour guérir l’erreur qui la posséde,
Vous voir tous deux ensemble est l’unique reméde.
Sans une telle preuve elle n’a point de foi.

D. FERNAND.

Béatrix.

BÉATRIX.

Béatrix.Elle voit son erreur comme moi ;
Mais l’obstination d’une femme à combattre,
Est un petit démon qui fait le diable à quatre,
Son esprit de long-temps n’en sera délivré.



Scène VIII.

D. FERNAND, D. JUAN, ISABELLE, GUZMAN, BÉATRIX.
GUZMAN.

Enfin je suis content, le galant est coffré ;
S’il m’a pû souffleter, il en payera l’amende.

BÉATRIX.

Tu l’as suivi, Guzman ?

GUZMAN.

Tu l’as suivi, Guzman ?Suivi ? Belle demande !

D. FERNAND.

Qui ? Parle, explique-toi.

GUZMAN.

Qui ? Parle, explique-toi.Vous en serez surpris,
Monsieur, votre figure est un sot mal appris ;
Mais réjouissez-vous.

D. FERNAND.

Mai réjouissez-vous.Quel sujet m’y convie ?
Di.

GUZMAN.

Di.Vous serez roué bien-tôt en effigie.

D. FERNAND.

Maraud…

GUZMAN.

Maraud…Votre portrait, ce Dom Fernand maudit,
D’un saut qu’on lui prépare a lieu d’être contrit ;
Pour vol, brûlement, meurtre, on l’a mis en clôture.

D. FERNAND.

On l’a saisi ?

GUZMAN.

On l’a saisi ?Demain il aura la torture…

D. FERNAND.

Quoi, ce même Fernand qu’on dit me ressembler ?

GUZMAN.

Le traître, d’un soufflet a pensé m’accabler ;
Sa main pesante & large a grande expérience,
Je l’eusse pris pour vous sans cette différence,
Tant sur vous, aux mains près, il est bien copié.

D. FERNAND.

Il t’a battu ?

GUZMAN.

Il t’a battu ?Monsieur, j’en suis estropié ;
Mais, si pareils soufflets sont toujours dans sa manche,
Je prétens en avoir bien-tôt bonne revanche,
Et venir des premiers ouïr son compliment,
Quand il haranguera patibulairement.

D. FERNAND.

Madame, après cela seriez-vous si cruelle,
Que de douter encor…

GUZMAN.

Que de douter encor…Il étoit avec elle,
Monsieur, quand au collet on l’est venu griper.

ISABELLE.

Certes, je vous devrois aider à me duper ;
Mais personne jamais n’eut moindre complaisance ;
Vous perdez votre temps.

D. FERNAND.

Vous perdez votre temps.L’étrange défiance !
Vous voyez, vous oyez, & vous ne croyez rien ?

ISABELLE.

Je croi tout ; mais enfin, je vous connois trop bien.

D. FERNAND.

Quoi, c’est moi qu’en prison Guzman a vû conduire ?

ISABELLE.

Guzman mérite bien que vous daigniez l’instruire ;

Il fait de vos leçons un merveilleux emploi.
Tu l’as donc vû, Guzman ?

GUZMAN.

Tu l’as donc vû, Guzman ?Tout comme je vous voi.

ISABELLE.

Où l’a-t-on fait entrer ?

GUZMAN.

Où l’a-t-on fait entrer ?À deux détours de rue,
Ici… Mais la prison vous doit être connue.

D. FERNAND.

Madame…

ISABELLE.

Madame…C’est assez, nous nous verrons demain.
Adieu. Viens, Béatrix.

D. FERNAND.

Adieu. Viens, Béatrix.Quel est votre dessein ?
Au moins, de quelque espoir daignez flatter ma flamme.

ISABELLE.

Vous avez déjà sû le secret de mon ame ;
Ma foi pour Dom Félix toujours se soutiendra ;
Et, pour vos intérêts, le temps en résoudra.



Scène IX.

D. JUAN, DOM FERNAND, GUZMAN.
D. JUAN.

Elle a tant de soupçon de votre stratagême,
Qu’elle ne veut enfin en croire qu’elle-même ;
Et, si j’en juge bien, elle va, maintenant,
Jusques dans la prison demander Dom Fernand.

D. FERNAND.

Je le croi comme vous.

D. JUAN.

Je le croi comme vous.Elle aura beau s’en plaindre,
Le Concierge a le mot, vous n’avez rien à craindre.

D. FERNAND.

Non, si mon inconnue avecque moi d’accord
M’avoit pour assurance expliqué son vrai sort.
Je ne sai que résoudre à moins de la connoître.

D. JUAN.

Que chez votre beau-pere elle ait osé paroître !
Cet effort part d’un cœur profondément atteint.

D. FERNAND.

Il en faut voir la fin, & l’amour m’y contraint ;
Mais comme j’en attens toujours quelque message,
En vain votre parole à Dom Diégue m’engage ;
Je ne puis aujourd’hui me résoudre à le voir.
Inventez quelque excuse, allez chez lui ce soir ;
Pour en manquer pour moi vous avez trop d’adresse.

D. JUAN.

Il faut vous satisfaire.

D. FERNAND.

Il faut vous satisfaire.Adieu donc, je vous laisse,
D’Isabelle, en ce lieu, j’attendrai le retour.



Scène X.

D. FERNAND, GUZMAN.
GUZMAN.

Monsieur, vous faites rage en matiere d’amour ;
Mais quand pour Dom Fernand vous prenez la parole,
Vous pourriez retrancher quelque peu de ce rôle ;
J’y trouve, en le jouant, un endroit superflu.

D. FERNAND.

Quel ?

GUZMAN.

Quel ?Celui du soufflet qui m’a très-fort déplû.
J’ai pensé m’oublier, vous frappez comme un diable.

D. FERNAND.

C’est pour mieux conserver, par tout, le vrai-semblable.

GUZMAN.

On s’y doit attacher ; mais il est certain cas
Où, vrai-semblablement, il ne me plairoit pas ;
J’en hais la conséquence, & me connois à vivre.



Scène XI.

D. FERNAND, JACINTE, GUZMAN.
JACINTE.

Monsieur, on vous attend, & vous pouvez me suivre.

D. FERNAND.

Ah ! c’est toi ? Que de joie à mon cœur amoureux !

JACINTE.

Ma maîtresse m’envoie, & vous étes heureux.
Venez sans différer.

D. FERNAND.

Venez sans différer.L’agréable nouvelle !
Mais, où la dois-je voir ?

JACINTE.

Mais où la dois-je voir ?Vous la verrez chez elle.

D. FERNAND.

Et l’obstacle du pere ?

JACINTE.

Et l’obstacle du pere ?Il est grand ; mais enfin
On tient ouverte, exprès, la porte du jardin.

Ainsi, vous entrerez, sans qu’il le puisse apprendre.
Suivez de quelque pas.

D. FERNAND, à Guzman.

Suivez de quelque pas.J’avois raison d’attendre ;
Tu vois avec quel soin on cherche à me parler.

GUZMAN.

Garde aussi le vieillard pour vous mieux régaler.